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Décisions

CA Rennes, 5e ch., 14 février 2024, n° 23/03300

RENNES

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

Enedis (SA)

Défendeur :

Balma (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Parent

Conseillers :

Mme Le Champion, Mme Hauet

Avocats :

Me Bourges, Me Jacob, Me Lhermitte, Me Darmon

CA Rennes n° 23/03300

13 février 2024

En vertu d'un acte sous seing privé en date du 30 juin 2017, la société Enedis est titulaire d'un bail commercial portant sur un ensemble immobilier situé à [Localité 4].

La société Balma, devenue le 6 juillet 2022 propriétaire de cet ensemble immobilier, vient aux droits et obligations du bailleur au titre du bail consenti en 2017 à la société Enedis.

Faisant valoir que l'immeuble loué est affecté par des défauts d'entretien et des désordres persistants entraînant d'importants troubles de jouissance et même certains risques pour la santé et la sécurité des personnes et des biens, la société Enedis a entendu dénoncer à la bailleresse ces défauts, qui selon elle, relèvent des obligations de délivrance et d'entretien auxquelles la bailleresse est tenue ainsi que de son obligation contractuelle d'assurer la maintenance technique de l'immeuble loué.

Diverses relances ont été effectuées et une mise en demeure a été adressée le 16 août 2022. Toutes ces démarches sont demeurées vaines.

Par exploit d'huissier en date du 28 mars 2023, la société Enedis a fait délivrer assignation à la SAS Balma à comparaître devant monsieur le président du tribunal de commerce de Quimper statuant en référé.

Par ordonnance de référé en date du 25 mai 2023, le juge des référés du tribunal de commerce de Quimper a :

  - déclaré son incompétence au profit du tribunal judiciaire de Quimper,

  - dit que conformément à l'article 82 du code de procédure civile, le dossier de l'affaire sera transmis à la juridiction compétente, par les soins du greffier après l'expiration du délai d'appel,

  - débouté la société Balma de sa demande faite en application des dispositions de 1'article 700 du code de procédure civile,

  - condamné la société Enedis aux entiers dépens qui comprennent notamment les frais de greffe, liquidés pour la présente ordonnance à la somme de 40,65 euros.

Le 9 juin 2023, la société Enedis a interjeté appel de cette décision.

Sur requête présentée le 12 juin 2023 par la société Enedis en vue d'être autorisée à assigner la société intimée à jour fixe, le président de la chambre, par ordonnance en date du 23 juin 2023, a autorisé la société Enedis à délivrer assignation pour l'audience du 13 décembre 2023 à 14 heures.

Il a été procédé à cette assignation par acte d'huissier du 3 juillet 2023.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 8 décembre 2023, la société Enedis demande à la cour de :

  - la déclarer recevable et bien fondée en son appel,

En conséquence,

  - infirmer l'ordonnance de référé du président du tribunal de commerce de Quimper du 25 mai 2023,

Et statuant de nouveau :

  - débouter la société Balma de l'exception d'incompétence par elle soulevée, comme étant infondée,

  - déclarer le juge des référés du tribunal de commerce de Quimper compétent pour statuer sur les demandes dont elle l'a saisi,

  - condamner la société Balma à lui verser une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

  - condamner la société Balma aux entiers dépens de la première instance et de l'instance d'appel, et autoriser la Selarl Luc Bourges, représentée par maître Luc Bourges, avocat au Barreau de Rennes, à en poursuivre le recouvrement conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions notifiées le 11 décembre 2023, la société Balma demande à la cour de :

  - confirmer l'ordonnance rendue par le tribunal de commerce de Quimper le 25 mai 2023,

  - condamner la société Enedis à lui verser, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 5 000 euros,

  - condamner la société Enedis aux entiers dépens de première instance et d'appel, et autoriser la SCP Gauvain Demidoff & Lhermitte, représentée par maître Bertrand Gauvain, avocat au Barreau de Rennes, à en poursuivre le recouvrement conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

  - sur la compétence

La société Enedis sollicite de la cour qu'elle déclare le juge des référés du tribunal de commerce de Quimper compétent pour connaître du litige en application des articles R 211-3-26 et R 211-4 du code de l'organisation judiciaire et L 721-1 et suivants du code de commerce.

Elle fait valoir que le litige ne porte pas sur le statut des baux commerciaux en application des articles L 145-1 à L 145-60 du code de commerce, mais sur des questions de droit commun, à savoir la réalisation de travaux d'entretien et de maintenance dans les lieux donnés à bail. Selon elle, l'article R 145-23 du code de commerce est inapplicable.

