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Décisions

CA Douai, premier président, 12 février 2024, n° 23/00746

DOUAI

Ordonnance

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Stokke France (SAS)

Défendeur :

DGCCRF

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Château

Avocats :

Me Laforce, Me Idri

TJ Lille, JLD, du 23 janv. 2023

23 janvier 2023

EXPOSE DE LA CAUSE

La SAS Stokke immatriculée au registre du commerce et des sociétés d'Aix en Provence suite au transfert de son siège social le 11 juillet 2022, au [Adresse 5] à [Localité 10]. Elle est un fabricant de meubles et accessoires pour enfants.

Le 20 janvier 2023, le ministre de l'économie a adressé à M. [M] [I], directeur régional adjoint de la direction de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DREETS) des Hauts-de-France une demande d'enquête tendant à établir l'existence de pratiques anti-concurrentielles prohibées par les articles L420-1 du code de commerce et 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne susceptibles d'être mises en oeuvre dans le secteur des articles de puériculture.

Par requête du 20 janvier 2023, M. [I] a saisi le juge des libertés du tribunal judiciaire de Lille afin qu'il autorise les enquêteurs habilités par les articles L. 450-1, A. 450-1 et A. 450-2 du code de commerce à procéder aux visites et saisies dans les locaux des entreprises suivantes :

* Columbus trading-partners GMBH & CO. KG, établissement secondaire et unique sur le territoire national français, [Adresse 13] ;

mais aussi

* Stokke France, siège social [Adresse 6] ;

* Babyzen distribution, siège social [Adresse 6] ;

* Outlander, siège social [Adresse 2] ;

* domicile de Mme [E] [C] [Y], situé [Adresse 1], country manager France chez Stokke Babyzen ;

* Aubert France, siège social [Adresse 7] ;

* Neworch, enseigne Orchestra, siège social [Adresse 23] ;

* France maternité enseigne BEBE9, siège social [Adresse 9] ;

* Vert Baudet, siège social [Adresse 3] ;

Il exposait notamment que :

- le 5 juin 2019, un ancien salarié de la société Columbus, employé au sein de l'établissement français de cette dernière, a saisi les services de la DGCCRF et a souhaité signaler une infraction ou un manquement, en indiquant qu'il lui était reproché de ne pas appeler ses clients pour leur faire remonter les prix de ventes et que le directeur France demandait de bloquer les livraisons des clients qui ne respectaient pas les prix de vente définis par lui-même et la direction en Allemagne ; il confirmait ses propos lors de son audition du 25 juin 2019 par la DGCCRF, précisant que M. [H], directeur général France de Cybex, demandait à ses commerciaux, suite à des difficultés multiples au sujet des prix avec les enseignes Aubert, Bébé9, Autour de bébé et Babylux de « faire remonter les prix à une date fixe pour que tout le monde remonte en même temps et avec ordre de menacer le client de rupture de livraison en cas de refus de remonter le prix »; un système visant au strict respect des consignes tarifaires avait été mis en place par la création de groupes sur le réseau de communication Whatsapp des téléphones des équipes commerciales du fournisseur ;

- ces allégations ont été confirmées par des revendeurs de la marque Cybex et notamment le 3 mars 2022 par la représentante de Babyboo France, le 9 mars 2022 par la représentante de la société Inter-praticien indépendante qui exploite le magasin à enseigne Bébécash [Localité 19], le 7 avril 2022 par le représentant du groupe LDLC, qui exploite les magasins à l'enseigne « l'armoire de bébé », le 23 septembre 2022 par deux représentants de la société Natal développement, qui exploite six magasins sous l'enseigne Natal Market à [Localité 19] et [Localité 16], et qui ont produit des SMS échangés les 27 novembre 2019, 23 juin 2022 et 15 septembre 2022 avec Colombus à ce sujet;

