CJUE, 6e ch., 22 février 2024, n° C-660/22
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Ente Cambiano società cooperativa per azioni
Défendeur :
Agenzia delle Entrate,
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. T. von Danwitz
Juges :
M. P. G. Xuereb, Mme I. Ziemele
Avocat général :
M. A. M. Collins
Avocats :
Me A. Cevese, Me A. Dal Ferro, Me M. Miccinesi, Me F. Pistolesi
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 63 TFUE ainsi que des articles 101, 102, 120 et 173 TFUE.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Ente Cambiano società cooperativa per azioni à l’Agenzia delle Entrate (administration fiscale, Italie), au sujet du remboursement d’une somme de 20 % de son patrimoine net au 31 décembre 2015 versée à cette administration pour conserver la forme juridique de société coopérative en apportant son activité bancaire à une société par actions en échange de titres de celle-ci.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 La directive 2008/7/CE du Conseil, du 12 février 2008, concernant les impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux (JO 2008, L 46, p. 11), a, conformément à son article 16, abrogé et remplacé, à compter du 1er janvier 2009, la directive 69/335/CEE du Conseil, du 17 juillet 1969, concernant les impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux (JO 1969, L 249, p. 25).
4 L’article 1er de la directive 2008/7, intitulé « Objet », prévoit :
« La présente directive réglemente la perception d’impôts indirects :
a) sur les apports aux sociétés de capitaux ;
b) sur les opérations de restructuration de société de capitaux ;
c) sur l’émission de certains titres et obligations. »
5 Aux termes de l’article 2 de cette directive, intitulé « Société de capitaux » :
« 1. Aux fins de la présente directive, on entend par “société de capitaux”:
a) toute société revêtant une des formes énumérées à l’annexe I ;
b) toute société, association ou personne morale dont les parts représentatives du capital ou de l’avoir social sont susceptibles d’être négociées en Bourse ;
c) toute société, association ou personne morale poursuivant des buts lucratifs, dont les membres ont le droit de céder sans autorisation préalable leurs parts sociales à des tiers et ne sont responsables des dettes de la société, association ou personne morale qu’à concurrence de leur participation.
2. Est assimilée à une société de capitaux, aux fins de la présente directive, toute autre société, association ou personne morale poursuivant des buts lucratifs. »
6 L’article 3 de ladite directive, intitulé « Apports de capital », dispose :
« Aux fins de la présente directive, sous réserve des dispositions de l’article 4, sont considérées comme des apports de capital les opérations suivantes :
a) la constitution d’une société de capitaux ;
b) la transformation en une société de capitaux d’une société, association ou personne morale qui n’est pas une société de capitaux ;
c) l’augmentation du capital social d’une société de capitaux au moyen de l’apport d’actifs de toute nature ;
[...] »
7 L’article 4 de la même directive, intitulé « Opérations de restructuration », prévoit, à son paragraphe 1 :
« Aux fins de la présente directive, ne sont pas considérées comme des apports de capital les opérations de restructuration suivantes :
a) l’apport, par une ou plusieurs sociétés de capitaux, de la totalité de leur patrimoine ou bien d’une ou de plusieurs branches de leur activité à une ou à plusieurs sociétés de capitaux en voie de création ou préexistantes, pour autant que cet apport soit rémunéré au moins en partie par des titres représentatifs du capital de la société acquérante ;
[...] »
8 L’article 5 de la directive 2008/7, intitulé « Opérations non soumises à la fiscalité indirecte », dispose, à son paragraphe 1 :
« Les États membres exonèrent les sociétés de capitaux de toute forme d’imposition indirecte :
[...]
d) sur la modification de l’acte constitutif ou des statuts d’une société de capitaux et notamment :
[...]
iii) le changement de l’objet social d’une société de capitaux ;
[...]
