CA Rennes, 3e ch. com., 12 octobre 2021, n° 20/06212
RENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
MCZ GROUP (Sté)
Défendeur :
STEPHAN CHAUFFAGE (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. CONTAMINE
Avocats :
SCP PHILIPPE COLLEU, SELAS WENNER, SCP GUILLOU RENAUDIN
Le 19 février 2018, la société Stephan Chauffage (la société Stephan) a commandé, pour le compte de son client, M. et Mme B, auprès la société Soluflam, importateur, une chaudière Performa 25 Easy clean plus, de marque RED et un silo structure acier, pour un montant TTC de 9.190,94 euros.
La société Soluflam a acquis cette chaudière auprès de la société MCZ Group (la société MCZ), dont le siège est en Italie, suivant bon de commande du 22 février 2018 et facture du 15 mars 2018.
L'ensemble a été livré à la société Stephan le 22 mars 2018 qui l'a installé et facturé à M. et Mme B le 20 avril 2018 pour un montant TTC de 23.781,89 euros.
Après la mise en fonction de la chaudière, M. et Mme B ont rencontré de multiples problèmes et pannes.
Ces dysfonctionnements ont nécessité plusieurs interventions des techniciens. En vain.
Malgré des contacts téléphoniques avec la société Soluflam, aucune solution de dépannage n'a été proposée à la société Stephan.
En juillet 2019, la société Stephan a installé une nouvelle chaudière au domicile de M. et Mme B, pour un montant TTC de 5.433,60 euros.
Le 22 juillet 2020, la société Stephan a assigné la société MCZ en référé expertise.
Par ordonnance du 16 novembre 2020, le juge des référés du tribunal de commerce de Saint Brieuc a :
- Dit et jugé que la vente de la chaudière est régie par la loi interne de la France, pays ou la société Stephan a sa résidence habituelle, et où siège également la société Soluflam ayant reçu la commande en tant que représentant en France de la société MCZ,
- Dit et jugé la demande de Stephan recevable et bien fondée,
- Ordonné une expertise et fixé une mission prévoyant notamment pour l'expert de :
- « Se rendre sur le lieu où la chaudière incriminée et démontée en présence d'un représentant de la société Stephan a été stockée,
- Examiner la chaudière livrée et installée par la société Stephan le 20 avril 2018, et facturée aux époux B pour la somme de 23.781,89 eurosTTC,
- Examiner et décrire les dysfonctionnements allégués dans l'assignation,
- Préciser si le matériel livré est conforme à celui facturé,
- Préciser si le matériel livré est affecté de vices cachés le rendant impropre à sa destination,
- En rechercher l'origine, dire s'ils proviennent d'une erreur de conception, d'un vice des matériaux, d'une malfaçon dans leur mise en œuvre ou toute autre cause,
- Plus particulièrement, fournir tous les éléments techniques et factuels permettant à la juridiction éventuellement saisie de déterminer les responsabilités encourues,
- Evaluer les préjudices subis,
- Indiquer et évaluer les éventuelles réparations nécessaires et remèdes susceptibles de mettre un terme aux désordres,
- Préciser, dans l'hypothèse où le matériel serait réparable, si une utilisation pérenne et continue peut être garantie après réparations,
- Décrire les inconvénients et troubles subis par la société Stephan du fait de l'existence de ces désordres '',
- Débouté MCZ de toutes ses demandes, fins et conclusions, y compris au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Réservé les dépens.
La société MCZ a interjeté appel le 18 décembre 2020.
Les dernières conclusions de la société MCZ sont en date du 27 juillet 2021. Les dernières conclusions de la société Stephan sont en date du 29 juin 2021.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 29 juillet 2021.
PRÉTENTIONS ET MOYENS :
La société MCZ demande à la cour de :
- Débouter la société Stephan de l'incident visant au prononcé de la caducité de la déclaration d'appel,
- Infirmer l'ordonnance en ce qu'elle a :
- Dit et jugé que « la vente de la chaudière est régie par la loi interne de la France, pays où la société Stephan a sa résidence habituelle, et où siège également la société Soluflam ayant reçu la commande en tant que représentant en France de la société MCZ,
- Dit et jugé la demande de la société Stephan recevable et bien fondée,
- Ordonné une expertise,
- Débouté la société MCZ de toutes ses demandes, fins et conclusions, y compris au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Réservé les dépens,
Et, statuant à nouveau :
- Débouter la société Stephan de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- Condamner la société Stephan à payer à la société MCZ la somme d'un montant de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure devant le tribunal et la présente procédure d'appel,
- Condamner la société Stephan aux entiers dépens.
