CA Douai, premier président, 19 février 2024, n° 23/00751
DOUAI
Ordonnance
Autre
PARTIES
Défendeur :
DGCCRF
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Château
Avocats :
Me Laforce, Me Travade
EXPOSE DE LA CAUSE
Suivant contrat de travail en date du 8 avril 2019, Mme [J] [TT] [ZH] a été embauchée à compter du 6 mai 2019 comme directrice commerciale régionale France de la SAS Stokke France, encadrant l'équipe de ventes de France Stokke,
Le 23 novembre 2022, son médecin traitant saisissait la médecine du travail à raison d'un état de détresse physico-psychologique lié à son surmenage professionnel. Elle était placée en arrêt de travail jusqu'au 17 décembre 2022, puis à nouveau à partir du 6 janvier 2023.
La société Stokke est un fabricant de meubles et accessoires pour enfants. La SAS Stokke France a son siège depuis le 11 juillet 2022, [Adresse 4] à [Localité 9].
Le 20 janvier 2023, la sous-directrice des affaires juridiques, des politiques de la concurrence et de la consommation, par délégation du ministre de l'économie a adressé à M. [P] [HY], directeur régional adjoint de la direction de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DREETS) des Hauts-de-France une demande d'enquête tendant à établir l'existence de pratiques anti-concurrentielles prohibées par les articles L420-1 du code de commerce et 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne susceptibles d'être mises en oeuvre dans le secteur des articles de puériculture.
Par requête du 20 janvier 2023, M. [HY] a saisi le juge des libertés du tribunal judiciaire de Lille afin qu'il autorise les enquêteurs habilités par les articles L. 450-1, A. 450-1 et A. 450-2 du code de commerce à procéder aux visites et saisies dans les locaux des entreprises suivantes :
* Columbus trading-partners GMBH & CO. KG, établissement secondaire et unique sur le territoire national français, [Adresse 12] ;
mais aussi
* Stokke France, siège social [Adresse 4] ;
* Babyzen distribution, siège social [Adresse 4] ;
* Outlander, siège social [Adresse 2] ;
* au domicile de Mme [H] [TT] [ZH], situé [Adresse 1], country manager France chez Stokke Babyzen ;
* Aubert France, siège social [Adresse 5] ;
* Neworch, enseigne Orchestra, siège social [Adresse 20] ;
* France maternité enseigne BEBE9, siège social [Adresse 7] ;
* Vert Baudet, siège social [Adresse 3] ;
Il exposait notamment que :
' le 5 juin 2019, un ancien salarié de la société Columbus, employé au sein de l'établissement français de cette dernière, a saisi les services de la DGCCRF et a souhaité signaler une infraction ou un manquement, en indiquant qu'il lui était reproché de ne pas appeler ses clients pour leur faire remonter les prix de ventes et que le directeur France demandait de bloquer les livraisons des clients qui ne respectaient pas les prix de vente définis par lui-même et la direction en Allemagne ; il confirmait ses propos lors de son audition du 25 juin 2019 par la DCCCRF, précisant que M. [V], directeur général France de Cybex, demandait à ses commerciaux, suite à des difficultés multiples au sujet des prix avec les enseignes Aubert, Bébé9, Autour de bébé et Babylux de « faire remonter les prix à une date fixe pour que tout le monde remonte en même temps et avec ordre de menacer le client de rupture de livraison en cas de refus de remonter le prix »; un système visant au strict respect des consignes tarifaires avait été mis en place par la création de groupes sur le réseau de communication Whatsapp des téléphones des équipes commerciales du fournisseur ;
' ces allégations ont été confirmées par des revendeurs de la marque Cybex et notamment le 3 mars 2022 par la représentante de Babyboo France, le 9 mars 2022 par la représentante de la société Inter-praticien indépendante qui exploite le magasin à enseigne Bébécash [Localité 18], le 7 avril 2022 par le représentant du groupe LDLC, qui exploite les magasins à l'enseigne « l'armoire de bébé », le 23 septembre 2022 par deux représentants de la société Natal développement, qui exploite six magasins sous l'enseigne Natal Market à [Localité 18] et [Localité 15], et qui ont produit des SMS échangés les 27 novembre 2019, 23 juin 2022 et 15 septembre 2022 avec [D] à ce sujet;
' les déclarations recueillies en 2022 par les enquêteurs de la DGCCRF auprès de revendeurs de produits Babyzen et Stokke font état de pratiques similaires ' contrôle strict des prix chez les revendeurs afin qu'ils respectent les prix de référence et ce par les biais des commerciaux -, les produits de la société Stokke étant commercialisés en France par la société Stokke France et ceux de la société Babyzen par la société Babyzen Distribution, les sociétés du groupe Babyzen, dont Babyzen Distribution ayant intégré le groupe Stokke en décembre 2021, le groupe Stokke ayant mis fin aux contrats de distribution avec les revendeurs connus pour déroger à la politique d'uniformisation des prix de vente ;
' l'analyse comparative des relevés de prix opérés par les agents de la DGCCRF le 28 octobre 2022 sur des produits de marque cybex, stokk, babyzen, sur les sites internet de 22 revendeurs sur une centaine de produits et modèles fait apparaître les mêmes prix de vente à un euro prêt;
' Mme [J] [TT] [ZH], country manager France chez Stokke, interlocutrice des revendeurs de la marque Stokke interrogés en Ile de France, exerçait ses fonctions depuis son domicile, dès lors qu'antérieurement au rachat de Babyzenn le groupe Stokke ne disposait pas de locaux en France regroupant ses représentants et commerciaux installés en France, que Mme [ZH] exerçait donc ses fonctions depuis son domicile situé en région parisienne ; si la société Stokke avait depuis juillet 2022 son siège à [Localité 9], il est vraisemblable que Mme [ZH] exerce ses fonctions depuis son domicile en région parisienne, au moins à temps partiel et y entrepose ses archives antérieures à juillet 2022.
Au vu de ces éléments, il indiquait qu'il apparaissait que des éléments susceptibles de justifier les pratiques présumées s'agissant de la socité Stoccke se situaient au domicile de Mme [ZH].
Par ordonnance du 23 janvier 2023, le juge des libertés de Lille a :
' autorisé M. [P] [HY] à procéder ou à faire procéder, dans les locaux des entreprises suivantes, aux visites et aux saisies prévues par les dispositions de l'article L. 450-4 du code de commerce afin de rechercher la preuve des agissements qui entrent dans le champ des pratiques prohibées par l'article L. 420-1 du code de commerce et 101 du traité fondateur de l'Union Européenne (ci-après TFUE) dans le secteur des articles de puériculture, ainsi que toute manifestation de ces comportements prohibés :
* Columbus trading-partners GMBH 1 CO. KG, établissement secondaire et unique sur le territoire national français, [Adresse 12] ;
* Stokke France, siège social [Adresse 4] ;
* Babyzen distribution, siège social [Adresse 4] ;
* Outlander, siège social [Adresse 2] ;
* domicile de Mme [H] [TT] [ZH], situé [Adresse 1] ;
* Aubert France, siège social [Adresse 5] ;
* Neworch, enseigne Orchestra, siège social [Adresse 20] ;
* France Maternité enseigne BEBE9, siège social [Adresse 7] ;
* Vert Baudet, siège social [Adresse 3] ;
' autorisé par ailleurs ces mêmes opérations dans les locaux des entreprises des mêmes groupes qui seraient situés aux mêmes adresses ;
' lui a laissé le soin de désigner parmi les enquêteurs habilités par les articles L. 450-1, A. 450-1 et A. 450-2 du code de commerce, ceux placés sous son autorité pour effectuer les visites et saisies autorisées ;
' constaté le concours à lui apporter en tant que de besoin du chef du pôle concurrence, consommation, répression des fraudes et métrologie de la Direction régionale et interdépartementale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DRIEETS) d''Ile-de-France, des chefs de pôle concurrence, consommation, répression des fraudes et métrologie de la Direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DREETS) d'Auvergne-Rhône-Alpes, du Centre-Val-de-Loire, de Normandie, de Nouvelle-Aquitaine, de Bourgogne-Franche-Comté, de Grand-Est, de Bretagne, de Corse, d'Occitanie, des Pays-de-la-Loire, de Provence-Alpes-Côte d'Azur, de la directrice de la Direction départementale de la protection des populations (DDPP) d'Indre-et-Loire et de la cheffe du Service national des enquêtes de la DGCCRF, qui désigneront, parmi les agents mentionnés aux articles L. 450-1, A. 450-1 et A. 450-2 du code de commerce placés sous leur autorité, ceux chargés d'effectuer les visites et saisies autorisées ;
' indiqué que pour assister aux opérations de visite et de saisie et le tenir informé de leur déroulement, les chefs de service ci-après nommeront les officiers de police territorialement compétents qui pourront agir de concert ou séparément :
* commissaire de police [IZ] [B], chef du commissariat de police de [Localité 13] ;
* major [YG] [R], commandant de brigade adjoint à [Localité 17] ;
* [Y] [EL], commissaire de police, chef de la sûreté urbaine d'[Localité 9] ;
* commandante [T] [F], cheffe de la brigade mobile de recherche zonale Nord ;
* capitaine [SS] [GX], commandant de la brigade de [Localité 16] ;
* capitaine [O] [KJ], compagnie de [Localité 19] commandant de compagnie de gendarmerie départementale adjoint ;
* [X] [CA], commissaire divisionnaire, chef de la division Ouest de [Localité 11] ;
' dit que les occupants des lieux ou leurs représentants peuvent faire appel à un conseil de leur choix sans que cela n'entraîne la suspension des opérations de visite et de saisie ;
' indiqué que les entreprises visées par la présente ordonnance peuvent à compter de la date de l'opération de visite et de saisie dans les locaux consulter la requête et les documents susvisés au greffe de notre juridiction ;
' indiqué que les entreprises visées par l'ordonnance peuvent en application de l'article L. 450-4 sixième alinéa du code de commerce interjeter appel de celle-ci devant le premier président de la cour d'appel de Douai suivant les règles prévues par le code de procédure pénale, que cet appel est formé par déclaration au greffe du tribunal judiciaire de Lille dans un délai de 10 jours à compter de la notification de l'ordonnance ; que l'appel n'est pas suspensif ; que l'ordonnance du premier président de la cour d'appel est susceptible d'un pourvoi en cassation selon les règles prévues par le code de procédure pénale ; que les pièces saisies sont conservées jusqu'à ce qu'une décision soit devenue définitive ;
' indiqué qu'en application du dernier alinéa de l'article L. 450-4 du code de commerce, le déroulement des opérations de visite et saisie peut faire l'objet d'un recours devant le premier président de la cour d'appel de Douai, suivant les règles prévues par le code de procédure pénale ; que ce recours est formalisé par déclaration au greffe du tribunal judiciaire de Lille dans un délai de 10 jours à compter de la remise du procès-verbal de visite et saisie ; que le recours n'est pas suspensif ; que l'ordonnance du premier président de la cour d'appel est susceptible de pourvoi en cassation selon les règles du code de procédure pénale ; que les pièces sont conservées jusqu'à ce qu'une décision soit devenue définitive ;
' dit que l'ordonnance sera caduque si les opérations de visite et de saisie ne sont pas effectuées avant le 2 mai 2023.
Les opérations de visite et saisies se sont déroulées le 2 février 2023 au domicile de Mme [ZH], sis [Adresse 1] à [Localité 10], de 9h30 à 16 h10, et ont donné lieu à la rédaction d'un premier procès-verbal de visite et de saisie n°020 22023/[ZH]/NUM signé par les deux enquêteurs [I] [E] et [M] [UU], l'officier de police judiciaire M. [YG] [G] et Mme [ZH], et d'un second procès-verbal de visite et de saisie n°020 22023/[ZH]/PAP signé par les deux enquêteurs [MV] [C] et [VV] [W], l'officier de police judiciaire M. [YG] [G] et Mme [ZH].
Par déclaration au greffe du tribunal judiciaire de Lille de Maître Laforce, avocat au barreau de Douai, en date du 10 février 2023, Mme [ZH] a interjeté appel de l'ordonnance. Cet appel a donné lieu à ouverture du dossier de répertoire général 23/750.
Par déclaration au greffe du tribunal judiciaire de Lille de Maître Laforce, avocat au barreau de Douai, en date du 10 février 2023, Mme [ZH] a formé un recours à l'encontre des opérations de visites et saisie autorisées par l'ordonnance du 23 janvier 2023. Cet appel a donné lieu à ouverture du dossier de répertoire général 23/751.
A l'audience du 16 octobre 2023 à laquelle cette affaire a été appelée et retenue,
Mme [ZH], représentée par Maître Romain Travade avocat plaidant, demande à la présente juridiction au visa de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, des articles L 450-3 et L450-4 du code de commerce et L 420-1, 101 du traité sur le fonctionnement de l'union européenne de :
- annuler les opérations de visite et saisies réalisées le 2 février 2023 à son domicile et poursuivies le 14 mars 2023 dans les locaux de la brigade de gendarmerie de Palaisau,
- ordonner que lui soient restitués sans délai tous les documents et fichiers saisis à son domicile personnel, aucune copie originale ou présence physique sur un quelconque support ne pouvant être conservé par l'administration,
- interdire toute utilisation exploitation subséquente des pièces irrégulièrement obtenues par l'administration fiscale,
- condamner l'administration à lui verser la somme de 30 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Mme [ZH] indique que :
- elle a avisé les quatre agents de l'administration arrivés à son domicile à 9h30 qu'elle était en arrêt de maladie de longue durée et demandé que son état de santé soit signalé au juge des libertés de Lille, que pourtant l'officier de police judiciaire présent à son domicile n'a même pas estimé utile d'informer en temps utile le juge des libertés, qu'elle a d'ailleurs émis des réserves annexés aux procès-verbaux établis à la suite des opérations de visite et saisie ; qu'elle est sous traitement anti-dépresseur depuis le 6 janvier 2023 et a été contrainte en raison de sa situation d'extrême détresse psychologique de prolonger pour une seconde fois son arrêt maladie jusqu'au 8 mars 2023 ; suite à un entretien avec son employeur le 8 mars 2023, son contrat de travail a pris fin le 12 avril 2023 dans le cadre d'une rupture conventionnelle.
- Les agents ont fouillé son domicile dans son intégralité, l'ordinateur portable de son fils âgé de 11 ans, son téléphone personnel alors qu'elle avait indiqué qu'elle utilisait un téléphone professionnel distinct, le fait que rien n'ait été saisi sur ce téléphone confirmant cet usage personnel.
- Les saisies de données numériques accessibles depuis son ordinateur HP 240 G9- SCG2332MXK, de son ordinateur Lenovo ' 20 LH-000NFR, d'un disque dur externe Toshiba 1.8 To et d'un téléphone Iphone 12-A- PCQ 4V2TGFG ont porté pour partie sur des courriels couverts par le secret professionnel et la confidentialité des correspondances entre un avocat et son client au titre de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971.
- Elle a transmis le 7 mars 2023 un tableau identifiant les correspondances protégées parmi celles placées sous scellés fermés provisoires, mais l'administration a refusé ces expurgations lors des opérations contradictoires du 14 mars 2023.
- La sanction de la prise de connaissance par l'administration de correspondances couvertes par le secret professionnel avocat-client ne peut être que l'annulation de l'ensemble de la procédure liée à la saisie illégale.
La DGCCRF représentée par M. [P] [HY], substitué à l'audience par Mme [ZR] [Z], munie d'un pouvoir, demande à la présente juridiction de :
- dire et juger mal fondé le recours formé par Mme [J] [TT] [ZH] à l'encontre des opérations de visite et de saisie autorisées par l'ordonnance,
- débouter Mme [J] [TT] [ZH] de toutes ses demandes,
- confirmer la validité des opérations de visite et saisie qui se sont déroulées le 2 février 2023,
- condamner en conséquence Mme [J] [TT] [ZH] aux entiers dépens.
Elle estime que :
- elle était en droit d'investiguer l'ensemble des supports informatiques, téléphones et documents découverts au domicile de Mme [ZH], ce droit ayant été reconnu par la Cour de cassation dans un arrêt du 21 février 2023 n°21-85572. D'ailleurs l'ordinateur présenté comme étant celui utilisé par l'enfant de Mme [ZH] s'est révélé être un ordinateur qui était également utilisé par Mme [ZH], des documents relatifs à l'enquête y ayant été trouvés et saisis.
- La procédure de scellé fermé provisoire était régulière, et sa position de refus d'écarter les correspondances avocat-client dès lors qu'elles ne relevaient pas de l'exercice des droits de la défense (liées à un contentieux) et celles relevant du conseil postérieur à la pratique anti-concurrentiel et concernant cette dernière.
- L'opportunité de la saisine du juge des libertés et de la détention relève de l'appréciation de l'officier de police judiciaire qui assure seul le contrôle juridictionnel lors des opérations de visite et de saisie. Mme [ZH] a pu être rejointe à son domicile en milieu de matinée, a pu être assistée d'un avocat qui s'est présenté sur le lieu d'intervention à sa demande à 14 heures et n'a pas usé de son droit de désigner un représentant pour la remplacer.
1. Sur le fait que Mme [ZH] était en arrêt maladie à la date du 2 février 2023 et sur l'absence de communication par l'officier de police judiciaire des difficultés rencontrées lors de l'opération de visite et saisie menée au domicile de Mme [TT] [ZH] au juge des libertés et de la détention de Lille
L'article L 450-4 alinéa 3 du code de commerce prévoit que :
« La visite et la saisie s'effectuent sous l'autorité et le contrôle du juge qui les a autorisées. Celui-ci désigne le ou les chefs de service territorialement compétents, lesquels nomment autant d'officiers de police judiciaire que de lieux visités. Les officiers de police judiciaire sont chargés, chacun en ce qui les concerne, d'assister à ces opérations, d'y apporter leur concours en procédant, le cas échéant, aux réquisitions nécessaires et de tenir le juge informé du déroulement de ces opérations. Le juge ayant autorisé les opérations de visite et de saisie peut, pour en exercer le contrôle, délivrer une commission rogatoire au juge des libertés et de la détention dans le ressort duquel s'effectue la visite. » L'alinéa 4 de ce même article prévoit que : « Le juge peut se rendre dans les locaux pendant l'intervention. A tout moment, il peut décider la suspension ou l'arrêt de la visite. »
Il est par ailleurs de jurisprudence constante que seul l'officier de police judiciaire a la possibilité de saisir le juge des libertés des difficultés rencontrées, ni l'occupant des lieux, ni son avocat n'ayant le droit de saisir directement le juge des libertés.
La lettre de réserves datée du 2 février 2023 que Mme [ZH] verse aux débats, (pièce n°2) fait état de ce que lorsque les enquêteurs de la DGCCRF se sont présentés le 2 février 2023 à 9h30 accompagnée de la gendarmerie, 'elle s'est trouvée mal, lié à la stupéfaction de cette perquisition et a précisé lorsque les enquêteurs se sont présentés qu'elle était en arrêt maladie à plusieurs reprises'.
Les procès-verbaux de visite et de saisie n°020 22023/[ZH]/NUM et n° 020 22023/[ZH]/PAP ne font nullement mention d'une telle déclaration de Mme [ZH] ; ils font toutefois expressément référence sous la signature de Mme [ZH] de ses réserves émises à l'attention du juge des libertés sur papier libre.
Certes, Mme [ZH] justifie que son médecin traitant a saisi le médecin du travail par courrier du 23 novembre 2022, indiquant que Mme [ZH] était venue la voir ce 23 novembre avec « un état de détresse physico-psychologique lié à un surmenage professionnel, qu'il la met en protection et l'extirper de l'ambiance toxique le temps qu'il faut. Elle doit vous revoir pour organiser son milieu de travail afin de ne pas reproduire cet état de détresse à sa reprise.'
Elle indique qu'elle a été en arrêt de travail à compter du 3 décembre 2022 au 17 décembre 2022, l'avis d'arrêt de travail versé aux débats faisant apparaître qu'il s'agissait d'une prolongation d'arrêt, puis a repris jusqu'au 24 décembre date à laquelle elle a été en congés jusqu'au 6 janvier 2023 date d'un nouvel arrêt, prolongé le 27 janvier 2023 jusqu'au 17 février 2023.
Si elle indique qu'elle était sous anti-dépresseur au moment des opérations de visite, la pièce 12 qui correspond à une ordonnance du 6 janvier 2023 lui prescrit pour un mois du Zopiclone et de l'hydroxyzine chlorhydrate qui ne sont pas des anti-dépresseurs.