e) sur les opérations de restructuration visées à l’article 4. »
9 L’article 6 de cette directive, intitulé « Droits et taxe sur la valeur ajoutée », prévoit, à son paragraphe 1 :
« Nonobstant l’article 5, les États membres peuvent percevoir les droits et taxes suivants :
a) taxe sur la transmission des valeurs mobilières, perçues forfaitairement ou non ;
b) droits de mutation, y compris taxes de publicité foncière, sur l’apport à une société de capitaux, de biens immeubles ou de fonds de commerce situés sur son territoire ;
c) droits de mutation sur les actifs de toute nature qui font l’objet d’un apport à une société de capitaux, dans la mesure où le transfert de ces biens est rémunéré autrement que par des parts sociales ;
d) droits frappant la constitution, l’inscription ou la mainlevée des privilèges et des hypothèques ;
e) droits ayant un caractère rémunératoire ;
f) taxe sur la valeur ajoutée. »
Le droit italien
10 L’article 2, paragraphes 3 bis à 3 quater du decreto-legge n. 18 – Misure urgenti concernenti la riforma delle banche di credito cooperativo, la garanzia sulla cartolarizzazione delle sofferenze, il regime fiscale relativo alle procedure di crisi e la gestione collettiva del risparmio (décret-loi no 18, portant mesures urgentes concernant la réforme des banques de crédit coopératif, la garantie pour la titrisation des créances en défaut, le régime fiscal relatif aux procédures de crise et la gestion collective de l’épargne), du 14 février 2016 (GURI no 37, du 15 février 2016), converti en loi, avec modifications, par la legge n. 49 (loi no 49), du 8 avril 2016 (GURI no 87, du 14 avril 2016), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « décret-loi no 18/2016 »), dispose :
« 3 bis. Par dérogation à l’article 150 bis, paragraphe 5, du [decreto legislativo n. 385 – Testo unico delle leggi in materia bancaria e creditizia (décret législatif no 385, portant texte unique des lois en matière bancaire et de crédit), du 1er septembre 1993 (GURI no 230, du 30 septembre 1993, supplément ordinaire no 92], le transfert n’a pas lieu pour les banques de crédit coopératif qui, dans les 60 jours de la date d’entrée en vigueur de la loi de conversion du présent décret, présentent à la [Banca d’Italia (banque d’Italie)], conformément à l’article 58 [de ce décret législatif n° 385, du 1er septembre 1993], une demande d’autorisation, individuelle ou conjointe, de transférer leurs branches d’activité bancaires à une même société par actions, existante ou nouvellement constituée, autorisée à exercer l’activité bancaire, à la condition que le patrimoine net de la banque demanderesse ou, en cas de demande conjointe, d’au moins l’une des banques demanderesses, tel qu’il est inscrit au 31 décembre 2015 au bilan sur lequel le réviseur comptable n’a pas formulé de réserve, soit supérieur à 200 millions d’euros.
3 ter. Lors de l’apport, la banque de crédit coopératif apporteuse verse au Trésor public un montant égal à 20 % de son patrimoine net tel qu’il est inscrit au 31 décembre 2015 au bilan sur lequel le réviseur comptable n’a pas formulé de réserve.
3 quater. À la suite de l’apport, la banque de crédit coopératif apporteuse, qui conserve ses réserves indivisibles déduction faite du versement prévu au paragraphe 3 ter, modifie son objet social pour en exclure l’activité bancaire et s’oblige à conserver les clauses mutualistes prévues à l’article 2514 du code civil ainsi qu’à assurer à ses associés des services leur permettant de conserver leur relation avec la société par actions bénéficiaire de l’apport, des services de formation et d’information sur les questions relatives à l’épargne et des services de promotion de programmes d’assistance. [...] En cas de manquement aux obligations prévues au présent paragraphe et aux paragraphes 3 bis et 3 ter, le patrimoine de l’apporteuse ou, le cas échéant, de la banque de crédit coopératif est transféré conformément à l’article 17 de la loi no 388, du 23 décembre 2000. [...] »
Le litige au principal et la question préjudicielle
11 Ente Cambiano, anciennement Banca di Credito Cooperativo di Cambiano società cooperativa per azioni, banque de crédit coopératif dont le patrimoine net était supérieur à 200 millions d’euros au 31 décembre 2015, a versé au Trésor italien la somme de 54 208 740 euros, représentant 20 % de ce patrimoine net à cette date, en exerçant l’option dite « de sortie », prévue à l’article 2, paragraphe 3 bis, du décret-loi no 18/2016.
12 Par la suite, Ente Cambiano a présenté une demande de remboursement de cette somme, car elle considérait que l’obligation de verser celle-ci était contraire tant à la Constitution italienne qu’au droit de l’Union. La demande de remboursement de cette somme présentée par Ente Cambiano ayant fait l’objet d’une décision de rejet implicite, cette dernière a saisi la Commissione tributaria provinciale di Firenze (commission fiscale provinciale de Florence, Italie) d’un recours contre cette décision. Cette juridiction ayant rejeté ce recours, Ente Cambiano a interjeté appel devant la Commissione tributaria regionale della Toscana (commission fiscale régionale de la Toscane, Italie), qui a rejeté cet appel par arrêt du 15 novembre 2018.
13 Ente Cambiano a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt devant la juridiction de renvoi, la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie), en invoquant tant l’inconstitutionnalité de la législation nationale en cause au principal que l’incompatibilité de celle-ci avec le droit de l’Union.
