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Décisions

CA Grenoble, 1re ch., 20 février 2024, n° 22/02072

GRENOBLE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Reymond Rhône Sud Matériaux (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Clerc

Conseillers :

Mme Blatry, Mme Lamoine

Avocats :

Me Mihajlovic, Me Ricotti

TJ Bourgoin- Jallieu, du 3 mai 2022, n° …

3 mai 2022

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans le cadre des travaux de rénovation de leur propriété située à [Localité 7] (Isère) M. [O] [P] et Mme [U] [C] ont commandé à la société REYMOND RHONE SUD MATERIAUX un volume de béton de 14 m³.

Un devis estimatif d'un montant de 2.342,40€ TTC, comprenant la fourniture, le transport et la mise à disposition d'un camion PUMI 28 ml (véhicule équipé d'une pompe à béton alimentant un bras de distribution articulé), leur a été adressé le 7 mai 2020.

Le prix de la livraison, payable d'avance, a été réglé par virement bancaire du 18 mai 2020.

Selon la société REYMOND RHONE SUD MATERIAUX les acquéreurs auraient demandé le 18 mai 2020 que la livraison, qui était prévue pour le lendemain, soit effectuée au moyen d'un camion de 32 ml pour un surcoût de 96€ TTC.

Le 19 mai 2020, le véhicule de la société REYMOND RHONE SUD MATERIAUX s'est présenté sur le chantier, mais n'a pas pu procéder à la livraison en raison de l'étroitesse du chemin d'accès et du refus de passage opposé par le propriétaire voisin.

Deux bons de facturation datés du 19 mai 2020 d'un montant total de 2.438,40 € TTC ont été adressés aux acquéreurs le 28 mai 2020.

Ces derniers ont immédiatement sollicité le remboursement de la somme versée en faisant valoir que la prestation commandée n'avait pas été réalisée et que la société REYMOND RHONE SUD MATERIAUX aurait dû préalablement vérifier les conditions d'accessibilité au chantier.

M. [P] et Mme [C] ont par la suite en vain mis en demeure la société REYMOND RHONE SUD MATERIAUX de procéder à ce remboursement.

Par acte d'huissier du 12 janvier 2021, M. [P] et Mme [C] ont fait assigner la société REYMOND RHONE SUD MATERIAUX devant le tribunal judiciaire de Bourgoin-Jallieu en paiement des sommes de 2.438,40€en principal avec intérêts au taux légal à compter de la première mise en demeure, de 3.000€ en réparation de leur préjudice moral et de 1.500€ euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société REYMOND RHONE SUD MATERIAUX s'est opposée à l'ensemble de ces demandes en faisant valoir qu'elle s'était trouvée dans l'impossibilité d'exécuter sa prestation par la faute des acquéreurs, qui avaient demandé la mise à disposition d'un plus gros camion sans l'avertir de la difficulté d'accès à leur propriété.

Par jugement en date du 3 mai 2022, le tribunal judiciaire de Bourgoin-Jallieu :

a prononcé la résolution du contrat de vente conclu entre les parties,

a ordonné la restitution réciproque des prestations et biens fournis,

a condamné en conséquence la société REYMOND RHONE SUD MATERIAUX à payer à M. [O] [P] et à Mme [U] [C] les sommes de 2.438,40€ avec intérêts au taux légal à compter de la première mise en demeure du 30 juillet 2020, de 3.000€ en réparation de leur préjudice moral subi et de 1.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et à supporter les dépens,

a débouté la société REYMOND RHONE SUD MATERIAUX de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée aux entiers dépens,

a rappelé que la décision était exécutoire de plein droit.

Le tribunal a considéré en substance :

que la preuve n'était pas rapportée de la modification de la commande par les acquéreurs en vue de l'augmentation de la capacité du camion de livraison PUMI,

que les difficultés d'accès invoquées ne peuvent justifier l'inexécution du contrat par la société REYMOND RHONE SUD MATERIAUX en l'absence de preuve rapportée d'un cas de force majeure imprévisible et insurmontable,

que la profession de conducteur de travaux de M. [O] [P] ne saurait constituer une cause d'irresponsabilité, puisque les acquéreurs ont agi en qualité de consommateur dans le cadre des travaux de rénovation de leur propriété,

que l'inexécution du contrat du fait de la société REYMOND RHONE SUD MATERIAUX justifie la résolution de celui-ci et le remboursement de la somme payée de 2348,40 euros,

que les acquéreurs ont subi un préjudice moral en se heurtant à l'inertie de la société REYMOND RHONE SUD MATERIAUX malgré l'envoi de plusieurs mise en demeure et en se trouvant ainsi dans l'obligation de rechercher un autre professionnel.

