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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 21 février 2024, n° 22/03713

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Caraïbes Chirurgie Biotechno Médicales (SARL)

Défendeur :

Dinno Santé (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Brun-Lallemand

Conseillers :

Mme Depelley, M. Richaud

Avocats :

Me Tixier-Vignancour, Me Boccon Gibod, Me Champel, Me Jockey

T. com. Paris, 19e ch., du 2 févr. 2022,…

2 février 2022

FAITS ET PROCÉDURE

La société Dinno Santé a pour activité la prestation de service de santé à domicile et est spécialisée dans la prise en charge et le suivi de patients diabétiques. Dans ce cadre, elle assure la mise à disposition de dispositifs médicaux notamment de pompes à insuline auprès de patients diabétiques sur le fondement d'une prescription médicale et assure divers services associés à cette mise à disposition, en particulier la formation à l'utilisation des dispositifs médicaux.

La société Caraïbes Chirurgie Biotechno Médicales (ci-après "Caraïbes Chirurgie") a pour activité la distribution de matériel médico-chirurgical.

Le 21 mai 2004, la société Dinno Santé (anciennement nommée Chronolyss) et la société Caraïbes Chirurgie (désignée dans le contrat par le nom [F]) ont conclu un contrat de "prestation de service", lequel précise en préambule que "dans le cas particulier du département de la Martinique et en considérant l'éloignement par rapport à la métropole, Chronlyss a décidé de confier l'organisation, la supervision et la logistique à Obadia, qui aura la charge de sous-traiter elle-même la partie médicale à des organisations compétentes".

En application de ce contrat, la société Caraïbes Chirurgie s'est notamment vue confier les missions suivantes :

- Stockage, gestion, livraison des matériels (pompes et consommables) ;

- Fourniture régulière (au minimum chaque fin de mois) des inventaires des matériels appartenant à Chronolyss ;

- Constitution des dossiers administratifs ;

- Formation initiale des patients et de leur famille ;

- Mise en place d'une permanence pour répondre aux attentes des patients et les guider au besoin vers les structures médicales adéquates ;

- Surveillance de la bonne utilisation des matériels ;

- Matériovigilance des matériels et consommables ;

- Remplacement immédiat des matériels défaillants ;

- Tenue des fichiers informatiques.

L'article 3 du contrat prévoit que la société Caraïbes Chirurgie a pour obligation de remplir et de fournir des formulaires détaillés à la société Chronolyss qui mettra à sa disposition un logiciel informatique pour faciliter la rédaction et la transmission des fiches. La rémunération de la société Caraïbes Chirurgie est prévue sur le fondement d'un tarif forfaitaire de 5.75 € TTC par patient effectivement traité.

Par avenant du 5 octobre 2009 conclu "afin de délimiter précisément les obligations incombant" à chacun, il a en outre été précisé que la société Caraïbes Chirurgie ("le sous-traitant / sous-distributeur") a deux missions : "une mission de sous-traitance de la prestation de services de pompe à insuline à titre d'objet principal du contrat et la sous-distribution de dispositifs médicaux pour la diabétologie et la cicatrisation des plaies pour les territoires de la Guadeloupe et de la Martinique."

Dans le cadre de cette seconde mission, la société Caraïbes Chirurgie a pour mission de "définir la politique et superviser la promotion des dispositifs médiaux auprès des médecins, des entreprises d'hospitalisation à domicile et de santé à domicile, des infirmières, des répartiteurs :

- Politique de visite : ciblage, identification des besoins des prescripteurs ;

- Action médico-marketing : organisation d'EPU, études cliniques, participation à des réseaux, partenariat avec des associations ;

- Actions d'information et de formation".

La rémunération de la mission de sous-traitance de la prestation de service de pompe à insuline est fixée selon un tarif forfaitaire de 4.23 € hors taxes par jour et par patient effectivement pris en charge sous pompe à insuline. La rémunération de la mission de sous-distribution est fixée sur le fondement d'une commission sur la vente de dispositifs médicaux de 12% du chiffre d'affaires hors taxes.

Cet avenant comprend également une clause de non-concurrence aux termes de laquelle la société Caraïbes Chirurgie "s'interdit pendant toute la durée du contrat et pendant une durée de vingt-quatre mois après la date de rupture du présent contrat pour quelque cause que ce soit, de s'intéresser directement ou indirectement, à des activités concurrentes de celles de Dinno Santé visées au présent contrat, et notamment d'exercer en quelque qualité que ce soit, directement ou indirectement, une activité similaire ou identique à celles visées aux articles 1.1 et 1.2 du présent contrat sur le territoire et pour la clientèle objet des mêmes articles".

Par lettre recommandée avec accusé de réception datée du 28 juin 2019, la société Dinno Santé a informé la société Caraïbes Chirurgie de sa décision de mettre fin à leur relation contractuelle à l'issue d'un délai de préavis de 12 mois, soit au plus tard le 30 juin 2020.

Par acte du 12 mai 2020, la société Caraïbes Chirurgie a assigné la société Dinno Santé devant le tribunal de commerce de Paris pour obtenir la requalification de leur relation contractuelle en agence commerciale et solliciter des dommages-intérêts pour rupture du contrat d'agence commerciale, d'une part, et en réparation des abus de dépendance économique subis, d'autre part.

Par jugement du 2 février 2022, le tribunal de commerce de Paris a :

- Dit que le contrat conclu le 21 mai 2004 entre la société Caraïbes Chirurgie Biotechno Médicales et la société Dinno Santé et son avenant du 5 octobre 2005 ne peuvent être qualifiés de contrat d'agent commercial ;

- Débouté la société Caraïbes Chirurgie Biotechno Médicales de sa demande de condamnation de la société Dinno Santé à hauteur de 241.567 euros à titre d'indemnité pour la rupture de son contrat d'agent commercial ;

- Débouté la société Caraïbes Chirurgie Biotechno Médicales de sa demande indemnitaire de 657.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des abus de dépendance économique ;

- Débouté les parties de leurs demandes plus amples et contraires ;

- Condamné la société Caraïbes Chirurgie Biotechno Médicales à verser à la société Dinno Santé la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, déboutant pour le surplus ;

- Condamné la société Caraïbes Chirurgie Biotechno Médicales aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74.01 € dont 12.12 € de TVA

Par déclaration reçue au greffe de la Cour le 15 février 2022 la société Caraïbes Chirurgie a interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 12 juillet 2023, la société Caraïbes Chirurgie Biotechno Médicales, demande à la Cour de :

Vu les articles 1101 et suivants du code civil,

Vu les articles L.131-1 et suivants, L.132-1 et suivants, L.134-1 et suivants, L.146-1 et suivants du code de commerce,

Vu les articles L.330-3, L.442-6 et D.442-3 du code de commerce,

Vu la loi 75-1334 du 31 décembre 1975 sur la sous-traitance,

Vu l'article 12 du code de procédure civile,

Réformer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 2 février 2022 ;

Déclarer la société Caraïbes Chirurgie recevable et bien fondée en ses demandes,

Et y faisant droit,

- Condamner la société Dinno Santé à payer à la société Caraïbes Chirurgie les sommes suivantes :

* 241.567 euros à titre d'indemnité pour la rupture de son contrat d'agent commercial ;

* 657.000€ à titre de dommages et intérêts en réparation des abus de dépendance économique dont elle a été la victime ;

- Condamner la société Dinno Santé à payer à la société Caraïbes Chirurgie la somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- La condamner en tous les dépens de l'instance.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 2 octobre 2023, la société Dinno Santé, formule les mêmes demandes à la Cour que celles déposées et notifiées le 20 juillet 2022, à savoir de :

Vu les articles L.134-1 et suivants du code de commerce,

Vu L.420-2 du code de commerce,

Vu l'article L.442-6 I ancien du code de commerce,

Vu le contrat du 21 mai 2004 conclu entre les sociétés Dinno Santé et Caraïbes Chirurgie,

Vu l'avenant du 5 octobre 2009,

A titre principal,

- Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 2 février 2022 ;

- Juger, en conséquence, que le contrat conclu le 21 mai 2004 entre la société Caraïbes Chirurgie et Dinno Santé et son avenant du 5 octobre 2009 ne peuvent être qualifiés de contrat d'agent commercial ;

- Débouter, en conséquence, la société Caraïbes Chirurgie de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;

A titre subsidiaire,

- Juger que la société Caraïbes Chirurgie a commis une faute contractuelle dans l'exécution du contrat conclu le 21 mai 2004 et son avenant du 5 octobre 2009 ;

- Débouter, en conséquence, la société Caraïbes Chirurgie de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;

A titre infiniment subsidiaire :

- Constater l'existence de deux missions distinctes confiées par la société Dinno Santé à la société Caraïbes Chirurgie ;

- Prendre Acte des chiffres d'affaires réalisés par la société Caraïbes Chirurgie pour chaque mission dans la détermination de l'indemnité de rupture ;

- Débouter la société Caraïbes Chirurgie de ses autres demandes de condamnation ;

En tout état de cause :

- Condamner la société Caraïbes Chirurgie à payer, en cause d'appel, à la société Dinno Santé la somme complémentaire de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, qui sera ajoutée à celle ordonnée en première instance, ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de la SELARL Altana, agissant par Maître Michel Jockey, pour ceux dont il aurait fait l'avance sans avoir reçu provision.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 3 octobre 2023.

