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Décisions

CA Rennes, 3e ch. com., 6 février 2024, n° 21/06385

RENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

CLEMENCE ARDAENS (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. CONTAMINE

Conseiller :

Mme JEORGER-LE GAC

Avocats :

SELARL CHAUVIN JEAN-MAURICE, SELARL MARLOT, DAUGAN, LE QUERE

CA Rennes n° 21/06385

5 février 2024

La société CLEMENCE ARDAENS exploite, sous l'enseigne et le nom commercial ' [5]', un fonds de commerce de restaurant, crêperie, pizzeria, brasserie, glacier, vente sur place et à emporter dans des locaux situé [Adresse 1] à [Localité 3].

Le 16 janvier 2020, la société CLEMENCE ARDAENS et Mme [I] [Y] ont conclu un compromis de vente de fonds de commerce établi par la société BLOT COMMERCE BRETAGNE, sous une condition suspensive d'obtention d'un prêt bancaire d'un montant de 110.000 euros outre les conditions suspensives usuelles en la matière.

Le prêt devait être obtenu au plus tard le 21 février 2020.

Le compromis stipulait également une indemnité d'immobilisation et une clause pénale.

L'acte définitif de cession devait être réitéré au plus tard le 1er avril 2020.

Par avenant du 16 mars 2020, les parties sont convenues de reporter de 6 mois maximum la date de régularisation de la vente par acte sous seing privé.

Les conditions suspensives stipulées au compromis ont été toutes levées.

La société BLOT COMMERCE BRETAGNE a adressé, le 4 septembre 2020, par lettre recommandée avec avis de réception, une convocation à chaque partie pour signer l'acte de cession le 29 septembre 2020 à 9h à l'agence BLOT de [Localité 7].

Mme [Y] et la société CR 2 AB qu'elle avait créée pour exploiter le fonds n'ont pas répondu.

Par exploit d'huissier des 23 et 24 septembre 2020 la société CR 2 AB ainsi que sa gérante, Mme [I] [Y] ont été sommées de comparaître le 29 septembre 2020 à 9h à l'agence BLOT pour la réitération de l'acte définitif de cession.

Le 29 septembre 2020, ni la société CR 2 AB ni Mme [Y] ne se sont présentées à l'agence BLOT pour réitérer la vente du fonds de commerce.

Un huissier de justice a été chargé de dresser un procès-verbal de carence.

Par exploits du 21 décembre 2020 et du 6 janvier 2021, la société CLEMENCE ARDAENS a saisi le tribunal de commerce de Rennes afin que :

- soit constaté le caractère parfait de la vente ;

- soit constaté le refus de la part de Madame [Y] et de la société CR 2 AB de signer l'acte définitif et par conséquent l'acquisition de la clause pénale au profit de la société CLEMENCE ARDAENS ;

- soit prononcée la résiliation de la cession du fonds de commerce aux torts exclusifs de Mme [Y] et/ou de la société CR 2 AB et en conséquence leur condamnation à réparer le préjudice subi par la société CLEMENCE ARDAENS, et qu'il soit dit que les sommes séquestrées seraient reversées à cette dernière, et qu'il y serait ajoutée la somme de 5.000 euros de dommage et intérêts.

Mme [I] [Y] et la société CR 2 AB sollicitaient:

- De mettre hors de cause Mme [Y] ;

- Débouter la société CLEMENCE ARDAENS de toutes ses demandes à son encontre ;

- Constater l'absence de vente du fonds de commerce de la société CLEMENCE ARDAENS à la société CR 2 AB ;

- Condamner la société CLEMENCE ARDAENS à restituer à Mme [I] [Y] la somme de 11.000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 15avril 2020.

A titre subsidiaire :

- Constater le cas de force majeure ;

- Dire que la résolution du fonds de commerce est intervenue de plein droit ;

- Condamner la société CLEMENCE ARDAENS à restituer à Mme [I] [Y] la somme de 11.000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 15 avril 2020.

A titre encore plus subsidiaire :

- Constater la caducité du compromis de vente du 16 janvier 2020 ;

En conséquence,

- Condamner la société CLEMENCE ARDAENS à restituer à Mme [I] [Y] la somme de 11.000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 15avril 2020 :

- Débouter la société CLEMENCE ARDAENS de toutes ses demandes à l'encontre de Mme [I] [Y] et à l'encontre de la société CR 2 AB ;

- Condamner la société CLEMENCE ARDAENS à payer à Mme [I] [Y] la somme de 1.500 euros sur le fondement des articles 37 et 75 de la Loi sur l'Aide Juridictionnelle ; - Condamner la société CLEMENCE ARDAENS aux entiers dépens dont distraction au profit de la SELARL MARLOT DAUGAN LE QUERE, avocatsaux offres de droit.

