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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 14 février 2024, n° 21/12486

PARIS

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

Ocealia (SCA)

Défendeur :

Société de Montage et d’Entretien de Silos (SAS), Société de Génie Civil de Silos (SARL), SCP LGA (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Brun-Lallemand

Conseillers :

Mme Depelley, M. Richaud

Avocats :

Me Baechlin, Me Ayrole, Me Boccon Gibod, Me Minier

T. com. Rennes, du 22 avr. 2021, n° 2020…

22 avril 2021

FAITS ET PROCÉDURE

La société Océalia est une coopérative agricole qui a pour activité la collecte, l'achat et la revente de productions de ses associés coopérateurs (céréales, protéagineux, oléagineux). Elle est née de la fusion par absorption de Charentes Alliance par Coréa, intervenue par traité du 22 octobre 2015, avec effet rétroactif au 1er juillet 2015. Cette concentration a été autorisée par décision n° 16-DCC-13 de l'Autorité de la concurrence du 29 janvier 2016.

La société de Montage et Entretien de Silos (Smes) a pour activité la réalisation, le montage et l'entretien de silos destinés au stockage de produits agricoles.

La société de Génie Civil de Silos (Sogecs), société soeur de la société Smes, a pour activité tous travaux de maçonnerie générale, gros oeuvre et second oeuvre de bâtiment, génie civil. Créée en 2013, il lui a été confié par Smes l'activité de travaux de génie civil nécessaire à la création des bases supportant les silos que Smes fabrique et installe.

Ces sociétés fournissent des travaux et prestations de deux types distincts :

- Les fournitures d'installation et de nouveaux silos, voire de rénovation lourde constituant pour le client final des investissements,

- Des prestations d'entretien et de maintenance des installations, lesquelles entrent dans les charges courantes du client et sont récurrentes par nature.

Smes et Sogecs, qui entretenaient des relations commerciales avec Corea et Charentes Alliance, et avant elles avec d'autres coopératives les ayant précédées, ont été, le 1er juin 1016, destinataires d'un courrier d'Océalia à la teneur suivante :

"Chers fournisseurs et partenaires,

Les deux coopératives Corea et Charente Alliance ont fusionné le 10 décembre 2015 pour créer la coopérative Océalia. L'Autorité de la concurrence a donné son autorisation en février 2016 et nos systèmes d'information ont été unifiés le 1er juin.

Nous vous remercions de bien vouloir libeller vos factures au nom de Coopérative Océalia en indiquant le n° de TVA (...) et de les adresser à notre siège social (...).

Afin de faciliter le paiement de vos factures dans les meilleurs délais, nous vous demandons de nous transmettre votre relevé d'identité bancaire ou postal pour la réalisation de vos paiements par virement. Nous vous invitons à contacter vos interlocuteurs habituels pour savoir si ce sont eux qui continuent à vous suivre."

Dix-huit mois plus tard, par lettre recommandée avec accusé de réception du 19 janvier 2018, le conseil des sociétés Smes et Sogecs a rendu destinataire la SCA Ocealia d'une comparaison des chiffres d'affaires avant et après le 1er juin 2016, qui l'amenait à conclure que "manifestement, depuis la fusion des structures Corea et Charentes Alliance, il a été mené à l'encontre de la société Smes une politique visant à la priver de tout chantier" et que Sogecs, "a manifestement souffert des conséquences de la fusion entre les deux structures", si bien que les choix opérés constituent pour ces deux sociétés une rupture brutale de relations anciennes, qui ont généré pour elles des préjudices conséquents.

Le 8 février 2018, Océalia a répondu ne pas les avoir contactées pour leur indiquer qu'elle n'entendait plus leur confier de marché de travaux "pour [une] bonne raison, nous travaillons toujours avec le groupe Smes".

Elle y a précisé ensuite que "coté Corea, le plan d'investissements en plateforme de collecte, constructions de stockage et cases à engrais était soutenu sur les 3 années précédant la fusion" et que lors de la préparation de celle-ci, "les conseils d'administration des deux coopératives ont convenu de ne pas développer de nouveaux investissements tant que l'analyse de l'optimisation de l'ensemble des flux n'était pas réalisée." Elle a ajouté comprendre que Smes et Sogecs "souffrent de cette baisse de prestation mais toute entreprise dépendante des plans d'investissements de ses clients connait cette problématique". Elle a souligné par ailleurs que les objectifs arrêtés coté Océalia étaient les suivants :

- "Appel d'offres pour tous les chantiers de plus de 5 000 euros ;

- Pluralité de fournisseurs pour limiter les risques et la dépendance à la fois de la coopérative et des fournisseurs ;

- Choix du meilleur rapport qualité/prix pour tous les gros chantiers".

Elle a terminé en indiquant :

"Il n'y a pas de choix de rupture brutale avec [Smes et Sogecs]. Il y a une baisse de commande de prestation de construction, gros oeuvre et une maintenance maitrisée sur l'ensemble du périmètre Océalia décidée par le conseil d'administration.

Vos clientes ne sont pas les seules à enregistrer une baisse conséquence de leur CA, celui d'Océalia sur 2016/2017 a chuté de 100 millions d'euros (...) Pour assurer la pérennité de notre coopérative tous les budgets ont été revus à la baisse.

La conjoncture est difficile pour les agriculteurs, donc pour les coopératives et forcément pour les collatéraux fournisseurs aussi".

Les flux d'affaires entre Smes et Océalia ont cessé en avril 2018. Aucun chiffre d'affaires n'a été réalisé entre Sogecs et Océalia en 2018.

Par jugement du tribunal de commerce de Saintes du 17 septembre 2018, la société Smes a été placée en procédure de sauvegarde et la SELARL Mequinion en la personne de Maître Mequinion, administrateur judiciaire a été désignée avec pour mission, outre les pouvoirs conférés par la loi, d'assister la débitrice pour tous les actes concernant la gestion de l'entreprise.

Le 13 décembre 2018, les sociétés Smes, SELARL Mequinion, ès qualités d'administrateur judiciaire de la société Smes, et la société Sogecs ont assigné la société Océalia devant le tribunal de commerce de Rennes en rupture brutale des relations commerciales établies.

Un plan de continuation de la société Smes a été adopté par jugement du tribunal de commerce de Saintes en date du 2 avril 2020, la SCP LGA représentée par Maître [P] [Y] étant désignée en qualité de commissaire à l'exécution du plan.

Par conclusions de reprise d'instance du 21 septembre 2020, l'affaire, qui avait été radiée le 12 septembre 2019 faute de diligence des parties, a été rétablie.

Par jugement du 22 avril 2021, le tribunal de commerce de Rennes a :

- Jugé que la relation entre les parties peut être qualifiée de relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6 du code de commerce,

- Jugé qu'il y a eu une rupture brutale de ces relations commerciales établies, en l'absence de tout délai de préavis,

- Condamné la SCA Océalia à payer des dommages et intérêts à la société Smes au titre de l'indemnisation de son préjudice pour un montant de 1 139 000 €,

- Condamné la SCA Océalia à payer des dommages et intérêts à la société Sogecs au titre de l'indemnisation de son préjudice pour un montant de 531 000 €,

- Condamné la SCA Océalia à verser la somme de 10 000 € à la société Smes et la somme de 10 000 € à la société Sogecs sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Débouté les sociétés Smes et Sogecs du surplus de leurs demandes, fins et conclusions,

- Débouté la SCA Océalia de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- Condamné la SCA Océalia à supporter les entiers dépens de l'instance,

- Dit que l'exécution provisoire du présent jugement n'est pas écartée,

- Liquidé les frais de greffe à la somme de 109,34 euros tels que prévus aux articles 695 et 701 du Code de procédure civile.

Par déclaration reçue au greffe le 2 juillet 2021, la société Océalia a interjeté appel de ce jugement.

Aux termes des dernières conclusions de la société Océalia, déposées et notifiées le 26 septembre 2023, il est demandé à la cour d'appel de Paris de :

- A titre principal, sur la nullité du jugement du tribunal de commerce de Rennes du 22 avril 2021,

Constater que, après la radiation de l'affaire par le tribunal de commerce de Rennes, le commissaire à l'exécution du plan n'a pas poursuivi l'action introduite par l'administrateur judiciaire lors de son réenrôlement le 21 septembre 2020, au mépris de l'article L. 626-25 du code de commerce,

Prononcer, par conséquent, la nullité du jugement rendu par le tribunal de commerce de Rennes le 22 avril 2021,

- A titre subsidiaire, sur l'absence de faute commise par Océalia sur le fondement de la rupture brutale des relations commerciales,

Constater que des travaux de gros oeuvre constituent par nature des prestations incertaines qui dépendent des besoins d'Océalia,

Constater que les besoins d'Océalia étaient d'autant plus incertains après la fusion entre Charentes Alliance et Coréa intervenue en 2016, dans la mesure où la nouvelle entité doit intégrer les optimisations possibles en tenant compte des silos des deux coopératives,

Constater que les travaux de gros oeuvre donnent lieu à des appels d'offres qui confèrent aux relations commerciales un caractère précaire,

Par conséquent, infirmer le jugement du tribunal de commerce de Rennes du 22 avril 2021 en ce qu'il a jugé que les relations relatives aux prestations de gros oeuvre entre Smes, Sogecs et Océalia étaient établies,

Constater que les dépenses de maintenance ont été exceptionnellement élevées en 2014 et 2015, de sorte que ces années ne peuvent être valablement comparées avec 2016 et 2017 qui constituent des années normales,

Constater qu'à partir de l'année 2018, Smes et Sogecs n'ont plus répondu aux sollicitations d'Océalia,

Par conséquent, juger que la rupture des relations relatives aux prestations de maintenance n'est pas imputable à Océalia mais résulte du comportement de Smes et Sogecs,

Infirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Rennes du 22 avril 2021 en ce qu'il a retenu qu'Océalia avait rompu brutalement les relations commerciales avec Smes et Sogecs.

- A titre plus subsidiaire,

Constater que le préavis de 12 mois retenu pour Smes est infondé en l'absence de justification de l'ancienneté des relations entre Smes et Océalia, même en retenant une ancienneté de 9 ans comme l'a fait le tribunal,

Constater que le préavis de 6 mois retenu pour Sogecs, pour une relation d'une durée légèrement supérieure à 2 ans, est injustifié en l'absence de possibilité de caractériser un état de dépendance économique de Sogecs à l'égard d'Océalia,

Constater que les taux de marge brute retenus par le tribunal de commerce de Rennes ne constituent pas à l'évidence des taux de marge sur coûts variables,

Par conséquent, infirmer le jugement du tribunal de commerce de Rennes en ce qu'il a condamné Océalia à payer à Smes la somme de 1.139.000 € et à Sogecs la somme de 531.000 €,

Débouter Smes et Sogecs de leurs demandes incidentes tendant à voir condamner Océalia à payer la somme de 2.409.109 € à Smes et la somme de 928.090 € à Sogecs,

- Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens,

Condamner Smes et Sogecs à payer, chacune, à Océalia la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamner Smes et Sogecs aux entiers dépens.

Aux termes des dernières conclusions des sociétés de Montage et Entretien de Silos (SMES), de Génie Civil de Silos (SOGECS) et SCP LGA, déposées et notifiées le 2 octobre 2023, il est demandé à la cour d'appel de Paris de :

Vu l'article L. 442-6,1 5° du code de commerce,

Sur l'appel principal de la société Océalia :

Confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Rennes en date du 22 avril 2021 en ce qu'il a :

- jugé que la relation entre les parties peut être qualifiée de relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6 du code de commerce,

- jugé qu'il y a eu une rupture brutale de ces relations commerciales établies, en l'absence de tout délai de préavis,

- condamné la SCA Océalia à indemniser les préjudices subis par les sociétés Smes et Sogecs,

- condamné la SCA Océalia à verser la somme de 10.000 € à la société Smes et la somme de 10.000€ à la société SOGECS sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SCA Océalia à supporter les entiers dépens de l'instance,

Débouter la société Océalia de l'intégralité de ses demandes,

Sur l'appel incident des sociétés Smes, Sogecs et LGA :

Infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Rennes du 22 avril 2021 en ce qu'il a :

- Condamné la SCA Océalia à payer des dommages et intérêts à la société Smes au titre de l'indemnisation de son préjudice pour un montant de 1.139.000 € uniquement,

- Condamné la SCA Océalia à payer des dommages et intérêts à la société Sogecs au titre de l'indemnisation de son préjudice pour un montant de 531.000 € uniquement,

- Débouté les sociétés Smes et Sogecs du surplus de leurs demandes, fins et conclusions,

Statuant à nouveau :

Accueillir l'intégralité des demandes des sociétés Smes et Sogecs et y faisant droit,

Condamner la société Océalia à payer à la société Smes et à la SCP LGA pris en la personne de Me [S] [N], en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Smes, la somme 2.409.109 €,

Condamner la société Océalia à payer à la société Sogecs la somme de 928.090 €

Condamner la société Océalia à payer à la société Smes et à la SCP LGA pris en la personne de Maître [S] [N], en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société SMES, la somme de 20.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamner la société Océalia à payer à la société Sogecs la somme de 20.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

Condamner la société Océalia à payer à la SCP LGA prise en la personne de Maître [S] [N] la somme de 20.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamner la société Océalia aux entiers dépens de l'instance.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 24 octobre 2023.

MOTIVATION

La Cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.

I/ Sur la nullité du jugement du tribunal de commerce de Rennes du 22 avril 2021

Moyens des parties

La société Océalia soutient au visa de l'article L.626-25 du code de commerce que le jugement du tribunal de commerce de Rennes est nul en raison de l'absence du commissaire à l'exécution du plan, Madame [L] [P] [Y], pour poursuivre les actions antérieurement engagées dans la procédure de première instance.

Elle fait valoir que l'absence de mise en cause du commissaire à l'exécution du plan dans une instance introduite initialement par l'administrateur judiciaire, constitue une violation d'une règle d'ordre public entraînant la nullité du jugement, car l'irrégularité tirée de la violation de l'article L. 626-25 du code de procédure civile n'est pas régularisable quand bien même le commissaire à l'exécution du plan aurait été mis régulièrement en cause en appel. De plus, une telle régularisation en l'espèce est impossible dans la mesure où l'article 121 du code de procédure civile n'est pas applicable à la nullité d'un jugement.

