CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 21 février 2024, n° 21/02781
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
My Serious Game (SAS)
Défendeur :
79 Agency (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Douillet
Conseillers :
Mme Barutel, Mme Bohée
Avocats :
Me Meynard, Me Guibert
La société My-serious-game est spécialisée dans la conception et la commercialisation de formations digitales sur mesure, ainsi que d'outils de formation digitaux (e-learning), de services de communication web et événementiel, et de création de contenus 2D et 3D.
Dans la perspective de sa participation aux salons « Learning Technologies » et « E-Learning Expo 2019 » programmés respectivement du 30 au 31 janvier 2019 et du 19 au 31 mars 2019 à [Localité 5], ainsi qu'à Londres du 12 au 13 février 2019, elle a souhaité disposer d'un nouveau stand et ce faisant, a pris attache, par courrier électronique en date du 23 novembre 2018, avec la société 79Agency, spécialisée dans la conception et la réalisation de stands d'exposition, l'étude et la réalisation de plans techniques, agencement d'intérieur et architecture commerciale.
Au cours de leurs échanges, la société 79Agency a adressé plusieurs propositions et devis à la société My-serious-game, qu'elle a finalement refusés.
Exposant avoir découvert lors du salon Learning Technologies de [Localité 5] des 30 et 31 janvier 2019 que la société My-serious-game utilisait un stand qu'elle considérait reproduire celui qu'elle avait modélisé pour son compte, la société 79Agency lui a, par courrier du 4 février 2019, enjoint de cesser l'utilisation de son design. Un même courrier a été envoyé au prestataire de la société My-serious-game, la société Ex Nihilo, chargée du montage dudit stand.
Proposition de design par 79AGENCY
Stand MY-SERIOUS-GAME
La société My-serious-game lui ayant répondu par un courrier du 11 février 2019 qu'elle n'entendait pas donner de suite favorable à sa demande, la société 79Agency, après mise en demeure infructueuse, l'a fait assigner, par acte d'huissier du 24 juillet 2019, devant le tribunal de grande instance, devenu le tribunal judiciaire, de Paris en contrefaçon de droit d'auteur et subsidiairement en concurrence déloyale et parasitaire.
Par un jugement du 21 janvier 2021, dont appel, le tribunal judiciaire de Paris a :
Débouté la société 79Agency de ses demandes formées au titre du droit d'auteur ;
Dit que la société My-serious-game a commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire à l'encontre de la société 79Agency, en reproduisant de manière quasi-servile, la combinaison des éléments de design qu'elle lui avait proposés pour son stand, à l'occasion du salon Learning Technologies des 30 et 31 janvier 2019 ;
Condamné la société My-serious-game à payer à la société 79Agency la somme de 20 300 euros en réparation de ses préjudices ;
Débouté la société My-serious-game de sa demande reconventionnelle en dénigrement ;
Débouté la société My-serious-game de sa demande reconventionnelle en abus de droit d'agir ;
Condamné la société My-serious-game à payer à la société 79Agency la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamné la société My-serious-game aux dépens de l'instance ;
Ordonné l'exécution provisoire de la décision.
Le 10 février 2021, la société My-serious-game a interjeté appel de ce jugement.