La société Stephan demande à la cour de :
- Prononcer la caducité de la déclaration d'appel faute d'autorisation de M. le premier président, et ce tel que défini aux articles 83, 84, 85 et 86 du code de procédure civile,
Subsidiairement :
- Confirmer la décision en tous points en ce qu'elle a retenu la compétence des juridictions françaises, tant d'un point de vue quasi contractuel, ou encore sur un fondement délictuel,
- Juger que la société Stephan est bien fondée à solliciter une mesure d'instruction avant d'engager une action au fond, en l'espèce recevable, la société Stephan ayant agi en référé à l'intérieur du délai de deux ans à compter de la découverte du vice, et ayant ainsi par son assignation interrompu le délai de forclusion de l'article 1648 du code civil,
- Confirmer la mission de l'expert, seul à même de pouvoir définir s'il lui est possible, par ses pouvoirs d'investigations, de procéder à une mission d'expertise telle qu'arrêtée par le tribunal et confirmée en cause d'appel,
- Condamner la société MCZ au règlement d'une somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles, ainsi qu'aux entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé à leurs dernières conclusions visées supra.
DISCUSSION :
Sur l'exception de procédure :
La société Stephan fait valoir qu'en application des dispositions des articles 83 et 84 du code de procédure civil, l'appel serait irrecevable faute d'avoir été accompagné d'une saisine du premier président aux fins d'autorisation d'assigner à jour fixe. Elle indique en ce sens que le premier juge aurait statué sur la compétence du tribunal de commerce de Saint Brieuc.
Il apparaît cependant que la compétence du tribunal de commerce de Saint Brieuc n'était pas remise en cause en première instance. Le premier juge n'a pas statué sur la compétence de cette juridiction, mais sur la loi applicable.
Il y a lieu de rejeter l'exception de procédure.
Sur la loi applicable :
La société Stéphan invoque l'existence de vices cachés et recherche la responsabilité de la société MCZ.
La société MCZ fait valoir que la loi applicable serait la loi italienne et que l'action engagée contre elle serait manifestement vouée à l'échec comme étant prescrite en application de cette loi.
La société MCZ est mise en cause par la société Stéphan, sous acquéreur d'une chaudière vendue par la première à la société Soluflam. La société MCZ a son siège en Italie, la société Stéphan en France.
Il y a donc eu vente internationale.
Le droit français retient le caractère contractuel de l'action d'un sous acquéreur envers le vendeur initial.
La Convention de Vienne du 11 avril 1980 régit exclusivement les droits et obligations qu'un contrat de vente internationale fait naître entre le vendeur et l'acheteur. En l'absence de contrat de vente conclu entre le fabricant et le sous acquéreur, cette Convention n'est pas applicable dans les rapports entre les sociétés Stéphan et MCZ.
La convention de La Haye du 15 juin 1955 n'est pas non plus applicable dans les rapports entre le sous acquéreur et le vendeur.
Art. 5 :
La présente Convention ne s'applique pas :
1. à la capacité des parties ;
2. à la forme du contrat ;
3. au transfert de propriété, étant entendu toutefois que les diverses obligations des parties, et notamment celles qui sont relatives aux risques, sont soumises à la loi applicable à la vente en vertu de la présente Convention ;
4. aux effets de la vente à l'égard de toutes personnes autres que les parties.
Il en résulte que la loi française qui régit l'action directe d'un sous acquéreur contre le vendeur doit s'appliquer. La société Stéphan est en droit d'agir en garantie sur le fondement de l'article 1641 du code civil.
Si l'on retient, comme certains systèmes étrangers le font, que l'action directe d'un sous acquéreur contre le vendeur initial est de nature délictuelle, il convient d'appliquer le règlement Rome II qui prévoit, en matière de prescription et de déchéance, l'application de loi du pays où le dommages survient :
Article 4 du règlement (CE) n°864/2007 du parelement européen et du conseil du11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles («Rome II») :
Règle générale
1. Sauf dispositions contraires du présent règlement, la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent.
2. Toutefois, lorsque la personne dont la responsabilité est invoquée et la personne lésée ont leur résidence habituelle dans le même pays au moment de la survenance du dommage, la loi de ce pays s'applique.