En réponse, les intimées font valoir qu'aucun texte ne sanctionne par une nullité du jugement l'absence de reprise de l'instance par le commissaire à l'exécution du plan. La société LGA, ès qualités de commissaire à l'exécution du plan, a confirmé le jugement en se constituant intimée sur l'appel émis par la société Ocealia et par son intervention volontaire dans la présente instance au fond, ce qui a régularisé la procédure, tel que l'article 121 du code de procédure civile le prévoit.

Réponse de la Cour

L'article L. 626-25 alinéa 3 du code de commerce dispose que les actions introduites avant le jugement qui arrête le plan et auxquelles l'administrateur est partie sont poursuivies par le commissaire à l'exécution du plan ou, si celui-ci n'est plus en fonction, par un mandataire de justice désigné spécialement à cet effet par le tribunal.

Au cas présent, suite à radiation de l'affaire le 12 septembre 2019 faute de diligence des parties, les conclusions de reprise d'instance du 21 septembre 2020, ont été prises par les seules sociétés Smes et Sogecs.

La SCP LGA représentée par Maître [P] [Y], désignée commissaire à exécution du plan le 2 avril 2020 par le jugement ayant adopté le plan de continuation de la société Smes, n'est pas intervenue à l'instance, alors qu'elle avait seule qualité pour poursuivre l'action qui avait été introduite par la société Smes et l'administrateur judiciaire désigné le 17 septembre 2018 dans le cadre de la procédure de sauvegarde.

L'instance interrompue n'ayant pas été valablement reprise, le premier juge n'avait pas le pouvoir de statuer, ce qui affecte la validité du jugement attaqué, sans pouvoir donner lieu à régularisation.

La nullité du jugement doit en conséquence être prononcée.

Cependant, l'appel remet la chose jugée en question devant la Cour et, par application de l'article 562 du code de procédure civile, la dévolution de l'appel n'est, lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement, pas limitée aux chefs critiqués. Elle s'opère sur le tout.

Par exception, la dévolution ne peut s'opérer si le premier juge n'a pas été valablement saisi. Cependant, l'acte introductif d'instance n'est en l'espèce frappé d'aucune irrégularité. La nullité concerne au cas présent non pas la saisine du tribunal de commerce, mais une défectuosité de la procédure suivie devant celui-ci (en ce sens Com. 10 juillet 2001, n° 98-19.491).

Il s'ensuit que la Cour, qui est saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif de l'appel, est tenue statuer sur celui-ci dans son entièreté.

II/ Sur l'existence de relations commerciales établies

Moyens des parties

La société Océalia affirme qu'il convient de distinguer le chiffre d'affaires réalisé au titre des travaux de gros oeuvre et celui au titre des prestations de maintenance.

S'agissant des travaux de gros oeuvre, la relation commerciale ne peut être selon elle qualifiée d'établie pour deux raisons. D'une part, la nature même des prestations serait exclusive de relation commerciale établie. En effet, la réalisation de travaux de gros oeuvre est aléatoire de sorte que ces prestations sont exclusives du caractère établi de la relation commerciale. D'autre part, le recours qu'elle décrit comme systématique à la procédure d'appel d'offres a conféré à la relation commerciale un caractère précaire.

Concernant les dépenses de maintenance, Océania soutient qu'elles ont été exceptionnelles en 2014 et 2015 mais réduites en 2016 et 2017 pour les ramener à un niveau normal. Elle estime qu'une baisse de l'ordre de 27 % du chiffre d'affaires sur la période 2016 et 2017 ne caractérise pas une rupture brutale des relations commerciales, et ce d'autant plus que les dépenses de maintenance relatives aux années 2014 et 2015 se sont avérées exceptionnelles.

En réponse, les intimées font valoir que la notion de relations commerciales établies est indépendante de la durée de tel ou tel contrat conclu entre les parties. L'article L. 442-1 5° du code de commerce est applicable dès lors que les intimées ont successivement et de façon constante, conclu des contrats à durée déterminée de marchés au titre de l'entretien ou du gros oeuvre entre 2002 et 2017 avec la société Smes et entre 2013 et 2017 avec la société Sogecs.

Elles soutiennent également que la notion de relations commerciales établies n'est pas nécessairement subordonnée à un échange permanent et continu entre les parties. En l'espèce, les premiers contrats conclus entre la société Smes et la société Ocealia datent de 2002 et le volume d'affaires très important n'a cessé de croître jusqu'au traité de fusion du 1er février 2015, bien qu'il s'agisse de contrats successifs de réalisation de silos ou d'installation diverses et de maintenance. Les intimées font par ailleurs valoir que la notion de relations commerciales établies n'est pas incompatible avec la procédure d'appel d'offres tant que la relation contractuelle n'est pas précaire. L'appelante se limite de surcroit à justifier avoir sollicité, à deux reprises seulement, des devis d'une société tierce en 15 années de relation contractuelle, étant entendu qu'aucune information relative à des appels d'offres (avis de marchés, informations sur le contenu des dossiers de consultation sollicités') n'apparait sur son site internet ou lorsque l'on interroge un moteur de recherche.