Par jugement du 30 septembre 2021, le tribunal de commerce de Rennes a :

- Constaté le cas de force majeure,

- Dit que la résolution de la vente est intervenue de plein droit,

- Mis Mme [I] [Y] hors de cause,

- Débouté la société CLEMENCE ARDAENS de toutes ses demandes à l'encontre de Madame [I] [Y] et de la société CR 2 AB,

- Condamné la société CLEMENCE ARDAENS à restituer à Mme [I] [Y] la somme de 11.000 euros avec intérêts au taux légal à compter de ce présent jugement,

- Condamné la société CLEMENCE ARDAENS à payer à Mme [I] [Y] la somme de 1.500 euros sur le fondement des articles 37 et 75 de la loi sur l'Aide juridictionnelle,

- Débouté Mme [I] [Y] du surplus de ses demandes, fins et conclusions,

- Dit qu'il y a lieu à exécution provisoire du jugement,

- Condamné la société CLEMENCE ARDAENS aux entiers dépens.

La société CLEMENCE ARDAENS a interjeté appel du jugement le 12 octobre 2021, intimant Mme [Y] et la société CR 2 AB.

Mme [Y] et la société CR 2 AB ont demandé au conseiller de la mise en état de déclarer l'appel irrecevable.

Par ordonnance du 9 juin 2022, le conseiller de la mise en état a rejeté leurs prétentions.

Par conclusions 31 mai 2023, Mme [Y] et la société CR 2 AB ont saisi le conseiller de la mise en état sur la base d'un fait nouveau, soit la vente de son fonds de commerce par la société CLEMENCE ARDAENS au mois de janvier 2023.

Elles considéraient que désormais la société CLEMENCE ARDAENS était dépourvue d'intérêt à agir et demandaient que le conseiller de la mise en état déclare la société CLEMENCE ARDAENS irrecevable en ses demandes.

Par ordonnance du 28 septembre 2023 le conseiller de la mise en état a :

- Rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir de la société CLEMENCE ARDAENS ;

- Condamné solidairement la société CR 2 AB et Mme [Y] à payer à la société CLEMENCE ARDAENS la somme de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile;

- Les a condamnées solidairement aux dépens de l'incident.

L'ordonnance de clôture est en date du 16 novembre 2023.

Le 17 janvier 2024, la cour a adressé aux parties une première demande de note en délibéré :

Les parties sont invitées, pour le 23 janvier 2024 au plus tard à :

- Transmette à la cour un extrait Kbis actualisé de la société CR 2 AB ;

-Faire toutes observations qu'elles estimeront utiles sur les incidences procédurales tirées de la situation de la société CR 2AB RCS Rennes 882 008 667 et notamment les raisons pour lesquelles une société immatriculée le 28 février 2020 aurait été liquidée le 29 février 2020 et comment cette société a pu intervenir dans le cadre des procédures judiciaires, présenter des demandes, interjeter appel et faire l'objet de demandes de condamnation.

A la suite des premières réponses obtenues, le 19 janvier 2024, la cour a adressé aux parties une seconde demande de note en délibéré :

A la lecture du retour des observations de Me Bourges sur la demande de note en délibéré, et de la pièce qui y est jointe, la cour souhaite que certains points soient éclaircis.

Les parties sont donc invitées, pour le 25 janvier 2024 au plus tard, à :

- préciser si le Kbis de la société CR 2 AB du 17 janvier 2024 est compatible avec la pièce 10 des intimées qui fait mention d'une publication dans un journal d'annonces légales de la clôture de la liquidation de la société CR 2 AB ;

- dire si la cour peut en déduire que la société CR 2 AB a été liquidée et que la liquidation a été clôturée, mais que la société CR 2 AB n'a pas diligenté les formalités de publicité correspondantes auprès du RCS,

- faire toutes observations utiles sur la capacité à agir de la société CR 2 AB alors que sa liquidation a été clôturée.

En conséquence de cette nouvelle demande de note en délibéré et des questions qui restent en suspens, le délibéré est prorogé au 6 février 2024.