La société Caraïbes Chirurgie a signifié des conclusions d'incident du 3 octobre 2023 aux fins de rejet des dernières conclusions de Dinno Santé en raison de leur tardiveté. L'intimée a fait valoir, pour s'y opposer, qu'il ne s'était agi que d'une simple réponse, notamment, aux 25 pièces nouvelles produites aux débats par Caraïbes Chirurgie le 12 juillet 2023 ; que les écritures de Dino Santé ne comportaient aucun moyen nouveau ; qu'elles avaient été régularisées antérieurement à la clôture.

La Cour constate que Caraïbes Chirurgie n'a pas demandé le rabat de la clôture. En application de l'article 802 du code de procédure civile, ces conclusions d'incident sont irrecevables.

La Cour renvoie à la décision attaquée et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

***

MOTIVATION

Sur la rupture alléguée d'un contrat d'agence commerciale

La société Caraïbes Chirurgie Biotechno Médicales fait valoir que le contrat du 21 mai 2004 définit la relation contractuelle comme étant une prestation de service et que c'est de manière infondée que l'avenant du 5 octobre 2009 distingue deux types d'obligations juridiques, l'une de sous-traitance et l'autre de sous-distribution. Elle conteste, d'une part, qu'il s'agisse d'un contrat de sous-traitance au motif que l'opération économique ne comporte aucun maître de l'ouvrage, et est réduite à deux intervenants, et non trois. S'agissant, d'autre part, de la qualification de contrat de sous-distribution, elle soutient que les contrats de distribution sont passés avec des intermédiaires et des réseaux de distribution alors qu'en l'espèce elle n'achète, ni ne vend en son nom les produits de la société Dinno Santé, de sorte qu'elle ne peut en être le sous-distributeur. Elle ajoute que doivent également être écartées les qualifications de mandataire relevant du droit du travail, de courtier (article L. 131-1 et suivants du code de commerce), de commissionnaire (article L. 132-1 du même code) et de gérant mandataire (article L. 146-1 du code de commerce). Elle rappelle qu'aux termes de l'article 12 du code de procédure civile, il appartient au juge de restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en ont proposée.

Elle développe les arguments suivants au soutien de la requalification du contrat litigieux en contrat d'agence commerciale :

- L'article L. 134-1 du code de commerce relatif au statut d'agent commercial, est d'ordre public et ne peut donc être écarté par une disposition contractuelle ;

- Les critères applicables à la qualification d'agence commerciale sont, en l'espèce, réunis. Il ressort, en ce sens, que la société Caraïbes Chirurgie, par l'intermédiaire de son représentant légal, a exercé son activité de manière indépendante, assurant une représentation permanente sur un territoire donné et que sa rémunération, sans aucune partie fixe, a été directement corrélée au volume d'affaires générés. Elle a démarché des praticiens médicaux en vue de la prescription des produits concédés par la société Dinno Santé et a conclu pour le compte de son mandant, prenant les commandes et n'acquérant jamais les produits concédés en vue de les revendre sous sa responsabilité. Elle a selon elle disposé d'un pouvoir de négociation sur les prix et/ou les services associés et elle a exploité la clientèle qu'elle a démarché, la fidélisant par la négociation de services annexes. Le mandat s'est exécuté dans l'intérêt commun des parties, l'avenant au contrat prévoyant expressément que la société Caraïbes Chirurgie n'a droit à aucune commission pour toute facture impayée ;

- il n'y a certes pas eu de vente, mais elle a pris les commandes sans avoir une délégation de signature de son mandant. Or, à défaut de stipulation expresse, l'agent commercial est censé avoir simplement le pouvoir de négocier et ce n'est que s'il en a été investi expressément qu'il a le pouvoir de conclure des contrats pour le compte du mandant ;

- Si les prix de vente portant sur les pompes à insuline et sur les dispositifs médicaux pour la diabétologie et la cicatrisation des plaies sont fixés forfaitairement par l'assurance maladie, la capacité de négociation de Caraïbes Santé porte selon elle sur les services additionnels (formation, prêt gratuit de matériel, sérieux de l'astreinte et du service après-vente, communication avec le médecin) proposés aux médecins prescripteurs et la qualité du suivi des patients afin qu'ils privilégient les produits de la société Dinno Santé.

