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Décisions

CA Orléans, ch. com., 8 février 2024, n° 21/01294

ORLÉANS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

SCI Joue Pierre (SCI)

Défendeur :

Locaposte (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Chegaray

Conseillers :

Mme Chenot, M. Desforges

Avocats :

Me Laval, Me Luciani, Me Blacher, Me Denizot

TJ Tours, du 6 avril 2021

6 avril 2021

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE :

Par acte notarié du 15 septembre 2008, la SCI Joué Pierre a donné à bail commercial à la SAS Locaposte des locaux en l'état futur d'achèvement à usage exclusif de locaux commerciaux pour l'exercice des activités du groupe La Poste, situés [Adresse 9] à [Localité 11], pour une durée de 9 années à compter de la date d'entrée en jouissance qui a été effective le 15 octobre 2009, moyennant un loyer annuel hors taxes et hors charges de 186.705 euros. Il a été convenu d'une indexation annuelle du loyer en fonction des variations de l'indice INSEE du coût de la construction,

l'indice de base étant celui du 1er trimestre 2008, soit 1 497.

Des échanges ont eu lieu entre les parties à l'approche de l'échéance du bail, aux mois de février et mars 2018 sur les modalités de renouvellement du bail, sur la portée desquels les parties ne s'accordent pas.

Par acte extra judiciaire du 13 avril 2018, la SCI Joué Pierre a fait delivrer à la SAS Locaposte un congé avec offre de renouvellement du bail moyennant un loyer annuel en principal de 210643 euros, 'correspondant au montant du loyer actuel indexé sur la base de la moyenne des derniers indices du coût de la construction (à savoir 1er et 2ème trimestres 2017), soit une indexation de +2,36 % par rapport au loyer actuel', une indexation annuelle du loyer sur l'indice des loyers commerciaux et une franchise de 35 000 euros HT- HC au titre de la facturation du loyer du 4ème trimestre 2018.

Par courrier recommandé avec accusé de réception du 24 mai 2018, la SAS Locaposte a accepté la proposition de renouvellement du bail dans son principe mais pas dans son montant, estimant que le prix du loyer proposé était supérieur aux valeurs de marché pratiquées sur le secteur et ne correspondait pas à l'attractivité de la zone.

Par acte du 24 janvier 2019, la SAS Locaposte a fait assigner devant le juge des loyers commerciaux la SCI Joué Pierre aux fins de voir fixer le loyer du bail renouvelé au prix de 65.000 euros en fonction de la valeur locative, juger que le loyer trop payé par le locataire portera intérêt au taux légal à compter de la date d'effet du nouveau loyer, avec capitalisation, subsidiairement désigner un expert et fixer un loyer provisionnel de 65.000 euros HT, outre une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 9 août 2019, le juge des loyers commerciaux s'est declaré incompétent au profit du tribunal de grande instance de Tours en raison d'une contestation relative à la portée d'un accord sur le montant du loyer.

Par jugement du 6 avril 2021, le tribunal judiciaire de Tours, a :

  - dit et jugé qu'aucun accord n'est intervenu entre les parties concernant d'une part le montant du loyer et d'autre part sur les modalités d'indexation,

  - déclaré en conséquence recevable la demande en fixation judiciaire du loyer à la valeur locative,

  - ordonné pour ce faire une expertise judiciaire à l'effet de donner un avis sur la valeur locative à la date du 15 octobre 2018 de l'immeuble sis [Adresse 9] à [Localité 11] cadastré section AI n°[Cadastre 6] et ce, conformément aux dispositions des articles L.145-33 et suivants du code de commerce,

  - désigné pour ce faire, M. [E] [N], [Adresse 8], portable [XXXXXXXX01], mel: [Courriel 10], expert inscrit sur la liste établie par la cour d'appel d'Orléans, avec mission de :

1) convoquer les parties dans le respect des textes en vigueur,

2) se faire communiquer par les parties tous documents utiles,

si le cas le justifie, procéder selon la méthode du pré-rapport afin de provoquer les dires écrits des parties dans tel délai de rigueur déterminé de manière raisonnable et y répondre avec précision,

  - désigné le juge de la mise en état comme étant chargé du contrôle des opérations d'expertise,