La société Clémence Aerdaens a fait valoir ses observations le 23 janvier 2024.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

Dans ses écritures notifiées le 28 août 2023 la société la société CLEMENCE ARDAENS demande à la cour au visa des articles 455 du code de procédure civile, 1103,1124, 1227, 1231-1, 1589, 1654 et 1843 du code civil, 699 et 700 du code de procédure civile de :

- Déclarer la société CLEMENCE ARDAENS recevable et bien fondée en son appel,

Y faisant droit,

A titre principal :

- Annuler en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Rennes le 30 septembre 2021 sur le fondement de l'article 455 du code de procédure civile ;

A titre subsidiaire :

- Infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Rennes le 30 septembre 2021 ;

Et par conséquent que le jugement soit annulé ou infirmé, en statuant à nouveau,

- Constater le caractère parfait de la vente du fonds de commerce de la société CLEMENCE ARDAENS à Mme [Y] et/ou la société CR 2 AB ;

- Constater le refus catégorique de Mme [Y] et/ou la société CR 2 AB de réitérer la vente par acte sous seing privé ;

- Prononcer l'application de la clause pénale stipulée au compromis au profit de la société CLEMENCE ARDAENS ;

-Ordonner le versement du dépôt de garantie à la société CLEMENCE ARDAENS à titre d'indemnité forfaitaire ;

- Prononcer la résolution de la vente du fonds de commerce aux torts exclusifs de Mme [Y] et/ou de la société CR 2 AB ;

- Condamner in solidum la société CR 2 AB et Mme [I] [Y] à verser à la société CLEMENCE ARDAENS la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi, en ce compris le remboursement des frais inutilement engagés ;

En tout état de cause,

- Débouter la société CR 2 AB et Mme [I] [Y] de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;

- Condamner in solidum la société CR 2 AB et Mme [I] [Y] à verser à la société CLEMENCE ARDAENS la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner in solidum la société CR 2 AB et Mme [I] [Y] aux entiers dépens qui seront recouvrés par Maître Luc BOURGES conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Dans leurs écritures notifiées le 25 mai 2023 Mme [Y] et la société CR 2AB demandent à la cour de :

- Déclarer l'appel de la société CLEMENCE ARDAENS irrecevable.

En tout état de cause,

- Débouter la société CLEMENCE ARDAENS de sa demande d'annulation du jugement rendu par le tribunal de commerce de Rennes le 30 septembre 2021 ;

- Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Rennes en date du 30 septembre 2021

Et, si le jugement du tribunal de commerce de Rennes du 30 septembre 2021 était annulé,

- Débouter la société CLEMENCE ARDAENS de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- Confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Rennes du 30 septembre 2021,

- Condamner la société CLEMENCE ARDAENS au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à la société CR 2 AB ;

- Condamner la société CLEMENCE ARDAENS au paiement de la somme de 2 000 euros à Mme [I] [Y] sur le fondement des articles 37 et 75 de la Loi sur l'aide juridictionnelle ;

- Condamner la société CLEMENCE ARDAENS aux entiers dépens dont distraction au profit de la SELARL MARLOT DAUGAN LE QUERE, Avocats aux offres de droit.

Il est renvoyé à la lecture des conclusions précitées pour un plus ample exposé des demandes et moyens développés.

Motivation

DISCUSSION :

Sur la recevabilité des demandes formées par la société CR 2 AB :

Il apparait que la société CR 2 AB a été liquidée et que la liquidation a été clôturée. La société CR 2 AB n'a pas diligenté les formalités de publicité correspondantes auprès du registre du commerce et des sociétés. Cette liquidation et sa clôture ne sont donc pas opposables aux tiers. La société Clémence Ardaens est donc recevable à agir contre elle.

En revanche, la liquidation et sa clôture sont opposables à la société CR 2 AB. Pour cette dernière, si sa personnalité morale persiste, la clôture de la liquidation a néanmoins mis fin aux fonctions du liquidateur amiable. Pour que la société CR 2 AB puisse agir en justice, encore faut il qu'un mandataire ad hoc soit désigné aux fins de la représenter en justice.

La société CR 2 AB n'est pas régulièrement représentée devant la cour et cette absence de représentation lui est opposable.

Il y a donc lieu de déclarer irrecevables les demandes formées au profit de la société CR 2 AB devant la cour.

La nullité du jugement

Au visa de l'article 455 du code de procédure civile, la société CLEMENCE ARDAENS soulève la nullité du jugement aux motifs qu'il n'a pas répondu à ses moyens sur le caractère parfait de la vente du fonds de commerce et sur l'absence de mise hors de cause de Mme [Y].

Elle considère qu'il s'est borné à apprécier le moyen subsidiaire des défenderesses sur la force majeur liée à la COVID.