- les déclarations recueillies en 2022 par les enquêteurs de la DGCCRF auprès de revendeurs de produits Babyzen et Stokke font état de pratiques similaires à savoir un contrôle strict des prix chez les revendeurs afin qu'ils respectent les prix de référence et ce par les biais des commerciaux, les produits de la société Stokke étant commercialisés en France par la société Stokke France et ceux de la société Babyzen par la société Babyzen Distribution, les sociétés du groupe Babyzen, dont Babyzen Distribution ayant intégré le groupe Stokke en décembre 2021, le groupe Stokke ayant mis fin aux contrats de distribution avec les revendeurs connus pour déroger à la politique d'uniformisation des prix de vente ;

- l'analyse comparative des relevés de prix opérés par les agents de la DGCCRF le 28 octobre 2022 sur des produits de marque cybex, stokke, babyzen, sur les sites internet de 22 revendeurs sur une centaine de produits et modèles fait apparaître les mêmes prix de vente à un euro prêt;

Par ordonnance du 23 janvier 2023, le juge des libertés de Lille a :

- autorisé M. [M] [I] à procéder ou à faire procéder, dans les locaux des entreprises suivantes, aux visites et aux saisies prévues par les dispositions de l'article L. 450-4 du code de commerce afin de rechercher la preuve des agissements qui entrent dans le champ des pratiques prohibées par l'article L. 420-1 du code de commerce et 101 du traité fondateur de l'Union Européenne (ci-après TFUE) dans le secteur des articles de puériculture, ainsi que toute manifestation de ces comportements prohibés :

* Columbus trading-partners GMBH 1 CO. KG, établissement secondaire et unique sur le territoire national français, [Adresse 13] ;

* Stokke France, siège social [Adresse 6] ;

* Babyzen distribution, siège social [Adresse 4] ;

* Outlander, siège social [Adresse 2] ;

* domicile de Mme [E] [C] [Y], situé [Adresse 1] ;

* Aubert France, siège social [Adresse 7] ;

* Neworch, enseigne Orchestra, siège social [Adresse 23] ;

* France Maternité enseigne BEBE9, siège social [Adresse 9] ;

* Vert Baudet, siège social [Adresse 3] ;

- autorisé par ailleurs ces mêmes opérations dans les locaux des entreprises des mêmes groupes qui seraient situés aux mêmes adresses ;

- lui a laissé le soin de désigner parmi les enquêteurs habilités par les articles L. 450-1, A. 450-1 et A. 450-2 du code de commerce, ceux placés sous son autorité pour effectuer les visites et saisies autorisées ;

- constaté le concours à lui apporter en tant que de besoin du chef du pôle concurrence, consommation, répression des fraudes et métrologie de la Direction régionale et interdépartementale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DRIEETS) d''Ile-de-France, des chefs de pôle concurrence, consommation, répression des fraudes et métrologie de la Direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DREETS) d'Auvergne-Rhône-Alpes, du Centre-Val-de-Loire, de Normandie, de Nouvelle-Aquitaine, de Bourgogne-Franche-Comté, de Grand-Est, de Bretagne, de Corse, d'Occitanie, des Pays-de-la-Loire, de Provence-Alpes-Côte d'Azur, de la directrice de la Direction départementale de la protection des populations (DDPP) d'Indre-et-Loire et de la cheffe du Service national des enquêtes de la DGCCRF, qui désigneront, parmi les agents mentionnés aux articles L. 450-1, A. 450-1 et A. 450-2 du code de commerce placés sous leur autorité, ceux chargés d'effectuer les visites et saisies autorisées ;

- indiqué que pour assister aux opérations de visite et de saisie et le tenir informé de leur déroulement, les chefs de service ci-après nommeront les officiers de police territorialement compétents qui pourront agir de concert ou séparément :

* commissaire de police [X] [W], chef du commissariat de police de [Localité 14] ;

* major [P] [L], commandant de brigade adjoint à [Localité 18] ;

* [G] [A], commissaire de police, chef de la sûreté urbaine d'[Localité 10] ;

* commandante [K] [T], cheffe de la brigade mobile de recherche zonale Nord ;

* capitaine [J] [R], commandant de la brigade de [Localité 17] ;

* capitaine [B] [U], compagnie de [Localité 21]-[Localité 15] commandant de compagnie de gendarmerie départementale adjoint ;

* [S] [N], commissaire divisionnaire, chef de la division Ouest de [Localité 12] ;

- dit que les occupants des lieux ou leurs représentants peuvent faire appel à un conseil de leur choix sans que cela n'entraîne la suspension des opérations de visite et de saisie ;

- indiqué que les entreprises visées par la présente ordonnance peuvent à compter de la date de l'opération de visite et de saisie dans les locaux consulter la requête et les documents susvisés au greffe de notre juridiction ;

- indiqué que les entreprises visées par l'ordonnance peuvent en application de l'article L. 450-4 sixième alinéa du code de commerce interjeter appel de celle-ci devant le premier président de la cour d'appel de Douai suivant les règles prévues par le code de procédure pénale, que cet appel est formé par déclaration au greffe du tribunal judiciaire de Lille dans un délai de 10 jours à compter de la notification de l'ordonnance ; que l'appel n'est pas suspensif ; que l'ordonnance du premier président de la cour d'appel est susceptible d'un pourvoi en cassation selon les règles prévues par le code de procédure pénale ; que les pièces saisies sont conservées jusqu'à ce qu'une décision soit devenue définitive ;

- indiqué qu'en application du dernier alinéa de l'article L. 450-4 du code de commerce, le déroulement des opérations de visite et saisie peut faire l'objet d'un recours devant le premier président de la cour d'appel de Douai, suivant les règles prévues par le code de procédure pénale ; que ce recours est formalisé par déclaration au greffe du tribunal judiciaire de Lille dans un délai de 10 jours à compter de la remise du procès-verbal de visite et saisie ; que le recours n'est pas suspensif ; que l'ordonnance du premier président de la cour d'appel est susceptible de pourvoi en cassation selon les règles du code de procédure pénale ; que les pièces sont conservées jusqu'à ce qu'une décision soit devenue définitive ;

- dit que l'ordonnance sera caduque si les opérations de visite et de saisie ne sont pas effectuées avant le 2 mai 2023.

Les opérations de visite et saisies se sont déroulées le 2 février 2023 au siège social de la SAS [Adresse 22] à [Localité 10].

Par déclaration au greffe du tribunal judiciaire de Lille de Maître Laforce, avocat au barreau de Douai, en date du 10 février 2023, la SAS Stokke France a interjeté appel de cette ordonnance.

A l'audience du 16 octobre 2023 à laquelle cette affaire a été appelée et retenue,

La SAS Stokke France représentée par Maître Malik Idri avocat plaidant, demande à la présente juridiction au visa des articles 6 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, des articles L 450-3 et L450-4 du code de commerce de :

- constater que l'objet de l'ordonnance prise par le juge des libertés et de la détention de Lille a un objet trop général et imprécis,

- constater que le juge des libertés et de la détention de Lille n'a pas démontré sans son ordonnance l'existence d'indices de pratiques anticoncurrentielles susceptibles de présumer la participation de Stokke à une entente dans le secteur des articles de puériculture,

- constater que le recours à des opérations de visites et saisies sur le fondement de l'article L 450-4 du code de commerce au siège social de la société Stokke France et au domicile de Mme [E] [C] [Y] était disproportionné,

- constater que le juge des libertés et de la détention de Lille n'a pas contrôlé de manière effective le bien fondé de la requête présentée par la DREETS,

En conséquence,

- annuler l'ordonnance rendue le 23 janvier 2023 par le juge des libertés et de la détention près le tribunal judiciaire de Lille,

- par conséquent, annuler tous les actes d'enquête subséquents et notamment les opérations de visites et de saisies qui ont eu lieu le 2 et 3 février 2023 dans ses locaux et le 2 février 2023 au domicile personnel personnel de Mme [E] [C] [Y],

- ordonner la restitution de l'ensemble des documents saisis et de leurs éventuelles copies dans un délai de 10 jours à compter de « l'arrêt » rendu par Monsieur le président,

- ordonner la suppression de toute référence aux pièces litigieuses et en interdire toute utilisation ou exploitation subséquente.

La DGCCRF représentée par M. [M] [I], substitué à l'audience par Mme [Z] [F], munie d'un pouvoir, demande à la présente juridiction de :

- dire et juger mal fondé l'appel formé par la SAS Stokke France à l'encontre de l'ordonnance,

- débouter la SAS Stokke France de toutes ses demandes,

- confirmer la validité de l'ordonnance du 23 janvier 2023,

- condamner en conséquence la SAS Stokke France aux entiers dépens.

Les moyens développés par Mme [E] [C] [Y] et par la DGCCRF à l'appui de leurs demandes seront repris dans le cadre de la motivation de la présente décision.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1. Sur le caractère trop général et imprécis du champ de l'autorisation

Rappelant que les opérations de visites et saisies autorisées à l'article L 450-4 du code de commerce constituent des mesures d'enquêtes exceptionnelles dès lors qu'elles portent atteinte au principe d'inviolabilité du domicile protégé par l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la SAS Stokke France reproche au juge des libertés de Lille le caractère trop général et imprécis de son autorisation donnée à l'administration à procéder ou faire procéder à des opérations de visite et saisie afin de rechercher les agissements qui entrent dans le champ des pratiques prohibées par l'article L 420-1 du code de commerce et 101 du TFUE dans le secteur de la puériculture, alors qu'une telle autorisation ne peut être donnée que lorsqu'une pratique précise est soupçonnée sur la base d'éléments concrets, qui n'existent pas en l'espèce, l'administration s'étant contentée d'affirmer que les pratiques constatées chez Colombus seraient transposables d'un réseau de distribution à un autre et a obtenu que le champ d'enquête soit artificiellement étendu à la recherche de preuves d'une entente horizontale alors qu'il n'existe aucun élément matériel permettant de fonder une présomption suffisante à l'égard de la société Stokke France.

L'administration considère quant à elle que l'ordonnance détermine le champ de recherches de façon suffisamment précise, que la détermination du champ de l'enquête est parfaitement justifiée et que l'ordonnance est dûment motivée concernant l'autorisation des visites des locaux de Stokke France.

Sur ce,

Si l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dispose que toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance, la DGCCRF fait justement observer que l'article 8-2 de cette même convention précise qu'il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.

Or, il résulte de l'article L 450-4 du code de commerce dans sa version en vigueur issue à l'article 2 de l'ordonnance n°2021-649 du 26 mai 2021, qui n'est nullement contraire à ces dispositions, que :

« Les agents mentionnés à l'article L. 450-1 ne peuvent procéder aux visites en tous lieux ainsi qu'à la saisie de documents et de tout support d'information que dans le cadre d'enquêtes demandées par la Commission européenne, le ministre chargé de l'économie ou le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence sur proposition du rapporteur, sur autorisation judiciaire donnée par ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire dans le ressort duquel sont situés les lieux à visiter. Ils peuvent également, dans les mêmes conditions, procéder à la pose de scellés sur tous locaux commerciaux, documents et supports d'information dans la limite de la durée de la visite de ces locaux. Lorsque ces lieux sont situés dans le ressort de plusieurs juridictions et qu'une action simultanée doit être menée dans chacun d'eux, une ordonnance unique peut être délivrée par l'un des juges des libertés et de la détention compétents.

Le juge vérifie que la demande d'autorisation qui lui est soumise est fondée ; cette demande doit comporter tous les éléments d'information en possession du demandeur de nature à justifier la visite. Lorsque la visite vise à permettre la constatation d'infractions aux dispositions du livre IV du présent code en train de se commettre, la demande d'autorisation peut ne comporter que les indices permettant de présumer, en l'espèce, l'existence des pratiques dont la preuve est recherchée. »

La SAS Stokke relève elle-même que les motifs de l'ordonnance précisent que les agissements tels que décrits ci-dessus peuvent s'analyser comme un ensemble de pratiques permettant de présumer une entente entre chaque fournisseur visé et les revendeurs de leurs réseaux de distribution respectifs, pratiques prohibées par les articles L 420-1 du code de commerce et 101 du TFUE. La pertinence de ces éléments sera examinée dans le paragraphe suivant.

