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Décisions

CA Agen, ch. civ., 12 février 2024, n° 23/00332

AGEN

Arrêt

Autre

CA Agen n° 23/00332

12 février 2024

ARRÊT DU

12 Février 2024

HL/AM

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N° RG 23/00332 -

N° Portalis DBVO-V-B7H-DDKF

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E.A.R.L. [Adresse 4]

C/

S.C.P. [L] [V] prise es-qualité de mandataire liquidateur de la SARL [Adresse 4]

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GROSSES le

aux avocats

ARRÊT n° 52-24

COUR D'APPEL D'AGEN

Chambre Civile

Section commerciale

LA COUR D'APPEL D'AGEN, 1ère chambre dans l'affaire,

ENTRE :

E.A.R.L. [Adresse 4] Prise en la personne de son représentant légal demeurant audit siège

Lieu- dit '[Adresse 4]'

[Localité 1]

Représentée par Me Marie-hélène THIZY, Postulante, avocate au barreau D'AGEN et par Me Patrick LAGASSE, Plaidant, avocat au barreau D'ALBI

APPELANTE d'un Jugement du Tribunal de Commerce d'AGEN en date du 18 Avril 2023, RG 2023001149

D'une part,

ET :

S.C.P. [L] [V] prise es-qualité de mandataire liquidateur de la SARL [Adresse 4]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Louis VIVIER,avocat au barreau D'AGEN

INTIMÉE

D'autre part,

COMPOSITION DE LA COUR :

l'affaire a été débattue et plaidée en audience publique le 20 Novembre 2023 devant la cour composée de :

Président : Marianne DOUCHEZ-BOUCARD, Présidente de chambre

Assesseurs : Valérie SCHMIDT, Conseiller

Hervé LECLAINCHE, Magistrat honoraire, qui a fait un rapport oral à l'audience

L'affaire a été communiquée au ministère public qui a fait connaître son avis par écrit.

Greffière : Lors des débats : Nathalie CAILHETON

Lors de la mise à disposition : [U] [D]

ARRÊT : prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile

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EXPOSE DU LITIGE

Par jugement du 17 novembre 2021, le tribunal de commerce d'Agen a admis la SARL [Adresse 4] au bénéfice d'une procédure de redressement judiciaire et a désigné Me [L] [V] pour exercer les fonctions de mandataire judiciaire.

Par jugement du 20 Avril 2022, le tribunal a ouvert la procédure de liquidation judiciaire de la SARL [Adresse 4] et a désigné Me [L] [V] en qualité de liquidateur.

Par acte d'Huissier du 27 janvier 2023, la SCP [L] [V], agissant ès qualités de mandataire judiciaire à la liquidation de la SARL [Adresse 4], a fait assigner l'Entreprise Agricole à Responsabilité Limitée (par abréviation EARL) [Adresse 4] aux fins de voir constater la confusion des patrimoines de la SARL [Adresse 4] et de l'EARL [Adresse 4] et prononcer en conséquence l'ouverture de la procédure de liquidation de l'EARL [Adresse 4], par extension de la procédure ouverte à l'encontre de la SARL [Adresse 4].

Par jugement du 18 avril 2023, le tribunal de commerce d'Agen a prononcé l'extension de la liquidation judiciaire de la SARL [Adresse 4] à l'EARL [Adresse 4], dit que les organes de la première procédure resteraient en fonction avec les mêmes missions, ordonné toutes les mesures prescrites par la loi en pareille matière et liquidé les dépens à la somme de 176,24 €.

Par déclaration du 21 avril 2023, l'EARL [Adresse 4], agissant par son représentant légal M. [J] [C], a relevé appel de ce jugement sur tous ces points.

L'avis de fixation du dossier à bref délai est du 10 mai 2023.

Par conclusions remises au greffe le 9 juin 2023, l'EARL [Adresse 4] demande à la Cour de :

- déclarer son appel recevable,

- infirmer le jugement déféré,

- juger que l'existence de flux financiers anormaux entre la SARL [Adresse 4] et l'EARL [Adresse 4] n'est pas démontrée,

- débouter Me [V] de sa demande,

- condamner Me [V] à lui verser la somme de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle expose que la SARL [Adresse 4] est une société commerciale ayant pour objet social le négoce de fruits et légumes et de céréales ; que M. [J] [C] en est l'associé unique et le gérant ; que l'EARL [Adresse 4] a pour objet social la mise en valeur et la culture de terrains agricoles ; que M. [J] [C] en est également l'associé unique et le gérant.

L'EARL [Adresse 4] ajoute que le bilan de SARL [Adresse 4], arrêté au 30 juin 2020, fait apparaître une créance de 242 776 € sur l'EARL [Adresse 4].

Elle soutient que c'est à tort que le liquidateur et le tribunal ont vu dans cette créance la preuve d'un flux financier anormal caractérisant la confusion des patrimoines au sens de l'article L.621-2 du code de commerce.

Elle fait valoir que M. [C], agissant en qualité de gérant de l'EARL [Adresse 4], a répondu au liquidateur par courrier du 22 Décembre 2022 que cette dette serait réglée au cours de l'année 2023.

Elle soutient que certains achats faits par la SARL [Adresse 4] ont été réglées par l'EARL [Adresse 4], à la suite d'une erreur du précédent comptable, le cabinet CER France ; que pour cette raison il est indiqué sur le bilan de l'année 2020, rectifié par le cabinet Castel, une dette de l'EARL d'un montant de 238 116 € ; que sur le bilan de 2021 la dette est ramenée, par le jeu des remboursements de l'EARL [Adresse 4] à la SARL [Adresse 4], à la somme de 59 071 € ; que le fait qu'une société ait réglé des marchandises livrées à une autre et que certaines marchandises commandées par une société aient été livrées à une autre ne caractérise pas un flux financier anormal.

Par conclusions remises au greffe le 3 juillet 2023, la SCP [L] [V] demande à la Cour de :

- débouter l'EARL [Adresse 4] de son appel,

- confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions,

- statuer ce que de droit sur les dépens.

Elle expose que le passif enregistré de la SARL [Adresse 4] s'élève à la somme de

579 648, 24 € que le dirigeant ne conteste que pour une somme globale de 8 781, 71 €.

Elle indique avoir demandé en vain, à deux reprises, à l'expert-comptable de la SARL [Adresse 4] d'expliquer la créance de 182 292 € sur l'EARL [Adresse 4], portée au bilan de la SARL [Adresse 4] clôturé au 30 juin 2019 ; que la dette de l'EARL [Adresse 4] est passée à la somme de 242 776 € dans le bilan arrêté au 30 juin 2020 ; que le comptable a souligné qu'il restait lui-même dans " l'incertitude sur les comptes, faute de réponses à [ses] questions ".

Elle indique avoir demandé à l'EARL [Adresse 4] de régler la somme de 182 292 € par courrier du 22 novembre 2022 ; avoir reçu pour toute réponse que le règlement ne pourrait intervenir qu'en 2023, sur la base d'un échelonnement.

Pour voir confirmer le jugement d'extension, elle soutient que cette situation révélait des flux financiers anormaux, étant relevé que les relations financières entre les deux sociétés n'étaient rattachées à aucune obligation contractuelle réciproque normale ou justifiée ; que cette situation traduisait l'existence d'un transfert de fonds sans contrepartie, par définition prohibée ; que ces indices concordants, renforcés par l'identité de dirigeant, caractérisent l'existence de relations financières anormales, constitutives d'une confusion des patrimoines.

Elle réplique que si l'EARL [Adresse 4] avait payé par erreur les fournisseurs de la SARL [Adresse 4], elle devrait se présenter comme créancière et non comme débitrice ; qu'aucun élément ne permet d'expliquer l'existence et les importantes variations de cette créance ; que l'examen du compte de l'EARL [Adresse 4] dans la comptabilité de la SARL [Adresse 4] révèle des paiements mensuels laissant penser que la SARL réglait sans contrepartie les créanciers de l'EARL alors que l'objet différent des sociétés exige une explication de ces mouvements, autre qu'un abus de biens sociaux.

Par conclusions du 12 septembre 2023, le ministère public requiert la confirmation du jugement attaqué aux motifs que le montant des paiements faits par la SARL [Adresse 4] au profit de l'EARL [Adresse 4] rend l'erreur invoquée peu crédible ; qu'il apparaît que le déficit de trésorerie de l'EARL [Adresse 4] a été comblé en faisant à la trésorerie de la SARL [Adresse 4] au détriment de cette dernière, à l'encontre de laquelle une procédure de liquidation judiciaire a dû être ouverte ; que les flux financiers constatés, à l'évidence volontaires et dénués de toute contrepartie et incompatibles avec la situation financière des entreprises concernées sont anormaux et caractérisent la confusion des patrimoines.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Aux termes de l'article L. 621-2 alinéa 2 du code de commerce, à la demande de l'administrateur, du mandataire judiciaire, du débiteur ou du ministère public, la procédure ouverte peut être étendue à une ou plusieurs autres personnes en cas de confusion de leur patrimoine avec celui du débiteur ou de fictivité de la personne morale.

Des flux financiers sans contrepartie et répétés pendant plusieurs années entre des sociétés dirigées et possédées par la même personne suffisent à caractériser la confusion des patrimoines et à justifier l'extension de la procédure.

Le bilan de la SARL [Adresse 4] arrêté au 30 juin 2019 fait apparaître une créance de 182 292 € sur l'EARL [Adresse 4]. Dans le bilan arrêté au 30 juin 2020, cette créance était passée à la somme de 242 776 €.

Par courriers des 14 décembre 2021 et 22 novembre 2022, le mandataire liquidateur a demandé au cabinet CER France chargé d'établir cette comptabilité d'expliquer ces écritures.

Le comptable n'a pu fournir aucune explication.

L'importance et la persistance de la créance excluent qu'elle soit due aux erreurs invoquées, lesquelles auraient d'ailleurs rendu l'EARL [Adresse 4] créditrice et non débitrice.

Aucune relation d'affaires n'est seulement alléguée entre ces deux sociétés dont l'objet social et l'activité sont différents et dont la même personne physique est l'unique dirigeant et associé.

Ces faits sont antérieurs à l'ouverture de la procédure collective, prononcée le 17 novembre 2021.

Ils justifient l'extension de la procédure de liquidation de la SARL [Adresse 4] à l'EARL [Adresse 4], prononcée par le jugement déféré, qui sera confirmé en toutes ses dispositions.

L'EARL [Adresse 4] sera condamnée aux dépens d'appel.

Sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile sera dès lors rejetée.

PAR CES MOTIFS :

La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, et en dernier ressort,

CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

y ajoutant,

DÉBOUTE l'EARL [Adresse 4] de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE l'EARL [Adresse 4] aux dépens d'appel.

Le présent arrêt a été signé par Marianne DOUCHEZ-BOUCARD, président, et par Sabrina NIETRZEBA, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière, La Présidente,