Elle ajoute que la rédaction du jugement est ambigue.

Les intimées font valoir que cette demande revient à soulever une omission de statuer du tribunal et/ou une question d'interprétation dont l'appréciation revient à la juridiction de première instance. Elles soulèvent l'irrecevabilité de l'appel.

Le conseiller de la mise en état de la cour d'appel dans son ordonnance du 9 juin 2022 a rejeté ces mêmes prétentions des intimées de sorte qu'elles sont irrecevables à les présenter à nouveau devant la cour d'appel au fond.

. Le caractère parfait de la vente

La rédaction du jugement est maladroite lorsqu'il prononce la résolution du fonds de commerce au lieu de prononcer la résolution de la vente.

Mais il est motivé et n'est pas ambigu .

En retenant un cas de force majeure liée à la crise COVID ne permettant plus la cession à défaut de financement des futurs acquéreurs, il répond aux arguments de la société CLEMENCE ARDAENS. Il prononce la résolution de la vente de plein droit et ainsi reconnaît nécessairement son caractère parfait.

Le jugement ne saurait encourir de nullité sur ce moyen.

. La mise hors de cause de Mme [Y]

Le tribunal n'a pas motivé sa décision sur la mise hors de cause de Mme [Y].

Il se contente de prononcer cette mise hors de cause dans son dispositif.

Il encourt donc la nullité sur ce moyen.

En tout état de cause la cour statue au regard de l'effet dévolutif de l'appel.

La mise hors de cause de Mme [Y]

Mme [Y] et la société CR 2 AB sollicitent la mise hors de cause de Mme [Y] au motifs que la société CR 2 AB s'est substituée à cette dernière à la suite du compromis.

La société CLEMENCE ARDAENS s'y oppose en rappelant les termes du compromis de vente.

Le compromis de vente du fonds de commerce du 16 janvier 2020 mentionne que :

Mme [Y] [I] ...agit tant en son nom personnel qu'au nom de toute personne physique ou morale qui se substituerait et dont elle demeurerait garante et solidaire.

La société CR 2AB a été immatriculée le 28 février 2020. Elle était destinée à l'exploitation du fonds de commerce cédé par la société CLEMENCE ARDAENS.

Cependant les termes du compromis sont clairs. En connaissance de cause Mme [Y] s'est engagée vis à vis de la venderesse à un double titre : personnel et en qualité de garant solidaire de sa société à créer.

Pour s'en défaire elle ne peut invoquer une situation personnelle et financière délicate, l'évolution de ses conditions de vie au cours des années 2020 et 2021 n'ayant aucune influence sur le droit à règlement de la venderesse.

Le jugement est infirmé de ce chef.

La vente du fond de commerce

La société CLEMENCE ARDAENS sollicite la résolution de la vente aux torts exclusifs de Mme [Y] et de la société CR 2AB. Elle fait valoir que toutes les conditions suspensives étant réalisées dans les délais, la vente était parfaite. Elle considère donc que les intimées ne peuvent se dédouaner de leur obligation au paiement du prix de vente sur le fondement de la force majeure tirée de la COVID. Elle ajoute que contrairement à leur thèse, le fonds de commerce n'a pas disparu en raison des confinements.

Les intimées soulèvent un cas de force majeure liée à la crise COVID et l'impossibilité de respecter leur obligation pécuniaire. Elles affirment également au visa de l'article 1186 du code civil, qu'en raison des confinements, le fonds qui n'avait plus de chiffre d'affaire depuis mars 2020, a disparu.

La société CLEMENCE ARDAENS a procédé à la cession du fonds de commerce litigieux le 20 janvier 2023.

Ce faisant, elle a nécessairement pris acte de ce que la vente consentie à Mme [Y] et à la société CR 2 AB ne se réaliserait pas et est déjà résolue à la date à laquelle la Cour statue.

La demande de résolution judiciaire de la vente est donc déclarée sans objet.

Il convient donc de rejeter la demande de la société CLEMENCE ARDAENS tendant à prononcer la résolution de la vente du fonds de commerce aux torts exclusifs de Mme [Y] et/ou de la société CR 2 AB.

Le jugement est confirmé de ce chef par substitution de moyens.

La clause pénale et le dépôt de garantie

La société CLEMENCE ARDAENS fait valoir qu'en raison de la défaillance des cessionnaires le dépôt de garantie est acquis au titre de la clause pénale.