  - dit que l'expert devra tenir informé ce magistrat de l'exécution de sa mission et de toute difficulté qu'il pourrait rencontrer pour l'accomplir et qu'il devra déposer son rapport dans les quatre mois de sa saisine,

  - subordonné l'exécution de l'expertise au versement à la regie du tribunal de ce siège par la SAS Locaposte d'une consignation de 2 000 euros dans les deux mois de la délivrance de la copie de la présente décision, étant entendu que la charge définitive en incombera, sauf transaction, à la partie condamnée aux dépens ou que désignera spécialement le tribunal en fin d'instance,

  - dit qu'à défaut de consignation dans le délai ci-dessus, la désignation de l'expert sera caduque de plein droit en vertu de l'article 271 du code de procédure civile, sauf à la partie à laquelle incombe cette consignation à obtenir du juge chargé du contrôle de l'expertise la prorogation dudit délai ou un relevé de la caducité,

  - dit qu'en cas d'insuffisance de la provision initialement fixée, il appartiendra à l'expert commis de nous saisir par voie de requête motivée d'une demande de consignation complémentaire , qu'il devra détailler ses frais et honoraires prévisibles et il appartiendra aux parties de faire parvenir leurs observations, dans un délai d'un mois, directement au juge chargé du contrôle de l'expertise (tribunal judiciaire de Tours, [Adresse 3]) au vu desquelles il sera statué,

  - dit que, dans sa lettre au juge chargé du contrôle de l'expertise, l'expert mentionnera l'envoi à toutes les parties de sa note de frais et honoraires prévisibles,

  - disons qu'en cas d'empêchement de l'expert commis, il sera pourvu à son remplacement sur simple ordonnance sur requête,

  - réservé les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

  - ordonné l'exécution provisoire de la présente décision,

  - fixé à la somme de 95 155 euros HT et hors charge le loyer annuel qui sera versé par le locataire, la SAS Locaposte, à la SCI Joué Pierre à compter du 15 octobre 2018 et ce, jusqu'à la fin de la procédure définitive de fixation du loyer,

  - renvoyé l'examen de l'affaire à l'audience de mise en état dématerialisée immédiatement consécutive au dépôt du rapport,

  - réservé les dépens.

Suivant déclaration du 26 avril 2021, la SCI Joué Pierre a interjeté appel de l'ensemble des chefs expressément énoncés de ce jugement.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 18 septembre 2023, la SCI Joué Pierre demande à la cour de :

Vu les dispositions des articles L.145-33 et suivants du code de commerce et des articles 1113 et suivants du code civil,

Vu les faits,

  - réformer en totalité le jugement du tribunal judiciaire de Tours en date du 6 avril 2021,

Statuant à nouveau,

1. Au principal,

  - constater que la SCI Joué Pierre et la société Locaposte se sont définitivement accordées sur l'application d'un loyer de renouvellement du bail commercial les liant, égal à 206 660 euros hors taxes et hors charges pour la première année, le bailleur accordant à titre exceptionnel une remise de 35.000 euros imputable sur la première année de loyer,

  - juger que les conditions du bail renouvelé ont pris effet à compter de l'échéance initiale du bail d'origine, soit le 15 octobre 2018,

2. Subsidiairement,

  - juger que par application des articles L.145-33 et suivants du code de commerce, le loyer de renouvellement du bail doit être fixé à compter du 15 octobre 2018 à sa valeur locative, soit 206660 euros HT et hors charges par an,

3. Très subsidiairement, si la juridiction de céans s'estimait insuffisamment informée pour procéder à la fixation de la valeur locative dans le cadre du renouvellement du bail :

  - confirmer la désignation de l'expert ressortant du tribunal judiciaire de Tours du 6 avril 2021

mais fixer le loyer provisionnel auquel le preneur sera tenu à compter du 15 octobre 2018 et, jusqu'au terme de la procédure en fixation du loyer, à la somme, non de 95155 euros mais de 206660 euros hors taxes et hors charges par an, à tout le moins à la somme de 167 000 euros HT / HC par an,

4. En tout état de cause,

  - condamner la société Locaposte au paiement d'une somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

  - condamner la société Locaposte aux entiers dépens.