14 Cette juridiction expose, tout d’abord, qu’elle a saisi la Corte Costituzionale (Cour constitutionnelle, Italie) de questions de constitutionalité visant l’article 2, paragraphes 3 ter et 3 quater, du décret-loi no 18/2016, qui a déclaré ces questions non fondées par arrêt no 149/2021 du 9 juillet 2021.
15 La juridiction de renvoi précise, ensuite, que lesdites dispositions s’inscrivent dans le cadre d’une réforme des banques de crédit coopératif destinée à résoudre les faiblesses structurelles découlant de leur modèle économique et de gouvernance ainsi que de la petite taille de la majeure partie d’entre elles, en renforçant leur patrimoine pour résister à d’éventuelles crises. À cette fin, le modèle principal prévu par le législateur italien serait l’adhésion de ces banques à un groupe bancaire coopératif à la tête duquel se trouverait une société holding chef de groupe, constituée sous la forme d’une société par actions au capital d’au moins un milliard d’euros, détenu en majorité par lesdites banques, et qui exercerait des pouvoirs de direction ainsi que de coordination à leur égard. Cette adhésion n’entraînerait pas de conséquence sur leur patrimoine. Seules les banques de crédit coopératif au patrimoine net supérieur au seuil fixé pourraient éviter d’adhérer à un tel groupe, en se soumettant aux obligations de l’article 2, paragraphes 3 bis à 3 quater, du décret-loi no 18/2016, sous peine de transfert de leur patrimoine aux fonds mutualistes de promotion et de développement de la coopération.
16 La juridiction de renvoi ajoute que les moyens de pourvoi qui sont tirés d’une violation du droit de l’Union visent, notamment, les principes de libre concurrence et de préservation du marché, consacrés aux articles 101, 102, 120 et 173 TFUE ainsi que le principe de libre circulation des capitaux, tel qu’énoncé à l’article 63 TFUE et précisé par la directive 2008/7.
17 Elle précise qu’Ente Cambiano soutient que l’obligation de versement en cause viole cette directive dans la mesure où celle-ci consacre la neutralité fiscale des apports en capital, sauf dans les cas prévus à l’article 6 de ladite directive qui ne s’appliqueraient pas en l’espèce.
18 Dans ce contexte, cette juridiction s’interroge sur la conformité de l’article 2, paragraphes 3 ter et 3 quater, du décret-loi no 18/2016, au droit de l’Union, tout en précisant, d’une part, qu’elle partage les doutes d’Ente Cambiano quant à la compatibilité de cette disposition avec les principes de libre circulation des capitaux, de libre concurrence et de préservation du marché reconnus par ce droit et, d’autre part, qu’une interprétation conforme de ladite disposition audit droit ne lui paraît pas possible.
19 Dans ces conditions, la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« Les articles 63 et suivants TFUE ainsi que les articles 101, 102, 120 et 173 TFUE s’opposent-ils à une législation nationale, telle que l’article 2, paragraphes 3 ter et 3 quater du [décret-loi no 18/2016], qui subordonne au versement d’une somme représentant 20 % du patrimoine net au 31 décembre 2015 la faculté, pour les banques de crédit coopératif dont le patrimoine net était supérieur à 200 millions d’euros au 31 décembre 2015, au lieu d’adhérer à un groupe, d’apporter leur branche d’activité bancaire à une société par actions, existante ou nouvellement constituée et autorisée à exercer l’activité bancaire, tout en modifiant leurs statuts de manière à en exclure l’exercice de l’activité bancaire mais à y conserver les clauses mutualistes prévues à l’article 2514 du code civil et à assurer à leurs associés des services leur permettant de conserver leur relation avec la société par actions bénéficiaire de l’apport, ainsi que des services de formation et d’information sur les questions relatives à l’épargne et des services de promotion des programmes d’assistance ? »
Sur la question préjudicielle
20 Selon une jurisprudence constante de la Cour, la procédure instituée à l’article 267 TFUE est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution du litige qu’elles sont appelées à trancher (arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 44 ainsi que jurisprudence citée).
21 Dès lors que la décision de renvoi sert de fondement à cette procédure, la juridiction nationale est tenue d’expliciter, dans la décision de renvoi elle-même, le cadre factuel et réglementaire du litige au principal et de fournir les explications nécessaires sur les raisons du choix des dispositions du droit de l’Union dont elle demande l’interprétation ainsi que sur le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige qui lui est soumis [voir en ce sens, notamment, arrêt du 4 juin 2020, C.F. (Contrôle fiscal), C‑430/19, EU:C:2020:429, point 23 et jurisprudence citée].
