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Décisions

CA Bourges, 1re ch., 1 février 2024, n° 23/00115

BOURGES

Arrêt

Infirmation partielle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Clement

Conseillers :

M. Perinetti, Mme Ciabrini

Avocats :

Selarl Liancier - Morin-Meneghel, Me Le Roy des Barres

TJ Nevers, du 7 déc. 2022

7 décembre 2022

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme [O] [I] épouse [B] et M. [X] [P] ont eu deux enfants, [K] [P], né le 5 août 2010, et [E] [P], née le 9 septembre 2012, tous deux placés auprès du service de l'Aide sociale à l'enfance par le juge des enfants.

Mme [I] et M. [P] ont divorcé le 24 février 2015.

M. [P] est décédé le 28 juillet 2018.

Mme [I] ayant fait part de son souhait d'abandon moral et matériel de ses deux enfants mineurs le 20 août 2018, le juge des tutelles du tribunal judiciaire de Chalon-sur-Saône a, par ordonnance du 14 septembre 2018, désigné le président du conseil départemental de Saône-et-Loire en qualité d'administrateur ad hoc des enfants pour les représenter dans les opérations de succession de leur père.

À la requête du président du conseil départemental, l'agence immobilière Remax Platinium a établi le 18 juin 2021 un avis de valeur pour deux biens immobiliers sis à [Localité 14], lieudit [Adresse 13] (58), situés de part et d'autre d'une route et composés comme suit :

- biens cadastrés section B nos [Cadastre 6], [Cadastre 7] et [Cadastre 10] ;

- biens cadastrés section B nos [Cadastre 4] et [Cadastre 5].

Par courriel du 7 septembre 2021 adressé à l'agence immobilière Remax Platinium, la direction de l'enfance et des familles (DEF) du conseil départemental de Saône-et-Loire a sollicité la mise en vente de ces biens.

Le 17 septembre 2021, la DEF a consenti à Me [C] [D], notaire, un mandat de vente sans exclusivité relatif à l'ensemble de ces biens, outre la parcelle cadastrée section B no [Cadastre 9], pour un prix global de 86 500 euros à débattre.

Le 5 octobre 2021, la DEF a consenti à l'agence immobilière Remax Platinium deux mandats de vente sans exclusivité portant, pour l'un, sur les biens cadastrés section B nos [Cadastre 6], [Cadastre 7] et [Cadastre 10] et, pour l'autre, sur les biens cadastrés section B nos [Cadastre 4] et [Cadastre 5].

Le même jour, une offre d'achat a été remise à l'agence par Mme [S] [A] et M. [Z] [F] pour l'ensemble de ces biens.

Le 6 octobre 2021, M. [V] [M] a adressé à Me [D] une offre d'achat pour les biens cadastrés section B nos [Cadastre 4], [Cadastre 5] et [Cadastre 9] au prix de 6 500 euros.

Le 19 octobre 2021, Me [D] a indiqué à M. [M] que la DEF a refusé son offre en raison de l'antériorité de l'offre de Mme [A] et M. [F].

Le 8 novembre 2021, le conseil de M. [M] a adressé à la DEF une mise en demeure de communiquer à Me [D] l'ensemble des documents nécessaires à la rédaction du compromis de vente et de fixer un rendez-vous de signature.

En l'absence de réponse, M. [M] a assigné la DEF par acte d'huissier du 7 décembre 2021 devant le tribunal judiciaire de Nevers aux fins de voir juger la vente parfaite et condamner la DEF à signer l'acte authentique de vente devant notaire.

Par jugement en date du 7 décembre 2022, le tribunal judiciaire de Nevers a :

- dit que le mandat de vente consenti le 17 septembre 2021 à Me [D], notaire, est irrégulier et ne pouvait permettre le transfert de propriété des biens immobiliers à M. [V] [M] sans l'autorisation préalable du juge des tutelles des mineurs,

- dit que le compromis de vente signé le 25 octobre 2021 entre la DEF du département de Saône-et-Loire et Mme [A] et M. [F] est régulier comme ayant été préalablement autorisé par le juge des tutelles des mineurs,

