Livv
Décisions

CA Metz, ch. com., 21 janvier 2021, n° 21/00023

METZ

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Société D'ASSURANCES MUTUELLES MMA IARD, FRANCE GALVA LORRAINE (SAS)

Défendeur :

NYRSTAR BELGIUM (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme DEVIGNOT

Conseillers :

Mme BIRONNEAU, M. JANEIRO

Avocats :

Me FARAVARI, Me ROULLEAUX

CA Metz n° 21/00023

20 janvier 2021

La SAS France Galva Lorraine, ci après désignée la SAS FGL, est une filiale du groupe France Galva qui est spécialisé dans la galvanisation des pièces d'acier.

La galvanisation est un procédé qui consiste à plonger des pièces d'acier dans des bains de zinc en fusion, afin de les protéger contre la corrosion, de les renforcer et de leur donner un aspect plus esthétique.

La Société d'Assurances Mutuelles MMA Iard, ci après désignée la société MMA Iard, est l'assureur dommages du groupe France Galva et de sa filiale la SAS FGL.

La société de droit belge SA Nyrstar Belgium, ci après désignée SA Nyrstar, a fourni le zinc à la SAS FGL, ainsi que les composantes d'alliage nécessaires à la galvanisation jusqu'en 2007, date à partir de laquelle le groupe France Galva va élaborer lui même l'alliage à partir du zinc fourni par la SA Nyrstar.

La société de droit allemand W. Pilling Riepe GmbH, ci après désignée la société Pilling GmbH, fournit des cuves de galvanisation à l'ensemble du groupe France Galva dont la SAS FGL, cuves fabriquées à partir de tôles standards achetées à la société de droit allemand Union Stahl, qui s'est elle même fournie auprès des sociétés de droit allemand Aktiengesellschaft Der Dillinger Hüttenwerke AG, ci après désignée société Dillinger AG, et Thyssenkrupp Steel Europe AG, ci après désignée société Thyssenkrupp A. G.

La société de droit allemand D A J Z, ci après désignée la société Gothaer AG, est l'assureur de la société Pilling GmbH.

La SAS FGL a commandé une nouvelle cuve de galvanisation à la société Pilling GmbH, cuve qui a été livrée en 2006 et mise en service en août 2007.

Au cours de l'année 2008, une usure anormale de la cuve consistant en une érosion prématurée du creuset est apparue.

Trois autres filiales du groupe France Galva ont subi des sinistres identiques, cinq cuves au total étant affectées par une usure prématurée.

Par ordonnance du 6 février 2008, le tribunal de commerce de Cambrai a ordonné une expertise au sujet du sinistre apparu sur le site de la filiale Galvanisation du Cambresis et il a désigné à cet effet M. L H Ultérieurement, l'expertise a été étendue aux quatre sinistres similaires intervenus dans les filiales du groupe France Galva et elle a été déclarée commune à la société Thyssenkrupp AG et à la société Dillinger AG.

En raison de la complexité des problèmes posés, l'expert s'est adjoint plusieurs sapiteurs. Il a déposé son rapport le 15 mars 2011.

Par actes d'huissier enregistrés les 24 janvier et 22 avril 2014, la société MMA Iard et la SAS FGL ont fait assigner la SA Nyrstar, la société Pilling GmbH et la société Gothaer AG devant le tribunal de grande instance de Sarreguemines en réparation de leur préjudice.

Par actes d'huissier enregistrés les 13 et 27 mai 2014, la société Pilling GmbH et son assureur la société Gothaer AG ont fait assigner en intervention forcée et en garantie la société Thyssenkrupp AG, la société Dillinger AG et la SA Nyrstar.

Par ordonnance du 13 novembre 2015, le juge de la mise en état s'est déclaré incompétent pour statuer sur le litige opposant les demanderesses à la SA Nyrstar, au motif que l'incompétence avait déjà été définitivement retenue entre les parties au profit des juridictions belges par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 1er octobre 2013.

Par jugement du 16 mai 2017, le tribunal de grande instance de Sarreguemines, chambre commerciale, a :

- rejeté toutes les demandes de la SAS FGL et de la société MMA Iard ;

- condamné la SAS FGL et la société MMA Iard aux dépens dont frais d'expertise non encore imputés par une autre décision de fond ;

- condamné la SAS FGL et la société MMA Iard à payer solidairement la somme de 15 000 euros avec exécution provisoire à la société Pilling GmbH et à la société Gothaer AG au titre des frais irrépétibles ;

- condamné la SAS FGL et la société MMA Iard à payer solidairement la somme de 10 000 euros avec exécution provisoire à la société Thyssenkrupp AG au titre des frais irrépétibles ;

- condamné solidairement la SAS FGL et la société MMA Iard à payer la somme de 10 000 euros avec exécution provisoire à la société Dillinger AG au titre des frais irrépétibles ;

- condamné solidairement la SAS FGL et la société MMA Iard à payer la somme de 5 000 euros avec exécution provisoire à la SA Nyrstar au titre des frais irrépétibles.

Pour se déterminer ainsi, le tribunal a indiqué que la cuve avait été vendue en 2006, soit plus d'un an avant que le changement d'alliage ne soit décidé et ne cause le sinistre. Il a précisé que la cuve était conforme à l'alliage qui était auparavant fourni par la SA Nyrstar. Il a estimé que la SAS FGL était un acheteur averti et il a relevé qu'elle n'avait prévenu à aucun moment de son intention de changer d'alliage.

Il a par ailleurs considéré que l'intervention de la société Pilling GmbH dans des conditions qui l'auraient amenée à avoir connaissance du changement d'alliage n'était pas établie, que ce soit lors de l'installation ou des opérations de maintenance de la cuve, de sorte qu'elle n'était pas tenue d'avertir la SAS FGL.

Il a estimé que la négligence de la SAS FGL était à l'origine du sinistre dans la mesure où i1 lui appartenait de vérifier à l'avance la compatibilité des cuves avec l'alliage utilisé, au besoin en interrogeant son fournisseur, aucune faute ne pouvant être retenue contre le fournisseur ou les fabricants des composantes de la cuve.

Par déclaration déposée au greffe de la cour d'appel de Metz le 9 juin 2017, la société MMA Iard et la SAS FGL ont interjeté un appel total à l'encontre de ce jugement en intimant la société Pilling GmbH et la société Gothaer AG.

Par nouvelle déclaration déposée le 26 juin 2017, la société MMA Iard et la SAS FGL ont interjeté appel du jugement à l'encontre de la SA Nyrstar, de la société Thyssenkrupp AG et de la société Dillinger AG, seulement en ce qu'il les a condamnées, au titre des frais irrépétibles, à payer solidairement et avec exécution provisoire la somme de 10 000 euros à la société Thyssenkrupp AG, la somme de 10 000 euros à la société Dillinger AG, la somme de 5 000 euros à la SA Nyrstar, et en ce qu'il les a condamnées aux dépens.

Les procédures ont été jointes par ordonnance du 7 décembre 2017 sous la référence RG 17/1628.

Par conclusions déposées le 18 janvier 2018, la société Pilling GmbH et la société Gothaer AG ont formé appel incident afin de voir, à titre subsidiaire, les sociétés Dillinger AG, Thyssenkrupp AG, et la SA Nyrstar condamnées à les garantir et relever indemnes de toute condamnation éventuelle.

Par acte du 2 juillet 2019, la société Pilling GmbH et la société Gothaer AG se sont désistées de leur appel incident.

Aux termes de leurs dernières conclusions déposées le 08 novembre 2019, la société MMA Iard et la SAS FGL demandent à la cour, au visa notamment de l'article 4 du règlement Rome 1 du 17 juin 2008- CE n°593/2008, de la convention de Vienne du 11 avril 1980, de la directive européenne 2006-42- CE relative aux machines du 17 mai 2006, de la loi allemande et notamment des articles 242 et 2801 du code civil allemand (BGB), de :

- infirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

- débouter l'ensemble des parties adverses de leurs demandes, fins et conclusions formées à leur encontre ;

- entériner le rapport d'expertise dans ses conclusions relatives aux causes du sinistre et du préjudice ;

- dire et juger que la SAS FGL a subi un préjudice à hauteur de 164 600 euros ;

- dire et juger que la société Pilling GmbH est co responsable du sinistre ;

- condamner la société Pilling GmbH et son assureur, la société Gothaer AG, solidairement à leur payer 75% du montant du préjudice, soit la somme de 123 450 euros, dont 110 717 euros à la société MMA Iard et 12 663 euros à la SAS FGL ;

à titre subsidiaire,

- condamner la société Pilling GmbH et son assureur la société Gothaer AG solidairement à leur payer 50% du montant du préjudice, soit la somme de 82 300 euros, dont 69 637 euros à la société MMA Iard et 12 663 euros à la SAS FGL ;

en tout état de cause,

- dire que ces sommes porteront intérêts à compter de la date de la quittance subrogative ;

- prononcer la capitalisation des intérêts ;

- débouter l'ensemble des parties adverses de leurs demandes, fins et conclusions, et notamment de leurs demandes de condamnation in solidum formulées à leur encontre au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux entiers dépens ;

- condamner la société Pilling GmbH et son assureur, la société Gothaer AG, à leur payer la somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

- condamner la société Pilling GmbH et son assureur, la société Gothaer AG, aux entiers frais et dépens d'instance et d'appel, y compris les frais d'expertise.

Les appelantes font valoir que le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Sarreguemines est dépourvu de tout fondement juridique.

Elles indiquent ensuite que l'expert judiciaire a conclu à une pluralité de causes du sinistre techniquement imputables à hauteur de 50% à la société Pilling GmbH, 25% à la SA Nyrstar et 25% à la SAS FGL, étant précisé que le juge est en droit de s'approprier l'avis de l'expert, même si celui ci a exprimé une opinion d'ordre juridique excédant les limites de sa mission.

Elles ajoutent que l'expertise a mis en évidence l'inadaptation des cuves à la galvanisation par alliages de zinc à bas point de fusion. Elles précisent qu'aucune information n'avait été délivrée par le vendeur quant aux limites et préconisations d'utilisation des cuves.

Elles en déduisent que la société Pilling GmbH, en tant que vendeur de la cuve, a manqué aux obligations contractuelles qui lui incombent en application de la convention de Vienne de 1980, laquelle envisage notamment la responsabilité du vendeur en cas de défaut de conformité et en application de la loi allemande, applicable au litige, laquelle impose au vendeur une obligation d'information et de conseil.

La SAS FGL et la société MMA Iard précisent par ailleurs que d'une part, la SAS FGL a été indemnisée par son assureur, la société MMA Iard, à hauteur de 151 903 euros de sorte que la société MMA Iard est subrogée dans les droits de la SAS FGL à hauteur de ce montant et que d'autre part, le montant total du préjudice a été arrêté par l'expert à la somme de 164 600 euros. Elles ajoutent que la SA Nyrstar et la société Pilling GmbH sont co responsables du préjudice à hauteur de 75%, la société Pilling GmbH pouvant être poursuivie pour le tout, sans tenir compte du partage de responsabilité entre cette dernière et la SA Nyrstar.

Les appelantes font valoir ensuite que la décision ayant mis les frais d'expertise à la charge de la société Pilling GmbH et de la SA Nyrstar n'est pas définitive. Elles relèvent par ailleurs que leur condamnation au titre des frais irrépétibles à l'égard de la société Thyssenkrupp AG, de la société Dillinger AG et de la SA Nyrstar n'est pas fondée dans la mesure où c'est la société Pilling GmbH qui a mis en cause ces sociétés dans la procédure, alors que la responsabilité des fabricants de tôle ne pouvait être recherchée selon l'expert judiciaire.

Aux termes de leurs dernières conclusions déposées le 14 janvier 2020, la société Pilling GmbH et la société Gothaer AG demandent à la cour, au visa des articles 35 et suivants de la convention de Vienne de 1980, des articles 433, 2801 et 282 du BGB, des articles 1240 et 1245 du code civil, de :

à titre principal,

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

- leur donner acte de ce qu'elles renoncent et se désistent de leurs demandes subsidiaires visant à obtenir la condamnation des sociétés Thyssenkrupp AG, Dillinger AG et SA Nyrstar à les garantir et relever indemnes de toute condamnation susceptible d'être prononcée à leur encontre ; débouter la société Thyssenkrupp AG, la société Dillinger AG et la SA Nyrstar de toutes leurs conclusions, fins et demandes ;

en tout état de cause,

- condamner in solidum la société MMA Iard et la SAS FGL à leur verser à chacune la somme supplémentaire de 10 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

La société Pilling GmbH et la société Gothaer AG font valoir que le moyen tiré du défaut de conformité est, au regard de l'article 39.2 de la convention de Vienne, irrecevable comme étant tardif, pour avoir été soulevé plus de deux années après la livraison de la cuve litigieuse.

Elles soutiennent que l'usure anormale de la cuve résulte de l'utilisation par la SAS FGL, à compter du mois de septembre 2007, d'un alliage combiné auto confectionné, comportant notamment une importante concentration de bismuth, élément dont la société Pilling GmbH ignorait tant l'utilisation que ses conséquences et qui a entraîné une corrosion prématurée de la cuve.

Elles soulignent que le rapport d'expertise ne fait état d'aucun lien entre la qualité ou les caractéristiques des cuves et la survenance des désordres.

Elles considèrent qu'en donnant une estimation de l'imputabilité technique des désordres, l'expert a outrepassé ses prérogatives et s'est livré à des appréciations personnelles qui dénaturent les constats techniques et objectifs des sapiteurs.

La société Pilling GmbH et la société Gothaer AG soutiennent que l'expert s'est en l'espèce mépris sur la qualification de «machine» au sens de la directive européenne 2006/42/CE, étant relevé qu'il ne lui appartenait pas de procéder à une telle appréciation d'ordre exclusivement juridique.

Les intimées relèvent ensuite que les appelantes sont défaillantes dans la preuve qui leur incombe quant au contenu et à la portée des règles de droit étranger qu'elles invoquent.

La société Pilling GmbH et la société Gothaer AG font valoir qu'en tout état de cause, aucun manquement contractuel ou comportement fautif ne peut être reproché à la société Pilling GmbH, étant souligné que la SAS FGL est un professionnel de la galvanisation et qu'elle a elle même déterminé la composition des bains de zinc utilisés, sans en informer le fournisseur de la cuve. Elles ajoutent qu'il appartenait à la SAS FGL d'effectuer des tests avant de mettre en production son alliage auto confectionné et que les tôles utilisées pour la fabrication des cuves sont conformes aux règles de l'art.

Enfin elles indiquent que dans les litiges les opposant aux autres filiales du groupe France Galva, les cours d'appel de Rennes, de Douai et de Paris leur ont donné gain de cause et elles précisent que c'est la raison pour laquelle elles se sont désistées de leur appel incident à l'encontre des sociétés Dillinger AG, Thyssenkrupp AG, et la SA Nyrstar, considérant que cet appel incident était devenu sans objet au vu de la motivation retenue par ces différentes juridictions.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 2 décembre 2019, la SA Nyrstar demande à la cour de :

- lui donner acte de ce qu'elle accepte le désistement de la société Pilling Gmbh et de la société Gothaer AG ;

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

- condamner in solidum la société MMA. IARD et la SAS FGL à lui verser une somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société MMA Iard et la SAS FGL aux entiers dépens de l'instance.

La SA Nyrstar rappelle au préalable que dans son arrêt du 1er octobre 2013, la cour d'appel de Paris a fait droit à l'exception d'incompétence soulevée et a considéré que les juridictions françaises sont incompétentes pour connaître de l'action des filiales du groupe France Galva et de la société MMA Iard à l'encontre de la SA Nyrstar, les clauses attributives de juridiction entre les parties donnant compétence exclusive aux juridictions belges.

Sur le fond, la SA Nyrstar soutient notamment que l'expert judiciaire a outrepassé ses missions, notamment en formulant des appréciations d'ordre juridique.

Elle précise que la SAS FGL confectionnait, à compter de septembre 2007, ses propres bains de galvanisation, que cette société était un professionnel de la galvanisation et qu'il n'appartenait pas à la SA Nyrstar de la conseiller sur la multitude de compositions envisageables.

Elle ajoute que les constatations techniques des sapiteurs ayant assisté l'expert démontrent que les dommages subis par la SAS FGL ne lui sont nullement imputables, étant souligné que l'importante concentration de bismuth dans la composition du bain choisi par cette dernière apparaît comme la cause principale de l'usure prématurée de la cuve, outre des erreurs commises dans la manipulation des lingots d'appoint servant à l'entretien de la cuve, ainsi que dans les conditions du premier remplissage des cuves.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 03 septembre 2019, la société Thyssenkrupp AG demande à la cour de :

à titre principal,

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

à titre subsidiaire,

- prendre acte du désistement de la société Pilling GmbH et de la société Gothaer AG de toutes leurs demandes à son encontre ;

à titre infiniment subsidiaire,

- juger que la société Pilling GmbH et la société Gothaer AG sont irrecevables comme prescrites à agir contre elle, en vertu du droit allemand ;

- juger la société Pilling GmbH et la société Gothaer AG mal fondées à agir contre elle au regard du droit allemand comme du droit français ;

- rejeter l'ensemble des demandes formées contre elle ;

en tout état de cause,

- condamner in solidum la société Pilling GmbH et la société Gothaer AG à lui verser la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner in solidum la société MMA Iard et la SAS FGL à lui verser la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

La société Thyssenkrupp AG estime que les premiers juges ont parfaitement interprété les faits qui leur étaient soumis et en particulier les conclusions techniques de l'expert judiciaire selon lesquelles les conditions d'exploitation des cuves et notamment la modification de la composition du bain de galvanisation par l'exploitant étaient seules à l'origine des désordres.

Elle estime qu'à défaut d'apporter la preuve selon laquelle elle est bien subrogée dans les droits de son assurée, conformément au droit applicable au contrat d'assurance, la société Gothaer AG est irrecevable à agir contre elle.

Elle ajoute qu'en toute hypothèse à l'aune du droit allemand, l'éventuel recours des sociétés Pilling GmbH et Gothaer AG était prescrit au plus tard le 31 décembre 2011.

La société Thyssenkrupp AG fait valoir au fond que le rapport de l'expert judiciaire ne permet aucunement d'établir l'existence d'une faute contractuelle de la part de la société Thyssenkrupp AG, ni de lien causal entre les tôles qu'elle a fournies et les dommages, raison pour laquelle elle estime que les sociétés Pilling GmbH et Gothaer AG ne peuvent agir sur le fondement de l'ancien article 1382 du code civil.

Elle considère que les conditions posées par l'article 1386 du code civil ne sont pas d'avantage remplies, puisque d'une part, aucun dommage à un bien autre que la cuve n'est à déplorer et d'autre part, la preuve d'un défaut de sécurité causal fait défaut.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 26 novembre 2019, la société Dillinger AG demande à la cour de :

- dire et juger mal fondé l'appel formé par la société MMA Iard et la SAS FGL ;

- prendre acte du désistement de la société Pilling GmbH et de la société Gothaer AG à son encontre ;

- condamner solidairement, au besoin in solidum la société MMA Iard et la SAS FGL à lui payer une somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner solidairement, au besoin in solidum la société Pilling GmbH et la société Gothaer AG à lui payer une somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner solidairement, au besoin in solidum, la société MMA Iard et la SAS FGL, subsidiairement, solidairement et au besoin in solidum, la société Pilling GmbH et la société Gothaer AG aux entiers frais et dépens d'appel.

La société Dillinger AG explique qu'elle a dû engager des frais importants dans le cadre de cette procédure initiée par la SAS FGL et la SA MMA Iard.

Elle estime que dans le cadre de l'appel incident de la société Pilling GmbH et de la société Gothaer AG à son encontre, aucune des conditions fondant la responsabilité d'un fabricant pour produits défectueux selon la loi allemande du 15 décembre 1989 n'est remplie.

Elle ajoute que la société Pilling GmbH est professionnelle en matière de fabrication de cuves de galvanisation, distribuant ses produits partout dans le monde et qu'elle ne peut donc lui reprocher un défaut de conseil quant à l'adaptation des tôles fournies au produit fabriqué.

L'ordonnance de clôture a été rendue le ler septembre 2020.

MOTIFS DE LA DECISION

Vu les conclusions déposées le 08 novembre 2019 par la société MMA Iard et la SAS FGL, et le 14 janvier 2020 par la société Pilling GmbH et la société Gothaer AG, le 02 décembre 2019 par la SA Nyrstar, le 03 septembre 2019 par la société Thyssenkrupp AG, et le 26 novembre 2019 par la société Dillinger AG, auxquelles la cour se réfère expressément pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens ;

Vu l'ordonnance de clôture en date du 1er septembre 2020;

I Sur la recevabilité des prétentions des sociétés MMA Iard et SAS FGL à l'encontre de la société Pilling GmbH et de la société Gothaer AG

L'article 954 alinéa 3 du code de procédure civile dispose que la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.

Dans le corps de leurs écritures, la société Pilling GmbH et la société Gothaer AG font valoir que les demandes des appelantes au titre des articles 433, 242 et 282 du code civil allemand et de l'article 35 de la convention de Vienne seraient irrecevables en raison de la prescription.

Toutefois dans le dispositif de leurs écritures, elles ne demandent pas à la cour de déclarer ces prétentions irrecevables, raison pour laquelle la présente juridiction examinera seulement leur bien ou leur mal fondé.

II Sur le désistement d'appel incident de la société Pilling GmbH et de la société Gothaer AG à l'égard des sociétés Dillinger AG, Thyssenkrupp AG et de la SA Nyrstar

L'article 401 du code de procédure civile dispose que le désistement de l'appel n'a besoin d'être accepté que s'il contient des réserves ou si la partie à l'égard de laquelle il est fait a préalablement formé un appel incident ou une demande incidente.

Les sociétés Dillinger AG, Thyssenkrupp AG et de la SA Nyrstar ont fait savoir qu'elles acceptaient le désistement des sociétésPilling GmbH et Gothaer AG de leurs prétentions à leur égard.

La cour constate donc le désistement des sociétés Pilling GmbH et Gothaer AG de leur appel incident à l'égard des sociétés Dillinger AG, Thyssenkrupp AG et de la SA Nyrstar.

III Sur la recevabilité de l'appel en garantie formé par la société Pilling GmbH et par la société Gothaer AG à l'encontre de la société Thyssenkrupp AG

La société Thyssenkrupp AG conteste la recevabilité du recours à son encontre de la société Pilling GmbH et de la société Gothaer AG, mais la cour rappelle que ces intimées se sont désistées de leurs demandes subsidiaires visant à obtenir la condamnation des sociétés Thyssenkrupp AG, Dillinger AG et SA Nyrstar à les garantir et relever indemnes de toute condamnation susceptible d'être prononcée à leur encontre et que la société Thyssenkrupp AG a accepté ce désistement.

Il n'y a donc pas lieu à statuer sur ce point.

IV Sur la valeur probante du rapport d'expertise déposé par M. G

Les appelantes demandent à la cour d'entériner le rapport d'expertise dans ses conclusions relatives aux causes du sinistre et du préjudice.

Les autres parties ne s'y opposent pas, faisant elles mêmes référence au rapport de M. G dont elles discutent toutefois l'interprétation.

En conséquence, la cour entérine le rapport d'expertise judiciaire déposé le 15 mars 2011 par M. H

V Sur le bien fondé des prétentions des sociétés MMA Iard et SAS FGL sur le fondement de la non conformité

L'article 36 de la convention de Vienne du 11 avril 1980 relative aux contrats de vente internationale de marchandise (convention CVIM) dispose que « 1) Le vendeur est responsable, conformément au contrat et à la présente Convention, de tout défaut de conformité qui existe au moment du transfert des risques à l'acheteur, même si ce défaut n'apparaît qu'ultérieurement.

2) Le vendeur est également responsable de tout défaut de conformité qui survient après le moment indiqué au paragraphe précédent et qui est imputable à l'inexécution de l'une quelconque de ses obligations, y compris à un manquement à une garantie que, pendant une certaine période, les marchandises resteront propres à leur usage normal ou à un usage spécial ou conserveront des qualités ou caractéristiques spécifiées ».

En l'espèce et selon les appelantes elles mêmes, la cuve fabriquée par la société Pilling GmbH a été livrée à la SAS FGL courant 2006.

Le rapport d'expertise de M. G et les conclusions des sapiteurs révèlent que le phénomène de corrosion accélérée a eu pour origine l'utilisation, à compter de septembre 2007, d'un alliage spécifique élaboré par la SAS FGL et les autres filiales du groupe France Galva, alliage dit D3, produisant des eutectiques à bas point de fusion.

Cet alliage est une alternative à la galvanisation au zinc pur ou à la galvanisation au zinc avec des éléments Pb (Plomb) ou SN (étain) venant des chutes de récupération des bâtiments. La conception de cet alliage a été envisagée notamment en raison des normes européennes quant à la suppression du plomb dans les bains de galvanisation à compter de l'année 2010.

Les opérations d'expertise judiciaire, qui ont mobilisé des expert et sapiteurs de plusieurs spécialités, ont toutefois permis d'établir que cet alliage a pour inconvénient majeur de conduire à la destruction des cuves par dégradation des intermétalliques entre le bain de zinc et l'acier des cuves.

Contrairement à ce que soutiennent les appelantes, la société Pilling GmbH n'a pas vendu à la SAS FGL une cuve qui ne pouvait servir que pour les bains de zinc pur.

En effet, il résulte du rapport d'expertise et de ses annexes que la société Pilling GmbH a vendu à la SAS FGL une cuve de galvanisation adaptée pour l'utilisation de zinc pur sans élément d'alliage produisant des intermétalliques à bas point de fusion, autrement dit une cuve convenant à des bains de zinc pur ou à des bains d'alliage usuels comprenant des éléments plomb ou étain de récupération, que ces modalités d'utilisation autorisaient une durée de vie de la cuve entre 6 ou 7 ans et que la cuve effectivement livrée par la société Pilling GmbH était conforme à cet usage, étant souligné que les cuves précédemment fournies par la société Pilling GmbH aux sociétés du groupe France Galva avaient satisfait aux conditions d'exploitation impliquant des bains de zinc pur et des bains d'alliage usuels sans connaître un phénomène de corrosion accélérée.

La SAS FGL et la SA MMA Iard, qui ne produisent d'ailleurs pas les pièces de la commande relatives à la cuve livrée à la SAS FGL mais celles concernant la cuve installée sur le site de la filiale France Galva à Carquefou, ne démontrent pas qu'au moment de la vente, la SAS FGL aurait spécifié à son fournisseur qu'elle utiliserait dans l'avenir un alliage particulier.

Il apparaît donc que lors de la conclusion de la vente, la société Pilling GmbH pouvait légitimement ignorer qu'à l'avenir son cocontractant, par ailleurs professionnel de la galvanisation, allait utiliser un alliage nouveau, entraînant une corrosion accélérée.

Il s'en déduit que la société Pilling GmbH n'a pas vendu une cuve non conforme à la commande.

Dans ces conditions, la cour confirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la SAS FGL et la SA MMA Iard de leurs demandes sur le fondement de la non conformité.

VI Sur le bien fondé des prétentions des sociétés MMA Iard et SAS FGL sur le fondement de l'inexécution de l'obligation de conseil et d'information

La directive machines 2006/42/CE est entrée en application le 29 décembre 2009.

Elle n'est donc pas applicable au présent litige, la cuve en cause ayant été livrée par la société Pilling GmbH au cours de l'année 2006.

La SAS FGL et la SA MMA Iard invoquent également l'article 242 du code civil allemand (BGB) selon lequel le débiteur a l'obligation d'exécuter la prestation comme l'exige la bonne foi eu égard aux usages.

La cour rappelle que la cause de la corrosion accélérée de la cuve est due à l'utilisation d'un alliage particulier par la SAS FGL, que cet alliage ne constitue pas un alliage nécessairement utilisé dans le processus de galvanisation et surtout que ce n'était pas celui utilisé par la SAS FGL au jour de la commande de la cuve.

Si les appelantes entendent se prévaloir du rapport de l'expert qui indique : « nous assistons à une évolution technique du passage du zinc quasi pur à des zinc alliés qu'il convient de prendre en compte de la nature des cuves. La société Pilling n'en a pas tenu compte » (p. 285), il sera rappelé que c'était la SAS FGL qui était le professionnel de galvanisation et qui devait s'assurer des effets d'un nouveau bain d'alliage, M. G rappelant d'ailleurs, en page 296 de son rapport, que « tout alliage mis sur le marché doit être examiné pour contrôler si les bains de fusion ne sont pas destructeurs des contenants ».

La vigilance de la SAS FGL aurait dû être d'autant plus grande que la société Nyrstar avait cessé de commercialiser son alliage appelé « Galveco », utilisé jusqu'en 2007 par la SAS FGL, au motif de la fissuration de structures d'acier en cours de galvanisation.

Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que la société Pilling n'a pas manqué à son obligation d'information en n'attirant pas l'attention de la société FGL sur les effets d'un bain d'alliage dont elle ignorait qu'il allait être utilisé par son client plusieurs mois après la vente, étant observé au surplus que les cuves précédemment fournies par la société Pilling GmbH laquelle dispose, selon les appelantes elles mêmes, d'un quasi monopole sur le territoire français, avaient satisfait aux conditions d'exploitation.

Par ailleurs, si les appelantes font également grief à la société Pilling GmbH de ne pas avoir informé la SAS FGL de ce que le premier remplissage de la cuve devait être effectué avec du zinc pur, la cour relève que l'expert judiciaire ne retient pas l'absence d'un premier bain de zinc pur comme étant en causalité avec les désordres. Les sapiteurs désignés par M. G, notamment Mme C et M.

B dans leur rapport du 18 mai 2010, ne font aucune mention de l'absence de premier remplissage avec du zinc pur comme étant la cause de la corrosion accélérée.

Ainsi aucun manquement de la société Pilling GmbH à son obligation de conseil en causalité avec les dommages subis par la SAS FGL ne peut être retenu.

En conséquence, la cour confirme le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté les demandes de la SAS FGL et de la SAS MMA Iard sur le fondement du manquement à l'obligation d'information.

VII Sur les dépens et les frais irrépétibles

La cour confirme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la SAS FGL et la société MMA Iard aux dépens dont les frais d'expertise non encore imputés par une autre décision de fond, en ce qu'il les a condamnées à payer solidairement, au titre des frais irrépétibles et avec l'exécution provisoire, la somme de 15.000 euros à la société Pilling GmbH et à la société Gothaer AG, la somme de 10.000 euros à la société Thyssenkrupp AG, la somme de 10.000 euros à la société Dillinger AG et la somme de 5.000 euros à la SA Nyrstar.

La SAS FGL et la SA MMA Iard qui succombent seront condamnées aux dépens de l'appel.

La SAS FGL et la SA MMA Iard ont fait le choix de maintenir leur appel en dépit d'arrêts rendus par d'autres cours et rejetant les prétentions des autres filiales de la société France Galva. L'appel incident formé par la société Pilling GmbH et la société Gothaer AG à l'encontre des sociétés Thyssenkrupp AG, Dillinger AG et SA Nyrstar avait pour objectif de sauvegarder leurs intérêts.

Dans ces conditions et pour des considérations d'équité, la SAS FGL et la SA MMA Iard seront condamnées solidairement à payer, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 5 000 euros à la société Pilling GmbH, la somme de 5 000 euros à la société Gothaer AG, la somme de 5 000 euros à la société Thyssenkrupp AG, la somme de 5 000 euros à la société Dillinger AG et la somme de 5 000 euros à la SA Nyrstar.

Pour les mêmes considérations d'équité, les prétentions au titre de l'article 700 du code de procédure civile de la SAS FGL et de la SA MMA Iard, mais également celles des sociétés Thyssenkrupp AG et Dillinger AG à l'encontre de la société Pilling GmbH et de la société Gothaer AG seront également rejetées.

MOTIFS DE LA DECISION

La cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

CONSTATE le désistement des sociétés W. Pilling Riepe GmbH et D A J Z de leur appel incident à l'égard des sociétés Aktiengesellschaft Der Dillinger Hüttenwerke AG, Thyssenkrupp Steel Europe AG et de la SA Nyrstar Belgium;

CONFIRME le jugement entrepris dans toutes ses dispositions ;

y ajoutant,

ENTERINE le rapport d'expertise judiciaire déposé le 15 mars 2011 par M. G X

CONDAMNE solidairement la SAS France Galva Lorraine et la société d'assurances mutuelles MMA Iard aux dépens de l'appel ;

CONDAMNE solidairement la SAS France Galva Lorraine et la société d'assurances mutuelles MMA Iard à payer, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 5000 euros à la société W. Pilling Riepe GmbH, la somme de 5 000 euros à la société Gothaer Allgemeine Versicherung AG, la somme de 5 000 euros à la société Thyssenkrupp Steel Europe AG, la somme de 5 000 euros à la société Aktiengesellschaft Der Dillinger Hüttenwerke AG et la somme de 5 000 euros à la SA Nyrstar Belgium ;

REJETTE les demandes formées par la SAS France Galva Lorraine et la société d'assurances mutuelles MMA Iard en application de l'article 700 du code de procédure civile;

REJETTE les demandes formées sur ce même fondement par la société Thyssenkrupp Steel Europe AG et la société Aktiengesellschaft Der Dillinger Hüttenwerke AG à l'encontre de la société W. Pilling Riepe GmbH et de la société Gothaer Allgemeine Versicherung AG.

Le présent arrêt a été signé par Mme Devignot, conseillère à la cour d'appel de Metz faisant fonction de présidente de chambre, et par Mme Wild, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.