Il est donc cohérent que dans le dispositif de son ordonnance, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Lille autorise l'administration à procéder ou faire procéder à des opérations de visite et saisie afin de rechercher des agissements qui entrent dans le champ des pratiques prohibées par l'article L 420-1 du code de commerce et 101 du TFUE, le champ de l'autorisation n'étant ni vague, ni imprécis au regard de la motivation.

Ce premier moyen relatif à l'imprécision et au caractère général de l'autorisation ne sera pas en conséquence retenu.

2. Sur l'absence d'élément suffisants permettant de présumer un comportement anti-concurrentiel de Stokke

La SAS Stokke fait valoir que :

- les prix de vente recommandés qu'elle communique à ses distributeurs, comme l'ensemble des fournisseurs est parfaitement licite au sens du droit de la concurrence et ne permet nullement de présumer une pratique de prix imposés ;

- contrairement à ce que l'ordonnance soutient, il ne peut être conclu à partir des déclarations de deux revendeurs LDLC et Babyboo que la SAS Stokke pratique des prix imposés ;

- contrairement à ce que l'ordonnance soutient, la SAS Stokke n'a pas mis fin à ses relations commerciales avec Babylux et la fin des relations commerciales avec la société Sauvel Natal n'est pas une mesure de rétorsion au non respect par cette société des directives tarifaires, mais s'explique par le non-respect des critères qualificatifs du point de vente, aux retards de paiement et à un indice COFACE de risque lié à la solvabilité très élevé ;

- la similitude des prix pratiqués par 17 revendeurs des produits de marque Stokke relevés par l'administration dans son étude de prix comparative s'explique par la politique des revendeurs qui décident de ne pas réduire leurs tarifs publics en raison de considérations liées à leurs marges, alors même que les produits Stokke connaissent une forte demande sur le marché ;

- l'exclusion par deux revendeurs Orchestra et Aubert de produits Stokke de leur programme de fidélité s'explique par le fait que ces deux revendeurs n'ont pas besoin de proposer des promotions sur les produits Stokke pour maintenir leurs marges ;

- la présomption de contacts entre fournisseurs n'est nullement étayée ;

Elle en conclut que ce sont les interprétations erronées et partiales par l'administration d'éléments recueillis qui ont permis au juge de retenir la théorie d'une entente anti-concurrentielle, alors qu'il n'existait aucun indice sérieux et suffisants relatif aux pratiques suspectées.

L'administration rappelle que s'il est exact que le juge doit effectuer un contrôle concret du sérieux et de la pertinence des indices qui lui sont présentés, il convient de préciser qu'au stade de la requête, il n'est pas exigé de preuves de pratiques anti-concurrentiels mais uniquement de simples présomptions, que pour apprécier la pertinence des éléments qui lui sont soumis, le juge doit se fonder sur la caractérisation d'un faisceau de présomptions et qu'il n'est pas nécessaire que l'ensemble des éléments relevés implique toutes les sociétés visées dans la requête.

L'évocation de la diffusion régulière de prix de vente recommandés par la SAS Stokke au sein de son réseau de revendeurs est un élément recevable, dès lors que cet élément doit s'apprécier avec les autres éléments produits à savoir les relevés de prix opérés par l'administration et les déclarations des revendeurs.

Ces déclarations ne sont pas au nombre de deux, mais de quatre, l'appelant ayant omis les déclarations de Babyboo et Natal Développement et concourent avec les autres éléments à établir une présomption de discipline tarifaire au sein du réseau des revendeurs de chez Stokke.

Les indices exposés dans la requête et repris dans l'ordonnance pouvaient valablement étayer la présomption de politique d'exclusion de Natal Développement et de Sauvel Natal et de Babylux, qui ne distribue plus de produits Stokke.