Elles soutiennent enfin que les relations entre les parties n'étaient pas précaires : les contrats de gros oeuvre ne sont pas par nature précaires. Il suffit de se référer aux chiffres d'affaires réalisés et du volume de contrats successivement conclus depuis le début de leurs relations commerciales pour comprendre qu'il ne s'agit pas de relations précaires.

Réponse de la Cour

En application de l'article L 442-6 I 5° du code de commerce dans sa version applicable au litige, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.

Au sens de ce texte, la relation, notion propre du droit des pratiques restrictives de concurrence qui n'implique aucun contrat (en ce sens, Com., 9 mars 2010, n° 09-10.216) et n'est soumise à aucun formalisme quoiqu'une convention ou une succession d'accords poursuivant un objectif commun puisse la caractériser, peut se satisfaire d'un simple courant d'affaires, sa nature commerciale étant entendue plus largement que la commercialité des articles L 110-1 et suivants du code de commerce comme la fourniture d'un produit ou d'une prestation de service (en ce sens, Com., 23 avril 2003, n° 01-11.664). Elle est établie dès lors qu'elle présente un caractère suivi, stable et habituel laissant entendre à la victime de la rupture qu'elle pouvait raisonnablement anticiper, pour l'avenir, une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial (en ce sens, Com., 15 septembre 2009, n° 08-19.200 qui évoque "la régularité, le caractère significatif et la stabilité de la relation commerciale"). La poursuite de la relation par une personne distincte de celle qui l'a nouée initialement ne fait pas obstacle à sa stabilité en présence d'une transmission universelle de patrimoine et, à défaut, si des éléments démontrent que la commune intention des parties était de continuer la même relation (en ce sens, Com., 10 février 2021, n° 19-15.369).

Au cas présent, les parties produisent, à l'exception de la lettre du 8 février 2018 précitée, les seuls éléments suivants de nature à préciser la nature de leurs relations, et l'antériorité de celle-ci :

- Pièce n° 56 Intimées : Grand livre des Ets [7] (ancienne dénomination de Smes) de 1995 à 1997 ;

- Pièce n° 13 Océalia : Station de semences de Charmant, lot Manutentions, courrier de Charentes Alliances annonçant à Smes qu'elle est retenue pour la réalisation du lot manutentions de l'extension du stockage semences et des modifications dans la station, pour un prix ferme de 250 000 euros ;

- Pièce n° 12 Océalia : Silo de Charmant, devis estimatif de Smes à Charente Alliance du 13 décembre 2011 relatif à l'installation de stockage avec équipement de manutention et charpente métallique pour un montant de 703 000 euros ;

- Pièce n° 58 Intimées : Synthèse du temps passé et coûts pour les sites de Le Ponthiou et Chambon pour la société Sogecs (2013 à 2015)

- Pièce n° 57 Intimées : Synthèse du temps passé et coûts pour les sites de [Localité 9] et Chambon pour la société Smes (2013 à 2017)

- Pièces n° 30 à 33 Intimées : Grand livre des comptes clients Sogecs du 1er octobre 2013 au 31 décembre 2017

- Pièces n° 34 à 39 Intimées : Grand livre des comptes clients Smes du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2018.

Dans ces circonstances, et en premier lieu, les intimées font valoir à raison que c'est en vain qu'Océalia prétend avoir eu recours de manière systématique à la procédure d'appel d'offres pour les travaux de gros oeuvre. Il ne peut qu'être constaté, notamment, que l'appelante se limite à fournir deux devis estimatifs adressés à sa demande par une société tierce, SOM (en 2013 s'agissant de la construction de deux cellules métalliques pour le silo de Chambon et en 2015 pour le marché de [Localité 8] relatif à 5 cellules de stockage) et qu'elle ne verse aucune autre pièce de nature à étayer son affirmation, alors qu'il lui a été fait sommation (pièce intimée n° 50) de communiquer les pièces relatives aux appels d'offres lancés, le versement de ces dernières étant nécessaires au succès de sa prétention.

En deuxième lieu, il convient de retenir que la distinction que fait l'appelante entre les prestations de construction de silos d'une part, et les prestations de génie civil ainsi que celles de maintenance d'autre part, lesquels devraient faire l'objet d'analyse séparées, ne peut prospérer en l'état des éléments versés aux débats. S'il est explicitement fait différence à ces différents types de prestations dans la lettre du 8 février 2018 précitée, c'est bien au contraire pour les traiter ensemble ("Il y a une baisse de commande de prestation de construction, gros oeuvre et une maintenance maitrisée sur l'ensemble du périmètre Océalia décidée par le conseil d'administration").

En troisième lieu, il ne peut être non plus sérieusement soutenu que les contrats successifs (non produits) étaient tous indépendants et répondaient à des prestations spécifiques. C'est leur succession et leur agrégation qui a, à l'inverse, concouru à créer tant la croyance que l'attente légitime dans la pérennité des relations. Ces dernières ne peuvent être qualifiées de précaires. Les intimées pouvaient raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires.