La SAS REYMOND RHONE SUD MATERIAUX a relevé appel de cette décision selon déclaration reçue le 25 mai 2022 aux termes de laquelle elle critique le jugement en toutes ses dispositions.

Vu les conclusions récapitulatives n° 2 déposées et notifiées le 4 décembre 2023 par la SAS REYMOND RHONE SUD MATERIAUX qui demande à la cour de réformer le jugement en toutes ses dispositions, de débouter M. [P] et Mme [C] de l'ensemble de leurs demandes et de les condamner in solidum en tout état de cause à lui payer la somme de 2.000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre condamnation aux entiers dépens.

Elle fait valoir :

qu'aux termes de ses courriels des 25 mai 2020 et 28 mai 2020 M. [P], qui est un professionnel de la construction, a d'une part confirmé qu'il avait bien modifié les termes de la commande initiale en demandant le remplacement du camion PUMI 28 par un modèle équipé d'une flèche de distribution de 32 ml, et d'autre part reconnu qu'après avoir été interrogé sur l'accessibilité du chantier il avait répondu que sa propriété était accessible avec un camion 8*4 de type PUMI,

que M. [P] a accepté par téléphone le supplément de prix de 96€ TTC ensuite de la modification de la commande, ainsi qu'en atteste son dirigeant,

que c'est donc bien en toute connaissance des caractéristiques techniques des camions de livraison que l'acquéreur, en sa qualité de professionnel de la construction, a confirmé la possibilité d'accéder à son fonds, mais sans lui communiquer des plans d'accès ou des photographies des lieux,

qu'après plusieurs essais en l'absence de M. [P], qui est arrivé en retard, son chauffeur, qui en atteste, n'a pas pu mettre en place les stabilisateurs du camion PUMI 32 ml en l'absence d'espace suffisant, ce qui n'a pas permis de vider complètement le chargement du béton, alors que le voisin a refusé le passage sur sa propriété,

que la livraison a toutefois été partiellement exécutée, puisque le malaxeur 476 a réussi le déchargement d'un volume limité de 4 m³ de béton,

qu'elle ne peut être tenue pour responsable de l'impossibilité d'accéder à la propriété des acquéreurs, alors qu'elle s'était préalablement assurée auprès de M. [P] que le chantier était accessible avec un camion PUMI 32 ml et qu'elle n'avait pas l'obligation de vérifier sur place les conditions d'accès,

que dans ce contexte la résolution du contrat n'est pas encourue, puisque par la faute de M. [P] elle s'est trouvée dans l'impossibilité d'exécuter sa prestation en raison d'un cas de force majeure, étant observé que les deux heures passées à chercher une solution ont causé la perte du béton non livré qui a dû être recyclé à ses frais,

que la demande nouvelle en dommages et intérêts pour résistance abusive est irrecevable et en toute hypothèse infondée, tandis qu'il n'est pas justifié du préjudice moral prétendument subi par les acquéreurs.

Vu les conclusions n° 2 déposées et notifiées le 13 novembre 2023 par Mme [U] [C] et M. [O] [P] qui sollicitent la confirmation du jugement sauf en ce que le tribunal n'a pas statué sur leur demande en dommages et intérêts pour résistance abusive et a prononcé la résolution judiciaire du contrat, qui par voie d'appel incident demandent la condamnation de la société REYMOND RHONE SUD MATERIAUX à leur payer la somme de 3.000€ à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et qui en tout état de cause prétendent obtenir une nouvelle indemnité de procédure de 2.000€.

