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Décisions

Cass. crim., 8 mars 2023, n° 21-84.384

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

Lyon, du 19 mai 2021

19 mai 2021

Examen des moyens
Sur le premier moyen et le deuxième moyen, pris en sa première branche

5. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le deuxième moyen, pris en ses deux dernières branches Énoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement attaqué en ce qu'il a condamné M. [I] des chefs d'extorsion au préjudice de Mmes [W] [B] et [V] [C], de tentative d'extorsion au préjudice de Mme [Y] [N], épouse [X], escroqueries au préjudice de Mme [O] et de la [1], alors :

« 2°/ que si la contrainte de l'article 312-1 du code pénal peut être simplement morale, il demeure qu'elle implique la constatation d'un état de sujétion, apprécié au regard de la situation concrète de la personne qui la subit, tel que cette dernière s'est trouvée privée de sa liberté de consentir ; que la seule précarité financière du client d'une agence bancaire en l'absence de tout autre élément se rapportant à sa situation personnelle et concrète, ne suffit pas à caractériser un état de sujétion à l'égard du directeur adjoint de l'agence bancaire ; qu'en se contentant de retenir que la contrainte morale exercée par M. [E] [I] résultait « tant de la situation de précarité financière des clientes que de ses fonctions de directeur adjoint et conseiller clientèle » (arrêt p. 18), la cour d'appel a privé sa décision de base légale et violé les articles 312-1 du code pénal et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ que l'état de vulnérabilité de la victime n'est susceptible de caractériser l'existence d'une contrainte morale qu'en tant qu'il était connu du prévenu qui en a volontairement abusé ; qu'en l'espèce, l'arrêt attaqué ne caractérise pas la connaissance que M. [E] [I] a pu avoir de l'état de vulnérabilité des prétendues victimes vis-à-vis de sa personne ; qu'en retenant l'existence d'une contrainte morale dans ces conditions, la cour d'appel a privé sa décision de base légale et a violé les articles 312-1 du code pénal et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

7. Pour déclarer le prévenu coupable d'extorsion de fonds par contrainte à l'encontre de Mmes [B] et [C], et de tentative de ce délit à l'égard de Mme [N], l'arrêt attaqué énonce, notamment, que M. [I] a d'abord établi des demandes de crédit en saisissant des données ne correspondant pas aux justificatifs produits ou sans justificatifs, puis a signifié aux intéressées que leurs revenus ne leur permettaient pas d'obtenir les prêts sollicités et, enfin, a exigé la perception d'une commission au motif que son intervention leur avait néanmoins permis d'obtenir lesdits prêts.

8. Les juges relèvent que les trois intéressées rencontraient toutes de sérieuses difficultés financières, ce qui les plaçait dans une situation de vulnérabilité à l'égard de M. [I], lequel, en qualité de directeur adjoint, pouvait leur apparaître comme un interlocuteur incontournable de la banque.

9. Ils ajoutent que, confrontées au directeur adjoint de la banque, ne maîtrisant manifestement pas les arcanes des procédures bancaires à la différence de celui-ci, ayant été convaincues par M. [I] qu'elles n'avaient obtenu le crédit sollicité que grâce à son intervention, elles ne pouvaient s'opposer à ce dernier sans prendre le risque d'une remise en cause du versement des fonds dont elles avaient besoin de façon urgente.

10. La cour d'appel retient que, s'agissant de Mme [N], M. [I] avait conditionné l'octroi du prêt au versement d'une commission de 2 200 euros, que lorsqu'elle a manifesté son désaccord, il lui a dit que cette somme serait comprise dans le montant du crédit sollicité, et que lors d'un appel téléphonique, Mme [N] a fait part à M. [I] de sa volonté de renoncer à sa demande de crédit et l'a informé que son mari allait passer à l'agence, le prévenu lui ayant alors dit qu'il renonçait à sa commission.

11. Les juges concluent qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que M. [I] a exercé une contrainte morale sur Mmes [B], [C] et [N] afin de se faire remettre des commissions respectivement de 4 000, 1 000 et 2 200 euros, contrainte résultant tant de la situation de précarité financière des clientes que de ses fonctions de directeur adjoint et conseiller clientèle, qui lui avaient permis de signifier à celles-ci qu'elles ne pouvaient obtenir les prêts dont elles avaient besoin que grâce à son intervention compte tenu de la faiblesse de leurs revenus, faisant du versement de la commission la condition de la remise des fonds.

12. En se déterminant ainsi, par des motifs qui caractérisent suffisamment un état de sujétion à l'égard du directeur adjoint de l'agence bancaire, ainsi que la situation de vulnérabilité et de dépendance vis à vis de M. [I], dans laquelle se trouvaient les plaignantes, dont les juges ont pu souverainement déduire l'existence d'une contrainte morale, dont le prévenu avait nécessairement connaissance en sa qualité de banquier de celles-ci, la cour d'appel a justifié sa décision.

