Cass. soc., 14 février 2024, n° 22-17.332
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mariette
Rapporteur :
M. Barincou
Avocats :
Me Haas, SCP Lyon-Caen et Thiriez
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué et les productions (Paris, 7 avril 2022), M. [U] a été engagé le 19 juin 2006, en qualité de consultant commercial, par la société Cadrex puis son contrat de travail a été transféré à la société LCI [Localité 3]. Il exerçait en dernier lieu les fonctions de responsable d'agence.
2. Par lettre du 1er avril 2016, le salarié a été licencié pour faute grave.
3. Le 11 mai 2016, l'employeur a saisi la juridiction prud'homale afin notamment que le salarié soit condamné à lui payer des dommages-intérêts pour violation de la clause de non-concurrence insérée à son contrat de travail. A titre reconventionnel, le salarié a demandé que son employeur soit condamné à lui payer diverses sommes notamment au titre de la rupture injustifiée du contrat de travail et d'heures supplémentaires non rémunérées.
Moyens
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi incident
Motivation
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Moyens
Mais sur le premier moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
5. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire que son licenciement repose sur une faute grave et, en conséquence, de le débouter de ses demandes relatives à la rupture du contrat de travail, alors « que, sauf abus, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression ; que le caractère illicite du motif du licenciement prononcé, même en partie, en raison de l'exercice, par le salarié, de sa liberté d'expression, prive, à lui seul, le licenciement de cause réelle et sérieuse ; qu'en déduisant une faute grave du refus du salarié d'accompagner la réorganisation de l'agence dont il était responsable, sans examiner le premier grief de licenciement relatif à l'exercice, par le salarié, de sa liberté d'expression ni vérifier si une atteinte avait été portée à cette liberté, la cour d'appel, qui a méconnu son office, a violé l'article L. 1121-1 du code du travail, ensemble l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Motivation
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1121-1 et L. 1235-1 du code du travail :
6. Il résulte du premier de ces textes que, sauf abus, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression.
7. Le caractère illicite du motif du licenciement prononcé, même en partie, en raison de l'exercice, par le salarié, de sa liberté d'expression, liberté fondamentale, entraîne à lui seul la nullité du licenciement.
8. Selon le second, à défaut d'accord lors de la conciliation, le juge prud'homal à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs énoncés dans la lettre de licenciement, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles.
9. Pour dire le licenciement fondé sur une faute grave, l'arrêt relève d'abord qu'aux termes de la lettre de licenciement, l'employeur reprochait au salarié d'avoir exprimé son hostilité à l'égard de M. [R], chargé à sa demande de mettre en oeuvre la réorganisation de l'agence dont il était responsable, abusant ainsi de sa liberté d'expression et de s'être opposé à cette réorganisation, faisant ainsi preuve d'insubordination.
10. L'arrêt retient ensuite que l'employeur justifie que le salarié s'est opposé à la réorganisation de l'agence dont il était responsable et qu'elle avait confiée à M. [R] en produisant notamment un courriel du 19 janvier 2016 et la réponse qui lui a été apportée puis un échange de courriels du 10 au 11 mars 2016 faisant apparaître que le salarié a refusé d'accompagner la réorganisation de l'agence dont il était responsable, mise en oeuvre à la demande de son employeur par M. [R] de sorte que le grief d'insubordination reproché au salarié est établi.
11. L'arrêt en déduit que cette insubordination constitue, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs, une violation des obligations résultant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise en ce qu'elle porte atteinte au pouvoir hiérarchique de l'employeur.
12. En statuant ainsi, sans examiner le grief relatif à l'abus par le salarié de sa liberté d'expression et vérifier s'il était fondé, en recherchant si les propos imputés au salarié étaient injurieux, diffamatoires ou excessifs, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Moyens
Et sur le second moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi principal
Enoncé du moyen
13. Le salarié fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la société LCI [Localité 3] la somme de 62 820 euros au titre de la violation de la clause de non-concurrence, alors « que la clause pénale est celle par laquelle une personne, pour assurer l'exécution d'une convention, s'engage à quelque chose en cas d'inexécution ; qu'en considérant que la pénalité que le salarié s'engageait à verser, en cas d'inexécution de son engagement de non-concurrence, égale à quatre fois le montant de la contrepartie financière que l'employeur aurait eu à payer pendant toute la durée de l'obligation ne constituait pas une clause pénale pour en déduire qu'il n'entrait pas dans son pouvoir d'en modérer les effets, la cour d'appel a violé les articles L. 1221-1 du code du travail et 1231-5 du code civil. »
Motivation
Réponse de la Cour
Vu l'article 1231-5 du code civil :
14. Selon ce texte, lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l'exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à l'autre partie une somme plus forte ni moindre. Néanmoins, le juge peut, même d'office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire.
15. Pour condamner le salarié à verser à son ancien employeur une somme au titre de la violation de la clause de non-concurrence en refusant de modérer cette indemnité, l'arrêt retient que la contrepartie financière de la clause de non-concurrence qui a la nature d'une indemnité compensatrice de salaire stipulée en conséquence de l'engagement du salarié de ne pas exercer, après la cessation du contrat de travail, d'activité concurrente à celle de son ancien employeur, ne constitue pas une indemnité forfaitaire prévue en cas d'inexécution d'une obligation contractuelle et ne peut donc être qualifiée de clause pénale.
16. En statuant ainsi, alors que la clause du contrat prévoyant une indemnité en cas de non-respect par le salarié de la clause de non-concurrence est une clause pénale, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquence de la cassation
17. La cassation prononcée n'emporte pas cassation du chef de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens, justifié par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.
Dispositif
PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
REJETTE le pourvoi incident ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que le licenciement est fondé sur une faute grave, rejette les demandes afférentes à la rupture du contrat, condamne M. [U] à verser à la société LCI [Localité 3] la somme de 62 820 euros au titre de la violation de la clause de non-concurrence et dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 7 avril 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.