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Décisions

CA Paris, Pôle 5 - ch. 3, 8 février 2024, n° 20/17395

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

La Tonnelle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Recoules

Conseillers :

Mme Leroy, Mme Girousse

Avocats :

Me Bouzerand, Me Baquet

TJ Bobigny, ch. 5 sect. 1, du 14 oct. 20…

14 octobre 2020

FAITS ET PROCÉDURE

Par acte authentique du 13 mars 1989, Monsieur [H] [T] [Z] a acquis un fonds de commerce avec droit au bail pour un commerce d'alimentation générale situé [Adresse 1] dont la commune précitée est la propriétaire depuis le 4 octobre 2012. Le bail commercial cédé initial du 7 juin 1979 a été renouvelé le 10 février 1989 moyennant un loyer annuel de 21 974,70 francs (3 350 €).

Par acte d'huissier du 3 juin 2015, la commune de [Localité 3] a fait délivrer au locataire un congé pour le 31 décembre 2015 avec refus de renouvellement du bail et offre de paiement d'une indemnité d'éviction.

Par acte d'huissier en date du 29 avril 2016, la bailleresse a fait assigner le locataire devant le tribunal de grande instance de Bobigny aux fins principales de voir déclarer valable le congé délivré par elle et voir fixer une indemnité éviction et d'occupation. Par une décision avant dire droit du 31 mai 2017, le tribunal a ordonné une expertise. Le rapport de l'expert a été déposé le 20 juin 2019.

Par jugement du 14 octobre 2020, le tribunal judiciaire de Bobigny a :

  - constaté que le bail liant les parties a pris fin le 31 décembre 2015, par l'effet du refus de renouvellement par le bailleur, avec offre d'indemnité d'éviction, signifié par acte du 3 juin 2015 ;

  - dit que Monsieur [H] [Z] a droit à une indemnité d'éviction correspondant à la perte de son fonds de commerce ;

  - fixé à 28 600 euros le montant de l'indemnité d'éviction due par la commune de [Localité 3] à Monsieur [H] [Z] ;

  - fixé le montant de l'indemnité d'occupation due par Monsieur [H] [Z] à la commune de [Localité 3] à la somme de 4 696 euros par an à compter du 1°' janvier 2016 et jusqu'à complète restitution des lieux, révisable chaque année selon l'indice ILC ;

  - débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

  - condamné la commune de [Localité 3] à verser à Monsieur [H] [Z] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

  - condamné la commune de [Localité 3] aux dépens en ce compris les frais d'expertise.

Par déclaration du 1er décembre 2020, Monsieur [Z] a interjeté appel partiel du jugement.

MOYENS ET PRÉTENTIONS

Par conclusions déposées le 3 septembre 2023, Monsieur [Z], appelant, demande à la Cour de :

  - infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Bobigny du 14 octobre 2020 en ce qu'il a :

  - condamné la commune de [Localité 3] à lui verser la somme de 28.600 euros au titre de l'indemnité d'éviction ;

  - condamné Monsieur [Z] à verser à la commune de [Localité 3] une indemnité annuelle d'occupation de 4.696 euros à compter du 1er janvier 2016;

  - condamné la commune à verser la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Et statuant à nouveau,

  - condamner la commune de [Localité 3] à verser à Monsieur [H] [Z] une indemnité d'éviction correspondant à la somme totale de 46.600 euros ;

  - fixer l'indemnité d'occupation du local commercial situé [Adresse 1] à la somme de 2.935 euros par an HT ;

  - condamner la commune de [Localité 3] à lui verser la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 ;

Et confirmer les autres chefs de jugement.

Par conclusions déposées le 16 mars 2021, la commune de [Localité 3], intimée, demande à la Cour de :

  - déclarer la commune de [Localité 3], recevable et bien fondée en ses demandes ;

En conséquence,

  - débouter Monsieur [H] [Z] de toutes ses demandes formulées en appel ;

  - confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 14 octobre 2020 par le tribunal judiciaire de Bobigny ;

  - condamner Monsieur [H] [Z] aux dépens d'appel et à la somme de 2 500 euros au bailleur, au titre de 1'article 700 du code de procédure civile.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions ci-dessus visées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties.

MOTIFS DE L'ARRET

Selon l'article L. 145-14 du code de commerce, le refus de renouvellement signifié par le bailleur met fin au bail mais ouvre droit, sauf exception, au profit du locataire à une indemnité d'éviction qui comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.

Les conséquences de l'éviction s'apprécient in concreto au regard de la possibilité pour le locataire de conserver son fonds de commerce sans perte de clientèle importante, auquel cas l'indemnisation prend la forme d'une indemnité de transfert, ou de la perte du fonds de commerce, auquel cas l'indemnisation prend la forme d'une indemnité de remplacement.