Dans ses dernières conclusions récapitulatives numérotées 3, notifiées le 20 octobre 2022, la société My-serious-game, appelante, demande à la cour de :
Vu l'article L.112-1 du Code de la propriété intellectuelle,
Vu l'article 1240 du Code civil,
Vu les articles 699 et 700 du Code de procédure civile,
Vu la jurisprudence,
Sur la contrefaçon de droits d'auteur :
Confirmer le jugement entrepris qui a débouté la société 79 AGENCY de ses demandes formées au titre du droit d'auteur ;
Sur la concurrence déloyale et parasitaire :
Infirmer le jugement entrepris qui a considéré que la société MY-SERIOUS-GAME se serait livrée à des actes de concurrence déloyale et parasitaire à l'encontre de la société 79 AGENCY, et l'a condamnée à lui verser la somme de 20.300 euros à titre de dommages et intérêts ;
Juger que la société MY-SERIOUS-GAME ne s'est livrée à aucun acte de concurrence déloyale et/ou de parasitisme à l'encontre de la société 79 AGENCY ;
Débouter la société 79 AGENCY de son appel incident visant à obtenir la condamnation de la société MY-SERIOUS-GAME à la somme de 10.000 euros au titre de prétendus bénéfices indus ;
Juger qu'en tout état de cause, la réalité et l'étendue du prétendu préjudice de la société 79 AGENCY ne sont pas fondées et justifiées ;
Juger qu'une expertise devra être diligentée pour apprécier ledit préjudice ;
Sur les actes de dénigrement et le caractère abusif de la procédure de la société 79 AGENCY à l'encontre de la société MY-SERIOUS-GAME
Infirmer le jugement entrepris qui a débouté la société MY-SERIOUS-GAME de ses demandes reconventionnelles ;
Juger que la société 79 AGENCY s'est livrée à un dénigrement de la société MY-SERIOUS-GAME, et condamner la société 79 AGENCY à verser à la société MY-SERIOUS-GAME la somme de 10.000 euros en réparation du préjudice subi à ce titre ;
Juger que la société 79 AGENCY s'est livrée à une procédure abusive à l'encontre de la société MY-SERIOUS-GAME, et condamner la société 79 AGENCY à payer à la société MY-SERIOUS-GAME la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi à ce titre ;
En tout état de cause
Infirmer le jugement entrepris qui a condamné la société MY-SERIOUS-GAME à verser à la société 79 AGENCY la somme de 8.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;
Débouter la société 79 AGENCY de sa demande de condamnation de la société MY-SERIOUS-GAME à la somme de 8.000 euros au titre la procédure d'appel ainsi qu'aux entiers dépens d'appel ;
Condamner la société 79 AGENCY à payer à la société MY-SERIOUS-GAME la somme de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamner la société 79 AGENCY en tous les dépens
Dans ses dernières conclusions récapitulatives, numérotées 3, notifiées le 26 octobre 2022, la société 79 Agency, intimée et appelante incidente, demande à la cour de :
Vu les articles 1240 et 1241 du Code civil
Vu l'article L. 331-1-4 du Code de la propriété intellectuelle
Débouter la société MY-SERIOUS-GAME de l'ensemble de ses demandes ;
Confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 21 janvier 2021 en ce qu'il a :
Dit que la société MY-SERIOUS-GAME a commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire à l'encontre de la société 79 AGENCY, en reproduisant de manière quasi-servile, la combinaison des éléments de design qu'elle lui avaient été proposés, sur son stand à l'occasion du salon Learning Technologies des 30 et 31 janvier 2019 ;
Condamné la société MY-SERIOUS-GAME à payer à la société 79AGENCY 15 300 euros au titre de son manque à gagner et 5000 euros au titre du préjudice moral
Débouté la société MY-SERIOUS-GAME de sa demande reconventionnelle en dénigrement ;
Débouté la société MY-SERIOUS-GAME de sa demande reconventionnelle en abus de droit d'agir ;
Condamné la société MY-SERIOUS-GAME à payer à la société 79 AGENCY la somme de 8.00 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamné la société MY-SERIOUS-GAME aux dépens de l'instance ;
A titre incident
Infirmer le jugement du Tribunal attaqué en ce qu'il n'a pas condamné la société MY-SERIOUS-GAME à la somme de 10 000 euros au titre des bénéfices indus ;
Et le réformer en condamnant la société MY-SERIOUS-GAME à la somme de 10 000 euros au titre des bénéfices indus
En conséquence, condamner la société MY-SERIOUS-GAME à la somme totale de 30 300 euros au titre des préjudices subis par la société 79AGENCY ;
En tout état de cause
Condamner la société MY-SERIOUS-GAME à verser à la société 79AGENCY la somme de 8000 euros au titre de l'article 700 au titre de la présente procédure d'appel ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 17 octobre 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées.
Sur le chef du jugement non contesté
Le jugement n'est pas contesté en ce qu'il a débouté la société 79Agency de ses demandes formées au titre du droit d'auteur.