Ils font valoir :

que l'affirmation de la société REYMOND RHONE SUD MATERIAUX, selon laquelle leur propriété n'était pas accessible avec les camions de livraison, est fausse, alors que des camions de même gabarit ont pu livrer la même quantité de béton que celles commandées dans les jours qui ont suivi, qu'après transmission des plans d'accès et des photographies des lieux le fournisseur les avait assurés de la possibilité d'accéder à leur propriété en leur précisant qu'il n'y avait aucune différence d'occupation au sol entre un PUMI 28 ml et un PUMI 32 ml , qu'ils ne connaissaient pas les caractéristiques des véhicules et que s'il les avait connues ils n'auraient pas été compétents pour apprécier leur capacité à accéder au point de livraison,

que si la livraison était effectivement impossible il appartenait au fournisseur de procéder au remboursement du prix versé,

que la profession exercée par M. [P] est indifférente, puisque c'est en sa qualité de simple particulier réalisant des travaux à son domicile qu'il a passé la commande, étant précisé qu'en sa qualité de conducteur de travaux dans le ferroviaire chargé de la mise en place de ballasts sur les voies ferrées il n'est nullement un professionnel du bâtiment,

qu'en refusant de livrer le béton commandé, la société REYMOND RHONE SUD MATERIAUX a manqué à son engagement contractuel, ce qui en application de l'article 1217 du code civil fonde leur demande de remboursement du prix payé à titre de réparation des conséquences de l'inexécution, étant observé que le tribunal a prononcé la résolution judiciaire du contrat qu'ils n'avaient pourtant pas demandée,

que la résistance abusive de la société REYMOND RHONE SUD MATERIAUX est caractérisée par le défaut de réponse à leurs trois mises en demeure n'ayant pas permis une résolution amiable du litige,

qu'ils ont également subi un préjudice moral, puisque le refus de livraison les a contraints à rechercher dans l'urgence un autre fournisseur et que le mutisme de la société REYMOND RHONE SUD MATERIAUX a conduit à l'engagement d'un long contentieux judiciaire.

L'instruction a été clôturée par une ordonnance rendue le 5 décembre 2023.

Motivation

***

MOTIFS

En application des articles 1231-1, 1602 et 1615 du code civil le vendeur professionnel est tenu envers l'acquéreur d'une obligation générale d'information et de conseil, tandis que selon l'article 1610 du même code le défaut de délivrance de la chose vendue n'est sanctionné que s'il provient du fait du vendeur.

L'obligation de délivrance étant une obligation de résultat, le vendeur défaillant ne peut échapper aux sanctions prévues par les articles 1610 et 1611 du code civil qu'à charge pour lui de prouver que le défaut de délivrance est dû à une cause étrangère, telle que la force majeure ou le fait de l'acheteur, sans pouvoir prétendre être exonéré de sa responsabilité en raison de son absence de faute.

La société REYMOND RHONE SUD MATERIAUX ne peut tout d'abord invoquer la prétendue compétence technique de M. [P] en matière de travaux de construction pour s'exonérer de toute responsabilité. C'est en effet pour les besoins de la rénovation de leur maison d'habitation que ce dernier et sa compagne ont passé la commande litigieuse de béton, de sorte qu'ils ont contracté en qualité de consommateurs au sens de l'article liminaire du code de la consommation, aux termes duquel est un consommateur toute personne physique qui agit à des fins n'entrant pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole.

Au demeurant, il n'est nullement démontré que M. [P] aurait disposé de compétences particulières en matière de construction de bâtiments autorisant la société REYMOND RHONE SUD MATERIAUX à s'en remettre complètement à son appréciation quant aux modalités matérielles de la livraison, qui constituait une opération complexe nécessitant l'emploi d'un véhicule spécialisé équipé d'une pompe à béton alimentant un bras de distribution articulé d'une trentaine de mètres.

Au contraire, il résulte de la plaquette de l'entreprise l'employant que M. [P] exerce son activité professionnelle dans le domaine des travaux ferroviaires, et non pas dans le secteur du bâtiment.

Il appartenait par conséquent au vendeur professionnel, dont l'obligation d'information et de conseil s'étendait nécessairement aux modalités pratiques de la livraison compte tenu de la nécessité d'acheminer le béton sur le chantier au moyen d'une flèche de distribution, de vérifier que la propriété des acquéreurs était accessible avec ses deux véhicules PUMI et malaxeur, et particulièrement de s'assurer de l'existence d'un espace au sol suffisant pour mettre en place les stabilisateurs du camion PUMI 32 ml.

N'ayant pas exigé des acquéreurs la fourniture d'un plan détaillé et coté de leur propriété et de ses abords, et contestant leur affirmation selon laquelle un plan et des photographies lui auraient été préalablement transmis, la société REYMOND RHONE SUD MATERIAUX ne peut en aucune façon exciper d'un cas de force majeure.