La circonstance que depuis la fusion entre Charentes Alliance et Coréa intervenue en 2016, Océalia se soit logiquement attachée à "intégrer les optimisations possibles en tenant compte des silos des deux coopératives" constitue un changement de stratégie et de politique d'achat qui n'était pas imposée par la conjoncture économique, la baisse de la qualité de la prestation ou le désintérêt de l'utilisateur final pour le produit ou le service. Il peut être observé, en toute hypothèse qu'ainsi que l'observe l'Autorité de la concurrence dans ses décisions n° 13-DCC-170 et 15-DCC-34, la collecte de récoltes demeure un marché local. Les synergies pro-concurrentielles liées à ce type de concentrations conglomérales connaissent donc à cet égard des limites sur le plan géographique.

S'agissant, ensuite, de l'antériorité de la relation commerciale, il y a lieu de se référer au courrier du 8 février 2018 précité envoyé par Océalia au conseil des intimées (pièce n° 5), qui est particulièrement dénué d'ambiguïté en ce qu'il mentionne :

"En consultant l'historique des travaux de génie civil sur ex-Coréa, je constate que jusqu'à la fin 2006 nous travaillons avec la société Serbat spécialisée en génie civil. Ensuite de 2007 à 2013, c'est la Smes qui a assuré la prestation, puis la Sogecs."

Il est observé, par ailleurs, qu'il résulte des courriers du 1er juin 2016 et du 8 février 2018 précités que suite à la fusion par absorption de Charentes Alliance par Coréa, c'est la même relation commerciale qui s'est poursuivie avec Smes et Sogecs, car telle était la commune intention des parties. Il n'est pas explicitement soutenu, au demeurant, qu'il en irait différemment, les écritures d'appel d'Océalia mentionnant la convention d'écriture suivante : "Compte tenu de leur succession dans le dossier, Océalia, Charentes Alliance et Coréa seront désignées ensemble ou individuellement par : la Coopérative".

La Cour retient, en conséquence, que la relation commerciale entre Smes et Océalia est établie depuis 2007 et qu'elle l'est entre Océalia et Sogecs depuis la création de cette dernière en 2013.

III/ Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

Moyens des parties

La société Ocealia soutient que l'arrêt total des relations entre les parties résulte du comportement de Smes et Sogecs qui ne répondaient plus aux sollicitations d'Océalia. En effet, Océalia a sollicité Smes à plusieurs reprises pour réaliser des prestations de maintenance sur différents sites mais Smes a décliné ces sollicitations d'Océalia au motif qu'elle faisait face à une surcharge de travail (pièces n°22, 23 et 25).

En réponse, les intimées font valoir que les courriels de sollicitation envoyés par Océalia sont postérieurs à la lettre de leur conseil du 19 janvier 2018 par laquelle ce dernier informait Océalia qu'une saisine du tribunal de commerce était envisagée, si bien qu'Océalia aurait tenté de se ménager des preuves pour échapper à toutes condamnations.

Elles ajoutent qu'aucune notification n'est intervenue si bien qu'aucun délai de préavis n'a pu courir.

Réponse de la Cour

La Cour rappelle, en premier lieu, que de jurisprudence constante, une rupture des relations commerciales établies ne peut intervenir sans préavis qu'à la condition que le manquement reproché au partenaire évincé soit d'une certaine gravité.

Elle retient que la circonstance qu'en avril 2018, un salarié de Smes ait évoqué dans un mail à son interlocuteur d'Océalia un délai de quelques jours pour rédiger un devis et qu'en mai et juin 2018, il ait évoqué un report en raison de la campagne, ne correspond pas à un manquement grave constituant une cause légale justifiant la rupture immédiate de la relation établie.

La Cour constate, en second lieu, que s'agissant de Smes (pièce Smes n° 28, attestation du commissaire aux comptes du 22 novembre 2019), le flux d'affaires entre les partenaires a connu les fluctuations suivantes :

En 2014 : Maintenance : 1 077 711 euros (Corea) et 53 822 euros (Charente Alliance)

Investissements : 524 910 euros (Corea) et 354 000 euros (Charente Alliance)

En 2015 : Maintenance : 1 027 010 euros (Corea) et 29 492 euros (Charente Alliance)

Investissements : 2 621 810 euros (Corea)

En 2016 : Maintenance : 528 885 euros (Corea) et 240 154 euros (Ocealia)

Investissements : 198 910 euros (Corea) et 117 450 euros (Ocealia)

En 2017 : Maintenance : 441 864 euros, Investissements : 8 820 euros

Jusqu'au 30 avril 2018 : Maintenance : 41 700 euros, Investissements : 9 500 euros.