Elle fait observer que le bail liant les parties vise uniquement le tribunal du lieu de situation de l'immeuble et n'exclut donc pas la saisine du tribunal de commerce.

La société Balma conclut à la confirmation de l'ordonnance qui a fait droit à son exception d'incompétence.

Elle rappelle que le bail liant les parties est un bail commercial régi par le statut des baux commerciaux; selon elle, seul le tribunal judiciaire est compétent pour connaître du litige, conformément à l'article R 211-4 et R 211-3-16 du code de l'organisation judiciaire et l'article R 145-23 du code de commerce.

Elle ajoute que les obligations du bailleur sont inhérentes au bail et considère que tout litige y relatif relève de la compétence exclusive du tribunal judiciaire. Elle entend indiquer que si la jurisprudence retient une compétence matérielle du tribunal de commerce, cela ne peut être que pour les actions en paiement, ce qui n'est pas le cas de la présente instance.

Les parties sont liées par un bail commercial. La demande présentée par le preneur le 28 mars 2023 porte sur une demande de condamnation du bailleur à faire des travaux, à mettre en oeuvre un plan d'action pour remédier à la présence de plomb dans le réseau d'eau potable, et une demande tendant à être autorisé à suspendre le paiement des loyers ou à défaut à les consigner.

Les dispositions nouvelles du code de l'organisation judiciaire, relatives à la compétence matérielle des juridictions, issues du décret n° 2019-912 du 30 août 2019, entré en vigueur le 1er janvier 2020 sont applicables.

L'article L721-3 du code de commerce dispose que les tribunaux de commerce connaissent notamment des contestations relatives aux engagements entre commerçants et celles relatives aux sociétés commerciales.

En application de l''article R 145-23 du code de commerce, le tribunal judiciaire est compétent pour les contestations relatives aux baux commerciaux autres que celles relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé.

L'article R 211-3-26 11°du code de l'organisation judiciaire dispose que le

tribunal judiciaire a compétence exclusive en matière de baux commerciaux à l'exception des contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé, de baux professionnels et de conventions d'occupation précaire en matière commerciale.

L'article R. 211-4 2° du code de l'organisation judiciaire dans sa version issue du décret n° 2019-912 du 30 août 2019 dispose que les tribunaux judiciaires spécialement désignés connaissent seuls des actions relatives aux baux commerciaux fondées sur les articles L 145-1 à L145-60 du code de

commerce.

Il résulte de la combinaison de ces textes que la compétence exclusive des tribunaux judiciaires en matière de bail commercial ne s'entend que des seuls litiges fondés sur le statut des baux commerciaux et non ceux fondés sur le droit commun des obligations, étant précisé que l'article R 211-4 2° dans sa nouvelle rédaction consacre ainsi la jurisprudence déjà dégagée par la cour de cassation (3ème civ. 11 avril 2019 n° 18-16061).

L'action engagée en l'espèce devant le juge des référés du tribunal de commerce de Quimper est un litige entre deux sociétés commerciales et les demandes formées portent sur des travaux relevant de l'obligation de délivrance et d'entretien de la bailleresse résultant du bail liant les parties. Ces contestations ne relèvent d'aucune règle propre au statut des baux commerciaux et sont donc de la compétence de la juridiction consulaire. Dès lors, le présent litige devait être tranché par le juge des référés du tribunal de commerce.

La cour infirme l'ordonnance qui fait droit à l'exception d'incompétence et renvoie l'affaire devant le juge des référés du tribunal de commerce de Quimper.

  - sur les frais irrépétibles et les dépens

Les dispositions de l'ordonnance sur ce point sont infirmées uniquement en ce qu'elles condamnent la société Enedis aux dépens. Il est fait application en cause d'appel, des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la celle-ci à hauteur de 1 000 euros, somme qui sera mise à la charge de la société Balma, laquelle succombe en son appel et supportera les dépens d'appel, distraits au profit de la Selarl Luc Bourges, représentée par maître Luc Bourges, avocat au Barreau de Rennes en application de l'article 699 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et par mise à disposition au greffe :

Infirme l'ordonnance déférée sauf en ce qu'elle déboute la société Balma se sa demande faite en application de l'article 700 du code de procédure civile;

Statuant à nouveau,

Déclare le juge des référés du tribunal de commerce de Quimper compétent pour statuer sur le présent litige et renvoie l'affaire devant ce tribunal pour que la procédure s'y poursuive ;

Y ajoutant,

Condamne la société Balma à payer à la société Enedis la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Balma aux dépens d'appel, distraits au profit de la Selarl Luc Bourges, représentée par maître Luc Bourges, avocat au Barreau de Rennes.