Sur les actes de concurrence déloyale et parasitaire
La société My-serious-game soutient que les éléments du design litigieux ne justifient d'aucun travail créatif ; que la société 79Agency s'est limitée à proposer la fourniture de mobiliers en provenance de ses fournisseurs afin de répondre à ses demandes et aux contraintes techniques du stand, et notamment l'implantation de bornes aux extrémités, la disposition d'un mur d'image au centre et en hauteur pour permettre une meilleure visibilité, et l'apposition d'une empreinte ronde au sol pour délimiter un espace animation ; que le logo et les couleurs relèvent de sa charte graphique ; que l'aménagement d'une banque centrale, d'un espace réservé pour les démonstrations, d'une enseigne lumineuse ou d'un mur d'images sont des composants usuels de stands ; qu'elle a communiqué des directives précises telles que la communication d'un plan, l'expression des caractéristiques du nouveau stand, lesquelles ont été suivies par la société 79Agency, qui n'a pas fourni de modélisation s'éloignant des instructions données, et s'est bornée à donner des éléments tarifaires ; qu'elle ne s'est donc livrée à aucune appropriation du travail de la société 79Agency ; qu'enfin le design du stand qu'elle a effectivement utilisé présente une impression visuelle différente de celui revendiqué par la société 79Agency du fait notamment de la présence d'un unique support de démonstration, de la disposition de deux bornes uniquement aux extrémités avant du stand et d'un mur central comprenant des éléments propres à la société My-serious-game ; que la présence d'un mur central, nécessaire à la délimitation du stand, d'un écran sur ce mur pour la diffusion d'images promotionnelles et d'un espace dédié aux démonstrations de produits sont des éléments banals qui doivent demeurer librement exploitables ; qu'aucun acte de concurrence déloyale et parasitaire n'est caractérisé.
La société 79Agency fait valoir qu'elle a communiqué un design de stand dans la perspective de futures relations contractuelles, et que la société My-serious-game s'est appropriée son investissement intellectuel en profitant de façon illégitime des plans et des vues 3D qu'elle lui avait communiqués dans la perspective de relations contractuelles futures.
Sur ce,
La cour rappelle que les actes déloyaux et parasitaires ne sont pas caractérisés quand les agissements s'inscrivent dans le cadre de la liberté du commerce, de la libre concurrence et respectent les usages loyaux du commerce.
En outre, il est acquis que la reproduction ou l'imitation sont fautives lorsqu'elles permettent de s'immiscer dans le sillage d'un autre opérateur économique afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire.
En l'espèce, la cour constate, comme le tribunal, qu'il résulte des photographies du stand réalisé pour le compte de la société My-serious-game, que les éléments du plan et du design dudit stand reproduisent de manière quasi-servile la proposition faite par la société 79Agency en annexe de son email du 31 décembre 2018, qu'elle a retravaillée ensuite après un échange téléphonique avec la société My-serious-game, et en particulier les bornes d'arcade à l'identique, la table de présentation dont la forme est similaire et qui intègre, exactement au même endroit, son logo mis en valeur par des lumières, le bar en L encerclant le mur d'image d'un seul côté et le cercle dessiné au sol, et ce alors qu'il n'est absolument pas démontré que la société My-serious-game avait donné des indications précises sur l'agencement, les formes et les aspects du mobilier, les prétendues directives étant au contraire assez floues et générales, ni que la proposition de modélisation 3D faite par la société 79Agency, et qui faisait suite à trois propositions antérieures, relevait de la simple reproduction de mobiliers vendus par ses fournisseurs. Enfin, le fait que le stand incriminé ne comprenne qu'une seule table de présentation et deux bornes d'arcade au lieu de deux tables et quatre bornes dans la présentation proposée par la société 79Agency ne suffit pas à retirer le caractère fautif de l'appropriation par la société My-serious-game du travail, de l'investissement intellectuel et du savoir-faire de la société 79Agency, la société My-serious-game ayant réutilisé de façon déloyale la conception et le design du stand qui lui avaient été fournis en vue de futures relations contractuelles, pour les communiquer à ses équipes en interne et à un autre fournisseur auquel elle a finalement confié le projet, lequel ne diffère que de manière très marginale de la proposition faite par la société 79Agency.
Il s'ensuit que les faits de concurrence déloyale et parasitaire sont constitués. Le jugement doit être approuvé de ce chef.
Sur le préjudice
La société My-serious-game prétend que le préjudice économique n'est pas justifié ; que le devis de 42 500 euros sur lequel s'est basé le tribunal concernait deux salons ; que le devis relatif au seul salon e-learning de janvier 2019 s'élevait à 19 900 euros ; que la marge de 36% n'est pas démontrée ; que le préjudice moral n'est pas davantage justifié, pas plus que les prétendus bénéfices indus, sollicités dans le cadre de l'appel incident.