22 À cet égard, il importe de souligner également que les informations contenues dans les décisions de renvoi doivent permettre, d’une part, à la Cour d’apporter des réponses utiles aux questions posées par la juridiction nationale et, d’autre part, aux gouvernements des États membres ainsi qu’aux autres intéressés d’exercer le droit qui leur est conféré par l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne de présenter des observations. Il incombe à la Cour de veiller à ce que ce droit soit sauvegardé, compte tenu du fait que, en vertu de cette disposition, seules les décisions de renvoi sont notifiées aux intéressés (voir, en ce sens, arrêt du 2 septembre 2021, Irish Ferries, C‑570/19, EU:C:2021:664, point 134 et jurisprudence citée).
23 Ces exigences cumulatives concernant le contenu d’une décision de renvoi figurent de manière explicite à l’article 94 du règlement de procédure de la Cour, dont la juridiction de renvoi est censée, dans le cadre de la coopération instaurée à l’article 267 TFUE, avoir connaissance et qu’elle est tenue de respecter scrupuleusement (ordonnance du 3 juillet 2014, Talasca, C‑19/14, EU:C:2014:2049, point 21 ; arrêt du 9 septembre 2021, Toplofikatsia Sofia e.a., C‑208/20 et C‑256/20, EU:C:2021:719, point 20 ainsi que jurisprudence citée). Elles sont, en outre, rappelées aux points 13, 15 et 16 des recommandations de la Cour de justice de l’Union européenne à l’attention des juridictions nationales, relatives à l’introduction de procédures préjudicielles (JO 2019, C 380, p. 1).
24 En l’occurrence, par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 63, 101, 102, 120 et 173 TFUE s’opposent à une réglementation nationale prévoyant que la faculté, pour les banques de crédit coopératif dont le patrimoine net était supérieur à 200 millions d’euros à une date déterminée, au lieu d’adhérer à un groupe bancaire coopératif, d’apporter leur branche d’activité bancaire à une société par actions en contrepartie d’actions de celle-ci est subordonnée au versement d’une somme représentant vingt pour cent de leur patrimoine net à cette date. Il ressort également de la demande de décision préjudicielle qu’Ente Cambiano invoque, dans le cadre du litige au principal, la directive 2008/7, qui a abrogé et remplacé la directive 69/335, en lien avec la libre circulation des capitaux sur laquelle s’interroge cette juridiction.
25 S’agissant des articles 101, 102, 120 et 173 TFUE, ladite juridiction n’explique pas les raisons pour lesquelles elle demande l’interprétation de ces dispositions ni le lien qu’elle établit entre lesdites dispositions et la législation nationale applicable au litige qui lui est soumis, contrairement aux exigences de l’article 94, sous c), du règlement de procédure de la Cour. Dès lors, en ce qu’elle porte sur ces dispositions du traité FUE, la question préjudicielle est irrecevable.
26 En ce qui concerne l’article 63 TFUE, ainsi que l’a relevé la Commission européenne dans ses observations écrites, les indications figurant dans la demande de décision préjudicielle font apparaître que tous les éléments du litige au principal, opposant une société établie en Italie à l’administration fiscale italienne, se cantonnent à l’intérieur de cet État membre.
27 Or, selon une jurisprudence constante, les dispositions du traité FUE en matière de libre circulation des capitaux ne trouvent pas à s’appliquer à une situation dont tous les éléments se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre. Dans une telle situation, il appartient à la juridiction de renvoi d’indiquer à la Cour, conformément ce qu’exige l’article 94 du règlement de procédure, en quoi, en dépit de son caractère purement interne, le litige pendant devant elle présente avec les dispositions du droit de l’Union relatives aux libertés fondamentales un élément de rattachement qui rend l’interprétation préjudicielle sollicitée nécessaire à la solution de ce litige (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2016, Ullens de Schooten, C‑268/15, EU:C:2016:874, points 47 et 55 ainsi que jurisprudence citée).
28 Plus particulièrement, il résulte de ces exigences que, pour considérer qu’il existe un tel lien de rattachement, la demande de décision préjudicielle doit faire ressortir les éléments concrets, à savoir des indices non pas hypothétiques, mais certains, permettant d’établir, de manière positive, l’existence de celui-ci, la juridiction de renvoi ne pouvant pas se contenter de soumettre à la Cour des éléments qui pourraient permettre de ne pas exclure l’existence d’un tel lien ou qui, considérés de manière abstraite, pourraient constituer des indices en ce sens, mais devant, au contraire, fournir des éléments objectifs et concordants permettant à la Cour de vérifier l’existence dudit lien (arrêt du 2 mars 2023, Bursa Română de Mărfuri, C‑394/21, EU:C:2023:146, points 51 et 52 ainsi que jurisprudence citée).