Elle ajoute qu'il ressort de l'arrêt C-828/18 de la CJUE du 4 juin 2020 que la circonstance qu'un agent commercial ne dispose pas de la faculté de modifier les prix des marchandises dont il assure la vente pour le compte du commettant n'empêche pas l'accomplissement par l'agent commercial de ses tâches principales telles que décrites dans la directive 86/653 (apport de nouveaux clients au commettant et développement des opérations avec les clients existants). Elle en conclut qu'en l'espèce, les missions qu'elle a réalisées rentrent dans les prévisions de cet arrêt. Le contrat du 21 mai 2004 prévoit, en effet, que la société Caraïbes Chirurgie a notamment pour missions :

- Au titre des pompes à insuline : contacts et suivi régulier des centres prescripteurs de pompes, signalement des réclamations et des incidents, remplacement immédiat des matériels défaillants en cas de panne ;

- Au titre des dispositifs médicaux : politique de visite, action médico-marketing, actions d'information et de formation.

Il est manifeste selon elle que Dinno Santé sollicitait de Caraïbes Chirurgie qu'elle mette en place les moyens d'action nécessaires au développement de son chiffre d'affaires et non qu'elle assure un simple support technique.

- Le fait qu'elle ne soit pas inscrite au registre spécial des agents commerciaux ne fait pas obstacle à la caractérisation d'une relation d'agence commerciale. Elle cite, en ce sens, un arrêt Caprini rendu par la Cour de justice des communautés européennes (CJUE) le 6 mars 2003 qui affirme, en substance, qu'une telle inscription constitue une simple mesure administrative qui ne saurait être sanctionnée par la perte de la protection accordée aux agents commerciaux. Elle se prévaut également de l'arrêt n°02-17.107 rendu par la Cour de cassation le 7 juillet 2004 dans le même sens ;

- Le fait que sa raison sociale porte sur la distribution de matériel médico-chirurgical et l'achat-vente importation, exportation de produits industriels n'est pas incompatible avec un mandat d'agent commercial portant sur la distribution de matériel médical.

La société Dinno Santé répond que le contrat conclu le 21 mai 2004 tel que modifié par avenant du 5 octobre 2009 ne constitue pas un contrat d'agent commercial. Elle relève que l'avenant du 5 octobre 2009 exclut expressément l'application des articles L. 134-1 à L. 134-17 du code de commerce relatifs à l'agent commercial et que la société Caraïbes Chirurgie ne justifie pas s'être inscrite en tant qu'agent commercial au registre spécial du commerce et des sociétés, ce qui constitue un indice révélateur de l'intention des parties. Elle ajoute que l'objet social de Caraïbes Chirurgie porte sur la distribution de matériel médico-chirurgical, soit une activité sans lien avec le statut d'agent commercial. Elle soutient qu'en y faisant référence, le tribunal a fait une exacte application de la règle dont se prévaut Caraïbes Chirurgie, à savoir analyser in concreto la relation effective entre les parties.

Elle rappelle, par ailleurs, que les prestataires de santé à domicile sont soumis à l'interdiction d'utiliser des procédés incitatifs à la prescription (article 18 paragraphe 1er de la convention nationale des produits et prestations inscrits aux titres I et IV et au chapitre 4 du titre II da la liste prévue à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale). Caraïbes Chirurgie ne peut ni soutenir qu'elle a démarché des patients, ni qu'elle aurait négocié des services annexes avec les médecins prescripteurs, lesquels ne peuvent être proposés en application des articles L. 1453-3 et suivants du code de la santé publique.

Elle ajoute que les dernières pièces versées par l'appelante, qui ne sont constituées que de simples captures d'écrans de mails pris isolément, et non dans un fil de discussion, et de manière tronquée, sont non seulement très insuffisantes en nombre eu égard à la durée de la relation, mais trompeuses et inopérantes. Les pièces Caraïbes Chirurgie n°17 et 18 ne démontrent pas que cette dernière aurait pris des commandes, dont on ignore lesquelles ; l'évocation de perspectives futures ne peut constituer un critère de qualification d'agence commerciale ; la circonstance qu'un médecin ait, le 11 décembre 2011 "soumis personnellement, (à titre de) projet innovant (') l'édition d'un livret d'éducation nutritionnelle original et adapté à la Martinique" ne peut démontrer que Caraïbes Chirurgie ait développé des "services annexes".