Le compromis du 16 janvier 2020 comprend une clause :

INDEMNITE D'IMMOBILISATION ' CLAUSE PENALE

En conséquence des engagements réciproques du Vendeur et de l'Acquéreur, ce dernier a versé aujourd'hui même entre les mains de la SARL BLOT COMMERCE BRETAGNE agissant en qualité de séquestre, une somme non productive d'intérêt de ONZE MILLE € euros (11.000 euros) par chèque libellé à l'ordre de la Banque PALATINE, compte n°131 771

40001.

Dans le cas où l'une des parties ou ses ayants droit viendrait à refuser de régulariser la présente vente, sauf application des conditions suspensives, elle y sera contrainte par tous moyens et voies de droit en supportant les frais de poursuite et de justice et tous droits et amendes après sommation à comparaître sous 24 heures par voie extrajudiciaire dans les locaux du rédacteur de l'acte en vue de signer l'acte définitif.

Si la partie sommée ne se présente pas, ni personne pour elle, ou refuse de signer l'acte définitif, un procès-verbal de carence sera dressé par acte extrajudiciaire par ledit rédacteur à la requête de la partie ayant sommé.

Celle-ci pourra demander immédiatement à l'autre partie 10% du prix principal à titre d'indemnité forfaitaire, sans préjudice pour elle de demander en justice la condamnation de la partie défaillante à signer l'acte définitif ainsi que d'éventuels dommages et intérêts supplémentaires en réparation du préjudice subi

Quelle que soit l'option choisie, l'agence BLOT COMMERCE BRETAGNE percevra une somme égale au montant de sa commission T.T.C. prélevée en propriété sur le dépôt de garantie à titre d'indemnité forfaitaire.

La cour constate qu'à la date à laquelle elle statue et au plus tard, le 20 janvier 2023, la vente du fonds de commerce est résolue.

Il faut toutefois examiner si à la date à laquelle les parties ont été convoquées pour signer l'acte, le 29 septembre 2020, la vente était déjà résolue par la force majeure, ou si il était possible de la régulariser.

L'article 1231-1 du code civil précise :

Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.

La force majeure est définie en ces termes par l'article 1218 du code civil :

Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur.

Si l'empêchement est temporaire, l'exécution de l'obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l'empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1.

La force majeure se caractérise par la survenance d'un événement extérieur au débiteur imprévisible et irrésistible rendant impossible l'exécution de son obligation.

Le débiteur d'une obligation à paiement d'une somme d'argent ne peut invoquer la force majeure qu'à la condition de prouver qu'il se trouvait dans l'impossibilité d'exécuter son obligation et pas seulement que le contexte a rendu cette obligation plus onéreuse ou plus difficile.

Les intimées font valoir que la crise COVID et les confinements successifs ont échappé à leur contrôle, ont fait obstacle à l'ouverture du fonds de commerce;

L'épidémie de covid 19 est un événement imprévisible.

Les restaurants ont fait l'objet de fermetures et réouvertures successives à partir du mois de mars 2020 mais ces mesures n'étaient que temporaires. La crise COVID n'a donc pas fait disparaître le fonds de commerce.

Les pièces au débat établissent que la situation personnelle de Mme [Y] en 2020 ne lui permettait pas de financer l'acquisition du fonds de commerce.

Elle était inscrite à Pôle Emploi comme le démontrent les relevés de situation des mois de février mars avril et juin 2020 et ensuite elle a enchaîné des petits emplois à durée déterminée et/ou partiel entrecoupés d' arrêts de travail, jusqu'en avril 2021.

Le compromis de vente a été conclu sous les conditions suspensives suivantes :

La présente cession de fonds de commerce est expressément consentie sous les conditions suspensives suivantes, stipulées dans l'intérêt de l'Acquéreur qui pourra seul y renoncer :

1 - Prêt

Que l'Acquéreur soumette son engagement, à l'obtention d'un prêt bancaire d'un montant de 110.000 euros, au taux maximum de 3% hors assurances sur une durée de 7 années maximum, qu'il propose de solliciter à tels établissements bancaires de son choix. Cette condition suspensive devra être réalisée au plus tard le 21 février 2020.

A défaut d'obtention du prêt sus-indiqué, la présente vente sera considérée comme nulle et non avenue et chacune des parties sera déliée de ses engagements sans indemnité, sauf accord contraire écrit des parties.

2 - Urbanisme-Voirie

Obtention par le Rédacteur de l'acte définitif, de tous documents d'urbanisme précisant que l'immeuble où se trouve exploité le fonds, n'est grevé d'aucune servitude publique, de nature à mettre en cause l'exploitation du fonds vendu ou à le déprécier.