- débouté en conséquence M. [M] de l'ensemble de ses demandes,

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration en date du 31 janvier 2023, M. [M] a interjeté appel de ce jugement en l'ensemble de ses dispositions.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 4 décembre 2023, M. [M] demande à la cour de :

- déclarer son appel recevable et bien fondé,

- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- juger parfaite la vente des biens cadastrés section B nos [Cadastre 1], [Cadastre 5] et [Cadastre 4] à [Localité 14], lieudit [Adresse 13], tels que décrits dans l'offre ferme d'acquisition au prix mandat de M. [M] du 6 octobre 2021,

- condamner le président du département de Saône et Loire à fournir à Me [D], notaire, l'ensemble des documents nécessaires à la rédaction de l'acte authentique, parmi lesquels l'autorisation du juge des tutelles, puis à signer par devant Me [D] l'acte authentique constatant la vente des biens cadastrés section B nos [Cadastre 1], [Cadastre 5] et [Cadastre 4] à [Localité 14], lieudit [Adresse 13], conformément à l'offre ferme d'acquisition au prix mandat en date du 6 octobre 2021 et ce, sous astreinte de 500 euros par jour de retard dans un délai de 15 jours à compter de la signification de la décision à intervenir,

- juger qu'à défaut de régularisation de la vente par acte authentique, et passé un délai d'un mois à compter de la signification de la décision à intervenir, l'arrêt entre les parties vaudra vente et sera publié à la diligence du demandeur auprès du service de la publicité foncière du lieu de situation de l'immeuble,

- à titre subsidiaire, si la cour devait retenir la validité du mandat d'entremise LU 184 et refuser de qualifier le mandat de Me [D] de mandat de représentation, condamner le président du département de Saône et Loire à fournir à Me [D] l'ensemble des documents nécessaires à la rédaction de l'acte authentique, parmi lesquels l'autorisation du juge des tutelles, puis à signer par devant Me [D] l'acte authentique constatant la vente du bien cadastré section B[Cadastre 1] à [Localité 14] [Adresse 13], conformément à l'offre ferme d'acquisition au prix mandat en date du 6 octobre 2021 et ce, sous astreinte de 500 euros par jour de retard dans un délai de 15 jours à compter de la signification de la décision à intervenir,

- condamner le département de Saône et Loire à lui verser la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 14 novembre 2023, la direction de l'enfance et des familles du conseil départemental de Saône-et-Loire demande à la cour de :

- débouter M. [M] de ses prétentions et confirmer le jugement entrepris ce qu'il a :

> dit que le mandat de vente consenti le 17 septembre 2021 à Me [D], notaire, est irrégulier et ne pouvait permettre le transfert de propriété des biens immobiliers à M. [V] [M] sans l'autorisation préalable du juge des tutelles des mineurs,

> dit que le compromis de vente signé le 25 octobre 2021 entre la DEF du département de Saône-et-Loire et Mme [A] et M. [F] est régulier comme ayant été préalablement autorisé par le juge des tutelles des mineurs,

> débouté en conséquence M. [M] de l'ensemble de ses demandes,

- condamner M. [M] à lui payer, en la personne de son président, la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais de défense engagés en première instance, outre 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais de défense engagés à hauteur de cour d'appel,

- condamner M. [M] aux entiers dépens de l'instance.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 décembre 2023.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément référé aux dernières conclusions pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.

Motivation

SUR CE

Sur la qualification et la régularité du mandat consenti à Me [D]

La DEF demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a « dit que le mandat de vente consenti le 17 septembre 2021 à Me [D], notaire, est irrégulier et ne pouvait permettre le transfert de propriété des biens immobiliers à M. [V] [M] sans l'autorisation préalable du juge des tutelles des mineurs ».

Le mandat du 17 septembre 2021 comporte la clause suivante :

« Le présent mandat comporte tous pouvoirs et habilitations pour Maître [C] [D], notaire, de vendre et d'engager son mandant par la signature en son nom d'un compromis de vente ou de tout accord engageant en même temps l'acquéreur.