L'impossibilité d'accès, qui est invoquée, ne saurait en effet constituer un événement imprévisible, puisque devant effectuer une livraison de béton pour les besoins de la rénovation d'une maison individuelle, et non pas dans le cadre d'un chantier de plus grande ampleur, elle pouvait aisément imaginer que des difficultés pouvaient se présenter, à défaut d'avoir préalablement vérifié sur place les conditions de desserte de l'immeuble, ni de s'être assurée, au moyen notamment de photographies satellites en libre accès sur Internet, de l'existence d'un emplacement suffisant pour accueillir un véhicule de chantier de fort gabarit muni de stabilisateurs.

Surtout, la société REYMOND RHONE SUD MATERIAUX n'établit pas que son chauffeur s'est heurté à une difficulté d'accès insurmontable, qui a été immédiatement contestée par M. [P] dans ses courriels des 25 et 28 mai 2020. Outre le fait que cette impossibilité ne résulte que de l'attestation irrégulière en la forme du chauffeur travaillant pour son compte, il est, en effet, produit aux débats des photographies faisant apparaître que des livraisons de béton ont pu être effectuées sur le chantier à plusieurs reprises au moyen de véhicules de même type.

Le vendeur ne peut davantage prétendre échapper à toute responsabilité en se fondant sur le fait de l'acheteur. Si M. [P] a implicitement reconnu dans son courriel du 25 mai 2020 avoir sollicité l'intervention d'un véhicule PUMI de 32 ml en lieu et place de l'engin de 28 ml prévu au devis estimatif du 7 mai 2020, il appartenait, en effet, à la société REYMOND RHONE SUD MATERIAUX, en sa qualité de professionnelle, de vérifier la faisabilité de la livraison au moyen de cet engin de plus grande dimension et capacité, sans s'en remettre sur ce point à l'appréciation de l'acquéreur profane, dont la compétence notoire en la matière n'est nullement établie.

Le jugement déféré sera par conséquent confirmé en ce qu'il a estimé que la société REYMOND RHONE SUD MATERIAUX devait être tenue pour responsable de l'inexécution de son obligation de délivrance et condamné cette dernière à payer aux consorts [P]/[C] la somme de 2438,40 euros avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 30 juillet 2020.

C'est en revanche à tort que le tribunal a prononcé la résolution du contrat de vente, qui n'était pas demandée par les acheteurs, lesquels se bornent à solliciter, y compris en appel, l'allocation de dommages et intérêts conformément à l'option que leur ouvrent les articles 1217, 1231'1 et 1611 du code civil.

Le jugement sera également réformé en ce qu'il a alloué à M. [P] et Mme [C] la somme de 3.000€ à titre de dommages et intérêts en réparation d'un préjudice moral, alors qu'il résulte de leur courriel du 28 mai 2020 qu'ils ont pu s'approvisionner en béton auprès d'une autre centrale dès le 22 mai 2020, soit trois jours seulement après la livraison avortée, de sorte qu'en présence d'un simple contretemps, certes fâcheux mais n'ayant pas retardé de façon significative l'exécution des travaux, ils ne justifient pas de l'existence d'un préjudice moral indemnisable.

La demande en dommages et intérêts pour résistance abusive, qui est recevable en appel comme constituant l'accessoire ou le complément des prétentions soumises au premier juge, sera en outre rejetée, alors que la preuve n'est pas rapportée de ce que la société REYMOND RHONE SUD MATERIAUX s'est opposée de mauvaise foi à la demande.

L'équité commande en revanche de faire à nouveau application de l'article 700 du code de procédure civile au profit des intimés.

Dispositif

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné la SAS REYMOND RHONE SUD MATERIAUX à payer à M. [O] [P] et Mme [U] [C] la somme de 2.438,40 € avec intérêts au taux légal à compter du 30 juillet 2020, outre une indemnité de procédure de 1.000€, et l'a condamnée aux dépens,

Réforme le jugement déféré pour le surplus et statuant à nouveau en y ajoutant :

' dit n'y avoir lieu au prononcé de la résolution de la vente ni à la restitution des prestations réciproques,

' dit n'y avoir lieu à dommages et intérêts pour préjudice moral,

' dit n'y avoir lieu à dommages intérêts pour résistance abusive,

Condamne la SAS REYMOND RHONE SUD MATERIAUX à payer à M. [O] [P] et Mme [U] [C] une nouvelle indemnité de 1.500€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la SAS REYMOND RHONE SUD MATERIAUX aux dépens d'appel.