3 - Etat des inscriptions

Que les états délivrés par le Greffe du Tribunal de Commerce compétent en vue de la réalisation des présentes, ne révèlent pas de privilèges de vendeur, nantissements, privilèges généraux au profit du trésor, de la sécurité sociale, nantissements de l'outillage et du matériel d'équipement professionnel, crédit-bail, protêts et autres, garantissant des créances dont le solde (en principal, intérêts et accessoires) ne pourrait être remboursé à l'aide du prix de vente, sauf accord des créanciers inscrits. Cet état devra être demandé par le Rédacteur de l'acte définitif, et les frais éventuels de mainlevée des inscriptions seront à la charge du Vendeur.

4 - Purge du droit de préemption de la Commune de [Localité 3] Que la Commune, dans laquelle est situé le fonds de commerce objet des présentes, renonce à acquérir par voie de préemption ledit fonds de commerce, conformément à la loi n°2055-882 du 2 Août 2005, s'il est situé dans un périmètre de sauvegarde du commerce et de l'artisanat tel que défini par ladite commune. Cette purge devra être effectuée par le Rédacteur de l'acte définitif.

(') Si ces conditions suspensives sont réalisées dans les conditions qui viennent d'être définies, les présentes seront définitives entre les parties et leur réalisation sera constatée par acte définitif au plus tard le 1 er avril 2020 (').

L'avènement des conditions suspensives ne fera pas rétroagir les effets du présent contrat à ce jour. La propriété du fonds de commerce ne sera transférée à l'acquéreur et les clauses et conditions prévues aux présentes ne seront exécutoires qu'au jour de la signature de l'acte définitif de réalisation des conditions suspensives prévues si dessus.

L'avenant au compromis de vente du 16 mars 2020 précise que la condition suspensive d'obtention par l'acquéreur d'un prêt bancaire a été levée et que d'un commun accord les parties ont convenu de :

-reporter de 6 mois maximum la dite de régularisation de la vente par acte définitif

-pouvoir réduire ce délai de 6 mois à premier accord entre les parties.

La date prévue pour la réalisation de la condition suspensive n' a donc pas été reportée.

Mme [Y] a obtenu un accord de financement de la Caisse d'Epargne le 12 février 2020 d'un montant de 111 338 euros sur 84 mois destiné à l'acquisition du fonds de commerce.

Cette offre indique que les conditions demeurent valables trente jours à compter de la date d'émission soit jusqu'au 12 mars 2020.

Mme [Y] et la société CR 2AB affirment que l'acquisition du fonds de commerce n'était plus envisageable, le fonds de commerce n'ayant généré aucun chiffre d'affaire entre le mois de mars et le mois de juin puis d'octobre à décembre 2020.

Cette assertion n'est pas documentée alors que la société CLEMENCE ARDAENS verse une attestation de son expert comptable en date du 4 juin 2021 qui indique :

La SARL CLEMENCE ARDAENS a réalisé un chiffre d'affaire HT de 109 711 euros sur la période 10/10/2019 au 30/09/2020 selon la répartition mensuelle suivante :

10/2019 12 910 euros 04/2020 0 euro

11/2019 11 417 euros 05/2020 0 euro

12/2019 10 779 euros 06/2020 10 593 euros

01/2020 12 333 euros 07/2020 14 735 euros

02/2020 11 945 euros 08/2020 10 005 euros

03/2020 5 447 euros 09/2020 9 547 euros

Le chiffre d'affaire réalisé en octobre 2020 est de 11 575 euros HT

La société n'a réalisé aucun chiffre d'affaire entre le 1er novembre 2020 et le 30 avril 2021

D'autre part la société a perçu des aides du fonds de solidarité de l'Etat à hauteur de 60 666 euros pour la période du 1er octobre 2020 au 30 avril 2021.

Ces éléments comptables démontrent un impact négatif sur les résultats du fonds de commerce mais aucunement l'absence de chiffre d'affaire, qui n'est établi que sur deux mois avril et mai 2020.

Le conseil de Mme [Y] dans un courrier du 15 avril 2020 adressé à la société CLEMENCE ARDAENS considère que l'offre de prêt est devenue caduque.

Il souligne la répercussion de la pandémie sur l'activité de restauration, un prêt qui repose sur un prévisionnel laissant peu de marge et la fragilité de la situation personnelle de Mme [Y] ne bénéficiant plus d'indemnités chômage à partir de juin 2020.

Le 30 juin 2020 Mme [Y] a été destinataire d'un courrier de la banque :

Compte tenu des nouveaux éléments portés à notre connaissance nous avons le regret de vous informer que nous ne pouvons plus donner une suite favorable à votre demande de prêt dont les caractéristiques sont les suivantes :

montant 111 338 euros

durée totale 84 mois

taux d'intérêt 0,68 %

Destinée à financer :

Acquisition d'un fonds de commerce de crêperie

[Adresse 1]

[Localité 3]

Le courrier de la banque ne donne aucune explication sur les raisons de ce refus au regard du contexte économique elles tiennent pour partie à la crise COVID qui remettait en question les prévisions reposant sur des éléments comptables antérieurs à la pandémie.

Cette évolution n'est cependant pas de nature à permettre aux cessionnaires de se délier de leurs obligations de régler le prix convenu à défaut de revêtir un caractère d'irrésistibilité et d'extériorité.

En acceptant le report de la signature de l'acte authentique le 16 mars 2020 au moment même où les effets de la pandémie se développaient, alors même qu'elle bénéficiait d'une offre Mme [Y] a pris le risque de se confronter à une modification du contexte économique. Elle pouvait également s'attendre à voir sa situation personnelle se dégrader au regard de ses droits à indemnités chômage.

Ce climat incertain a pu inquiéter Mme [Y] et la société CR2AB mais ne les autorisaient pas à s'en emparer pour justifier leur refus de signer l'acte définitif le 29 septembre 2020.

Mme [Y] a fait le choix de laisser s'écouler le délai pour accepter l'offre de prêt avant même le déclenchement des mesures gouvernementales sans démontrer avoir tenté de renégocier l'emprunt.

Mme [Y] et la société CR 2 AB ont donc mis un terme aux relations contractuelles avec la société CLEMENCE ARDAENS de façon prématurée alors que la vente était parfaite sans que la force majeure ne puisse justifier de la rendre caduque.

En vertu des dispositions de l'article 1231-5 du code civil le juge a la faculté de modérer une clause pénale.

En l'espèce les parties, devant une situation inédite, ont choisi dans l'urgence de reporter la vente en raison des incertitudes liées au confinement qui a débuté le 17 mars 2020.

Cette situation a eu pour conséquence que la venderesse, qui était donc toujours propriétaire et continuait d'exploiter en théorie, a pu percevoir des aides gouvernementales, basées sur ses chiffres d'affaires précédents. Au demeurant si le fonds avait changé de propriétaire, le nouvel exploitant n'aurait rien pu percevoir, et n'aurait pas pu rembourser la moindre mensualité car les aides étaient basées sur l'activité antérieure.

Ainsi l'absence de réalisation de la vente n'est pas consécutive à une mauvaise volonté ou à un refus de Mme [Y] mais le fait de circonstances indépendantes de la volonté de l'acheteuse.

Compte tenu des circonstances ayant conduit Mme [Y] à ne pas réitérer la vente, la clause pénale est manifestement excessive. Il convient de la réduire à la somme de 2.000 euros

Il convient d'ordonner le versement du dépôt de garantie à la société CLEMENCE ARDAENS à titre d'indemnité forfaitaire à hauteur de la somme de 2.000 euros.

Le jugement est infirmé de ce chef.

Les préjudices de la société CLEMENCE ARDAENS

Le contrat prévoit qu'outre l'indemnité forfaitaire, en cas d'absence de signature de l'acte définitif, outre l'indemnité forfaitaire la cédante pourra demander l'indemnisation du préjudice subi.

La société CLEMENCE ARDAENS estime qu'en refusant d'exécuter leurs obligations Mme [Y] et la société CR2AB ont commis un manquement contractuel à l'origine de ses préjudices.

Les intimées avancent qu'elles ne sauraient être fautives au regard des confinements ordonnés par le gouvernement, cette situation ne leur ayant pas permis de régler le prix de vente.

Les manquements contractuels de Mme [Y] sont établis.

La société CLEMENCE ARDAENS sollicite le somme de 5000 euros en réparation de ses préjudices.

.La formation sophrologie

La société CLEMENCE ARDAENS explique qu'en raison de la défection des cessionnaires la gérante de la société CLEMENCE ARDAENS n'a pas pu obtenir la certification de sa formation de sophrologue dans la mesure où elle a été obligée de poursuivre l'exploitation du fonds de commerce et de cumuler sa formation.