Ce mandat vaut offre de vente par le mandant, il ne s'analyse pas en un simple mandat d'entremise, par suite le mandant s'engage à ne pas rejeter une offre correspondant aux prix et conditions indiquées aux présentes. »

La DEF soutient que cette clause s'apparente à un « modèle » professionnel prohibé par la jurisprudence de la Cour de cassation, ce que conteste M. [M] qui considère qu'il s'agit d'une clause expresse conforme aux prescriptions de l'article 72 du décret no 72-678 du 20 juillet 1972 selon lequel « lorsqu'il comporte l'autorisation de s'engager pour une opération déterminée, le mandat en fait expressément mention ».

La Cour de cassation a jugé que la clause par laquelle le mandant s'engage à signer toute promesse de vente ou tout « compromis » de vente aux prix, charges et conditions du mandat, ne constitue pas une clause expresse par laquelle il donne pouvoir à l'agent immobilier de le représenter pour conclure la vente (voir notamment en ce sens Cass. Civ. 3e, 12 avril 2012, no 10-28.637).

Ainsi, nonobstant la mention selon laquelle le mandat « ne s'analyse pas en un simple mandat d'entremise », il doit être constaté que la clause litigieuse porte en des termes très généraux sur l'habilitation du notaire à signer « un compromis de vente ou tout accord engageant en même temps l'acquéreur ». Elle ne constitue donc pas une clause expresse comportant l'autorisation de s'engager pour une opération déterminée.

En conséquence, le mandat du 17 septembre 2021 ne peut être analysé en un « mandat de représentation » et doit être qualifié de simple « mandat d'entremise ».

Or, aucune des parties ne développe de moyen visant à démontrer l'absence de régularité de ce « mandat d'entremise », la DEF ne contestant la validité du mandat que dans le cas où il serait considéré comme un « mandat de représentation ».

L'acte improprement qualifié de mandat de représentation mais valable comme mandat d'entremise ne pouvait ainsi permettre le transfert de propriété des biens immobiliers à M. [M] sans l'autorisation préalable du juge des tutelles des mineurs

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a déclaré le mandat de vente irrégulier alors que sa validité comme mandat d'entremise n'était pas contestée.

Sur le caractère parfait de la vente

En vertu de l'article 1583 du code civil, la vente est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l'acheteur à l'égard du vendeur, dès qu'on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n'ait pas encore été livrée ni le prix payé.

L'article 387-1, 1°, du même code dispose que l'administrateur légal ne peut, sans l'autorisation préalable du juge des tutelles, vendre de gré à gré un immeuble ou un fonds de commerce appartenant au mineur.

L'autorisation du juge des tutelles, à laquelle est soumise la vente du bien immobilier d'un incapable, constitue un élément légal de validité du transfert de propriété (voir notamment en ce sens Cass. Civ. 1re, 10 févr. 1998, no 96-16.614).

En l'espèce, M. [M] sollicite de la cour de voir juger parfaite la vente des biens cadastrés section B nos [Cadastre 9], [Cadastre 5] et [Cadastre 4] à [Localité 14], lieudit [Adresse 13].

Il soutient qu'il résulte des termes mêmes du mandat du 17 septembre 2021 que cet acte s'analyse en un mandat de représentation, qui constitue une offre ferme de vente dont la seule acceptation par le premier offrant au prix demandé a pour effet de rendre la vente parfaite. Il considère dès lors que son offre ferme d'acquisition des biens précités au prix mandat, émise le 6 octobre 2021, matérialise un accord sur la chose et le prix qui rend la vente parfaite.

La DEF de Saône-et-Loire réplique que l'offre d'achat de M. [M] ne peut pas avoir eu pour effet de rendre la vente parfaite puisqu'elle n'a pas été autorisée par le juge des tutelles.

En premier lieu, il est constant que l'offre émise par M. [M] le 6 octobre 2021 n'a jamais été acceptée par la DEF de Saône-et-Loire. Ainsi, dès lors que le mandat consenti à Me [D] a été qualifié de « mandat d'entremise », aucune rencontre des volontés entre les parties n'est intervenue, ce qui fait obstacle à toute constatation du caractère parfait de la vente.