29 Dans sa demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi se limite à faire état de l’argumentation d’Ente Cambiano selon laquelle le versement, par les banques de crédit coopératif dont le patrimoine net au 31 décembre 2015 est supérieur à un seuil de 200 millions d’euros, d’une somme représentant 20 % de leur patrimoine net à cette date, pénalise les plus solides des banques de crédit coopératif, qui seraient susceptibles d’attirer les investisseurs d’autres États membres. Cette juridiction ne fournit toutefois aucun élément concret qui permettrait de confirmer un intérêt émanant des ressortissants d’autres États membres à faire usage de la liberté de circulation des capitaux dans la situation en cause au principal (voir, par analogie, arrêt du 20 septembre 2018, Fremoluc, C‑343/17, EU:C:2018:754, point 30). Dans la mesure où cette demande ne remplit pas les exigences requises par la jurisprudence citée aux points 27 et 28 du présent arrêt, la question préjudicielle est également irrecevable en ce qu’elle vise l’article 63 TFUE.
30 Quant à la directive 2008/7, invoquée dans le cadre du litige au principal par Ente Cambiano, selon les indications figurant dans la demande de décision préjudicielle, conformément à l’article 2, paragraphes 3 bis à 3 quater, du décret-loi no 18/2016, il apparaît que le versement au Trésor public contesté par Ente Cambiano, prévu par ce décret-loi, de même que son taux et son assiette, laquelle correspond non pas à un bénéfice ou à un revenu de celle-ci, mais à son patrimoine net tel qu’inscrit à son bilan à la date du 31 décembre 2015, intervient lors de l’apport de la branche d’activité bancaire à une société de capitaux en échange d’actions de celle-ci. Le fait générateur de ce versement résiderait donc dans la réalisation de cette opération spécifique et non dans l’exercice d’une activité, tandis que son caractère contraignant résulterait de la sanction attachée au non-respect dudit versement, également prévue à cette disposition.
31 Or, si ces éléments permettraient d’établir l’applicabilité ratione materiae de la directive 2008/7 au litige au principal, de sorte qu’il conviendrait d’examiner si ledit versement devrait être qualifié d’« impôt indirect », au sens de cette directive, frappant une opération de restructuration visée à l’article 4, paragraphe 1, sous a), de ladite directive, auquel renvoie l’article 5, paragraphe 1, sous e), de celle-ci, pour autant que l’apport de la branche d’activité concernée a été effectué par une société de capitaux, lesdites indications ne permettent pas de conclure à l’applicabilité ratione personae de la même directive à ce litige. En effet, la juridiction de renvoi n’a pas abordé la question de savoir si les banques de crédit coopératif, telles que l’était la requérante au principal avant sa restructuration et la modification de ses statuts après avoir exercé l’option prévue à l’article 2, paragraphe 3 bis, du décret-loi no 18/2016, relèvent de la notion de « société de capitaux », au sens de la directive 2008/7, telle que définie à l’article 2 de celle-ci.
32 Cette juridiction n’a pas non plus fourni, dans ladite demande, d’éléments sur le point de savoir si les exceptions à l’article 5 de cette directive, résultant de l’article 6 de celle-ci, sont susceptibles de s’appliquer en l’occurrence.
33 Au regard de ces incertitudes concernant l’applicabilité de la directive 2008/7 au litige au principal, ainsi que de l’absence de toutes précisions quant à la qualification éventuelle d’ « impôt indirect », au sens de cette directive, force est de constater que la demande de décision préjudicielle ne comporte pas les éléments nécessaires pour considérer que cette directive serait applicable à ce litige, de sorte que la Cour ne peut pas apprécier dans quelle mesure une réponse à la question posée est nécessaire pour permettre à la juridiction de renvoi de rendre sa décision.
34 Il s’ensuit que la demande de décision préjudicielle est également irrecevable pour autant qu’elle vise ladite directive.
35 Il convient cependant de rappeler que la juridiction de renvoi conserve la faculté de soumettre une nouvelle demande de décision préjudicielle en fournissant à la Cour l’ensemble des éléments permettant à celle-ci de statuer (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2019, Călin, C‑676/17, EU:C:2019:700, point 41 et jurisprudence citée).
36 Dans ces conditions, la demande de décision préjudicielle doit être déclarée irrecevable.
Sur les dépens
37 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :
La demande de décision préjudicielle introduite par la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie), par décision du 11 octobre 2022, est irrecevable.