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Décisions

CA Paris, Pôle 4 ch. 1, 19 juin 2020, n° 19/00547

PARIS

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Creton

Conseillers :

Mme Barberot, Mme Chaulet

Avocats :

Me Desandre Navarre, Me Hardouin

TGI Paris, du 5 déc. 2018, n° 18/01339

5 décembre 2018

En juin 2017, la SCI Rousseau a mis en vente les lots de copropriété n° 64 et 66 de l'immeuble sis ... Jacques Rousseau à Paris 1er par l'intermédiaire de l'agence Alva immobilier au prix de 618 000 euros frais d'agence inclus à la charge du vendeur pour une surface carrez du bien vendu de 44 m².

Une lettre de proposition d'achat a été établie, sans mention de date, par l'agence immobilière au prix de 585 000 euros commission d'agence comprise signée par Mme C X avec la mention «'bon pour accord'» et contresignée par l'agence avec la mention «'lu et approuvé bon pour proposition au prix de cinq cent quatre-vingt-cinq mille euros'».

Le 12 juillet 2017, la société Alva immobilier a adressé à Mme X un certificat loi Carrez établi le 16 juillet 2014 faisant état d'une superficie de 44 m² pour l'ensemble des deux lots et deux attestations de superficie établies pour chacun de ces lots le 30 juin 2017 faisant état d'une surface de 18,03 m² pour le lot 64 et de 23,27 m² pour le lot 66 soit un total de 41,3 m².

Faute d'avoir pu obtenir une baisse du prix figurant dans la proposition la différence de m² résultant de ces certificats, Mme X a fait assigner la SCI Rousseau devant le tribunal de grande instance aux fins d'obtenir la signature d'un compromis au prix de 529 607,36 euros sous peine d'une astreinte journalière; elle ne sollicitait plus, en dernier lieu, qu'une condamnation de la SCI à lui payer des dommages et intérêts en réparation de ses préjudices, le lot 64 ayant été vendu le 15 janvier 2018 et le lot 66 le 30 janvier 2018.

Par jugement du 5 décembre 2018, le tribunal de grande instance de Paris a rejeté les fins de non recevoir soulevées par la SCI Rousseau, rejeté la demande de dommages et intérêts de Mme X et l'a condamnée à payer à la SCI Rousseau la somme de 3000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Mme X a interjeté appel de ce jugement.

Par ses dernières conclusions, elle demande à la cour de :

- infirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris le 5 décembre 2018 en ce qu'il a rejeté sa demande de dommages et intérêts et l'a condamnée à payer à la SCI Rousseau la somme de 3000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau,

- condamner la SCI Rousseau à lui verser les sommes suivantes :

. 54 690 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel,

. 20 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,

- condamner la SCI Rousseau à lui verser la somme de 8000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens qui seront recouvrés par Me B Z A selon les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par ses dernières conclusions, la SCI Rousseau demande à la cour de :

. déclarer mal fondée la demande principale de Mme X de dommages et intérêts pour inexécution contractuelle, en conséquence,

. confirmer le jugement du 5 décembre 2018,

. débouter Mme X de l'intégralité de ses demandes,

. déclarer irrecevable la demande subsidiaire de Mme X en dommages et intérêts pour rupture abusive des pourparlers formée pour la première fois en appel,

. subsidiairement la juger mal fondée, en conséquence,

. débouter Mme X de l'intégralité de ses demandes, en tout état de cause,

- condamner Mme X à lui verser la somme de 5000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens dont distraction au profit de Me Patricia Hardouin Selarl 2H Avocats conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

La clôture de l'instruction a été ordonnée le 21 novembre 2019.

SUR CE

- Sur l'inexécution fautive de la SCI Rousseau de son obligation de vendre

Mme X soutient que l'obligation de la SCI Rousseau de lui vendre les lots de copropriété n° 64 et 66 de l'immeuble sis ... Jacques Rousseau à Paris 1er n'est pas sérieusement contestable nonobstant l'indication litigieuse des surfaces dès lors qu'il y avait accord sur la chose et sur le prix, la vente étant parfaite en vertu de l'article 1583 du code civil, et sollicite des dommages et intérêts en application des dispositions des articles 1217 et 1231-4 du code civil.

La SCI Rousseau, qui reconnaît avoir accepté la proposition d'achat au prix de 585 000 euros frais d'agence inclus précise n'avoir pas consenti à la diminution du prix de vente sollicitée par Mme X qui avait formé sa proposition après avoir visité le bien et donc en l'état et non par référence à une surface déterminée et qu'il résulte de la remise en cause du prix par Mme X que les parties ne se sont pas mises d'accord sur la chose et sur le prix.

Au terme des dispositions de l'article 1583 du code civil, la vente est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l'acheteur à l'égard du vendeur, dès qu'on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n'ait pas encore été livrée ni le prix payé.

Il ne peut en l'espèce se déduire de la circonstance que la SCI Rousseau était d'accord pour la vente du bien au prix de 585 000 euros frais d'agence inclus dans le cadre d'une proposition d'achat mentionnant une surface de 44 m², qu'elle avait l'obligation de vendre le même bien au prix de 529 697,36 euros proposé par Mme X compte tenu des derniers certificats de mesurage produits indiquant une surface inférieure, alors même que la SCI a refusé cette proposition et qu'aucun élément dans la proposition d'achat produite ne fait état d'un engagement sur le prix au m².