3. S'il résulte de l'ensemble des circonstances que le fait dommageable présente des liens manifestement plus étroits avec un pays autre que celui visé aux paragraphes 1 ou 2, la loi de cet autre pays s'applique. Un lien manifestement plus étroit avec un autre pays pourrait se fonder, notamment, sur une relation préexistante entre les parties, telle qu'un contrat, présentant un lien étroit avec le fait dommageable en question.
Article 15 :
Portée de la loi applicable
La loi applicable à une obligation non contractuelle en vertu du présent règlement régit notamment :
a) les conditions et l'étendue de la responsabilité, y compris la détermination des personnes susceptibles d'être déclarées responsables des actes qu'elles commettent ;
b) les causes d'exonération, de limitation et de partage de responsabilité ;
c) l'existence, la nature et l'évaluation des dommages, ou la réparation demandée;
d) dans les limites des pouvoirs conférés au tribunal par le droit procédural de l'État dont il relève, les mesures que ce tribunal peut prendre pour assurer la prévention, la cessation du dommage ou sa réparation ;
e) la transmissibilité du droit à réparation, y compris par succession ;
f) les personnes ayant droit à réparation du dommage qu'elles ont personnellement subi ;
g) la responsabilité du fait d'autrui ;
h) le mode d'extinction des obligations ainsi que les règles de prescription et de déchéance fondées sur l'expiration d'un délai, y compris les règles relatives au point de départ, à l'interruption et à la suspension d'un délai de prescription ou de déchéance.
En l'espèce, le dommage étant survenu en France, c'est la loi française qui est applicable.
Il apparait ainsi que quelle que soit la nature de l'action directe du sous acquéreur, contractuelle ou quasi délictuelle, la loi applicable est la loi française pour ce qui concerne l'appréciation de l'existence d'une éventuelle prescription ou déchéance.
Sur la prescription ou forclusion :
L'action en garantie des vices cachés doit être intentée par l'acquéreur dans les deux ans de la découverte du vice :
Article 1648 du code civil :
L'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice.
Dans le cas prévu par l'article 1642-1, l'action doit être introduite, à peine de forclusion, dans l'année qui suit la date à laquelle le vendeur peut être déchargé des vices ou des défauts de conformité apparents.
La société MCZ ne conteste pas que l'action ait été engagée moins de deux ans après la découverte du vice allégué. La société Stéphan fait en outre valoir, sans être contredite sur ce point, qu'elle a découvert le caractère rédhibitoire du vice au cours de l'hiver 2018-2019 et qu'elle a changé la chaudière le 1er juillet 2019, le tout moins de deux années avant la délivrance de l'assignation.
Il apparaît ainsi que l'action de la société Stéphan n'est pas manifestement vouée à l'échec du fait de la forclusion.
Sur la mesure d'expertise :
La société MCZ fait valoir que l'existence d'un motif légitime d'ordonner une expertise ne serait pas établie.
Il apparaît que la chaudière litigieuse a été démontée en juillet 2019. Aucune précision n'est apportée sur les conditions de son stockage depuis lors. N'étant plus en place, les conditions d'appréciation de ses conditions de fonctionnement et de son adaptation à l'usage auquel elle était destiné ne sont pas réunies. Les fiches d'intervention produites par la société Stéphan sont à la limite du lisible. Aucun grief précis n'est développé par la société Stéphan quant aux défauts allégués de la chaudière alors que la société Stéphan est un professionnel de ce type d'installation.
Il apparaît que la société Stéphan ne justifie pas d'un intérêt légitime à faire ordonner une expertise.
Il y a lieu d'infirmer l'ordonnance en ce qu'elle a ordonné une expertise.
Sur les frais et dépens :
Il y a lieu de condamner la société Stéphan aux dépens de première instance et d'appel et de rejeter les demandes formées au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour :
- Rejette la demande de la société Stéphane Chauffage tendant à l'irrecevabilité de l'appel,
- Confirme l'ordonnance en ce qu'elle a dit et jugé que la vente de la chaudière est régie par la loi interne de la France et dit et jugé la demande de Stephan Chauffage recevable,
- Infirme l'ordonnance pour le surplus,
Statuant à nouveau et y ajoutant :
- Dit n'y avoir lieu à expertise,
- Rejette les autres demandes des parties,
- Condamne la société Stéphan Chauffage aux dépens de première instance et d'appel.