La société 79Agency, qui demande la confirmation du jugement pour les sommes allouées au titre du manque à gagner et du préjudice moral, fait valoir que le devis de 19 900 euros invoqué par la société My-serious-game concerne seulement le salon du mois de mars, alors que le devis sur lequel porte le litige concerne le 1er salon pour un montant de 42 500 euros ; qu'elle a subi un préjudice moral en ce qu'elle a dû corriger ses devis à sept reprises, que ses équipes ont dû se rendre dans les bureaux de My-serious-game à [Localité 6] et que la société My-serious-game a fait preuve d'un particulier mépris ; qu'elle doit être aussi condamnée au titre des bénéfices indus pour un montant de 10 000 euros, en ce qu'elle a économisé le travail de conception et de sourcing ainsi que le démontre le courrier de la société Ex Nihilo indiquant que lui avait été soumis « tout ou partie du projet ».
Sur ce,
C'est par des motifs pertinents adoptés par la cour que le tribunal a considéré, sans qu'il y ait lieu de diligenter une expertise, que la société 79Agency a été privée de la marge commerciale qu'elle aurait retirée de la conclusion d'un contrat, et que le montant de la réparation du préjudice au titre de son manque à gagner devait être fixé à hauteur de 15 300 euros, compte tenu du montant du dernier devis s'élevant à 42 500 euros et du taux de marge de 36% justifié selon attestation de l'expert-comptable.
Le tribunal a également pertinemment retenu que le préjudice moral subi par la société 79Agency, qui s'est sentie trahie par l'appropriation fautive de son travail par la société My-serious-game à qui elle avait fait des propositions successives et chez qui ses équipes s'étaient déplacées à sa demande en province, devait être réparé par l'allocation d'une somme de 5 000 euros.
Le préjudice de la société 79Agency étant ainsi intégralement réparé, le tribunal doit être approuvé en ce qu'il n'a pas fait droit à la demande complémentaire au titre du bénéficie indu. La demande incidente de la société 79Agency de ce chef sera rejetée.
Sur les actes de dénigrement
La société My-serious-game fait valoir que la société 79Agency a adressé un courrier à un sous-traitant du prestataire qu'elle avait choisi indiquant qu'elle se serait appropriée frauduleusement le design du stand et l'invitant à ne pas répondre à la commande en laissant entrevoir la menace de réclamations à son encontre ; que cela constitue un acte de dénigrement ; que peu importe que les sociétés ne soient pas en situation de concurrence ; que ces faits lui ont causé un préjudice ; qu'en effet la société Ex-Nihilo lui a indiqué qu'elle ne souhaitait plus travailler pour elle alors qu'elle devait participer au stand de Londres quelques jours après ; que la diffusion du message auprès de la clientèle n'est pas une condition pour caractériser un acte de dénigrement ; qu'elle a dû supporter un surcoût de 7 490 euros dont elle demande réparation outre son préjudice moral et d'image.
La société 79Agency fait valoir que les deux sociétés ne sont pas concurrentes ; qu'il s'agit d'un courrier privé sans aucune diffusion adressé à un prestataire de service et non à un client de la société My-serious-game de sorte qu'aucun discrédit n'est caractérisé.
Sur ce,
La cour constate que le seul courrier incriminé au titre du dénigrement, à savoir celui adressé le 4 février 2019 par la société 79Agency à la société Ex-Nihilo à qui la société My-serious-game a confié la mise en œuvre de son stand, ne porte pas sur un produit commercialisé par la société My-serious-game à propos duquel pourrait être invoqué des actes de discrédit, mais est constitué de propos informatifs et mesurés relatifs à la comparaison entre le stand monté et les images 3D de la proposition de la société 79Agency, sans imputer de faits de contrefaçon, de sorte qu'aucun acte de dénigrement ne peut être retenu. Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.
Sur les dommages-intérêts pour procédure abusive
Le sens de la présente décision commande de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de la société My-serious-game sur le fondement de la procédure abusive.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne la société My-serious-game aux dépens d'appel, et vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à verser à ce titre, la somme de 6 000 euros, à la société 79Agency.