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Décisions

Cass. 3e civ., 1 mars 2023, n° 21-25.612

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Teiller

Rapporteur :

M. Zedda

Avocats :

Me Haas, SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, SCP L. Poulet-Odent

Toulouse, du 27 sept. 2021

27 septembre 2021

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la société Laude du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre les sociétés Établissements Cance et Reynolds European.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 27 septembre 2021), la société civile immobilière Buropro (la SCI) a confié à la société Établissements Cance des travaux de bardage. Des cassettes en tôle galvanisée laquée ont été vendues à l'entrepreneur par la société Laude.

3. La réception est intervenue le 1er juin 2005.

4. En novembre 2012, la SCI a dénoncé à la société Établissements Cance l'apparition de désordres puis elle l'a assignée en référé expertise par acte du 11 mars 2014.

5. Par actes du 21 mai 2015, la SCI a assigné au fond les sociétés Établissements Cance et Laude, ainsi que la société Reynolds European, recherchée comme fabricante des matériaux en cause.

Sur le moyen

Enoncé du moyen

6. La société Laude fait grief à l'arrêt de déclarer recevable, comme non prescrite, la demande de la SCI à son encontre et de la condamner à payer à celle-ci les sommes de 92 556 euros et 4 800 euros, avec indexation sur l'indice BT 01 à compter du 8 novembre 2014, alors « que la prescription applicable à l'action contractuelle directe exercée par le maître de l'ouvrage contre le fournisseur de l'entrepreneur, lorsque cette action est fondée sur la non conformité des matériaux fournis, a pour point de départ la livraison de ces matériaux à l'entrepreneur ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que la société Buropro, qui avait confié à la société Cance des travaux de bardage sur un bâtiment, se plaignait de désordres esthétiques affectant des cassettes de bardage posées par la société Cance et fournies à cette dernière par la société Laude ; qu'il résulte encore des constatations de l'arrêt attaqué qu'en vue d'obtenir réparation de son préjudice, la société Buropro exerçait à l'encontre de la société Laude une action contractuelle directe fondée sur la non-conformité des cassettes litigieuses ; que le point de départ de la prescription applicable à cette action contractuelle directe contre la société Laude correspondait à la livraison des cassettes litigieuses à la société Cance, intervenue en novembre 2004 ; qu'il suivait de là que, comme le faisait valoir la société Laude par ses conclusions d'appel, le délai de cette prescription, réduit à cinq ans par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, était expiré tant à la date à laquelle la société Cance avait assigné la société Laude en intervention forcée devant le juge des référés, le 31 mars 2014, qu'à la date à laquelle la société Buropro avait assigné au principal la société Laude, le 21 mai 2015 ; que la cour d'appel a cependant retenu que la prescription de l'action de la société Buropro à l'encontre de la société Laude n'avait commencé de courir qu'à compter de la constatation des désordres par la société Buropro, en 2012, et a écarté en conséquence la fin de non-recevoir de la société Laude tirée de la prescription ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article L. 110-4, I, du code de commerce, ensemble les articles 1165, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et 1604 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 2 du code civil, l'article L. 110-4 du code de commerce et l'article 26 de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 :

7. Aux termes du premier de ces textes, la loi ne dispose que pour l'avenir ; elle n'a point d'effet rétroactif.

8. Selon le deuxième, les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par dix ans, ramenés à cinq ans par la loi précitée, si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes.

9. Les dispositions transitoires prévues par le troisième pour la durée des prescriptions en cours à la date d'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 n'ont pas pour effet de modifier le point de départ du délai de la prescription extinctive ayant commencé à courir antérieurement à cette date (3e Civ., 24 janvier 2019, pourvoi n° 17-25.793 ; 3 Civ., 16 septembre 2021, pourvoi n° 20-17.625, publié).

10. Il est jugé, pour les ventes antérieures à l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, que le délai de prescription applicable entre commerçants et entre commerçants et non-commerçants à l'action contractuelle directe du maître de l'ouvrage contre le fabricant, fondée sur la non-conformité des matériaux, court à compter de la livraison des matériaux à l'entrepreneur (3e Civ., 26 juin 2002, pourvoi n° 00-12.023, Bull. 2002, III, n° 148 ; 3e Civ., 7 juin 2018, pourvoi n° 17-10.394, Bull. 2018, III, n° 59).

11. Pour déclarer recevable comme non prescrite l'action du maître de l'ouvrage contre le fournisseur des matériaux, commerçant, l'arrêt retient que le point de départ de la prescription est celui prévu par l'article 2224 du code civil, soit le jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

12. Il constate, ensuite, que l'entrepreneur a été informé des désordres le 20 novembre 2012 et que le maître de l'ouvrage a assigné le vendeur moins de cinq ans après cette date.

13. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que les matériaux en cause avaient été livrés avant le 19 juin 2008, de sorte que la prescription de l'action directe du maître de l'ouvrage contre le vendeur avait commencé à courir à compter de la livraison, sans pouvoir expirer, en l'absence d'interruption ou de suspension, plus de cinq ans après l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

14. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

15. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

16. Les matériaux vendus par la société Laude ayant été livrés avant le 19 juin 2008, la prescription de l'action contractuelle pour manquement à l'obligation de délivrance conforme a commencé à courir au jour de la livraison.

17. La livraison des matériaux étant nécessairement antérieure à la réception de l'ouvrage, la prescription a commencé à courir au plus tard le 1er juin 2005. D'une durée initiale de dix ans, conformément à l'article L. 110-4, I, du code de commerce, elle a été ramenée à cinq ans par la loi du 17 juin 2008. Elle a expiré au plus tard le 18 juin 2013 à 24 heures en l'absence d'interruption ou de suspension, en application de l'article 26 de la loi précitée.

18. Les demandes de la SCI contre la société Laude, formées pour la première fois par acte du 21 mai 2015, sont irrecevables comme prescrites.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare recevable comme non prescrite la demande de la société civile immobilière Buropro à l'encontre de la société Laude, en ce qu'il condamne la société Laude à payer à la société civile immobilière Buropro les sommes de 92 556 euros TTC et 4 800 euros TTC avec indexation sur l'indice BT01 à compter du 8 novembre 2014, en ce qu'il condamne la société Laude aux dépens de première instance et d'appel en ce compris les frais d'expertise et de référé et en ce qu'il condamne la société Laude à payer à société civile immobilière Buropro la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel, l'arrêt rendu le 27 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi.