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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 8 février 2024, n° 18/01559

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

MHCS (SCS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Prigent

Conseillers :

Mme Renard, Mme Soudry

Avocats :

Me Boccon Gibod, Me Mitchel, Me Guizard, Me Cachard

T. com. Marseille, du 18 févr. 2016, n° …

18 février 2016

FAITS ET PROCÉDURE :

La société MHCS fabrique et commercialise des vins de champagne, notamment sous la marque Ruinart.

Le 1er octobre 1990, la société MHCS et Mme [O] [K] [P] (ci-après "Mme [P]") ont conclu un contrat dénommé "contrat de mandat" par lequel la première a confié à la seconde le " mandat de vendre en son nom et pour son compte " des vins de champagnes sur le secteur du département des Bouches-du-Rhône.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 15 décembre 2014, la société MHCS a résilié le contrat de mandat en alléguant diverses fautes graves à l'encontre de Mme [P].

Par acte du 19 février 2015, Mme [P] a assigné la société MHCS devant le tribunal de commerce de Marseille en réparation de son préjudice du fait de la résiliation du mandat à l'initiative de la société MHCS.

Par jugement du 18 février 2016, le tribunal de commerce de Marseille a :

Par déclaration du 17 mars 2016, la société MHSC a formé appel de ce jugement devant la cour d'appel d'Aix en Provence.

Par déclaration du 11 janvier 2018, la société MHSC a formé un second appel devant la cour d'appel de Paris à l'encontre du jugement du tribunal de commerce de Marseille en ce qu'il a :

Par arrêt du 6 décembre 2018, la cour d'appel d'Aix en Provence a :

de 1 318,49 euros et de 3 937,45 euros,

l'infirmant à ce titre et statuant à nouveau,

montant de 1 318,49 euros et au titre des ventes qui auraient été réalisées directement par la société MHCS pour

un montant de 3 937,45 euros,Y ajoutant,

les sommes auxquelles elle a été condamnée,

de procédure civile,

Le 18 mars 2019, la société MHSC a formé un pourvoi à l'encontre de cet arrêt.

Par ordonnance du 28 novembre 2019, le conseiller chargé de la mise en état de la cour d'appel de Paris a sursis à statuer dans l'attente de l'issue du pourvoi formé à l'encontre de l'arrêt de la cour d'appel d'Aix en Provence.

Par arrêt du 31 mars 2021, la chambre commerciale de la Cour de cassation a cassé et annulé en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 6 décembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; dit n'y avoir lieu à renvoi ; déclaré irrecevable l'appel formé par la société MHCS devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; laissé à chacune des parties la charge de ses dépens ; en application de l'article 700 du code de procédure civile, rejeté les demandes aux motifs que :

"Pour déclarer recevable l'appel formé contre le jugement rendu par le tribunal de commerce de Marseille, saisi à titre subsidiaire, d'une demande sur le fondement de l'article L. 442-6 du code de commerce, l'arrêt retient que la recevabilité de l'appel n'aurait pu être examinée qu'une fois tranchée la nature du contrat liant la société MHCS à Mme [P].

En statuant ainsi, alors que la cour d'appel de Paris dispose exclusivement du pouvoir juridictionnel de statuer sur les décisions rendues par les juridictions spécialement désignées pour statuer sur l'article L. 442-6 du code de commerce, ce texte fût-il invoqué devant elle à titre subsidiaire, la cour d'appel a violé les textes susvisés."

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Dans ses dernières conclusions, notifiées par le RPVA le 23 décembre 2021, la société MHCS, demande à la cour, au visa des articles L.134-1 et suivants du code de commerce ainsi que des articles L.442-6-I 5° du même code et des articles 1116 , 1147 et 1134 anciens du code civil, de :

A titre principal,

Pour le reste, statuant à nouveau,

Très subsidiairement,

En tout état de cause,

Dans ses dernières conclusions, notifiées par le RPVA le 21 septembre 2021, Mme [P] demande à la cour de :

A titre principal,

A titre subsidiaire,

Dans l'hypothèse où la cour d'appel viendrait à juger que Mme [O] [K] [P] née [T] n'est pas en droit de bénéficier du statut d'agent commercial :

A titre infiniment subsidiaire,

Dans l'hypothèse où la cour d'appel de Paris viendrait à juger que Mme [O] [K] [P] née [T] n'est pas en droit de bénéficier du statut d'agent commercial ni des dispositions de l'ancien article L442-6- 5° du code de commerce :

En toutes hypothèses,

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 2 mars 2023.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

Motifs

MOTIFS

Sur la demande de rejet des débats des nouvelles pièces

La société MHCS demande, dans le dispositif de ses conclusions, "d'écarter des débats les nouvelles pièces" produites par Mme [P].

Il sera rappelé qu'en application de l'article 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions.

Or il sera relevé que la société appelante n'a pas expressément visé, dans le dispositif de ses écritures, les pièces dont elle sollicite le rejet.

La demande présentée à ce titre est rejetée.

Sur la qualification du contrat

La société MHCS affirme que Mme [P] ne peut revendiquer le statut d'agent commercial alors qu'elle ne disposait ni du pouvoir de négociation des contrats de vente ni de celui de conclure des contrats en son nom et pour son compte. Elle fait ainsi valoir que Mme [P] devait se conformer aux tarifs et conditions de vente de sa mandante, qu'elle n'avait pas le pouvoir de l'engager, qu'elle devait solliciter des instructions particulières dans des affaires de grande importance. Elle ajoute qu'elle avait la liberté de refuser les "ordres" transmis par Mme [P] et qu'elle se chargeait de facturer les clients. Elle soutient ainsi que Mme [P] n'était qu'un simple intermédiaire de commerce qui se bornait à assurer la promotion des produits.

Mme [P] affirme que le contrat du 1er octobre 1990 est un contrat d'agent commercial. Elle se prévaut des mentions du contrat qui font expressément référence au statut de l'agent commercial ainsi que de la lettre de résiliation qui fait état du contrat d'agent commercial. Elle invoque également les conditions d'exécution du contrat. Elle explique avoir toujours exécuté son mandat d'agent commercial de manière indépendante, avoir assuré de manière permanente la représentation de la société MHCS et avoir eu le pouvoir de négocier et de conclure des contrats de vente au nom et pour le compte de la société MHCS. Elle précise avoir négocié des contrats de vente entre d'une part, des prospects privés, professionnels, négociants en vins et spiritueux, restaurateurs et d'autre part, la société MHCS. Elle indique que c'est par son entremise et grâce à sa prospection qu'elle a pu développer le chiffre d'affaires de la société MHCS sur son secteur. Elle ajoute qu'elle était inscrite au registre spécial des agents commerciaux auprès du registre du commerce et des sociétés du tribunal de commerce de Marseille.

Selon L. 134-1 du code de commerce, l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux. Il peut être une personne physique ou une personne morale.

Dans le cadre de l'opération de qualification du contrat, le juge ne doit pas tenir compte de la qualification donnée par les parties à leur relation mais rechercher, eu égard aux stipulations contractuelles comme aux modalités d'exécution du contrat, quel est le véritable statut de la personne qui se présente comme agent commercial.

Contrairement à ce que soutient la société MHCS, il importe peu que l'agent commercial ne conclue pas lui-même les contrats qu'il est chargé de négocier. En outre, la mission de négociation ne s'entend pas exclusivement du pouvoir de modifier les prix des produits ou services mais consiste à faire en sorte que l'offre du mandant reçoive une acceptation du client, ce qui peut être caractérisé par le démarchage de la clientèle, l'orientation de son choix en fonction de ses besoins, sa fidélisation par des actions commerciales ou encore la valorisation du produit.

En l'espèce, il convient tout d'abord de s'attacher aux stipulations contractuelles.

Il sera relevé que le contrat litigieux indique dans son article 1er intitulé "nature du contrat" que : "Le mandant accorde à l'agent, qui l'accepte, le mandat de vendre au nom et pour le compte du mandant, les produits fabriqués ou diffusés par ce dernier et désignés à l'article 3 du présent contrat.

Ce mandat d'intérêt commun, est régi par le décret du 23 décembre 1958 modifié, portant statut de la profession d'agent commercial."

L'article 4 du contrat intitulé "Secteur, clientèle" précise que : "Le secteur confié à l'agent et dans lequel le mandant possède déjà une clientèle est défini comme suit :

DEPARTEMENT des BOUCHES-du-RHONE

Dans le secteur ci-dessus défini, l'agent prospecte la clientèle commerciale suivante :

COMMERCE INDEPENDANT : AVITAILLEURS - GROSSISTES - CAFES - HOTELS - RESTAURANTS - DETAILLANTS - PARTICULIERS

COMMERCE ORGANISE : A ne visiter exclusivement qu'avec notre accord. Clientèle Particulière

Il est spécifié que la prospection de la clientèle particulière n'est pas délimitée. Chaque agent est libre de prendre des commandes dans cette clientèle en toute région, sous la seule réserve d'avoir à respecter les relations déjà acquises, soit par le mandant, soit par un autre agent.

(')

L'agent a le droit d'accepter de nouvelles représentations sans avoir à en référer au mandant et il conserve la faculté de se livrer à toutes autres activités pour son compte personnel.

Toutefois, après la signature du présent contrat, l'agent s'interdit de prendre de nouvelles représentations ou de s'intéresser directement à des maisons fabriquant ou vendant des articles similaires ou susceptibles de concurrencer les articles du mandant. Une telle attitude serait constitutive, de la part de l'agent, d'une faute grave et entrainerait la résiliation de plein droit du contrat, à ses torts exclusifs. L'agent s'engage à informer le mandant des modifications qui pourraient survenir dans la composition de son portefeuille de représentation.

En cas de rupture du contrat, qui ne serait pas du fait du mandant, l'agent s'interdit pendant les années suivant la cession de ses services, de s'intéresser directement ou indirectement à des maisons fabriquant ou vendant des articles similaires ou susceptibles de concurrencer les articles du mandant, sur le territoire ou les territoires par lui prospectés pendant les deux années précédant la fin de son contrat."

En outre, l'article 5 relatif aux conditions d'exercice du mandat stipule que :

"a) L'agent doit apporter tous les soins requis par la diligence professionnelle pour promouvoir les ventes des produits faisant l'objet du contrat, et pour entretenir des relations confiantes avec la clientèle de son secteur.

b) En sa qualité d'agent commercial mandataire, il jouit de la plus grande indépendance. ll ne lui est donné aucun ordre et il n'est soumis à aucun rapport périodique. Il prospecte à sa convenance la clientèle, effectue ses tournées comme il l'entend, tout en s'inspirant néanmoins des indications qui lui sont données par le mandant.

L'agent reste libre de son organisation de bureau, de comptabilité, de personnel. Il pourra en particulier se faire assister de vendeurs ou de représentants de commerce.

c) L'agent devra adresser au mandant les ordres notés dans la clientèle dans les plus brefs délais.

Il est expressément convenu que tous les ordres transmis seront destinés à des clients sur lesquels l'agent aura recueilli de bons renseignements et que ces ordres ne seront valables qu'après acceptation par le mandant.

Tout engagement personnel pris sans l'autorisation du mandant ne saurait engager ce dernier en aucun cas.

L'agent s'engage en outre à se conformer aux tarifs et conditions de vente du mandant. Il doit provoquer des instructions particulières pour les affaires de très grande importance.

d) L'agent devra s'occuper du règlement des litiges et des impayés dès que le mandant l'en aura avisé. Il tiendra ce dernier au courant du résultat de ses démarches.

En cas de retard dans le règlement des factures, il aura à entreprendre auprès des clients défaillants toutes démarches qu'il jugera utiles ou conformes aux directives qui lui seront données, et à fournir dans le plus bref délai, toutes précisions concernant leur crédit. "

L'article 6 ayant trait à la rémunération précise que :

"L'agent supporte la charge des frais de toute nature occasionnée par l'exercice de son mandat.

Le mandant se réserve seulement de faire, à ses frais, dans les limites et les conditions qu'il fixera, la publicité qui lui paraîtra utile pour appuyer l'action de l'agent.

En rémunération de ses services et pour couvrir ses frais de représentation, il est alloué à l'agent des commissions variant suivant qualité et quantité conformément au barème établi par le mandant et correspondant au prix de vente des vins au tarif général.

Ces commissions qui sont exclusives de toute autre indemnité à quelque titre que ce soit, sont fixées dans une annexe au présent contrat.

Toutes les affaires traitées à des conditions spéciales, c'est-à-dire différentes de celles prévues par le tarif général, devront faire l'objet d'un accord préalable entre le mandataire et la société, tant sur le prix de vente que sur la commission s'y rapportant.

Les commissions seront réglées sur toutes affaires chaque fin de mois. En cas d'impayé remis à un Service de Recouvrement, la commission sera reprise sur cette affaire et rendue au prorata des sommes nettes récupérées.

Les commissions ainsi définies seront allouées sur les affaires directes et indirectes traitées avec la clientèle suivie par l'agent dans le secteur désigné. Aucune commission n'est due en cas de non livraison pour quelque cause que ce soit."

Ensuite il y a lieu de rechercher les conditions effectives d'exercice du mandat.

Il résulte des pièces versées aux débats et notamment des nombreux mails et courriers que Mme [P] avait pour mission de prospecter, par des tournées, des échanges téléphoniques ou électroniques, une clientèle privée et professionnelle (négociants en vins et spiritueux, restaurateurs') en vue de leur vendre des vins de Champagne de la marque Ruinart dans le département des Bouches du Rhône, en les conseillant et en orientant leurs achats selon la politique commerciale et les objectifs définis par le mandant. Mme [P], par les documents versés aux débats (courriels, commandes, fiches d'objectifs'), démontre avoir, par ses actions, développé les ventes des produits dont elle assurait la représentation tout au long de son mandat passant ainsi de la vente de 57.500 bouteilles en 1997 pour le compte de son mandant à 176.254 bouteilles en 2013, l'année précédant la rupture.

Il ressort ainsi des stipulations contractuelles et des modalités d'exécution du contrat que Mme [P] avait une mission de représentation et négociation relevant du statut d'agence commerciale.

En conséquence, c'est à bon droit que les premiers juges ont qualifié le contrat litigieux de contrat d'agence commerciale. Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur l'existence d'une faute grave justifiant la résiliation du contrat

La société MHCS prétend que Mme [P] a commis plusieurs fautes graves justifiant la résiliation du contrat d'agence commercial à ses torts. Elle lui reproche ainsi un ton méprisant et de défiance à l'égard de ses préposés, et notamment de son directeur des ventes, M. [R] [S], lequel a nui à la qualité des relations et caractérise un manquement au devoir de loyauté. Elle lui fait encore grief d'avoir refusé d'appliquer ses consignes et sa politique commerciale (gestion des quotas, développement de la clientèle de prestige) entraînant la frustration de la clientèle et des plaintes de celle-ci et caractérisant encore un défaut de loyauté à son égard. Elle invoque encore un manquement à ses obligations contractuelles dans la gestion d'un client, la société BF Distribution, ayant entraîné un impayé de plus de 52.000 euros. Elle se prévaut enfin d'une violation de la clause de non-concurrence figurant au contrat en commercialisant des champagnes concurrents de marque Blin.

Mme [P] explique avoir travaillé pendant plus de 25 ans pour la société MHCS et obtenu d'excellents résultats commerciaux au profit de celle-ci. Elle indique que la crispation des relations avec son mandant est intervenue à la suite de l'arrivée d'un nouveau directeur des ventes, M. [S], qui a pratiqué une gestion sélective et aléatoire des commandes qui lui étaient adressées entrainant une grande insatisfaction de la clientèle. Elle dément avoir été avisée d'une allocation de bouteilles à ne pas dépasser en 2014 ni d'un nécessaire étalement dans le temps des commandes. Elle affirme encore que la priorisation de "clients stratégiques" par le nouveau directeur des ventes n'était pas précise puisqu'un client qui se plaignait et menaçait de porter plainte pour discrimination pouvait devenir stratégique et voir acceptée sa commande. Elle soutient, en ce qui concerne le client BF Distribution, qu'elle ne peut être tenue pour responsable de l'impayé. Elle ajoute que le chèque litigieux ne lui a été remis que le 24 septembre 2014 et qu'elle l'a adressé immédiatement à sa mandante. S'agissant de la violation de la clause de non-concurrence, Mme [P] invoque les stipulations contractuelles l'autorisant à commercialiser d'autres produits que ceux de la société MHCS.

L'article L. 134-12 du code de commerce, dont les dispositions sont d'ordre public, indique qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.

L'article L. 134-13 précise toutefois que la réparation prévue à l'article L. 134-12 n'est pas due lorsque la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial.

Par ailleurs, l'article L. 134-11 du code de commerce prévoit que lorsque le contrat d'agence est à durée indéterminée, chacune des parties peut y mettre fin moyennant un préavis. La durée du préavis est d'un mois pour la première année du contrat, de deux mois pour la deuxième année commencée, de trois mois par la troisième année commencée et les années suivantes.

Ces dispositions ne s'appliquent pas lorsque le contrat prend fin en raison d'une faute grave de l'une des parties ou de la survenance d'un cas de force majeure.

La faute justifiant la cessation du contrat d'agent commercial et exclusive de toute indemnité est celle qui porte atteinte à la finalité du mandat d'intérêt commun et rend impossible le maintien du lien contractuel.

Il appartient au mandant de démontrer l'existence d'une telle faute.

En vertu de l'article L. 134-4 du code de commerce, "Les contrats intervenus entre les agents commerciaux et leurs mandants sont conclus dans l'intérêt commun des parties.

Les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information.

L'agent commercial doit exécuter son mandat en bon professionnel ; le mandant doit mettre l'agent commercial en mesure d'exécuter son mandat."

En l'espèce, il ressort des fiches d'objectifs produites aux débats concernant les années 1997 à 2013 que Mme [P] recevait chaque année une fiche individuelle en sa qualité d'agent commercial lui rappelant les objectifs de vente de l'année précédente, les réalisations de l'année précédente et les objectifs annuels pour l'année en cours ainsi que le budget alloué pour l'aide à la vente. S'il apparaît que pour l'année 2000, une allocation a été définie pour le champagne "R" de Ruinart brut, avec la précision que cette allocation ne devait pas être dépassée, et que pour l'année 2012, des allocations ont été prévues par type de champagne, il convient de constater que pour les autres années, dont l'année 2014, il n'a été fait mention d'aucune allocation mais exclusivement d'objectifs de sorte que les objectifs définis constituaient un seuil de ventes à atteindre et non un plafond. En outre, dans les documents relatifs à une réunion des commerciaux de la société MHCS qui s'est tenue le 27 janvier 2014, il n'est fait mention d'aucune allocation pour l'année 2014, ni même de l'obligation d'étalement dans le temps des commandes ou encore de celle de privilégier une "clientèle stratégique".

Or il résulte des courriels, courriers et des écritures des parties que les relations se sont crispées entre Mme [P] et la société MHCS, concomitamment à l'arrivée d'un nouveau directeur des ventes, M. [S], en raison d'un changement de politique commerciale et notamment de refus répétés de la mandante d'accepter les commandes transmises par son agent à compter du mois de janvier 2014 sous prétexte de la nécessité de ne pas dépasser un encours maximum, de la réservation des stocks à "nos clients stratégiques" ou encore de la nécessité de respecter un "échelonnement des livraisons au maximum identique à l'année passée" ainsi que du mécontentement des clients induit par ce brusque changement de politique commerciale. Dans ses écritures, la société MHCS admet ainsi avoir été "contrainte de refuser pas moins de 700.000 euros de commandes" passées par Mme [P]. Elle ne saurait invoquer ses conditions générales de vente, qui ne sont au demeurant pas produites aux débats, pour justifier ces refus de vente ni l'article 5 c) du contrat de mandat prévoyant que les ordres passés par l'agent ne seront valables qu'après acceptation par le mandant sans pouvoir démontrer que de tels refus résultaient d'un problème de stocks ou d'une politique commerciale transparente et proportionnée. Il apparaît également que Mme [P] a sollicité à de nombreuses reprises la société MHCS pour expliquer aux clients ce changement de politique commerciale sans que cette dernière n'apporte d'éclairage précis sur sa nouvelle politique puisque, selon les cas, elle acceptait de revenir ou non sur son refus de vente initial, laissant ainsi son agent démuni pour expliquer aux clients une politique claire et le laissant affronter leurs critiques et récriminations.

En conséquence, la société MHCS ne saurait reprocher à son agent d'avoir employé à l'égard de ses préposés un ton vif et défensif ou encore d'avoir refusé d'appliquer une politique commerciale de quotas ou encore sélective sans que les critères n'aient été précisément définis pour l'ensemble de la clientèle ou pour une catégorie de clientèle le justifiant. Il ne peut pas davantage lui être reproché de ne pas avoir défendu à l'égard de la clientèle une politique commerciale manquant de transparence.

La société MHCS reproche par ailleurs à Mme [P] d'avoir manqué à ses obligations dans la gestion de la relation avec la société BF Distribution. Elle fait grief à son agent d'avoir conservé en sa possession un chèque de 180.107 euros correspondant à des factures impayées de cette société et de ne le lui avoir transmis que le 24 septembre alors qu'il s'est révélé dépourvu de provision.

Il est produit aux débats un ordre de Mme [P] daté du 15 septembre 2014 indiquant : "Le client nous a remis un chèque pour solder la ou les factures échues avec instruction de vous l'adresser seulement lorsqu'il aura reçu l'assurance de recevoir sous huitaine sa commande en marge ainsi que la pub demandée...Réponse par retour SVP".

Il n'est aucunement établi par la société MHCS qu'elle a donné pour instruction à Mme [P] de lui transmettre immédiatement le chèque.

Il n'est pas davantage prouvé que Mme [P] était informée de la situation financière difficile de la société BF Distribution et que l'encaissement du chèque à une date antérieure aurait permis son règlement.

La société MHCS soutient que Mme [P] a violé la clause de non-concurrence figurant au contrat de mandat en vendant des champagnes concurrents de marque Blin.

L'article 4 du contrat intitulé "Secteur, clientèle" précise que : "L'agent déclare qu'il représente actuellement les maisons et les produits suivants :

(')

(')

L'agent a le droit d'accepter de nouvelles représentations sans avoir à en référer au mandant et il conserve la faculté de se livrer à toutes autres activités pour son compte personnel.

Toutefois, après la signature du présent contrat, l'agent s'interdit de prendre de nouvelles représentations ou de s'intéresser directement à des maisons fabriquant ou vendant des articles similaires ou susceptibles de concurrencer les articles du mandant. Une telle attitude serait constitutive, de la part de l'agent, d'une faute grave et entrainerait la résiliation de plein droit du contrat, à ses torts exclusifs. L'agent s'engage à informer le mandant des modifications qui pourraient survenir dans la composition de son portefeuille de représentation."

Toutefois, la société MHCS à laquelle incombe la charge de la preuve de la violation contractuelle ne saurait démontrer la violation alléguée par la production d'un seul ordre concernant 84 bouteilles de "Blin brut" adressé le 21 juillet 2014 à la société Cherry Rocher alors que cette société a été déclarée au contrat de mandat comme étant déjà sa mandante. Contrairement à ce qu'affirme la société MHCS, Mme [P] ne reconnaît aucunement dans ses écritures avoir vendu des champagnes concurrents mais uniquement avoir vendu des champagnes, vins et spiritueux conformément aux représentations déclarées au contrat de mandat. La note d'information adressée par Mme [P] à sa clientèle au mois de mai 2015 ne prouve pas davantage la violation alléguée en cours d'exécution du mandat.

La violation de l'obligation de non-concurrence n'est donc pas établie.

C'est donc par une exacte application des articles L. 134-11 et L. 134-13 du code de commerce que les premiers juges ont constaté que le mandant ne prouvait pas l'existence d'une faute grave de son agent le privant des indemnités légalement prévues.

Sur la demande en paiement de l'indemnité de rupture

La société MHCS revendique l'infirmation du jugement ayant accordé une indemnité de rupture équivalente à 30 mois de commissions. Elle fait valoir à cet égard les fautes commises par Mme [P] dans l'exécution du mandat et la réorientation de son activité vers la représentation des champagnes Bollinger et Ayala, marques tout aussi prestigieuses que la marque Ruinart, dès le mois de mai 2015. Elle affirme que la dépendance économique dont Mme [P] se prévaut à son égard résulte de ses propres choix.

Mme [P] sollicite le versement d'une indemnité de rupture correspondant à trois années de commissions compte tenu de l'ancienneté du mandat (25 ans), de la segmentation très restreinte du secteur du champagne haut de gamme, de son âge au moment de la rupture du contrat (70 ans), de l'existence d'une clause de non-concurrence sans contrepartie financière, de la présence d'une clause d'exclusivité et de sa dépendance économique à l'égard du mandant.

L'article L. 134-12 du code de commerce, dont les dispositions sont d'ordre public, indique qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.

L'indemnité de rupture est destinée à réparer le préjudice subi par l'agent du fait de la perte pour l'avenir des revenus tirés de l'exploitation de la clientèle commune. Son quantum n'étant pas réglementé, il convient de fixer son montant en fonction des circonstances spécifiques de la cause.

En l'espèce, compte tenu de la durée importante de la mission d'agence commerciale qui a débuté en octobre 1990 (soit une durée de près de 25 années), de l'âge de l'agent au moment de la rupture (70 ans), de l'important travail de prospection accompli au cours du mandat ayant permis de multiplier par quatre le chiffre d'affaires initial, de la clause d'exclusivité prévue au contrat mais également de la réorientation rapide de l'activité de l'agent sur d'autres marques de Champagne haut de gamme et de l'absence de clause de non-concurrence en cas de cessation du contrat à l'initiative du mandant, l'indemnité de rupture sera fixée à 1.898.100 euros correspondant à 24 mois de commissions calculées sur les trois derniers exercices. Le jugement entrepris sera infirmé sur ce point.

Sur la demande en paiement de l'indemnité de préavis

L'article 7 du contrat de mandat prévoit un préavis de six mois de sorte que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a alloué à Mme [P] une somme de 474.525,07 euros à titre d'indemnité de préavis.

Sur la demande en paiement d'une indemnité pour rupture abusive

Mme [P] revendique le versement d'une indemnité spécifique pour rupture abusive et brutale du contrat en se prévalant des circonstances de la rupture intervenue après 25 ans d'activité, 10 jours avant les fêtes de Noël et ayant porté atteinte à sa réputation dans le monde très fermé du Champagne haut de gamme.

La société MHCS soutient avoir été contrainte de mettre un terme au contrat d'agence en urgence en raison des manquements contractuels reprochés à sa mandataire. Elle dénie tout préjudice moral ou de réputation compte tenu de la réorientation rapide de l'activité de Mme [P] vers d'autres marques de Champagne haut de gamme.

Mme [P] ayant rapidement trouvé de nouvelles représentations dans le même secteur ne saurait se prévaloir avoir subi un préjudice de réputation du fait de la rupture du mandat la liant à la société MHCS. Par ailleurs, elle ne saurait invoquer un préjudice lié à la brutalité de la rupture dès lors que ce chef de préjudice est réparé par l'allocation d'une indemnité de préavis. Enfin le fait que la rupture soit intervenue à quelques jours des fêtes de Noël dans un contexte de dégradation des relations perdurant depuis près de douze mois ne peut être à l'origine d'un préjudice moral.

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande d'indemnisation de ces chefs.

Sur les demandes en paiement des commissions

Sur le manque à gagner résultant des commandes refusées par le mandant

Mme [P] prétend avoir fait l'objet d'un traitement discriminatoire par rapport aux autres agents commerciaux de la société MHCS qui ont pu bénéficier d'objectifs de vente dont la progression par rapport à l'année précédente a été supérieure à celle qui lui a été accordée. Elle affirme que si elle avait pu bénéficier en 2014 de la même progression, elle aurait pu escompter vendre 180.435 bouteilles alors qu'elle n'a pu vendre que 163.030 bouteilles compte tenu des commandes qui lui ont été refusées par sa mandante en application d'une politique commerciale à la limite de la discrimination.

La société MHCS répond qu'elle était en droit de refuser les commandes de sa mandataire au vu de la politique commerciale qu'elle entendait mener. Elle invoque à cet égard l'article 5 c) du contrat de mandat.

L'article 5 c) du contrat de mandat prévoit que : "L'agent devra adresser au mandant les ordres notés dans la clientèle dans les plus brefs délais. Il est expressément convenu que tous les ordres transmis seront destinés à des clients sur lesquels l'agent aura recueilli de bons renseignements et que ces ordres ne seront valables qu'après acceptation par le mandant.

Tout engagement personnel pris sans l'autorisation du mandant ne saurait engager ce dernier en aucun cas."

Il résulte de ces stipulations que l'accord du mandant était nécessaire pour que la vente ait lieu et que le droit à commission soit acquis.

En l'absence d'accord du mandant quant aux offres transmises, Mme [P] ne peut se prévaloir d'aucun manque à gagner.

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande d'indemnisation sur ce point.

Sur les commissions dues au titre des factures payées avec retard

Mme [P] demande l'infirmation du jugement en ce qu'il a rejeté partiellement sa demande au titre des commissions dues au titre des factures payées avec retard pour lesquelles la société MHCS avait retenu indument la moitié du montant dû.

La société MHCS sollicite la confirmation du jugement qui avait exclu deux factures demeurées impayées.

La société MHCS justifie que les factures de la société Le Purple et de la société Col 1303 sont demeurées impayées à concurrence de 1.003,2 euros et de 2.401,99 euros de sorte que Mme [P] est mal fondée à revendiquer un droit à commission sur ces ventes.

Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

Sur les commissions dues au titre des commandes personnelles de Mme [P]

Mme [P] revendique un droit à commission sur des commandes personnelles effectuées. Elle explique que ces commandes étaient destinées à des dégustations auprès de clients ou encore à des cadeaux auprès de ses clients pour les fidéliser.

La société MHCS dénie le droit à commission pour de telles ventes à son agent en relevant que chaque agent se voyait attribuer des bouteilles gratuites destinées à de "l'aide à la vente".

L'article 6 du contrat de mandat prévoit que : "Les commissions ainsi définies seront allouées sur les affaires directes et indirectes traitées avec la clientèle suivie par l'agent dans le secteur désigné."

Ainsi le droit à commission de Mme [P] dépend de la réalisation de vente auprès de clients. Elle ne peut donc prétendre à une commission pour des ventes conclues à son profit.

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a fait droit à cette demande.

Sur la commission due au titre d'une facture du 8 juin 2011 du client France Boissons

Mme [P] sollicite le paiement de la somme de 3 937.45 euros TTC au titre de la commission due pour une vente réalisée directement par la Maison Ruinart dans les Bouches-du-Rhône à la société France Boissons. Pour étayer cette demande, elle produit une facture du 8 juin 2011 pour 480 bouteilles correspondant à la somme de 3 937.45 euros.

La société MHCS dénie le droit à commission sur cette vente en indiquant que Mme [P] ne démontre pas avoir été commissionnée sur les ventes directes au client France Boisson antérieurement au 8 juin 2011.

L'article 6 du contrat de mandat prévoit que : " Les commissions ainsi définies seront allouées sur les affaires directes et indirectes traitées avec la clientèle suivie par l'agent dans le secteur désigné. "

Dès lors qu'il est constant que le client France Boissons est situé dans le département des Bouches du Rhône, secteur confié à Mme [P], cette dernière a droit à commission quelle que soit la date de la vente.

En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a accueilli ce chef de demande.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

La société MHCS succombe principalement au litige. Les dispositions du jugement entrepris relatives aux dépens et aux frais irrépétibles seront confirmées. La société MHCS sera condamnée à supporter les dépens d'appel ainsi qu'à payer à Mme [P] une somme supplémentaire de 10.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile. Sa demande sur ce point sera rejetée.

Dispositif

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a condamné la société MHCS à payer à Mme [O] [K] [P] née [T] une somme de 2.372 625, 37 euros au titre de l'indemnité compensatrice de clientèle et une somme de 1 318,49 euros au titre des commissions dues pour les commandes effectuées par elle au titre des dégustations,

Statuant à nouveau de ces chefs,

Condamne la société MHCS à payer à Mme [O] [K] [P] née [T] la somme de 1.898.100 euros au titre de l'indemnité compensatrice de clientèle ;

Rejette la demande de Mme [O] [K] [P] née [T] en paiement d'une somme de 1 318,49 euros au titre des commissions dues pour les commandes effectuées par elle au titre des dégustations,

Y ajoutant,

Condamne la société MHCS à payer à Mme [O] [K] [P] née [T] une somme supplémentaire de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejette la demande de la société MHCS au titre des frais irrépétibles ;

Condamne la société MHCS aux dépens d'appel.