La Cour relève, s'agissant de Sogecs, que son chiffre d'affaires avec Corea et Charente Alliance s'est élevé à 1 543 000 euros en 2014, 1 962 000 en 2015. Il s'est réduit en 2016 à 208 000 euros avec Ocealia, à 143 000 euros en 2917 et a été inexistant en 2018.

Ces éléments caractérisent une rupture partielle des relations commerciales établies en 2016, le flux des commandes ayant diminué de façon substantielle dès le début de cet exercice. Cette rupture partielle a été suivie d'une rupture totale en 2018.

L'auteur de la rupture, Océalia, n'a notifié aucun préavis écrit, et s'est donc abstenu d'accorder à ses partenaires délaissés un délai de prévenance leur permettant d'anticiper les conséquences de cette rupture.

Sa responsabilité est engagée sur le fondement de l'article L 442-6 I 5° du code de commerce.

IV/ Sur le préjudice

Moyens des parties

Les intimées demandent à la Cour de condamner Océalia à accorder à Smes un préavis de 24 mois et à Sogecs un préavis de 12 mois. Elles font valoir que l'expert-comptable des deux sociétés a explicité la méthode qu'il retient pour développer les taux de marge brutes, lesquels corrigés des éléments variables s'élèvent s'agissant de Sogecs à 64,77 % (pour 2014) et 69,83 % (pour 2015) et s'agissant de Smes à 56, 01 % (pour 2014) et 52,73 % (pour 2015). Elles font valoir, par ailleurs, que le chiffre d'affaires moyen 2014/2015 entre Smes et Corea/Charentes Alliance s'élève à 5 699 755 euros et que ce même chiffre s'agissant du flux d'affaires entre Sogecs et Corea/Charentes Alliance s'élève à 1 833 950 euros.

La société Ocealia répond, tout d'abord, que Smes n'était liée par aucune clause d'exclusivité à l'égard d'Océalia et n'était donc pas en situation de dépendance. Elle fait valoir qu'il existe de très nombreux concurrents sur le marché, notamment la coopérative Terre Atlantique, l'entreprise Soufflet, Terrena Poitou, l'entreprise Démograins, la coopérative de [Localité 6], lesquels détiennent de nombreux points de collecte. Smes ne peut donc pas affirmer qu'il existe peu d'acteurs sur le marché.

Elle soutient, ensuite que retenir les années 2014 et 2015 comme années de référence est trompeuse dans la mesure où cela conduit à surévaluer le chiffre d'affaires moyen réalisé par Smes avec Océalia. Il convient selon elle de prendre en compte la moyenne des trois années précédant la rupture, en 2017, étant observé que cette moyenne se limite à 2.261.718 € (2.021.443 + 3.678.312 + 1.085.399 /3). Elle prétend enfin que la marge sur couts variables de Smes ne s'élève qu'à 22, 9 %.

S'agissant de Sogecs, Océalia prétend qu'aucune dépendance économique n'est caractérisée, dès lors que cette entreprise n'était liée par aucune clause d'exclusivité à l'égard d'Océalia et que la circonstance qu'elle n'ait pas cherché d'autres partenaires commerciaux résulte de son propre choix de gestion. Océalia estime par ailleurs que la marge sur coûts variables de Sogecs est de l'ordre de 32 %.

Les intimées contestent le retraitement par Océalia de sa marge, par le retrait de la totalité des comptes 61, ce qui ne correspond pas à la marge sur cout variable puisque les charges retirées sont des charges fixes que l'entreprise continue d'assumer bien que son chiffre d'affaires ait fortement baissé du fait de la rupture. Elles ajoutent que l'expert-comptable de Smes et de Sogecs a isolé les charges engendrées directement par l'activité de l'entreprise et à la réalisation de son chiffre d'affaires et les a précisément déduites.

Réponse de la Cour

S'agissant, tout d'abord, de la fixation du délai de préavis, il y a lieu de rappeler que le délai de préavis suffisant doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement. Les principaux critères à prendre en compte sont l'ancienneté des relations, le degré de dépendance économique (entendu comme la part du chiffre d'affaires réalisé par la victime avec l'auteur de la rupture), le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, les relations d'exclusivité et la spécificité des produits et services en cause.

Au cas présent, compte tenu de l'ancienneté des relations, de l'intensité de celle-ci, des investissements pour développer l'activité spécifique de construction et d'entretiens lourds de silos, auquel s'ajoute s'agissant de Sogecs un état de dépendance manifeste à l'égard d'Ocealia (laquelle représentait 90 % de son chiffre d'affaires en 2014 et 93 % en 2015), il convient de fixer la durée du préavis éludé à 15 mois pour Smes et à 9 mois pour Sogecs.

