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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 14 février 2024, n° 21/13077

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Distri Sécurité (SARL)

Défendeur :

Service Pro Sécurité (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Brun-Lallemand

Conseillers :

Mme Depelley, M. Richaud

Avocats :

Me Baulac, Me Bruguier Crespy, Me Canovas

T. com. Paris, 10e ch., du 25 juin 2021,…

25 juin 2021

FAITS ET PROCÉDURE

La société Distri Sécurité est une société de sécurité privée qui propose des solutions de sécurité à des entreprises pour assurer le gardiennage des biens et des personnes.

Le 5 avril 2016, la société Distri Sécurité (donneur d'ordre) et la société Pro Sécurité (sous-traitant) ont conclu un contrat-cadre pour une durée indéterminée, par lequel la société Pro Sécurité a été chargée d'assurer la mise à disposition d'agents de sécurité pour le compte de la société ID Logistics, cliente de la société Distri Sécurité, sur les sites de celle-ci, notamment à [Localité 5] (13).

Dans ce cadre, la société Distri Sécurité avait pour obligation d'envoyer chaque mois des plannings de prestations à la société Pro Sécurité, ce qu'elle s'est abstenu de faire courant octobre 2017.

Elle avait reçu, le 12 octobre 2017, un courrier d'ID Logistics évoquant l'hypothèse d'une "rupture de nos relations commerciales et de vos prestations de service" dans les termes suivants :

"Faisant suite aux événements récents de vols de marchandises (téléphones) que nous avons rencontrés sur le site de [Localité 5], je vous demande de stopper IMMEDIATEMENT tout recours à votre sous-traitant dans le cadre des contrats qui nous lient.

Cela implique également l'arrêt des contrats en cours. Votre sous-traitant est directement impliqué soit en qualité d'auteur, l'enquête de police le déterminera, ou alors pour ne pas avoir assuré la sécurisation de nos marchandises et il s'agit dans tous les cas d'une faute".

Ce courrier faisait suite à un rendez-vous du 2 octobre 2017 ayant la teneur suivante, selon le compte-rendu interne de Distri Sécurité :

"Remarques client :

Le client reproche le manque de professionnalisme des agents, l'ancienneté des agents, le manque de contrôle sur nos agents en sortie d'entrepôt, le manque de traçabilité des événements lorsque l'agent rencontre un problème.

Rappel des attentes du client en juin 2017 :

Le Client attend de Distri Sécurité également un plan d'action tenant en compte l'anti-agression et la malveillance au plus vite.

De plus il souhaite que soit réalisé par Distri Sécurité dans la mesure de ses compétences une étude sur la vulnérabilité ou non des points suivants :

Attentes du client :

Par une première lettre recommandée du 27 octobre 2017, avec avis de réception, la société Service Pro Sécurité a demandé à la société Distri Sécurité de lui envoyer le planning du mois de novembre 2017 afin de lui permettre de prévoir l'affectation de ses agents.

Par une seconde lettre recommandée du 23 novembre 2017, avec avis de réception, la société Service Pro Sécurité a reproché à la société Distri Sécurité de ne pas lui avoir envoyé les plannings pour les mois de novembre et décembre 2017 et de ne pas avoir répondu à son premier courrier.

Par acte du 6 juin 2018, la société Pro Sécurité a assigné la société Distri Sécurité devant le tribunal de commerce de Paris pour obtenir des dommages-intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale établie.

Après avoir prononcé un sursis à statuer dans l'attente du résultat d'une enquête de gendarmerie concernant des vols subis par la société ID Logistics le 1er septembre 2017 sur son site de Graveson, le tribunal de commerce de Paris a par jugement du 25 juin 2021, a :

La société Distri Sécurité a relevé appel de ce jugement par déclaration remise au greffe le 9 juillet 2021.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées et notifiées le 7 février 2022, la société Distri Sécurité demande à la cour d'infirmer le jugement et, statuant à nouveau, de :

Aux termes de ses dernières conclusions déposées et notifiées le 3 avril 2023, la société Service Pro Sécurité demande à la cour, au visa de l'article L. 442-6 , I, 5° du code de commerce, de :

1) confirmer le jugement en ce qu'il a :

2) déclarant son appel incident recevable et bien fondé :

3) débouter la société Distri Sécurité de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

4) à titre subsidiaire, s'il n'était pas fait droit à son appel incident, confirmer le jugement en toutes ses dispositions, notamment en ce qu'il a condamné la société Distri Sécurité au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies à lui payer la somme de 28.041,60 €, à titre de dommages-intérêts,

5) en tout état de cause, condamner la société Distri Sécurité aux entiers dépens et à lui payer la somme de 6.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La clôture a été prononcée le 10 octobre 2023.

***

Motifs

 

MOTIVATION

Sur la rupture des relations commerciales établies

L'ancien article L 442-6-1 5° du code de commerce, applicable eu égard à la date des faits, dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait de rompre brutalement, même partiellement une relation commerciale établie sans préavis écrit, tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

Il précise en outre que ces dispositions ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.

En l'espèce, il n'est pas contesté que les parties ont entretenu des relations commerciales établies pendant 17 mois et que c'est la société Distri Sécurité qui les a rompues sans préavis écrit.

Afin de justifier cette rupture, la société Distri Sécurité soutient, en premier lieu, que le contrat du 5 avril 2016 prévoit que chacune des parties pourra mettre fin au contrat sans observer de délai de prévenance et que les dispositions de l'article L.442-6 du code de commerce ne sont pas exclusives d'une convention contraire conclue entre les parties.

Mais il suffit de constater que si l'article 3 du contrat litigieux stipule que chaque partie pourra y mettre fin sans observer de délai de prévenance, il prévoit aussi pour ce faire un formalisme précis, à savoir l'envoi d'une lettre recommandée avec accusé de réception.

Or la société Distri Sécurité n'a adressé aucune lettre de résiliation à la société Service Pro Sécurité. Elle s'est limitée à cesser l'envoi à Pro Sécurité des "plannings de présence", lesquels constituaient un préalable à la réalisation de la prestation par son sous-traitant, ce qui a rendu impossible la poursuite de la relation.

Ce moyen doit donc être écarté.

La société Distri Sécurité fait valoir, en deuxième lieu, qu'elle a voulu rompre son contrat avec Distri Sécurité en raison de vols qui avaient été commis dans les entrepôts de la société ID Logistics et qui incriminaient des salariés de la société Service Pro Sécurité. Elle ajoute qu'il ressort de la jurisprudence qu'une entreprise est en droit de rompre une relation commerciale sans préavis en cas de manquement grave d'une partie à ses obligations essentielles. Elle allègue, pour contester la brutalité dans la rupture de la relation commerciale, que le sous-traitant connaissait parfaitement le vol ; que le classement sans suite de la plainte pénale pour vol n'exclut pas l'existence d'une faute de la société Service Pro Sécurité, laquelle a manqué a minima à son obligation de gardiennage. Elle s'appuie sa pièce n° 10 qui selon elle prouve la restitution des deux téléphones qui avaient été soustraits à la société ID Logistics et retrouvés chez les salariés de la société Service Pro Sécurité.

Cependant, force est de constater que, d'une part, la société Service Pro Sécurité verse aux débats en pièce n° 17 la décision du 20 septembre 2019 par laquelle le parquet du tribunal de grande instance de Tarascon a classé sans suite la plainte pour vol desdits téléphones portables en précisant "auteur inconnu", et que d'autre part, sa pièce n°10 ne contient aucune indication permettant d'établir que les deux téléphones placés sous scellés puis restitués ont été retrouvés chez des salariés de Service Pro sécurité.

C'est à raison que le tribunal a dans ces circonstances retenu que si ID Logistics et Distri Sécurité avaient mis en cause le personnel de Pro Sécurité, l'enquête n'avait pas permis d'établir des faits de nature à justifier des poursuites, étant observé de surcroit que des vols s'étaient poursuivis postérieurement, alors que la société de gardiennage avait changé. Le premier juge a par ailleurs observé à juste titre que l'obligation dont était tenue Distri Sécurité par application du contrat était de moyen et non de résultat.

Il s'en suit que les griefs allégués ne sont pas corroborés par des éléments suffisants et que les faits tels qu'ils peuvent être reconstitués ne présentent pas un caractère de gravité telle qu'ils justifiaient une rupture sans préavis des relations commerciales établies.

Ce moyen doit être écarté.

La Société Distri Sécurité soutient, en troisième lieu, qu'aucun préavis ne pouvait être requis dès lors que si elle n'avait pas rompu le contrat, elle-même aurait perdu sa cliente ID Logistics, étant rappelé que la sous-traitance effectuée par la société Service Pro Sécurité s'exécutait pour ce seul client.

La Cour relève que c'est à raison que l'appelant se réfère à cet égard à l'article 9 ("résiliation anticipée de plein droit") du contrat du 5 avril 2016 stipule que "le titulaire du marché peut résilier de façon anticipée et de plein droit le contrat (') en cas de rupture et/ou de suspension du marché par le client ou par le titulaire du marché".

Cependant si le courrier de la société ID Logistics du 2 octobre 2017 reproduit supra évoque une éventuelle rupture des relations commerciales, il est éclairé par le compte-rendu interne de Distri Sécurité du 2 octobre 2017, duquel il ressort que sont pointées d'éventuelles défaillances de la part de Distri Sécurité et pas seulement de son sous-traitant.

Il doit être constaté en outre qu'au cas présent la société ID Logistics n'a pas cessé ses relations commerciales avec la société Distrisécurité, ni suspendu un temps le marché en ne communiquant plus d'ordres de service.

Il peut être observé, enfin, que le dernier alinéa de l'article 9 du contrat stipule que "la résiliation sera acquise de plein droit après l'envoi en recommandé avec avis de réception d'un courrier moyennant le respect d'un délai de préavis de quinze jours" et que ces conditions n'ont pas été respectées.

Ce moyen doit lui aussi être écarté.

Il s'en déduit qu'il incombait à la société Distri Sécurité de notifier un préavis écrit suffisant avant de rompre ses relations commerciales avec la société Service Pro Sécurité. Ayant opté pour une résiliation immédiate sans délai de prévenance, alors que les conditions de celle-ci n'étaient pas justifiées, elle a engagé sa responsabilité.

Sur le préjudice subi

Moyens des parties

La société Service Pro Sécurité demande, à titre principal, paiement de la somme de 32.948,88 € en soutenant que c'est un préavis de 2 mois qui aurait dû lui être accordé comme retenu par le tribunal, mais que sa marge brute était égale à 94 % et non à 80 % comme fixé par le tribunal.

La société Distri Sécurité répond :

Réponse de la Cour

Le tribunal a exactement fixé la durée du préavis à 2 mois compte tenu de la durée de la relation commerciale établie, soit 17 mois, du fait que la société Service Pro Sécurité réalisait 50 % de son chiffre d'affaires avec la société Distri Sécurité mais que son activité de gardiennage dans le département des Bouches-du-Rhône lui permettait de retrouver assez aisément d'autres donneurs d'ordre.

Au titre du gain manqué, le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture s'évalue, au jour de la rupture, en considération de la marge brute escomptée, c'est-à-dire la différence entre le chiffre d'affaires hors taxe escompté et les coûts variables hors taxe non supportés durant la période d'insuffisance de préavis, différence dont pourra encore être déduite, le cas échéant, la part des coûts fixes non supportés du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, durant la même période (Com. 28 juin 2023, n°21-16.940).

Il est constant que le chiffre d'affaires entre les partenaires, durant les 17 mois de la relation commerciale, s'est élevé à la somme mensuelle de 17 526 euros.

L'expert-comptable de cette société atteste que sa marge brute globale, représentée par la différence entre le chiffre d'affaires et les coûts directs engagés pour réaliser les services vendus hors masse salariale, s'élevait à 93,60 % (pièce n°23).

Service Pro Sécurité reste taisante tant sur sa marge sur couts variables, que sur les raisons pour lesquelles il conviendrait d'exclure le cout des salariés directement lié à la production de ce service.

Au regard de l'ensemble des éléments versés aux débats, la Cour retient une marge sur couts variables de 70 %.

Il s'en suit que le préjudice subi par la société Service Pro Sécurité doit être calculé ainsi qu'il suit : 17 526 euros x 2 mois x 0,70 soit 24 536,40 euros.

Le jugement est infirmé sur ce point.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile

La société Distri Sécurité, qui succombe en ses prétentions, doit supporter les dépens d'appel.

Il convient, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, de lui d'allouer la somme supplémentaire de 2 000 € à la société Service Pro Sécurité et de rejeter la demande de la société Distri Sécurité à ce titre.

Dispositif

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement du tribunal de commerce de Paris du 25 juin 2021 en ce qu'il a condamné la société Distri Sécurité à payer à la société Service Pro Sécurité la somme totale de 28.041,60 €, à titre de dommages-intérêts, au titre de la rupture brutale  des relations commerciales établies ;

Statuant à nouveau, condamne la société Distri Sécurité à verser la société Service Pro Sécurité la somme de 24 536,40 € à titre de dommages-intérêts, au titre de la  rupture des relations commerciales établies,

Condamne la société Distri Sécurité à payer la somme supplémentaire de 2 000 € à la société Pro Service Sécurité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Distri Sécurité aux dépens d'appel.