Par ordonnance du 6 janvier 2022, le président de chambre chargé de la mise en état a:

Vu les articles 908, 909 et 911 du code de procédure civile,

  - déclaré irrecevables les conclusions déposées par la société Locaposte le 6 décembre 2021,

  - déclaré la société Locaposte irrecevable à déposer désormais des écritures.

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie aux écritures de l'appelante pour un plus ample exposé des faits et moyens développés au soutien de ses prétentions.

Les conclusions de la société Locaposte ayant été déclarées irrecevables, celle-ci est réputée ne pas avoir conclu et s'être appropriée les motifs du jugement entrepris en vertu de l'article 954 alinéa 6 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 21 septembre 2023.

MOTIFS :

Sur l'accord des parties :

Il est constant qu'à défaut de convention contraire, le renouvellement du bail commercial s'opère aux clauses et conditions du bail venu à expiration, sauf le pouvoir reconnu au juge en matière de fixation du prix du loyer.

Les parties peuvent également s'accorder elles-mêmes, et hors de toute intervention du juge, tant sur le prix du nouveau bail que sur une modification des clauses et conditions du bail. Les juges apprécient souverainement la volonté des parties.

En l'espèce, il ressort d'un courriel du 19 février 2018 à 10 h 26 de M. [Z] [R] de la société Poste Immo, présidente de la SAS Locaposte, qu'à la suite d'une réunion du 14 février 2018 avec le représentant du bailleur, M. [U] [V], celui-ci a 'formulé les offres suivantes :

  - proposition 1 : bail ferme 10 ans = nouveau loyer fixé au loyer initial soit 186 705 euros HT HC/an ;

  - proposition 2 : bail ferme 6 ans = nouveau loyer fixé à 195 000 euros HT HC/an ;

  - proposition 3 : bail 3/6/9 = annulation de la prochaine indexation soit un loyer maintenu à 205787 euros HT HC/an. Cette proposition s'applique pour 2018 uniquement. En 2019 et les années suivantes, le loyer sera de nouveau impacté par le jeu de l'indexation ;

  - proposition 4 : avenant qui acte le renouvellement en bail 3/6/9 pour effet au 15 octobre 2018 avec maintien du loyer actuel indexé, assortie d'une franchise de loyer de 2 mois pour un montant arrondi à 35 000 euros HT HC sera appliquée sur la facture de loyer du T4 2018. Cette proposition devra être formalisée au 31 mars 2018 au plus tard.

Sauf avis contraire de votre part, je soumettrai ces 4 offres à la direction du Courrier pour un retour estimé fin février/début mars'.

Par courriel du même jour à 10 h 31, M. [V], gérant de la SCI Joué Pierre, a répondu à M. [R] : 'je vous confirme par le présent mail mon accord sur ces différentes propositions'.

Par courriel du 19 mars 2018 adressé à M. [V], M. [R] a indiqué : 'J'ai le plaisir de vous confirmer l'accord de la Direction du Courrier à donner une suite favorable à la proposition n° 4.

Comme convenu, nous formaliserons un nouveau bail commercial 3/6/9 que je vous soumettrai dans le courant de cette semaine'.

La société Locaposte a rédigé un projet de bail soumis au bailleur, lequel ne reprend pas toutes les conditions du bail en cours autres que le loyer, comme il est d'usage dans le cadre d'un renouvellement, ce dont ce dernier s'est ému, précisant qu'en cas de difficultés il se verrait dans l'obligation de donner congé avec offre de renouvellement dans les termes ayant requis l'accord des parties.

La SCI [Localité 11] soutient à titre principal qu'un accord relatif au montant du loyer du bail renouvelé a été trouvé entre les parties, lequel est destiné à s'appliquer, conformément à l'article 1113 du code civil aux termes duquel 'le contrat est formé par la rencontre d'une offre et d'une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s'engager. Cette volonté peut résulter d'une déclaration ou d'un comportement non équivoque'.

Il résulte des échanges intervenus entre les parties aux mois de février et mars 2018 que celles-ci se sont accordées par écrit sur la proposition 4, à savoir un renouvellement du bail en 3/6/9 (durée conforme à l'article 4-3 du bail antérieur) à effet du 15 octobre 2018 (date d'expiration du bail antérieur), avec maintien du loyer actuel indexé.