Il est constant que l'étude de prix comparative que l'administration a réalisée fait apparaître des prix de revente très homogènes au sein du réseau de distribution des produits Stokke, cette homogénéité n'étant pas logique alors que le réseau est composé de revendeurs indépendants.

L'exclusion des programmes de fidélité de certains produits Stokke vient renforcer la présomption d'ingérence de la société Stokke au sein des politiques commerciales des membres de son réseau de distribution.

S'agissant des contacts entre fournisseurs, le fait que la société Stokke ne figure pas parmi les sociétés citées relativement aux agissements d'entente horizontale n'empêche pas de l'inclure dans l'autorisation de visite et saisie dès lors qu'elle apparaît impliquée dans l'un des agissements frauduleux suspectés.

Sur ce,

La société Stokke fait observer que si l'ordonnance indique en page 7, paragraphe 3 que le revendeur Babyboo France a révélé que les prix étaient imposés, c'était chez Babyzen et non chez Stokke. Toutefois, il est constant que les actions de Babyzen ont été acquises par le groupe Stokke fin 2021 (cf annexe 53 de la requête) de sorte que cette déclaration est un élément recevable à l'appui de la demande d'autorisation de visite et saisie dans les locaux de la société Stokke France, qui a d'ailleurs son siège au même endroit que la société Babyzen.

La société Stokke fait valoir qu'elle est légitime à communiquer un tarif avec mention des prix recommandés, ce qui est parfaitement licite et que l'administration ne peut en conclure que cette pratique consisterait aussi à veiller respect des prix recommandés. Toutefois, si cette communication de tarifs n'est pas en soi interdite, elle est un élément important si au lieu de le prendre isolément, on le rattache aux déclarations de revendeurs de produits de la marque Stokke.

A cet égard, l'administration fait à juste titre que ce ne sont pas seulement les revendeurs LDLC et Babyboo qui se sont expliqués sur leurs relations avec la SAS Stokke France, mais aussi Natal Développement et Orchestra.

Si la société Stokke conclut de l'audition de Mme [D] responsable de l'armoire de bébé et de M. [V] acheteur au sein du groupe LDLC en date du 7 avril 2022, consacrée sur la totalité de la page 2 aux relations avec le groupe Stokke, qu'il n'y a pas de mise en place par cette société de pratique de prix imposés, il est intéressant de noter que ce revendeur explique qu'il respecte les prix de vente recommandés pour maintenir sa marge, que la majorité des revendeurs pratique les prix conseillés, et qu'il y a très peu de guerre des prix sur ce fournisseur, ce qui peut amener à se questionner sur les raisons de ce fait.

La société Stokke reconnaît que le revendeur Babyboo France a déclaré que le fournisseur Stokke impose ses prix sur toutes les gammes, sans toutefois étayer ce grief, mais il convient de préciser que cette affirmation 'toutes les autres marques nous imposent leur prix cibex sur la gamme Platinium et Stokke sur tous leurs produits', venait après une présentation très détaillée du mode de fonctionnement de Babyzen et le fait que Babyboo France fasse surtout état de la politique d'exposition de ses produits imposés par Stokke ne permet pas de remettre en cause l'affirmation précédente sur les prix.

La responsable du secteur puériculture du magasin OMD Orchestra de [Localité 20], indique elle aussi, après avoir détaillé les pratiques de prix imposés par la société Babyzen, notamment sur la poussette Yoyo, avec risque de ne plus pouvoir distribuer le produit en cas de non respect du prix imposé, que cette politique est également celle du fournisseur Stokke.

Enfin dans leur audition du 23 septembre 2022, les responsables de Natal Développement affirment que très peu de distributeurs à part eux, à savoir Babylux et Sauvel Natal, prennent le risque de ne pas suivre la pratique du prix imposé par les fournisseurs dont Stokke, par crainte de ne pas être livré ou de voir leurs marges diminuer et qu'eux mêmes indiquent qu'ils ne pourront plus distribuer les produits Babyzen, à compter de janvier 2023, la société Stokke ayant décidé de stopper les contrats de distribution qui avaient été conclus avec Babyzen et refusant de signer un contrat de distribution avec elle.