En l'espèce, par l'effet du congé délivré le 3 juin 2015, le bail liant les parties a pris fin le 31 décembre 2015, ouvrant droit pour le preneur au paiement d'une indemnité d'éviction, dont le principe n'est pas discuté. Les parties approuvent le jugement déféré en ce qu'il a suivi les conclusions de l'expert selon lesquelles le refus de renouvellement entrainera la disparition du fonds de commerce de sorte que l'indemnité d'éviction est une indemnité de remplacement de ce fonds.

Les parties acceptent le montant de l'indemnité principale fixé à 25.000 € par le jugement déféré, conformément à la proposition de l'expert calculée sur la base des chiffres d'affaires réalisés.

S'agissant des indemnités accessoires, les parties acceptent le montant de 2.500 € au titre de l'indemnité de remploi et celui 1.100 € au titre du trouble commercial proposés par l'expert et retenus par le jugement déféré. En revanche, M. [Z] conteste le jugement déféré en ce qu'il n'a pas retenu la somme de 1.000 € proposée par l'expert au titre des frais administratifs divers et ni celle de 17.000 € proposée par l'expert au titre des frais de réinstallation.

Sur les frais administratifs divers

Selon l'article L. 145-14 précité l'indemnité d'éviction doit être égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement. C'est donc au preneur de démontrer le préjudice dont il sollicite la réparation.

L'expert a proposé une somme de 1.000 € sous l'intitulé 'frais divers' soit selon lui le 'temps passé pour formalités administratives, résiliations abonnements'. M. [Z] demande que ce montant lui soit alloué au titre des troubles et tracas causés par le déménagement du fonds notamment le suivi téléphonique et postal.

Le temps passé pour les formalités administratives pris en compte par l'expert pour cette indemnité de frais administratifs est déjà réparé par l'indemnité pour trouble commercial. En effet, l'indemnité pour trouble commercial a pour objet de réparer le préjudice causé par la perturbation dans l'exploitation du fonds due au non renouvellement du bail qui génère une perte de revenus, notamment en raison du temps perdu pour la gestion de l'éviction et la recherche de nouveaux locaux. Il est fréquent de fixer l'indemnité pour trouble commercial en fonction de l'excédent brut d'exploitation (EBE) des trois dernières années. En l'espèce, l'expert ne s'est pas référé à l'EBE des trois dernières années connues (2015:3.101, 2016:4.085 et 2017 :0 déficitaire). De façon plus favorable, il a évalué le trouble commercial à trois mois d'EBE de l'année 2016, soit 1.100 €. Il n'est pas démontré que la perte de revenus résultant du temps passé du fait de l'éviction au détriment de l'activité excéderait ce montant.

Le jugement déféré a débouté M. [Z] de sa demande sur ce point au motif qu'il ne justifie pas de la réalité des frais divers dont il fait état. En appel, M. [Z] ne rapporte toujours pas la preuve dont il a la charge, notamment en produisant des devis relatifs aux frais administratifs auxquels il devrait faire face du fait de l'éviction et dont l'existence est contestée. En conséquence, sa demande sera rejetée.

Sur l'indemnité de réinstallation

L'expert a proposé à ce titre, pour les 'travaux de réaménagement et de mise aux normes des nouveaux locaux' afin de permettre au locataire de redémarrer son activité dans de bonnes conditions et compte tenu de l'état des locaux délaissés, une somme de 17.000 € en appliquant un prix de base de 800 €/m2 pour la boutique et arrière boutique avec un abattement de 60 % pour vétusté en précisant qu'il n'existe pas d'immobilisations non amorties fiscalement.

M. [Z] reproche au jugement déféré d'avoir rejeté sa demande en faisant notamment valoir que la commune de [Localité 3] n'a pas rapporté la preuve, dont elle a la charge, de l'absence de réinstallation du preneur; qu'au regard du volume des éléments, notamment frigorifiques, à déménager il aura des frais importants; qu'il n'est pas en mesure de produire des devis.

La commune de [Localité 3] fait valoir que la volonté de se réinstaller de M. [Z], âgé de 65 ans, n'est pas démontrée et que ce dernier ne justifie pas des éventuelles dépenses nécessaires à sa réinstallation.

Le bailleur est tenu au paiement d'une indemnité permettant au locataire évincé de se réinstaller, sauf s'il démontre que le préjudice est moindre. Cette démonstration n'est pas faite lorsque le bailleur se contente d'affirmer qu'au regard de son âge le locataire ne se réinstallera.

L'article L. 145-14 précité prévoit la prise en considération des frais de réinstallation sans distinguer selon qu'il y ait une perte du fonds ou la possibilité de déplacer celui-ci sans perte importante de clientèle. Il convient cependant de prendre en compte que dans l'hypothèse de la perte du fonds, l'indemnité principale correspond à la valeur marchande du fonds perdu y compris les éléments corporels, de sorte que M. [Z] n'est pas fondé à solliciter la prise en compte du déménagement de ses éléments d'équipements.

