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Décisions

Cass. 3e civ., 15 février 2024, n° 22-22.826

COUR DE CASSATION

Arrêt

Annulation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Teiller

Rapporteur :

Mme Djikpa

Avocats :

SAS Buk Lament-Robillot, SCP Foussard et Froger

Nîmes, du 28 juill. 2022

28 juillet 2022

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 28 juillet 2022, rectifié le 10 novembre 2022), la société civile immobilière ASM (la SCI), propriétaire d'un terrain en bordure d'autoroute sur lequel ont été installés, en juin 2015, une station-service et des locaux commerciaux, a pour associés M. et Mme [D] ainsi que la société HDM, associée majoritaire.

2. M. [D] a été révoqué de ses fonctions de gérant de la SCI par décision judiciaire du 16 mars 2016 et M. [T], dirigeant de la société HDM, a été désigné en qualité de nouveau gérant par assemblée générale du 20 juin 2016.

3. Invoquant des fautes commises par M. [T] dans sa gestion, M. [D] a exercé à son encontre une action ut singuli, en réparation des préjudices subis par la SCI et de son préjudice personnel.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal, pris en ses première et troisième branches, et sur le moyen du pourvoi incident, pris en sa première branche

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen du pourvoi incident, pris en ses deuxième à cinquième branches Enoncé du moyen

5. M. [D] fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes de condamnations de M. [T] au profit de la SCI au titre des préjudices résultant d'une perte de loyers et du congé avec refus de renouvellement, et de rejeter sa demande de condamnation de M. [T] à lui verser la somme de 240 000 euros, alors :

« 2°/ que M. [D] reprochait à M. [T] la faute de gestion de la SCI ASM consistant à avoir consenti à la société HDM, dont il était également le dirigeant et cependant qu'elle était en redressement judiciaire, deux baux à des conditions financières anormales et gravement préjudiciables à la SCI ASM ; qu'en écartant cette faute aux motifs inopérants, propres et réputés adoptés, que la fixation des loyers était intervenue alors que deux sociétés locataires se trouvaient en redressement judiciaire, que la réussite du projet commercial lié à la création d'un concept-store était compromis par l'insuffisance de la fréquentation du site, que l'activité économique de celui-ci ne permettait pas aux locataires d'assumer les loyers, que le modèle économique retenu par les concepteurs du projet était à revoir et que, sans remettre en cause les constatations de l'expert selon lequel le loyer payé par la société HDM aurait dû être six fois plus élevé, ni baux ni quittance de loyer n'étaient produits, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1850 du code civil ;

3°/ qu'à supposer qu'elle ait adopté le motif du premier juge selon lequel les parties ne produisaient ni les baux consentis à la société HDM le 16 décembre 2016, ni aucune pièce comptable de la SCI ASM, ni des quittances de loyer, cependant que les deux baux du 16 décembre 2016 étaient expressément mentionnés, sous le n° 10, dans la liste des pièces figurant en fin des conclusions d'appel de M. [D], la cour d'appel a dénaturé ladite liste des pièces, en violation de l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;

4°/ que, pour écarter la responsabilité de M. [T] au titre de la saisie immobilière subie par la SCI ASM, l'arrêt attaqué a retenu que, lors-même l'exploitation commerciale des sociétés locataires devait être rentable dès le premier jour d'ouverture, elles ont déclaré leur cessation des paiements quelques mois à peine après l'ouverture du site ; qu'en statuant par ce motif, impropre à exclure que les baux consentis à la société HDM aient été sans lien avec le manque à gagner subi par la SCI ASM, le défaut de paiement de son créancier par cette dernière et la procédure de saisie immobilière qu'elle a en conséquence subie, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1850 du code civil ;