Compte tenue de la rédaction même de la lettre de réserves, il n'apparaît pas que Mme [ZH] ait indiqué que son état de santé ne lui permettait pas de suivre les opérations de visite et saisie, étant précisé que l'avis de prolongation d'arrêt de travail qu'elle verse aux débats (pièce n°3) en date du 27 janvier 2023, fait état de que si son arrêt de travail est prolongé jusqu'au 17 février 2023, les sorties sans restriction sont autorisées. Mme [ZH] ne conteste pas par ailleurs l'assertion de l'administration au terme de laquelle son époux, contacté par elle, l'a rejoint en milieu de matinée et le fait qu'elle aurait pu lui demander si elle l'avait souhaité le nommer pour la représenter pendant les opérations de visite et saisie ; le procès-verbal n° 020 22023/[ZH]/PAP fait enfin état de l'arrivée de Maître Marie-Laure Combet avocate au barreau de Paris.
Au vu de ces éléments et en l'absence de difficultés rendant impossible le déroulement des opérations de visite et saisie, qui étaient terminées à 16h10, Mme [ZH] ne peut faire grief aux enquêteurs de ne pas avoir sursis aux opérations, ni à l'officier de police judiciaire de ne pas avoir saisi le juge des libertés de Lille et ne peut de ce chef obtenir l'annulation des opérations de visite et saisie du 2 février 2023 réalisées à son domicile.
2. L'administration n'aurait du saisir que les seules pièces strictement utiles à la preuve des agissements prétendument imputables à la société Stokke France, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce
Mme [ZH] reproche aux agents de l'administration d'avoir prélevé deux téléphones de marque Appel, dont l'un est son téléphone personnel, à savoir un Iphone 13 Pro-PCQ4V2TGFG, ainsi qu'un PC portable de marque HP correspondant à l'ordinateur portable de son fils.
La lettre de réserves datée du 2 février 2023 que Mme [ZH] verse aux débats, (pièce n°2) faisait déjà état de ces faits, Mme [ZH] écrivant « lors de cette perquisition, mon domicile a été fouillé dans son intégralité y compris l'ordinateur de mon fils âgé de 11 ans et mon téléphone professionnel personnel distinct, en ayant bien indiqué le caractère personnel de ces outils avec les enquêteurs ».
Toutefois, l'administration fait à juste titre valoir que l'autorisation donnée par le juge des libertés l'autorisait à rechercher au domicile de Mme [ZH] dans n'importe quel support les éléments de preuve des agissements qui entrent dans le champ des pratiques prohibées par l'article L. 420-1 du code de commerce et 101 du traité fondateur de l'Union Européenne (ci-après TFUE) dans le secteur des articles de puériculture, ainsi que toute manifestation de ces comportements prohibés. Elle ne pouvait se contenter de l'affirmation de Mme [ZH] au terme de laquelle le téléphone Iphone 13 Pro-PCQ4V2TGFG, ainsi qu'un PC portable de marque HP ne contenaient des éléments personnels. D'ailleurs, si après vérification, il s'est avéré que l'Iphone litigieux ne contenait aucun élément entrant dans le champ défini à l'ordonnance et qu'en conséquence aucune donnée n'a été saisie, tel n'a pas été le cas du portable dans lequel il existait des données entrant dans le champ de l'ordonnance.
Ce moyen ne peut en conséquence être retenu.
Mme [ZH] reproche enfin aux agents de l'administration, lors de l'ouverture des scellés provisoires en date du 13 mars 2023 de s'être abstenue d'analyser dans le détail et contradictoirement la liste des correspondances protégées qu'elle avait été transmise et d'avoir conservé l'ensemble desdites correspondances, au motif que 64 documents visés par Mme [ZH] n'ont pu être localisés par l'administration et que les 17 autres ne relèvent pas de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971.
L'article 66-5 de la loi 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires, dans sa version en vigueur depuis la loi 2011-331 du 28 mars 2011, prévoit que :
« En toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères à l'exception pour ces dernières de celles portant la mention " officielle ", les notes d'entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel. »
Il est de jurisprudence constante que le pouvoir reconnu aux agents visés à l'article L450-1 du code de commerce par l'article 450-4 du même code leur interdit de saisir les correspondances échangées entre un client et son avocat en toutes matières, lorsqu'elles sont liées à l'exercice des droits de la défense.