Il peut être constaté, ensuite que l'expert-comptable des deux sociétés atteste, dans un courrier à leur dirigeant commun du 18 juin 2018, que "certains ratios de frais fixes ont fortement augmentés compte tenu de la baisse sensible du chiffre d'affaires ('). J'ai comparé votre ratio de frais fixes (charges externes, masse salariale administrative et amortissements) entre 2010 et 2017, ces postes ont enregistré une hausse de plus de 800 K €", ce qui selon lui nécessite de réduire ces postes en trois ans, à raison de "800 K€ en N+1, 500 K€ en N+2 et 200 K€ en N+3, soit 1 500 K€ de budget pour assurer votre pérennité", étant précisé par ailleurs que selon lui, "la dépression de valeur liée à l'inertie a déprécié à court terme l'entreprise pour 2 500 K €".

La Cour rappelle que le gain manqué correspond à la marge que le partenaire évincé pouvait escompter tirer de ses relations commerciales avec le responsable de la rupture pendant la durée du préavis qui aurait dû être respecté.

Ce préjudice résultant du caractère brutal de la rupture s'évalue en considération de la marge brute escomptée, c'est-à-dire la différence entre le chiffre d'affaires hors taxe escompté et les coûts variables hors taxe non supportés durant la période d'insuffisance de préavis, différence dont pourra encore être déduite, le cas échéant, la part des coûts fixes non supportés du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, durant la même période (Com. 28 juin 2023, n°21-16.940).

Il doit être constaté que Smes et Sogecs ont versé aux débats leurs comptes annuels arrêtés au 31 décembre de chaque année, et l'attestation de leur expert-comptable, laquelle fait apparaitre un taux de marge moyen calculé sur les exercices 2014 et 2015 à 54,37 % pour Smes et 67,30 % pour Sogecs.

La Cour retient que ces deux exercices, qui sont antérieurs à la rupture partielle intervenue en 2016, constituent les exercices de référence.

Elle retient en outre, à l'issue des débats, les éventuelles économies de coûts fixes spécifiques étant particulièrement limitées eu égard aux particularités de l'espèce, un taux de marge sur couts variable arrondi à 50 % pour Smes et 65 % pour Sogecs. La référence aux taux de marge généralement réalisés dans les secteurs de la construction, du génie civil et des travaux spécialisés tels qu'extraits d'Insee References (pièces Océalia n°48 : édition 2021, fiches 2.2 et 7.2) ne peut suffire à remettre en cause l'attestation de l'expert-comptable des société Smes et Sogecs, laquelle n'est de surcroît pas contredite par la production d'une l'analyse différente venant d'un autre professionnel du chiffre ayant eu accès aux mêmes informations.

Il sera, enfin, retranché les chiffres d'affaires réalisés en 2016, 2017 et 2018.

Le chiffre d'affaires de Smes réalisé sur les exercices de référence retenus s'élevant à 5 698 755 euros, le chiffre d'affaires moyen annuel correspond à 2 849 377,5 €. La perte de marge sur cout variable étant de 118 724 euros par mois, elle s'élève donc sur la durée du préavis (15 mois) à la somme de 1 780 860 euros.

Il doit être déduit de cette somme la marge sur couts variables effectivement réalisée postérieurement soit 778 641,5 euros (1 557 283 euros x 50 %).

Il convient en conséquence d'allouer à la société Smes la somme arrondie de 1 002 220 euros en réparation du préjudice qu'elle a subi au titre du gain manqué.

Le chiffre d'affaires de Sogecs réalisé sur les exercices de référence retenus s'élevant à 3 505 000 euros, le chiffre d'affaires annuel s'élève à 1 752 500 euros. La perte de marge sur cout variable étant de 94 927 euros, elle s'élève donc sur la durée du préavis (9 mois) à la somme de 854 343 euros.

Il doit être déduit de cette somme la marge sur couts variables effectivement réalisée postérieurement soit 228 150 euros (351 000 euros x 65 %).

Le préavis éludé étant de six mois, il convient d'allouer à la société Sogecs la somme arrondie de 626 190 euros en réparation du préjudice qu'elle a subi au titre du gain manqué.

V/ Sur les frais irrépétibles et les dépens

Océalia, qui succombe en ses prétentions, sera condamnée aux dépens d'appel.

Il serait inéquitable de laisser à la charge des intimées les frais irrépétibles d'appel qu'elles ont été contraintes d'exposer pour faire valoir leurs droits devant la Cour.

Océalia sera en conséquence condamnée à payer à Smes et à la SCP LGA pris en la personne de Me [N] ès qualités, la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle sera condamnée à payer sur le même fondement la somme de 20 000 euros à Sogecs.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

ANNULE le jugement du tribunal de commerce de Rennes du 22 avril 2021 ;

Statuant à nouveau,

Condamne la SCA Océalia à verser à la société la société de montage et d'entretien de silos la somme de 1 002 220 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice économique subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies ;

Condamne la SCA Océalia à verser à la société la société de genie civil de silos la somme de 626 190 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice économique subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies ;

Condamne la société la SCA Océalia à verser à la société la société de montage et d'entretien de silos la somme de 20 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société la SCA Océalia à verser à la société la société société de genie civil de silos la somme de 20 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SCA Océalia aux dépens.