La présente juridiction note que la société Pepas Womb dans son audition du 2 mars 2022, correspondant à l'annexe 21 de la requête, fait état du respect des prix sur les poussettes notamment Stokke et produits de puériculture haut de gamme, tels que conseillés par les fabricants car à défaut le fabricant, harcelé par les autres revendeurs, intervient auprès d'eux, la société Pepas Womb reconnaissant aussi que les revendeurs veulent conserver leur marge.

De l'ensemble de ces éléments, le juge pouvait retenir qu'il existait des indices de mise en œuvre notamment par la société Stokke d'une pratique de contrôle des prix, avec possibles mesures de rétorsion et ce même s'il pouvait exister d'autres raisons que révèle dans la présente instance la société Stokke à ne pas vouloir contracter avec Natal Développement et/ou Sauvel Natal.

La société Stokke affirme également que ne pouvait être retenue comme indice l'étude de prix comparative constituant l'annexe 26 de la requête, alors que la lecture des procès-verbaux d'audition des différents revendeurs permettait de constater que ce sont eux qui avaient décidé de ne pas réduire leurs tarifs en raison de considérations liées à leur marge. Toutefois, il résulte de ces auditions telles que reprises ci-dessus que cet argument avancé par certains n'était pas le seul, la pression des fabricants dont la société Stokke étant un autre argument avancé.

La société Stokke reproche également à l'ordonnance d'avoir retenu comme indice de pratiques anti-concurrentielles l'exclusion des produits Stokke des programmes fidélité en indiquant que les deux seuls revendeurs interrogés ont indiqué qu'ils ne proposent pas de programmes de fidélité sur produits Stokke pour maintenir leurs marges. Toutefois, il résulte de ces auditions telles que reprises ci-dessus que cet argument avancé par certains n'était pas le seul, la pression des fabricants étant un autre argument avancé.

Enfin, la société Stokke indique que l'hypothèse avancée par l'administration suggérant l'accord entre fournisseurs et reprise dans l'ordonnance ne repose sur aucun élément. Dès lors qu'il n'est pas exigé au niveau de l'autorisation de visite domiciliaire et de saisie de preuves mais d'indices permettant de présumer l'existence de pratiques anti-concurrentielles, la similitude des pratiques de fixation des prix entre les différents fournisseurs peut constituer cet indice.

Le moyen tenant à l'absence d'éléments matériels suffisants permettant de présumer un comportement anticoncurrentiel de Stokke ne sera donc pas retenu.

3. Sur le caractère disproportionné du recours à une visite domiciliaire

La société Stokke indique en premier lieu qu'en l'absence de réelles présomptions à l'encontre de Stokke, le recours aux opérations de visites et saisies de l'article L 450-4 du code de commerce à son siège social et au domicile d'une de ses salariés était nécessairement disproportionné. Dans la mesure où il vient d'être jugé qu'il existait de réelles présomptions, ce moyen ne sera pas retenu.

Le juge des libertés et de la détention de Lille a bien motivé les raisons pour lesquelles les dispositions de l'article L 450-3 du code de commerce n'étaient pas suffisantes et a autorisé les opérations de visite et saisie en application de l'article 450-4 du même code, en indiquant que les actions concertées, conventions ou ententes qui ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence en faisant obstacle à la libre détermination des prix en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse et au libre exercice de la concurrence dans le secteur des articles de puériculture sont établies selon des modalités secrètes et que les documents nécessaires à la preuve desdites pratiques sont vraisemblablement conservés dans des lieux ou sous forme qui facilitent leur dissimulation ou leur destruction en cas de vérification.

La société Stokke reproche au juge des libertés de Lille d'avoir usé d'une formulation générale qui ne comporte aucune référence aux éléments précis de l'enquête et d'avoir reproduit intégralement la motivation de la requête ce qui traduit une absence de contrôle effectif.

