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Décisions

Cass. 2e civ., 10 novembre 2021, n° 19-25.205

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pireyre

Rapporteur :

M. Martin

Avocat général :

M. Grignon Dumoulin

Avocats :

SCP Gaschignard, SCP Waquet, Farge et Hazan

Lyon, du 1 oct. 2019

1 octobre 2019

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 1er octobre 2019) et les productions, M. [I] et Mme [D], agissant en qualité de représentants légaux de leur fille mineure, [E] [I], née le [Date naissance 3] 2002, ont déposé plainte à plusieurs reprises, entre le 9 novembre 2011 et le 2 février 2014, contre M. [W] pour des faits de violences sur mineure de 15 ans avec usage ou menace d'une arme, de menaces de mort réitérées par gestes ou paroles et enfin d'agression sexuelle commis sur cette dernière.

2. [E] [I] ayant reconnu qu'elle avait menti en dénonçant ces faits d'agression sexuelle, la plainte les concernant a été classée sans suite par le ministère public, tandis que les deux procédures de poursuites qu'il avait engagées contre M. [W] en raison des autres faits imputés à ce dernier ont donné lieu à des décisions définitives de relaxe, aux motifs qu'aucun témoignage n'avait, dans les deux cas, corroboré les accusations de l'enfant.

3. Agissant en responsabilité sur le fondement des articles 1240 à 1242 du code civil, M. [W] a assigné devant un tribunal de grande instance M. [I] et Mme [D], en invoquant la responsabilité personnelle de [E] [I], d'une part, de ses parents, d'autre part, ainsi que leur responsabilité en qualité de civilement responsables de celle-ci et a sollicité leur condamnation solidaire avec leur assureur, la société Assurances du crédit mutuel Iard (l'assureur), à réparer son préjudice.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

M. [W] fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande afin de déclarer M. [I] et Mme [D] responsables des agissements de leur fille [E] [I], de le débouter de sa demande tendant à déclarer celle-ci responsable de son fait personnel, et de le débouter de sa demande de condamnation solidaire de [E] [I], M. [I], Mme [D] et de l'assureur à lui payer la somme de 15 000 euros en réparation de son préjudice moral alors « que les décisions définitives des juridictions pénales statuant au fond sur l'action publique ont au civil autorité absolue, à l'égard de tous, en ce qui concerne ce qui a été nécessairement jugé quant à l'existence du fait incriminé, sa qualification et la culpabilité ou l'innocence de ceux auxquels le fait est imputé ; qu'en l'espèce, en jugeant que l'inexistence des faits de violences et de menaces imputés par [E] [I] à M. [W], n'était pas démontrée, de sorte qu'aucune faute de la part de [E] [I] ne pouvait être retenue, quand elle constatait que M. [W] avait fait l'objet, relativement à de tels faits, de deux relaxes prononcées au regard de ce que leur matérialité n'était pas établie, la cour d'appel a violé l'article 1351, devenu 1355, du code civil, ensemble le principe de l'autorité absolue de la chose jugée au pénale sur le civil ; »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen relevée d'office

4. Il ne ressort ni de l'arrêt, ni des conclusions de M. [W] se bornant à rappeler les décisions rendues par le tribunal correctionnel et la chambre des appels correctionnels statuant sur renvoi de cassation, qu'il avait soulevé le moyen tiré de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil.

5. Le moyen nouveau, mélangé de fait et de droit, est, dès lors, irrecevable.

Sur le premier moyen, pris en ses deuxième, troisième, quatrième et cinquième branches

Enoncé du moyen

M. [W] fait le même grief à l'arrêt alors :

« 2°/ que la responsabilité de plein droit des père et mère exerçant l'autorité parentale sur un mineur habitant avec eux est engagée en présence d'un dommage causé par le fait, même non fautif, du mineur ; qu'en l'espèce, en retenant, pour écarter toute responsabilité de M. [I] et de Mme [D] en leur qualité de père et mère de [E] [I], qu'aucune des accusations émises par [E] [I] à l'encontre de M. [W] n'était fautive, la cour d'appel a violé l'article 1384, devenu 1242, du code civil ;

3°/ que l'imputation mensongère de faits d'agression sexuelle commis sur mineur cause nécessairement à la personne concernée une atteinte à son honneur et à sa considération ; qu'en l'espèce, en retenant, pour écarter toute responsabilité de M. [I] et de Mme [D] en leur qualité de père et mère, au titre de l'accusation mensongère de faits d'agression sexuelle formulée par [E] [I], qu'il n'en était résulté aucun préjudice à l'égard de M. [W], la cour d'appel a violé l'article 1384, devenu 1242, du code civil ;

4°/ qu'est constitutive d'une faute susceptible d'engager la responsabilité personnelle du mineur, l'imputation mensongère de faits d'agression sexuelle ; qu'en l'espèce, en retenant, pour écarter toute responsabilité personnelle de [E] [I] au titre de l'imputation mensongère à M. [W] de faits d'agression sexuelle sur mineur, que cette imputation mensongère consistait tout au plus dans une réaction désespérée de sa part, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;

5°/ que l'imputation mensongère de faits d'agression sexuelle commis sur mineur, cause nécessairement à la personne concernée une atteinte à son honneur et à sa considération ; qu'en l'espèce, en retenant, pour écarter toute responsabilité personnelle de [E] [I] au titre de l'imputation mensongère à M. [W] de faits d'agression sexuelle sur mineur, qu'un tel fait ne lui avait causé aucun préjudice, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen contestée par la défense

6. Le défendeur au pourvoi soutient que le moyen, en ses troisième et cinquième branches, tiré de la violation de l'article 1384, devenu 1242, du code civil et de l'article 1382, devenu 1240, du même code en ce que l'imputation mensongère de faits d'agression sexuelle commis sur mineur, cause nécessairement à la personne concernée une atteinte à son honneur et à sa considération, est irrecevable comme étant nouveau et mélangé de fait et de droit.

7. Cependant, M. [W], qui sollicitait de la cour d'appel la confirmation de la décision rendue par le premier juge étant réputé s'en approprier le motif selon lequel toute révélation de pédophilie ou de violence sur mineur porte atteinte à l'honneur, la réputation et la dignité de celui qui en est l'objet et lui cause un préjudice moral, le moyen, qui était dans le débat, est recevable.

Bien-fondé du moyen

8. La liberté d'expression est un droit dont l'exercice ne revêt un caractère abusif que dans les cas spécialement déterminés par la loi. Il s'ensuit que, hors restriction légalement prévue, l'exercice du droit à la liberté d'expression ne peut, sauf dénigrement de produits ou de services, être sanctionné sur le fondement de l'article 1382, devenu 1240 du code civil.

9. La dénonciation téméraire constitutive d'un abus de la liberté d'expression est régie par les articles 91, 472 et 516 du code de procédure pénale qui, en cas de décision définitive de non-lieu ou de relaxe, et sans préjudice d'une poursuite pour dénonciation calomnieuse, ouvrent à la personne mise en examen ou au prévenu la possibilité de former une demande de dommages-intérêts, à l'encontre de la partie civile, à la condition que cette dernière ait elle-même mis en mouvement l'action publique.

10. En dehors des cas visés par ces textes spéciaux, la dénonciation, auprès de l'autorité judiciaire, de faits de nature à être sanctionnés pénalement, seraient-ils inexacts, ne peut être considérée comme fautive, ni constituer un fait de nature à engager la responsabilité de plein droit des père et mère exerçant l'autorité parentale sur un mineur habitant avec eux.

11. Il n'en va autrement que s'il est établi que son auteur avait connaissance de l'inexactitude des faits dénoncés, le délit de dénonciation calomnieuse, prévu et réprimé par l'article 226-10 du code pénal, étant alors caractérisé.

12. Il résulte de l'arrêt que, s'agissant des faits ayant donné lieu à des décisions de relaxe, l'action publique n'a pas été mise en mouvement par la victime et que celle-ci n'a reconnu avoir menti que pour les faits d'agression sexuelle.

13. S'agissant de ces derniers faits, la cour d'appel a, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, et sans encourir les griefs des troisième et cinquième branches, retenu que cette dénonciation n'avait eu aucune conséquence préjudiciable pour M. [W], dès lors qu'elle n'avait donné lieu qu'à une enquête rapide.

14. En conséquence, par le motif de pur droit énoncé aux paragraphes 8 à 11, relevé d'office substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, l'arrêt se trouve légalement justifié.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

M. [W] fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de condamnation de l'assureur, in solidum avec [E] [I], M. [I] et Mme [D], à lui payer la somme de 15 000 euros en réparation de son préjudice moral et de mettre hors de cause l'assureur alors « que pour mettre hors de cause l'assureur et le débouter de sa demande de condamnation à son encontre, la cour d'appel s'est fondée sur la considération que la responsabilité de M. [I] et Mme [D], pris en leur qualité de civilement responsables de [E] [I], n'était pas engagée ; que la cassation à intervenir du chef de dispositif de l'arrêt ayant débouté M. [W] de sa demande de condamnation à leur égard, en leur qualité de civilement responsables de [E] [I], entraînera, par voie de conséquence, la cassation des chefs de dispositif ayant mis hors de cause l'assureur et ayant débouté M. [W] de sa demande de condamnation à son encontre, en application de l'article 624 du code de procédure civile. »

Réponse de la cour

9. Le premier moyen ayant été déclaré irrecevable en sa première branche, et rejeté en ses autres branches, le second moyen, qui invoque une cassation par voie de conséquence, est devenu sans objet.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.