En second lieu, et surabondamment, si M. [M] reproche à la DEF de Saône-et-Loire de confondre l'acceptation de l'administrateur avec l'autorisation du juge des tutelles, c'est au contraire à bon droit que l'intimée allègue que l'autorisation du juge des tutelles est un élément constitutif de l'acte de vente, de sorte qu'elle est requise ad validitatem. Or, il est constant que la vente des biens cadastrés section B nos [Cadastre 9], [Cadastre 5] et [Cadastre 4] à M. [M] n'a jamais été autorisée par le juge des tutelles et qu'il lui manque en conséquence un élément légal de validité.

Il convient en conséquence de débouter M. [M] de sa demande tendant à voir juger la vente parfaite.

Sur la condamnation du président du département de Saône-et-Loire à fournir un jugement d'autorisation du juge des tutelles et signer l'acte de vente

M. [M] demande à la cour de condamner le président du département de Saône-et-Loire à fournir à Me [D] l'ensemble des documents nécessaires à la rédaction de l'acte authentique, dont le jugement d'autorisation du juge des tutelles, puis à signer par devant lui l'acte authentique de vente des biens cadastrés section B nos [Cadastre 9], [Cadastre 5] et [Cadastre 4] à [Localité 14], sous astreinte de 500 euros par jour de retard dans un délai de 15 jours à compter de la signification de la décision à intervenir.

Si l'absence de caractère parfait de la vente dont M. [M] recherche l'exécution forcée justifie à elle seule le rejet de cette demande, il est précisé qu'en tout état de cause, rien ne saurait justifier que la cour prononce une condamnation visant à contraindre une partie, a fortiori sous astreinte, à produire une décision émanant d'une juridiction tierce qui n'a pas été saisie et dont le contenu de l'éventuelle décision à intervenir est inconnu au jour où la cour statue.

Sur la demande visant à voir juger que l'arrêt de la cour vaudra vente

M. [M] sollicite enfin de voir juger qu'à défaut de régularisation de la vente par acte authentique, et passé un délai d'un mois à compter de la signification de la décision à intervenir, l'arrêt vaudra vente et sera publié à la diligence du demandeur auprès du service de la publicité foncière du lieu de situation de l'immeuble.

Hormis l'absence de caractère parfait de la vente, il convient, sur ce point également, de préciser que dès lors que la conclusion de l'acte authentique de vente requiert l'autorisation préalable du juge des tutelles, la cour ne saurait en aucune circonstance passer outre l'absence de cette autorisation pour juger que son arrêt puisse valoir vente.

***

Au regard de l'ensemble de ces motifs, qui se substituent à ceux du premier juge, le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a débouté M. [M] de l'ensemble de ses demandes.

Sur la régularité du compromis de vente signé le 25 octobre 2021 avec Mme [A] et M. [F]

La DEF demande enfin à la cour de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a « dit que le compromis de vente signé le 25 octobre 2021 entre la DEF du département de Saône-et-Loire et Mme [A] et M. [F] est régulier comme ayant été préalablement autorisé par le juge des tutelles des mineurs ».

Il doit cependant être relevé que Mme [A] et M. [F] ne sont pas parties à la procédure, de sorte que le premier juge, qui n'en était pas valablement saisi, ne pouvait se prononcer sur la régularité du compromis de vente conclu avec eux par la DEF le 25 octobre 2021.

Le jugement entrepris sera donc infirmé de ce chef.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles de première instance.

Partie principalement succombante, M. [M] sera condamné aux dépens d'appel.

Nonobstant l'issue de la procédure, l'équité commande de débouter les parties de leurs demandes respectives au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dispositif

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme partiellement le jugement entrepris en ce qu'il a dit que le mandat de vente consenti le 17 septembre 2021 à Maître [D], notaire, était irrégulier et que le compromis de vente signé le 25 octobre 2021 entre la DEF du département de Saône-et-Loire et Mme [A] et M. [F] était régulier comme ayant été préalablement autorisé par le juge des tutelles des mineurs,

Dit n'y avoir lieu à statuer à nouveau de ces chefs infirmés,

Confirme le jugement entrepris pour le surplus de ses dispositions,

Condamne M. [M] aux dépens de l'instance d'appel,

Déboute les parties de leurs demandes respectives au titre de l'article 700 du code de procédure civile.