Dans la mesure où Mme [ZH] avait fait savoir dès le 2 février 2023 que des fichiers de messageries sélectionnés contenaient des documents protégés par le secret de la correspondance avocat-client, l'administration était légitime à user de la procédure de scellés fermés provisoire.
Il appartenait à Mme [ZH] de produire les documents qu'elle indiquait couverts par le secret professionnel devant la présente juridiction afin que celle-ci puisse trancher le litige qui l'oppose à l'administration sur la qualité de correspondances entre avocat et client couvert par le secret professionnel, parce liées à l'exercice des droits de la défense.
Seront examinés les courriels litigieux qu'elle verse aux débats en pièce 15 :
Courriel de [LK] [N] à [A] [S] , en copie à [TT] [ZH] en date du 25 mars 2022 à 18h39 ayant pour objet demande de rdv Babyzen Stokke.
S'il n'est pas contesté que [A] [S] est avocate au sein du cabinet parisien Lacoste associés et que ce courriel est une correspondance à destination d'un avocat, il n'est nullement lié à l'exercice des droits de la défense, mais expose les questions juridiques que se pose à SAS Stokke dans le cadre de la transition des revendeurs de Babyzen à Stokke.
Les échanges de courriels entre Maître [A] [S] à [FM] [NW] [U], Legal counsel Attorney-in-law en copie à [TT] [ZH] en date des 20 janvier 2022 à 21h5226 janvier 2022 à 16h40, 1er février 2022 à 17h52, 3 février 2022 à 11h15 et 16h29, 14 février 2022 à 10h16 et 10h36 ayant pour objet : selective distribution vs. Stokke distribution ne sont pas liés à l'exercice des droits de la défense, mais expose les questions juridiques qui se posent à la SAS Stokke dans le cadre de la transition des revendeurs de Babyzen à Stokke.
Il en est de même :
- des échanges de courriels entre Calum Mac Gregor area sales director, Northwest Europe, et Maître [A] [S] en copie à [TT] [ZH] en date des 23 juin 2022 à 14h33 et 27 juillet 2022 à 9h57, 13 septembre 2022 à 16h46 et 17h58 relatifs au devenir des contrats de distribution Babyzen,
- des échanges de courriels entre Mme [TT] [ZH] et et Maître [A] [S] du 15 septembre 2022 à 9h33 sur ce même sujet,
- des échanges de courriels entre Maître [A] [S] et [LK] [N] de chez Stokke en date du 8 avril 2022 à 15h14, et de Mme [CN] [K] à maître [S], en copie à [TT] [ZH] en date du 10 mai 2022 à 14h04 sur ce même sujet,
- du courriel de Mme [TT] [ZH] à Maître Jean-Charles Garcia avocat au sein du cabinet DS avocats du 24 novembre 2021 à 17h15, relatif au projet d'ouverture de Natalys & Friends et sa licéité au regard du droit de la concurrence,
- des courriels entre Calum Mac Gregor area sales director, Northwest Europe, et Maître [A] [S] en copie à [TT] [ZH] en date du 30 septembre 2022 à 11h54 et 12h52 relatif à des contacts avec l'avocat de [L] et le conseiller juridique désigné par Natal Market suite à la résiliation des contrats de distribution.
3. Les dépens et indemnité d'article 700 du code de procédure civile
Mme [TT] [ZH] partie perdante sera condamnée aux dépens et sera déboutée de sa demande d'indemnité d'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Déboute Mme [TT] [ZH] de ses demandes aux fins de voir :
- annuler les opérations de visite et saisies réalisées le 2 février 2023 à son domicile et poursuivies le 14 mars 2023 dans les locaux de la brigade de gendarmerie de Palaisau,
- ordonner que lui soient restitués sans délai tous les documents et fichiers saisis à son domicile personnel, aucune copie originale ou présence physique sur un quelconque support ne pouvant être conservé par l'administration,
- interdire toute utilisation exploitation subséquente des pièces irrégulièrement obtenues par l'administration fiscale,
- condamner l'administration à lui verser la somme de 30 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Condamne Mme [TT] [ZH] aux dépens de la présente instance.