Les parties, qui n'en étaient qu'au stade des pourparlers dès lors qu'elles n'avaient signé aucun compromis de vente, ne se sont mises d'accord que sur la vente du bien visé par la proposition d'achat et visité par Mme X au prix de 585 000 euros frais d'agence inclus et il résulte de la contestation du prix par Mme X qu'aucun accord n'a été formé entre les parties sur la chose et sur le prix.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts de Mme X sur le fondement de l'inexécution de son obligation par la SCI Rousseau.

- Sur la rupture fautive des pourparlers par la SCI Rousseau

La SCI Rousseau soutient qu'il s'agit d'une demande nouvelle et en soulève l'irrecevabilité au visa des dispositions de l'article 564 du code de procédure civile.

Mme X soutient, au visa de l'article 565 du code de procédure civile, que sa demande n'est pas nouvelle dès lors qu'elle vise, comme sa demande principale, à obtenir l'indemnisation de son préjudice du fait du comportement fautif de la SCI Rousseau.

L'article 564 du code de procédure civile dispose qu'à peine d'irrecevabilité soulevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

L'article 565 du code de procédure civile dispose que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent.

La demande de dommages et intérêts formée par Mme X en raison de la rupture fautive des pourparlers tendant à la condamnation de la SCI Rousseau à lui payer des dommages et intérêts en indemnisation du préjudice qu'elle a subi du fait de la rupture de ces pourparlers tend à la même fin que celle formée à titre principal par Mme X à savoir l'indemnisation du préjudice qu'elle a subi du fait que la SCI Rousseau n'a pas exécuté l'obligation qu'elle avait de lui vendre le bien, seuls changent les moyens sur lesquels la demande est formée.

En conséquence, en application des dispositions de l'article 565 du code de procédure civile, la demande de Mme X ne peut être qualifiée de nouvelle et doit être déclarée recevable.

Sur le comportement fautif de la SCI Rousseau, Mme X soutient que le refus de cette dernière de contracter avec elle pour des raisons exclusivement financières est fautif et elle sollicite l'indemnisation de son préjudice au visa de l'article 1112 nouveau du code civil.

La SCI Rousseau fait valoir que le caractère fautif d'une rupture des pourparlers s'apprécie au regard de leur durée et du comportement de l'auteur présumé de la rupture à savoir s'il a agi de mauvaise foi et de manière déloyale et qu'à cet égard aucun comportement fautif ne peut lui être reproché.

Au terme des dispositions de l'article 1112 du code civil dans sa version applicable à l'espèce, «'l'initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles sont libres. Ils doivent impérativement satisfaire aux exigences de bonne foi.

En cas de faute commise dans les négociations, la réparation du préjudice qui en résulte ne peut avoir pour objet de compenser «'ni'» la perte des avantages attendus du contrat non conclu, «, ni la perte de chance d'obtenir ces avantages'».'».

En l'espèce, il est constant que Mme X a visité le bien immobilier en cause le 24 juin 2017, a adressé une offre d'achat acceptée par la SCI Rousseau le 4 juillet 2017, que par courriel du 12 juillet suivant Mme X a reçu du mandataire de la SCI les attestations de superficie établies le 30 juin 2017 et qu'à réception elle a exigé la baisse du prix de vente, ce qui a été refusé par la SCI Rousseau et a mis fin aux pourparlers, ce déroulement des faits n'étant pas contesté par Mme Y

Si Mme X, qui avait formé une proposition d'achat après avoir visité le bien, était libre de poursuivre les négociations en estimant que les certificats de mesurage produits justifiaient une baisse de prix, le refus de la SCI Rousseau de ne pas consentir cette baisse de prix ne suffit pas à constituer la faute qui lui est reprochée.

Le fait que la SCI Rousseau n'ait pas souhaité poursuivre les négociations précontractuelles pour des raisons financières n'est pas fautif dès lors que ce refus de poursuivre la négociation est consécutif à la demande de Mme X d'obtenir une baisse du prix, le fait que cette demande ait été formée pour de réels motifs à savoir les derniers certificats de mesurage produits ne pouvant avoir pour effet de priver la SCI Rousseau de sa liberté de poursuivre ou non les négociations qui se sont par ailleurs déroulées sur un temps très court.

Le comportement déloyal de la SCI Rousseau n'est pas démontré et Mme X sera déboutée de sa demande de ce chef.

- Sur l'article 700 du code de procédure civile

L'équité commande d'allouer à la SCI Rousseau une somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement,

Confirme le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 5 décembre 2018 en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Déclare la demande de dommages et intérêts formée par Mme X pour rupture fautive des pourparlers par la SCI Rousseau recevable,

Déboute Mme X de ses demandes,

Condamne Mme X à verser à la SCI Rousseau la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne Mme X aux dépens dont distraction au profit de Me Patricia Hardouin Selarl 2H.