13. D'ou il suit que le moyen doit être écarté.

Mais sur le troisième moyen Énoncé du moyen

14. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement attaqué en ce qu'il a déclaré M. [I] coupable d'escroquerie au préjudice de Mme [D] [O], alors « qu'un simple mensonge ne peut constituer une manoeuvre frauduleuse au sens de l'article 313-1 du code pénal s'il ne s'y joint aucun fait, antérieur à la remise, extérieur ou acte matériel, aucune mise en scène ou intervention d'un tiers destinés à donner force et crédit à l'allégation mensongère du prévenu ; qu'en l'espèce, il ressort des motifs de l'arrêt attaqué M. [E] [I] aurait demandé à Mme [D] [O] de lui remettre la somme de 2 000 euros en contrepartie de la souscription d'un contrat d'assurance qui n'a pourtant jamais été souscrit et qu'après la remise de cette somme, ce dernier lui aurait dit qu'il lui accordait un découvert de 2 800 euros (arrêt p. 19) ; qu'à cet égard, la cour d'appel a retenu qu'« outre que [D] [O] a pu se laisser convaincre par l'argument selon lequel elle bénéficierait d'un découvert de 2 800 euros, qui pourrait être en partie comblé par les 2 000 euros investis dans l'assurance, ces accusations sont confortées par le retrait d'espèces qui a été effectué concomitamment sur son compte » et qu'« en faisant souscrire à [D] [O] un contrat de découvert en contrepartie de la remise d'une somme de 2 000 euros en espèces au titre d'un prétendu contrat d'assurance, [E] [I] a usé de manoeuvres frauduleuses qui ont déterminé [D] [O] à lui remettre en espèces la somme de 2 000 euros qu'il a conservé par devers lui » (arrêt p. 19) ; que ce faisant, la cour d'appel s'est fondée sur des éléments postérieurs à la décision de remise, insusceptibles de corroborer le prétendu mensonge du prévenu sur la souscription d'un contrat d'assurance ; que dès lors en l'absence de manoeuvre frauduleuse antérieure à la remise, corroborant le seul mensonge antérieur, la condamnation prononcée est privée de toute base légale au regard des articles 313-1 du code pénal et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour
Vu les articles 313-1 du code pénal et 593 du code de procédure pénale :

15. Il résulte du premier de ces textes que les manoeuvres frauduleuses, constitutives de l'escroquerie, doivent être déterminantes de la remise et antérieures à celle-ci.

16. Selon le second de ces textes, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

17. Pour déclarer M. [I] coupable d'escroquerie au préjudice de Mme [O], l'arrêt attaqué énonce qu'il lui avait proposé une assurance moyennant une prime de 2 000 euros, somme qu'elle avait retirée en espèces le jour de la signature du contrat à l'aide d'une carte de retrait à usage unique établie par M. [I], qui lui avait accordé un découvert de 2 800 euros.

18. Les juges retiennent que Mme [O] a pu se laisser convaincre par l'argument selon lequel elle bénéficierait d'un découvert de 2 800 euros, qui pourrait être en partie comblé par les 2 000 euros investis dans l'assurance.

19. Ils ajoutent qu'il apparaît néanmoins que le contrat de découvert était en date du 10 février 2011, et non du 8 février 2011, date de la signature du contrat de rachat.

20. La cour d'appel en conclut qu'en faisant souscrire à Mme [O] un contrat de découvert en contrepartie de la remise d'une somme de 2 000 euros en espèces au titre d'un prétendu contrat d'assurance, M. [I] a usé de manoeuvres frauduleuses qui ont déterminé celle-ci à lui remettre en espèces la somme de 2 000 euros qu'il a conservée par devers lui.

21. En se déterminant ainsi, par des énonciations insuffisantes à caractériser des manoeuvres frauduleuses antérieures à la remise, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.

22. D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef. Portée et conséquences de la cassation

23. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives à la déclaration de culpabilité de M. [I] du chef d'escroquerie à l'encontre de Mme [O], à la peine, et aux intérêts civils concernant cette dernière. Les autres dispositions seront donc maintenues.
Examen de la demande fondée sur l'article 618-1 du code de procédure pénale

24. Les dispositions de ce texte sont applicables en cas de rejet du pourvoi, qu'il soit total ou partiel. La déclaration de culpabilité de M. [I] du chef d'escroquerie au préjudice de la [1] étant devenue définitive par suite de la non-admission du premier moyen, il y a lieu de faire partiellement droit à la demande de la [1] Rhône-Alpes.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Lyon, en date du 19 mai 2021, mais en ses seules dispositions relatives à la déclaration de culpabilité de M. [I] du chef d'escroquerie à l'encontre de Mme [O], à la peine, et aux intérêts civils concernant cette dernière, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

FIXE à 2 500 euros la somme que M. [I] devra payer à la [1] Rhône-Alpes en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Lyon, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du huit mars deux mille vingt-trois.