Pour le démontrer l'appelante verse une attestation de fin de formation indiquant que cette formation s'est déroulée du 5 octobre 2020 au 16 mars 2021 et qu'elle n'a pas été validée.

Les raisons de cette absence de validation ne sont pas détaillées.

En tout état de cause ce préjudice est personnel à Mme Ardaens. Il ne se confond pas avec un préjudice qu'aurait subi sa société.

Le préjudice invoqué n'est donc pas justifié.

. La préjudice moral

La société CLEMENCE ARDAENS explique qu'elle a facilité l'installation de Mme [Y] dans le fonds de commerce et que sa défection et son comportement cavalier lui cause un préjudice.

Il est démontré que les parties entretenaient d'excellentes relations jusqu'au refus de Mme [Y] de régulariser l'acte de vente.

Pour autant la société CLEMENCE ARDAENS ne démontre pas la réalité d'un préjudice moral.

Le comportement de Mme [Y] est en effet de nature à affecter Mme Ardaens seulement et non sa société.

Le préjudice invoqué n'est donc pas justifié.

. Les frais

La société CLEMENCE ARDAENS explique qu'en raison de la vente elle a fait effectuer des diagnostics qu'elle a réglés mais qui devront être refaits dans le cadre de la nouvelle cession.

Elle ajoute qu'elle a engagé des frais de déménagement .

La société CLEMENCE ARDAENS verse :

- une facture du 18 février 2020 de 420 euros TTC pour le contrôle et le diagnostic hygiène ;

- une facture du 10 mars 2020 de 384 euros TTC pour le contrôle des installations électriques ;

- une facture de location d'un camion du 14 mars 2020 pour un montant de 139 euros.

La société CLEMENCE ARDAENS ne démontre pas qu'elle a fait réaliser de nouveaux diagnostics à l'occasion de la vente du 20 janvier 2023. L'acte relatif à cette cession indiquant le contraire.

Il n'est pas non plus établi que la location du camion ait servi au déménagement du local dans lequel est exploité le fonds de commerce.

A supposé que ce soit le cas en raison de la vente du 20 janvier 2023 ces frais étaient de toute façon nécessaires.

Le préjudice invoqué n'est donc pas justifié.

. La moins value

La société CLEMENCE ARDAENS fait valoir qu'elle subit une moins value de 24 000 euros eu égard au prix de vente du fonds litigieux le 20 janvier 2023 à un prix inférieur à celui qui était prévu dans la cadre de la vente à Mme [Y].

L'acte de cession en date du 20 janvier 2023 démontre que la société CLEMENCE ARDAENS a cédé son fonds de commerce pour un prix total de 86.000 euros.

Le compromis de vente du 16 janvier 2020 fixait le prix de cession à la somme de 110.000 euros.

La différence de prix de vente est donc de 24 000 euros.

Pour autant la vendeuse aurait subi les mêmes difficultés avec autre acquéreur.

Il est donc justifié d'accorder à la société CLEMENCE ARDAENS la somme de 2000 euros en réparation de son préjudice et de condamner solidairement la société CR 2AB et Mme [Y] à payer cette somme.

Les demandes annexes

Il n'est pas inéquitable de condamner Mme [Y] à régler à la société CLEMENCE ARDAENS la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Mme [Y] est condamnée aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Dispositif

PAR CES MOTIFS

La cour :

- Déclare irrecevables les demandes formées dans l'intérêts de la société CR 2 AB ;

- Annule le jugement en ce qu'il a mis hors de cause Mme [Y] ;

- Confirme le jugement en ce qu'il a :

- Débouté la société CLEMENCE ARDAENS de ses demandes à l'encontre de Madame [I] [Y] et de la société CR 2 AB tendant à prononcer la résolution de la vente du fonds de commerce aux torts exclusifs de Mme [Y] et/ou de la société CR 2 AB ;

- Infirme le jugement pour le surplus ;

Statuant à nouveau :

- Rejette la demande de mise hors de cause de Mme [Y] ;

- Fixe le montant de l'indemnité forfaitaire prévue au contrat à la somme de 2.000 euros ;

- Ordonne en conséquence le versement du dépôt de garantie à la société CLEMENCE ARDAENS à hauteur de la somme de 2.000 euros ;

- Condamne solidairement Mme [Y] et la société CR 2 AB à régler à la société CLEMENCE ARDAENS la somme de 2.000 euros à titre de dommages-intérêts ;

- Condamne Mme [Y] à régler à la société CLEMENCE ARDAENS la somme de 1000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamne Mme [Y] aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile;

- Rejette toutes les autres demandes des parties.