Les frais de réinstallation sont ceux que supporte le locataire évincé pour mettre en place dans ses nouveaux locaux des aménagements semblables à ceux qu'il perd qui ne sont pas déjà pris en compte dans la valeur du fonds de remplacement . Ils ne sont dus que s'il est démontré que le preneur doit faire face a des frais d'installations spécifiques ou qu'il a dû supporter des frais d'installation non amortis.

Comme le relève l'expert, au regard de la durée d'exploitation des locaux les installations ont été amorties. De plus, ainsi que le relève le jugement, il s'agit d'un fonds de commerce classique pouvant être agencé dans un autre local sans particularité autre que d'être exploitable dans le cadre d'une activité d'alimentation générale. Or, malgré les termes du jugement déféré, le preneur ne justifie toujours pas des frais d'installations auquel il devra faire face après l'acquisition d'un fonds de remplacement.

La demande de M. [Z] au titre des frais de réinstallation sera donc rejetée.

Il ressort de l'ensemble de ces éléments qu'il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a fixé à 28.600 € le montant de l'indemnité d'éviction et de rejeter les demandes de M. [Z] sur ce point.

Sur l'indemnité d'occupation

En application de l'article L. 145-28 du code de commerce, le locataire évincé qui se maintient dans les lieux est redevable jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction d'une indemnité d'occupation calculée d'après la valeur locative, tout en corrigeant cette dernière de tous éléments d'appréciation.

L'expert a estimé la valeur locative à 5.870 € auquel il propose d'appliquer un abattement pour précarité de 10 ou 20 %. Le jugement déféré a retenu un abattement de précarité de 20 % et fixé cette indemnité à 4.969 €, montant approuvé par la bailleresse.

Le locataire ne conteste pas la valeur locative retenue mais demande d'y appliquer un abattement de précarité de 50 %. Il souligne que les locaux ont perdu une grande partie de leur commercialité en raison de la fermeture des boutiques voisines dont les ouvertures sont obturées et du défaut d'entretien de l'ensemble, victime d'incivilités, de graffiti et de dégradations affectant l'activité commerciale.

Pour fixer la valeur locative, l'expert relève notamment que les locaux dépendent d'un petit immeuble situé à l'angle de deux voies de circulation automobile dense dans un secteur à dominante pavillonnaire où les commerces sont peu nombreux, que les trois autres boutiques dépendant de l'immeuble sont inoccupées depuis 2012, cet immeuble racheté par la ville de [Localité 3] en raison d'un projet d'urbanisme étant voué à la démolition. C'est ainsi qu'en considération des prix pratiqués dans le voisinage, de l'emplacement à l'écart du centre ville dans un secteur peu animé sur le plan commercial, de l'impacte négatif sur la commercialité de la fermeture depuis 2012 des trois autres boutiques de l'immeuble, des caractéristiques de l'immeuble non entretenu et voué à la démolition, de la surface des locaux et de leur valeur d'utilisation, l'expert a estimé la valeur locative sur la base de 100€/M2 P soit pour 57 m2 pondérés, outre 3 % pour la terrasse attenante, il a proposé une valeur de 5.870 €.

Les photographies annexées au constat d'huissier du 13 mars 2023 produit par l'appelante révèle un état extérieur des locaux comparable à celui résultant des photographies annexées au rapport d'expertise. Les défauts d'entretien des revêtements et peinture à l'intérieur des locaux loués depuis près de 40 années relevés par ce constat ne caractérisent pas l'existence d'une précarité résultant de la délivrance du congé en cause.

Il apparaît donc que dans la fixation de la valeur locative des locaux l'expert a pris en compte les conséquences du projet de démolition et qui ne constituent pas un élément de précarité résultant du congé, de sorte qu'il n'y a pas lieu de les prendre à nouveau en compte dans l'abattement de précarité.

Cependant ce contexte a eu pour effet d'agraver la précarité dans la jouissance des locaux résultant du congé, c'est pourquoi le jugement déféré a retenu à juste titre un important abattement de précarité de 20 % soit près du double de celui généralement appliqué.

Il convient, en conséquence, de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a fixé l'indemnité d'occupation à 4.696 € par an à compter du 1er janvier 2016, révisable annuellement selon l'ILC et de rejeter les demandesde M. [Z] sur ce point.

Sur les autres demandes

Il convient de confirmer le jugement déféré en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles.

M. [Z] qui succombe en son appel sera condamné aux dépens ainsi qu'à payer à la commune de [Localité 3] une somme de 1.500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel. Sa demande fondée sur ce texte sera rejetée.

Les autres demandes seront rejetées.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, après débats contradictoire, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort ;

Confirme le jugement rendu le 14 octobre 2020 par le tribunal judiciaire de Bobigny (RG 16/5851) en toutes ses dispositions,

Déboute M. [H] [T] [Z] de l'ensemble de ses demandes,

Condamne M. [H] [T] [Z] à payer à à la commune de [Localité 3] une somme de 1.500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel,

Rejette la demande de la commune de [Localité 3] formée en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel,

Rejette les autres demandes,

Condamne M. [H] [T] [Z] aux dépens de la procédure d'appel.