Le simple fait pour le juge des libertés d'avoir usé de la même rédaction que celle de la requête pour motiver le caractère proportionné du recours aux dispositions de l'article 450-4 du code de commerce n'est pas un moyen suffisant pour conclure à l'absence de contrôle effectif.

Il sera rappelé que la visite domiciliaire autorisée dans les locaux de la société Stokke n'est qu'une des neuf autorisations données par le juge des libertés de Lille de visites domiciliaires devant se dérouler au sein de huit sociétés, quatre fabricants de matériel de puériculture dont Stokke et quatre revendeurs situés sur toute la France, outre la visite domiciliaire au domicile de Mme [Y], de sorte que le recours aux dispositions de l'article 450-4 du code de commerce était bien proportionné, les agents de l'administration devant intervenir simultanément sur l'ensemble des lieux.

En ce qui concerne, l'autorisation de visite domiciliaire au domicile personnel de Mme [Y], il convient de rappeler qu'elle était au jour de la requête directrice commerciale régionale France de la SAS Stokke France, encadrant l'équipe de ventes de France Stokke, qu'elle était éloignée du siège social de l'entreprise fixé à [Localité 10], puisque résidant dans la région parisienne, de sorte qu'elle apparaissait comme une salariée qui travaillait à partir de son domicile, ce qui légitimait la visite domiciliaire à son domicile personnel.

4. Sur l'insuffisance du contrôle par le juge des libertés et de la détention du bien fondé de la requête

Aucun élément ne permet de connaître l'heure à laquelle la requête a été déposée le vendredi 20 janvier 2023 et celle à laquelle l'ordonnance a été rendue le 23 janvier 2023, de sorte que c'est sur une simple hypothèse que la société Colombus prétend que le juge n'a disposé que d'un jour ouvré, alors que rien ne permet d'écarter qu'il ait disposé de deux jours ouvrés, étant précisé par ailleurs qu'il est courant qu'un magistrat travaille également le week-end et que les juge des libertés de Lille, comme il l'a été indiqué à l'audience du 16 octobre 2023 sont des magistrats qui occupent à plein temps ses fonctions.

Ne peut donc être retenu le moyen avancé par la société Stokke selon lequel le juge des libertés de Lille n'aurait pas procédé à un contrôle réel et effectif de la requête, ce moyen d'annulation de l'ordonnance étant lui aussi rejeté.

5. Conclusion

La SAS Stokke sera en conséquence déboutée de toutes ses demandes d'annulation de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Lille du 23 janvier 2023, d'annulation des actes subséquents et notamment des visites et saisies des 2 et 3 février 2023 pour cause d'annulation de l'ordonnance, ainsi que des demandes de restitution de l'ensemble des documents saisis et de suppression de toute référence aux pièces litigieuses. La présente juridiction n'a pas à répondre dans son dispositif, aux quatre demandes formées aux fins de constater, qui ne constituent pas des prétentions, étant précisé qu'il a été répondu dans la motivation de la décision à ces quatre moyens sur lesquels étaient basées les demandes d'annulation, de restitution et de suppression.

PAR CES MOTIFS

Déboute la SAS Stokke de ses demandes :

- d'annulation de l'ordonnance rendue le 23 janvier 2023 par le juge des libertés et de la détention près le tribunal judiciaire de Lille,

- d'annulation par voie de conséquence de tous les actes d'enquête subséquents et notamment les opérations de visites et de saisies qui ont eu lieu le 2 et 3 février 2023 dans ses locaux et le 2 février 2023 au domicile personnel personnel de Mme [E] [C] [Y],

- de restitution de l'ensemble des documents saisis et de leurs éventuelles copies dans un délai de 10 jours à compter de « l'arrêt » rendu par Monsieur le président,

- de suppression de toute référence aux pièces litigieuses et en interdire toute utilisation ou exploitation subséquente,

Confirme l'ordonnance du juge des libertés et de la détention de Lille du 23 janvier 2023,

Condamne en tant que de besoin la SAS Stokke aux dépens de l'instance.