5°/ qu'en écartant la responsabilité de M. [T] au titre de la mise en oeuvre de l'engagement de caution de M. [D] en affirmant que l'impossibilité de la SCI ASM de faire face au remboursement de ses emprunts n'était pas imputable à une faute de gestion de M. [T], quand elle n'a pas caractérisé que la faute de gestion reprochée à ce dernier à raison des baux consentis à la société HDM eût été sans lien avec un manque à gagner subi par la SCI ASM et son impossibilité de rembourser ses emprunts, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1850 du code civil. »

Réponse de la Cour

6. La cour d'appel, sans adopter les motifs du jugement, a retenu que la fixation des loyers ne pouvait être considérée comme fautive dans la mesure où elle était intervenue à un moment où la réussite du projet commercial lié à la création d'un concept-store était compromise par l'insuffisance de la fréquentation du site, et où, selon l'expert désigné judiciairement, d'une part, l'activité économique du site ne permettait pas aux locataires d'assumer les loyers, d'autre part, le modèle économique retenu par les concepteurs du projet était à revoir.

7. Ayant ainsi fait ressortir, par des motifs relevant de son pouvoir souverain, que les baux litigieux n'avaient pas été conclus à des conditions financières anormales et préjudiciables à la SCI, eu égard à la faible fréquentation du site et à la fragilité du projet initial, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à des recherches sur le lien entre la conclusion des baux litigieux, non fautive, et la saisie-immobilière subie par la SCI et la mise en oeuvre de l'engagement de caution de M. [D], que ses constatations rendaient inopérantes, a légalement justifié sa décision.

Mais sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

8. M. [T] fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la SCI la somme de 95 895,49 euros à titre de dommages-intérêts, alors « que lorsqu'un jugement ayant condamné une société à l'égard d'un tiers est infirmé par un arrêt passé en force de chose jugée qui rejette toute demande indemnitaire dudit tiers à l'encontre de cette société, la décision rendue dans le cadre d'une autre instance qui condamne le dirigeant de la société à indemniser celle-ci de la condamnation prononcée à son encontre au profit du tiers précité à raison de la faute de gestion qu'il aurait commise se trouve privée de fondement juridique ; qu'en retenant, pour condamner M. [G] [T] à verser à la société ASM la somme de 95 895,49 euros à titre de dommages et intérêts, que par son opposition persistante et injustifiée au rétablissement de l'établissement de l'alimentation électrique de la station-service, ce dernier avait été à l'origine de la condamnation de la SCI ASM, dont il était le gérant, à indemniser les sociétés EFR et EG Services France, prononcée notamment par le jugement du tribunal judiciaire de Mende en date du 13 janvier 2021 (et non du 31 juillet 2021, comme indiqué par erreur par la cour d'appel), lequel a cependant été ultérieurement infirmé par la cour d'appel de Nîmes dans son arrêt en date du 1er décembre 2022 qui a rejeté toutes les demandes indemnitaires des sociétés EG Retail France (anciennement dénommée EFR France) et EG Services contre la société civile immobilière ASM, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1843-5 du code civil. »

Réponse de la Cour

9. Pour condamner M. [T] à payer à la SCI la somme de 95 895,49 euros à titre de dommages-intérêts, l'arrêt retient que la faute de gestion qu'il a commise est à l'origine de la condamnation de la SCI à indemniser les sociétés EFR et EG Services France, résultant d'une part, d'un jugement du juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Mende du 3 octobre 2016 ayant condamné la SCI à payer à la société EFR la somme de 47 517,39 euros, d'autre part, d'un jugement du tribunal judiciaire de Mende du 13 janvier 2021, l'ayant condamnée à payer la somme de 63 878,30 euros à la société EFR et celle de 3 000 euros à la société EG Services France.

10. Le jugement du tribunal judiciaire de Mende du 13 janvier 2021 ayant été infirmé par un arrêt du 1er décembre 2022, l'arrêt attaqué se trouve toutefois privé de fondement juridique.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi de M. [D] ;

ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne M. [T] à payer à la société civile immobilière ASM la somme de 95 895,49 euros à titre de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 28 juillet 2022, rectifié le 10 novembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier.