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Décisions

CA Douai, premier président, 19 février 2024, n° 23/00747

DOUAI

Ordonnance

Autre

PARTIES

Demandeur :

Stokke France (SAS)

Défendeur :

DGCCRF

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Château

Avocats :

Me Laforce, Me Idri

CA Douai n° 23/00747

18 février 2024

EXPOSE DE LA CAUSE

La SAS Stokke France, fabricant de meubles et accessoires pour enfants, est immatriculée au registre du commerce et des sociétés d'Aix en Provence suite au transfert de son siège social le 11 juillet 2022, au [Adresse 6] à [Localité 12].

Le 20 janvier 2023, le ministre de l'économie a adressé à M. [UM] [NI], directeur régional adjoint de la direction de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DREETS) des Hauts-de-France une demande d'enquête tendant à établir l'existence de pratiques anti-concurrentielles prohibées par les articles L420-1 du code de commerce et 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne susceptibles d'être mises en œuvre dans le secteur des articles de puériculture.

Par requête du 20 janvier 2023, M. [NI] a saisi le juge des libertés du tribunal judiciaire de Lille afin qu'il autorise les enquêteurs habilités par les articles L. 450-1, A. 450-1 et A. 450-2 du code de commerce à procéder aux visites et saisies dans les locaux des entreprises suivantes :

* Columbus trading-partners GMBH & CO. KG, établissement secondaire et unique sur le territoire national français, [Adresse 14] ;

mais aussi

* Stokke France, siège social [Adresse 7] ;

* Babyzen distribution, siège social [Adresse 5] ;

* Outlander, siège social [Adresse 3] ;

* domicile de Mme [J] [PP] [LB], situé [Adresse 1], country manager France chez Stokke Babyzen ;

* Aubert France, siège social [Adresse 8] ;

* Neworch, enseigne Orchestra, siège social [Adresse 23] ;

* France Maternité enseigne BEBE9, siège social [Adresse 10] ;

* Vert Baudet, siège social [Adresse 4] ;

Il exposait notamment que :

' le 5 juin 2019, un ancien salarié de la société Columbus, employé au sein de l'établissement français de cette dernière, a saisi les services de la DGCCRF et a souhaité signaler une infraction ou un manquement, en indiquant qu'il lui était reproché de ne pas appeler ses clients pour leur faire remonter les prix de ventes et que le directeur France demandait de bloquer les livraisons des clients qui ne respectaient pas les prix de vente définis par lui-même et la direction en Allemagne ; il confirmait ses propos lors de son audition du 25 juin 2019 par la DCCCRF, précisant que M. [K], directeur général France de Cybex, demandait à ses commerciaux, suite à des difficultés multiples au sujet des prix avec les enseignes Aubert, Bébé9, Autour de bébé et Babylux de « faire remonter les prix à une date fixe pour que tout le monde remonte en même temps et avec ordre de menacer le client de rupture de livraison en cas de refus de remonter le prix »; un système visant au strict respect des consignes tarifaires avait été mis en place par la création de groupes sur le réseau de communication Whatsapp des téléphones des équipes commerciales du fournisseur ;

' ces allégations ont été confirmées par des revendeurs de la marque Cybex et notamment le 3 mars 2022 par la représentante de Babyboo France, le 9 mars 2022 par la représentante de la société Inter-praticien indépendante qui exploite le magasin à enseigne Bébécash [Localité 20], le 7 avril 2022 par le représentant du groupe LDLC, qui exploite les magasins à l'enseigne « l'armoire de bébé », le 23 septembre 2022 par deux représentants de la société Natal développement, qui exploite six magasins sous l'enseigne Natal Market à [Localité 20] et [Localité 17], et qui ont produit des SMS échangés les 27 novembre 2019, 23 juin 2022 et 15 septembre 2022 avec Colombus à ce sujet;

' les déclarations recueillies en 2022 par les enquêteurs de la DGCCRF auprès de revendeurs de produits Babyzen et Stokke font état de pratiques similaires à savoir un contrôle strict des prix chez les revendeurs afin qu'ils respectent les prix de référence et ce par les biais des commerciaux, les produits de la société Stokke étant commercialisés en France par la société Stokke France et ceux de la société Babyzen par la société Babyzen Distribution, les sociétés du groupe Babyzen, dont Babyzen Distribution ayant intégré le groupe Stokke en décembre 2021, le groupe Stokke ayant mis fin aux contrats de distribution avec les revendeurs connus pour déroger à la politique d'uniformisation des prix de vente ;

' l'analyse comparative des relevés de prix opérés par les agents de la DGCCRF le 28 octobre 2022 sur des produits de marque cybex, stokke, babyzen, sur les sites internet de 22 revendeurs sur une centaine de produits et modèles fait apparaître les mêmes prix de vente à un euro prêt;

Par ordonnance du 23 janvier 2023, le juge des libertés de Lille a :

' autorisé M. [UM] [NI] à procéder ou à faire procéder, dans les locaux des entreprises suivantes, aux visites et aux saisies prévues par les dispositions de l'article L. 450-4 du code de commerce afin de rechercher la preuve des agissements qui entrent dans le champ des pratiques prohibées par l'article L. 420-1 du code de commerce et 101 du traité fondateur de l'Union Européenne (ci-après TFUE) dans le secteur des articles de puériculture, ainsi que toute manifestation de ces comportements prohibés :

* Columbus trading-partners GMBH 1 CO. KG, établissement secondaire et unique sur le territoire national français, [Adresse 14] ;

* Stokke France, siège social [Adresse 7] ;

* Babyzen distribution, siège social [Adresse 5] ;

* Outlander, siège social [Adresse 3] ;

* domicile de Mme [J] [PP] [LB], situé [Adresse 1] ;

* Aubert France, siège social [Adresse 8] ;

* Neworch, enseigne Orchestra, siège social [Adresse 23] ;

* France Maternité enseigne BEBE9, siège social [Adresse 10] ;

* Vert Baudet, siège social [Adresse 4] ;

' autorisé par ailleurs ces mêmes opérations dans les locaux des entreprises des mêmes groupes qui seraient situés aux mêmes adresses ;

' lui a laissé le soin de désigner parmi les enquêteurs habilités par les articles L. 450-1, A. 450-1 et A. 450-2 du code de commerce, ceux placés sous son autorité pour effectuer les visites et saisies autorisées ;

' constaté le concours à lui apporter en tant que de besoin du chef du pôle concurrence, consommation, répression des fraudes et métrologie de la Direction régionale et interdépartementale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DRIEETS) d''Ile-de-France, des chefs de pôle concurrence, consommation, répression des fraudes et métrologie de la Direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DREETS) d'Auvergne-Rhône-Alpes, du Centre-Val-de-Loire, de Normandie, de Nouvelle-Aquitaine, de Bourgogne-Franche-Comté, de Grand-Est, de Bretagne, de Corse, d'Occitanie, des Pays-de-la-Loire, de Provence-Alpes-Côte d'Azur, de la directrice de la Direction départementale de la protection des populations (DDPP) d'Indre-et-Loire et de la cheffe du Service national des enquêtes de la DGCCRF, qui désigneront, parmi les agents mentionnés aux articles L. 450-1, A. 450-1 et A. 450-2 du code de commerce placés sous leur autorité, ceux chargés d'effectuer les visites et saisies autorisées ;

' indiqué que pour assister aux opérations de visite et de saisie et le tenir informé de leur déroulement, les chefs de service ci-après nommeront les officiers de police territorialement compétents qui pourront agir de concert ou séparément :

* commissaire de police [CX] [JL], chef du commissariat de police de [Localité 15] ;

* major [RK] [I], commandant de brigade adjoint à [Localité 19] ;

* [E] [OY], commissaire de police, chef de la sûreté urbaine d'[Localité 12] ;

* commandante [R] [N], cheffe de la brigade mobile de recherche zonale Nord ;

* capitaine [CM] [MN], commandant de la brigade de [Localité 18] ;

* capitaine [G] [ZZ], compagnie de [Localité 21] commandant de compagnie de gendarmerie départementale adjoint ;

* [S] [OV], commissaire divisionnaire, chef de la division Ouest de [Localité 13] ;

' dit que les occupants des lieux ou leurs représentants peuvent faire appel à un conseil de leur choix sans que cela n'entraîne la suspension des opérations de visite et de saisie ;

' indiqué que les entreprises visées par la présente ordonnance peuvent à compter de la date de l'opération de visite et de saisie dans les locaux consulter la requête et les documents susvisés au greffe de notre juridiction ;

' indiqué que les entreprises visées par l'ordonnance peuvent en application de l'article L. 450-4 sixième alinéa du code de commerce interjeter appel de celle-ci devant le premier président de la cour d'appel de Douai suivant les règles prévues par le code de procédure pénale, que cet appel est formé par déclaration au greffe du tribunal judiciaire de Lille dans un délai de 10 jours à compter de la notification de l'ordonnance ; que l'appel n'est pas suspensif ; que l'ordonnance du premier président de la cour d'appel est susceptible d'un pourvoi en cassation selon les règles prévues par le code de procédure pénale ; que les pièces saisies sont conservées jusqu'à ce qu'une décision soit devenue définitive ;

' indiqué qu'en application du dernier alinéa de l'article L. 450-4 du code de commerce, le déroulement des opérations de visite et saisie peut faire l'objet d'un recours devant le premier président de la cour d'appel de Douai, suivant les règles prévues par le code de procédure pénale ; que ce recours est formalisé par déclaration au greffe du tribunal judiciaire de Lille dans un délai de 10 jours à compter de la remise du procès-verbal de visite et saisie ; que le recours n'est pas suspensif ; que l'ordonnance du premier président de la cour d'appel est susceptible de pourvoi en cassation selon les règles du code de procédure pénale ; que les pièces sont conservées jusqu'à ce qu'une décision soit devenue définitive ;

' dit que l'ordonnance sera caduque si les opérations de visite et de saisie ne sont pas effectuées avant le 2 mai 2023.

Les opérations de visite et saisies se sont déroulées les 2 et 3 février 2023 au siège social de la SAS [Adresse 22] à [Localité 11].

Par déclaration au greffe du tribunal judiciaire de Lille de Maître La force, avocat au barreau de Douai, en date du 10 février 2023, la SAS Stokke France a formé un recours à l'encontre des opérations de visite et saisies qui se sont déroulées dans les locaux de la SAS Stokke France après qu'elles aient été autorisées par ordonnance du 23 janvier 2023 de Mme [F] [U], juge des libertés et de la détention au tribunal judiciaire de Lille.

A l'audience du 16 octobre 2023 à laquelle cette affaire a été appelée et retenue,

La SAS Stokke France représentée par Maître Mali Idri avocat plaidant, demande à la présente juridiction au visa des articles 6 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, des articles L 450-4 et R 450-2 du code de commerce, 56 du code de procédure pénale et 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 de :

- constater que les inspecteurs de la DREETS n'ont pas satisfait à l'obligation de communiquer un inventaire exhaustif des documents saisis lors des opérations de visites et saisies des 2 et 3 février 2023,

-constater que les services de la DREETS ont, à tort, rejeté l'intégralité de la demande qu'elle a présentée d'expurgation des documents protégés par le secret des correspondances avocat-client,

- juger que se faisant, les services de la DREETS ont effectivement procédé à une saisie massive et indifférenciée de nature à porter atteinte au principe de confidentialité des correspondances entre un avocat et son client, violant ainsi les droits de la défense,

- en conséquence,

- à titre principal, annuler l'intégralité des opérations de visites et de saisies qui ont eu lieu les 2 et 3 février 2023 dans ses locaux,

- ordonner la restitution de l'ensemble des documents saisis et de leurs éventuelles copies dans un délai de 10 jours à compter de « l'arrêt » rendu par Monsieur le président,

- ordonner la suppression de toute référence aux pièces litigieuses et en interdire toute utilisation ou exploitation subséquente,

- à titre subsidiaire, ordonner la restitution des documents qu'elle communique au soutien de ses écritures et qui relèvent de la correspondance avocat-client dans un délai de 10 jours à compter de « l'arrêt » rendu par Monsieur le président, et ordonner la suppression de toute référence aux documents litigieux et en interdire toute utilisation ou exploitation subséquente,

-à titre infiniment subsidiaire, ordonner à la DREETS de mettre en œuvre une véritable procédure d'expurgation, sur la base d'une position juridique écrite et transmise à l'avance aux parties.

La DGCCRF représentée par M. [UM] [NI], substitué à l'audience par Mme [ZE] [B] munie d'un pouvoir, demande à la présente juridiction de :

- dire et juger mal fondé le recours formé par la SAS Stokke France à l'encontre du déroulement des opérations de visites et saisies autorisées par l'ordonnance,

- débouter la SAS Stokke France de toutes ses demandes,

- confirmer la validité des opérations de visites et saisies qui se sont déroulées les 2 et 3 février 2023, et 1er mars 2023 ;

- condamner en conséquence la SAS Stokke France aux entiers dépens.

Les moyens développés par la SAS Stokke France et par la DGCCRF à l'appui de leurs demandes seront repris dans le cadre de la motivation de la présente décision.

MOTIFS DE LA DECISION

1. Sur l'absence de délivrance d'un inventaire exhaustifs des documents saisis

L'article R 450-2 du code de commerce prévoit que les procès-verbaux prévus à l'article L450-4 du code de commerce relatent le déroulement de la visite et consigne les constatations effectuées. Ils sont dressés sur le champ. Il comporte l'inventaire des pièces et documents saisis.

L'article 56 du code de procédure pénale précise en ses alinéas 4 et 5 que : « Tous objets et documents saisis sont immédiatement inventoriés et placés sous scellés. Cependant, si leur inventaire sur place présente des difficultés, ils font l'objet de scellés fermés provisoires jusqu'au moment de leur inventaire et de leur mise sous scellés définitifs et ce, en présence des personnes qui ont assisté à la perquisition suivant les modalités prévues à l'article 57. Il est procédé à la saisie des données informatiques nécessaires à la manifestation de la vérité en plaçant sous-main de justice soit le support physique de ces données, soit une copie réalisée en présence des personnes qui assistent à la perquisition.

Le procès-verbal de visite et de saisie 02022023/STOKKEBABYZEN/NUM dans les locaux de la SAS Stokke France en date du 2 février 2023 fait état de la saisie de données numériques accessibles depuis l'ordinateur portable Lenovo ThinkPad X3 Yoga de Mme [OD] [L], responsable de comptes stratégiques internationaux chez Stokke France, de la saisie de certains fichiers numériques sélectionnés dans le téléphone portable Iphone 12 de Mme [OD] [L], de la saisie des fichiers de messagerie archivés de Mme [L], de la saisie des fichiers de messageries de Mme [O] [A] ancienne responsable de comptes (commerciale), de M. [V] [VH], ancien commercial, de M. [S] [EC], de M. [GJ] [W] et de leur placement sous scellé numérique provisoire dans la mesure où le représentant de l'occupant des lieux a précisé que les fichiers de messagerie sélectionnés contenaient des documents protégés par la correspondance avocat-client et en demandait la protection, précisant que les listes des fichiers sélectionnés élaborées étaient gravées sur CD-R placé en annexe du procès-verbal. Il était demandé à la SAS Stokke France de fournir sous forme de tableau la liste des documents dont elle estime qu'ils sont protégés par le secret de la correspondance avocat-client au sens de la loi du 31 décembre 1971 pour chacun des fichiers de messagerie sélectionnés, un rendez-vous contradictoire devant être fixé ultérieurement en vue de l'ouverture de ce scellé provisoire.

Le procès-verbal de visite et de saisie 02022023/STOKKEBABYZEN/NUM2 dans les locaux de la SAS Stokke France en date du 3 février 2023 fait état de la reprise des opérations suspendues la veille à 23h15 et de la saisie des fichiers de messagerie de Mme [YJ] [X], ancienne responsable de comptes (commerciale), de M. [P] [M], responsable de comptes (commercial), de Mme [DH] [KG], responsable de comptes (commerciale) et de Mme [Y] [H], responsable de comptes (commerciale), et de leur placement sous le même scellé numérique provisoire n°1 fermé la veille, brisé le 3 février 2023 après avoir vérifié qu'il était intact et ce dans la mesure où le représentant de l'occupant des lieux a précisé que les fichiers de messagerie sélectionnés contenaient des documents protégés par la correspondance avocat-client et en demandait la protection, précisant que les listes des fichiers sélectionnés élaborées ont été gravées sur CD-R placé en annexe du procès-verbal. Il était également demandé à la SAS Stokke France de fournir sous forme de tableau la liste des documents dont elle estime qu'ils sont protégés par le secret de la correspondance avocat-client au sens de la loi du 31 décembre 1971 pour chacun des fichiers de messagerie sélectionnés, un rendez-vous contradictoire devant être fixé ultérieurement en vue de l'ouverture de ce scellé provisoire. La SAS Stokke France est en conséquence mal fondée à prétendre qu'elle n'a été destinataire d'aucune information sur les éléments saisis, n'ayant pour seule information « scellé numérique provisoire ».

Il sera de suite précisé que la SAS Stokke France est mal fondée à demander l'annulation de l'ensemble des opérations de saisie des fichiers numériques au motif de l'absence de délivrance d'un inventaire exhaustifs des documents saisis, alors même qu'elle reconnaît que pour les documents autres que les emails, une liste exhaustive est fournie, donnant pour exemple les fichiers numériques saisis sur l'ordinateur de Mme [L].

Concernant la saisie de fichiers contenant des emails, la SAS Stokke France est mal fondée à prétendre qu'elle n'a été destinataire d'aucune information sur les éléments saisis, n'ayant pour seule information que celle de « scellé numérique provisoire », alors même que les procès-verbaux sus-énoncés des 2 et 3 février 2023 énoncent que les listes des fichiers sélectionnés élaborées ont été gravées sur CD-R placé en annexe du procès-verbal.

Elle même reprend cet inventaire dans ses écritures paragraphe 28 ne précisant pas en quoi il ne correspondrait pas à l'inventaire exigé par les articles R 450-2 du code de commerce et 56 du code de procédure pénale, alors qu'ils contiennent le nom de la personne à laquelle la messagerie appartient, le support à partir duquel la saisie s'est faite (ordinateur ou téléphone), la taille du fichier et son empreinte numérique, ce qui constitue un document de référence qui fait obstacle aux manipulations et permet à la SAS Stokke qui reste en possession des fichiers originaux des messageries de déterminer les messages saisis. La présente juridiction note que la SAS Stokke France a d'ailleurs été en capacité de transmettre à l'administration par courriels de 23 et 26 février les messages qu'elle estimait couverts par le secret professionnel avocats-clients.

Ce moyen n'est donc pas fondé et la SAS Stokke France sera déboutée de ses demandes d'annulation des opérations de visites et de saisies fondées sur ce moyen.

2. Sur l'ineffectivité de la procédure de scellés fermés provisoires

Suivant courriel en date du 23 février 2023 de son conseil, la SAS Stokke France demandait à la DREETS, au vu de la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation et au vu des éléments sur lesquels porte l'enquête administrative définis dans l'ordonnance du 23 janvier 2023 de retenir comme couvertes par le secret professionnel et ne pouvant être saisies :

- les correspondances entre la SAS Stokke et ses avocats relatives aux détails des contrats conclus avec ses distributeurs,

- les correspondances entre la SAS Stokke et ses avocats relatives aux conflits survenus avec ses distributeurs,

- les correspondances entre la SAS Stokke et ses avocats relatives à la politique tarifaire de Stokke France et de ses distributeurs,

- les correspondances entre la SAS Stokke et ses avocats relatives à la rupture de certains contrats avec les distributeurs,

- les correspondances entre la SAS Stokke et ses avocats relatives avec de potentielles autres affaires contentieuses et les échanges internes restituant les avis juridiques d'avocats,

et transmettait un premier document énonçant les messages protégés couvrant 60% des correspondances listées.

Suivant courriel en date du 26 février 2023 de son conseil, la SAS Stokke France transmettait un tableau finalisé contenant l'ensemble des correspondances à exclure, comme répondant aux critères d'exclusion énoncés le 23 février 2023.

Il résulte du procès-verbal de visite et de saisie du 1er mars 2023, que les quatre inspecteurs de la concurrence ont examiné 182 documents dans la liste adressée par la SAS Stokke, et qu'ils ont considéré qu'ils ne relevaient pas de la protection accordée par l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 et n'étaient donc pas expurgés ; qu'ils ont indiqué constater que la société n'a ainsi pas procédé à l'identification des seuls éléments susceptibles de relever de ladite protection et qu'elle a sollicité au même titre la suppression de documents tiers et qu'ils n'étaient donc pas en mesure de procéder à l'expurgation sollicitée sur la base de la liste établie par la société Stokke.

Dans la mesure où l'administration n'avait pas fait connaître à la SAS Stokke sa position juridique sur ce que recouvrait le secret professionnel des correspondances avocats-clients, elle ne pouvait au prétexte qu'elle n'avait pas trouvé parmi les 182 premiers documents examinés sur 1084 transmis des messages échangés entre un avocat et son client liés à l'exercice des droits de la défense liés à un contentieux, refuser d'examiner les autres messages et il appartient en conséquence à la présente juridiction de faire cet examen après avoir défini le secret professionnel des correspondances avocats-clients.

L'article 66-5 de la loi 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires, dans sa version en vigueur depuis la loi 2011-331 du 28 mars 2011, prévoit que :

« En toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères à l'exception pour ces dernières de celles portant la mention " officielle ", les notes d'entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel. »

Il est de jurisprudence constante que le pouvoir reconnu aux agents visés à l'article L450-1 du code de commerce par l'article 450-4 du même code leur interdit de saisir les correspondances échangées entre un client et son avocat en toutes matières, lorsqu'elles sont liées à l'exercice des droits de la défense, entendu comme des correspondances avocat-client relatives à l'exercice des droits de la défense dans le cadre d'un contentieux, ce qui correspond à la justification n°4 indiquée par la SAS Stokke France dans son tableau adressé à l'administration fiscale.

Ne peuvent être ainsi considérés comme couverts par le secret professionnel les correspondances des membres de la SAS Stokke France avec leur avocate, à savoir Maître [C] [D] avocate au sein du cabinet parisien Lacoste associés relatives aux relations contractuelles de la SAS Stokke France avec ses distributeurs, à la politique tarifaire de la SAS Stokke France et aux conflits avec ses distributeurs, hors procédure contentieuse.

Sont en revanche couverts par ce secret professionnel l'ensemble des messages repris dans le tableau établi par la SAS Stokke France (pièce 8 remise par l'administration lors de l'audience du 16 octobre 2023) sous la justification 4, à savoir les correspondances entre Stokke France et Maître [D], relatives à des contentieux, soit :

- message n° 137, de la messagerie de Mme [OD] [L], émis par [T] [Z] le 16 septembre 2022 à 7.20 AM de chez Stokke France à destination notamment de Maître [D], suite à l'assignation délivrée par Natal Market,

- messages 1, 3 à 6, 12, 15, 16, 21 à 26, 34, 36, 60 à 63, 86 à 93, 123,124, 130, 134 à 138, 141 à 146, 198, 202 et 203 de la messagerie de M. [GJ] [W] émis à destination de Maître [D] avocate ou émis par elle à destination de M. [GJ] [W] et d'autres membres de la SAS Stokke France relatifs à des stratégies de défense suite à des contentieux avec des distributeurs notamment ayant notamment pour objet : Dido, Natal Market.

Il convient en conséquence d'ordonner à l'administration de supprimer toute référence à ces messages, de lui interdire toute référence ou utilisation.

PAR CES MOTIFS

Déboute la SAS Stokke France de ses demandes :

- d'annulation de l'intégralité des opérations de visites et de saisies qui ont eu lieu les 2 et 3 février 2023 dans ses locaux,

- de restitution de l'ensemble des documents saisis et de leurs éventuelles copies dans un délai de 10 jours à compter de « l'arrêt » rendu par Monsieur le président,

- de restitution des documents qu'elle communique au soutien de ses écritures et qui relèvent de la correspondance avocat-client dans un délai de 10 jours à compter de « l'arrêt » rendu par Monsieur le président,

- d'ordonner à la DREETS de mettre en œuvre une véritable procédure d'expurgation, sur la base d'une position juridique écrite et transmise à l'avance aux parties,

Ordonne à la DREETS des Hauts de France de supprimer des messages saisis les messages suivants :

- message n° 137, de la messagerie de Mme [OD] [L], message n°137, de la messagerie de Mme [OD] [L], émis par [T] [Z] le 16 septembre 2022 à 7.20 AM de chez Stokke France à destination notamment de Maître [D], suite à l'assignation délivrée par Natal Market,

- messages 1, 3 à 6, 12, 15, 16, 21 à 26, 34, 36, 60 à 63, 86 à 93, 123,124, 130, 134 à 138, 141 à 146, 198, 202 et 203 de la messagerie de M. [GJ] [W] émis à destination de Maître [D] avocate ou émis par elle à destination de M. [GJ] [W] et lui interdit toute référence ou utilisation.