Le montant exact du loyer est déterminable puisqu'il correspond au loyer plafonné visé par l'article L.145-34 du code de commerce, soit le loyer d'origine au 15 octobre 2009 x indice INSEE (en l'espèce du coût de la construction prévu au bail) des premiers trimestres 2017 dernièrement parus début 2018 / indice de base du 1er trimestre 2008 mentionné au bail, étant précisé d'une part que le loyer actuel indexé ou le loyer d'origine indexé sont les mêmes dès lors que le loyer a été régulièrement indexé tous les ans, seule la période de variation n'étant pas la même dans chacun des cas, soit une variation sur un an pour le loyer actuel ou sur neuf ans pour le loyer d'origine-, d'autre part que la proposition 4 fait bien état d'un loyer actuel indexé, à la différence des propositions 1 et 2 qui ne prévoient pas d'indexation et de la proposition 3 qui supprime expressément l'indexation pour la première année, de sorte qu'il ne pouvait aucunement s'agir du loyer en cours. Il en résulte un loyer annuel en principal de 206 660 euros après rectification d'une erreur matérielle figurant dans le congé avec offre de renouvellement du bailleur.

Contrairement à ce qu'ont pu considérer les premiers juges, l'accord des parties sur le montant du loyer n'était pas soumis à la condition de la signature d'un nouveau bail, seulement envisagée afin d'entériner par écrit l'accord des parties sur le prix du bail renouvelé et de pouvoir bénéficier d'un acte instrumentaire à jour. En aucun cas, l'absence de formalisation par écrit d'un nouveau bail ne saurait attester d'un désaccord des parties dont la commune intention s'est exprimée dès le 19 mars 2018 par l'acceptation par la société Locaposte de la proposition 4 de la SCI Joué Pierre.

La délivrance postérieure par le bailleur d'un congé avec offre de renouvellement ne peut non plus être utilement excipée, dès lors que le projet de bail renouvelé rédigé par le preneur comportait la modification de clauses contractuelles non comprises dans l'accord, alors que le renouvellement d'un bail commercial ne donne lieu à discussion que sur le montant du loyer, toutes les autres clauses étant reprises à l'identique, sauf accord contraire exprès des parties, la SCI Joué Pierre ayant d'ailleurs indiqué que ce congé n'avait été délivré que pour préserver ses droits.

Enfin, l'indice INSEE du coût de la construction n'étant plus usité à la suite d'une évolution législative de 2014, la divergence entre les parties sur l'indice à appliquer à l'avenir au cours du bail renouvelé, indice des loyers commerciaux (ILC) pour l'une, indice des loyers des activités tertiaires (ILAT) pour l'autre, ne peut toutefois remettre en cause l'accord des parties sur le montant du loyer tel que déterminé plus haut.

En conséquence, par infirmation du jugement entrepris, il convient de constater l'accord des parties sur le renouvellement du bail à compter du 15 octobre 2018, moyennant un loyer annuel de 206 660 euros hors taxes et hors charges, les autres clauses et conditions du bail venu à expiration demeurant inchangées, la SCI Joué Pierre accordant à titre exceptionnel une remise de loyer de 35 000 euros imputable sur la première année de loyer.

Par voie de conséquence, il n'y a pas lieu à fixation par le juge du loyer du bail renouvelé.

Sur les demandes accessoires :

La société Locaposte, qui succombe, supportera la charge des dépens de première instance et d'appel et sera condamnée à verser à la SCI Joué Pierre la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement du 6 avril 2021 du tribunal judiciaire de Tours en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Constate que la SCI Joué Pierre et la SAS Locaposte se sont accordées sur le renouvellement du bail les liant en bail 3/6/9 à compter du 15 octobre 2018, moyennant un loyer annuel de 206 660 euros hors taxes et hors charges, les autres clauses et conditions du bail venu à expiration demeurant inchangées, la SCI Joué Pierre accordant à titre exceptionnel une remise de loyer de 35 000 euros imputable sur la première année de loyer,

Dit en conséquence n'y avoir lieu à fixation par le juge du loyer du bail renouvelé,

Y ajoutant,

Condamne la SAS Locaposte aux dépens de première instance et d'appel,

Condamne la SAS Locaposte à verser à la SCI [Localité 11] la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Arrêt signé par Madame Carole CHEGARAY, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS, présidant la collégialité et Madame Marie-Claude DONNAT, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.