Ella précise qu'il ressort en outre des pièces adverses :

- n°33 que c'est Dinno Santé qui a confirmé et donné son accord pour les tarifs grossistes, - n°34 que les tarifs étaient déterminés non pas par Caraïbes Chirurgie mais par Dinno Santé,

- n°36 que suite à la volonté d'un groupe de pharmaciens de négocier des prix pour la Guadeloupe, Caraïbes Chirurgie s'est contentée de solliciter Dinno Santé afin qu'elle lui communique la grille de prix dégressifs qu'elle utilise en métropole,

- n°37 que le Caraïbes Chirurgie a sollicité l'autorisation de Dinno Santé pour appliquer de manière exceptionnelle un tarif plus bas au profit d'une pharmacie, ce qui exclut toute indépendance.

Réponse de la Cour

L'article L. 134-1 du code de commerce, qui procède de la transposition en droit français de l'article 1er, paragraphe 2 de la Directive n°86/63/CEE du 18 décembre 1986, dispose que "l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux. Il peut être une personne physique ou une personne morale et s'immatricule, sur sa déclaration au registre spécial des agents commerciaux".

S'agissant de la qualification, la Cour de cassation a énoncé, conformément à l'interprétation de la Cour de justice (CJUE, 4 juin 2020, Trendsetteuse, C-828/18), que "l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux" et qu' "il n'est pas nécessaire de disposer de la faculté de modifier les conditions des contrats conclus par le commettant pour être agent commercial" (Com., 7 septembre 2022, pourvoi n° 20-20.625 ; Com. 12 mai 2021, pourvoi n°19-17.042).

La CJUE avait précisé, dans l'arrêt C-828/18 (points 25 et 26), que la notion de négociation -notion autonome du droit de l'Union - "doit être établie conformément au sens habituel de [celle-ci] dans le langage courant, tout en tenant compte du contexte dans lequel [elle] est utilisée et des objectifs poursuivis par la réglementation dont [elle] fait partie".

La Cour de cassation a par ailleurs retenu qu' "il résulte de l'article L. 134-1 du code de commerce que l'application du statut d'agent commercial ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties dans le contrat ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des conditions dans lesquelles l'activité est effectivement exercée " (Com. 17 mai 2023, pourvoi n°21-23.533).

Il s'en déduit que le statut d'agent commercial ne bénéficie qu'à celui qui dispose du pouvoir de négociation, sans qu'il soit exigé qu'il ait le pouvoir de discuter des termes du contrat. Le contrat d'agence commerciale peut prévoir les prix de vente des biens ou services, sans qu'il soit possible pour l'agent commercial de les modifier dans le cadre de la négociation. Ainsi, la circonstance qu'un agent commercial ne dispose pas de la faculté de modifier les prix de ces produits ou services n'empêche pas l'accomplissement de ses tâches principales à savoir l'apport de nouveaux clients au commettant et le développement des opérations avec les clients existants. Dans un arrêt n°18-15.964 du 7 septembre 2022, la Cour de cassation a ainsi notamment considéré que le contrat avait exactement été qualifié d'agence commerciale dans le cas d'une société qui a visité la clientèle et les prospects de la mandante mais a aussi exercé son pouvoir de négociation par les entretiens, les échanges et les démarches menés par elle pour parvenir à un accord même sans modification des instructions fournies par la mandante.

Il s'ensuit que pour pouvoir bénéficier du statut d'agent commercial, il appartient au cas présent à la société Caraïbes Chirurgie de démontrer qu'elle a exercé une activité consistant soit à négocier la vente ou l'achat de marchandises pour le commettant, soit à négocier et à conclure ces opérations pour le nom et pour le compte de celui-ci, quoiqu'elle ne dispose pas du pouvoir de modifier les prix de ces produits ou services.

Or, s'agissant en premier lieu de l'activité de sous-traitance, il ressort des éléments soumis aux débats que suite à prescription médicale, Dinno Santé a mis à la disposition de patients diabétiques des pompes à insuline et a facturé à l'assurance maladie ses prestations. Il n'est pas établi qu'elle ait confié à la société Caraïbes Chirurgie d'autres prestations que celles, administratives, d'astreinte téléphonique dans le cadre du suivi des patients diabétiques et des prestations logistiques relatives aux dispositifs médicaux (gestion de l'approvisionnement des dispositifs médicaux). Caraïbes Chirurgie a par ailleurs été payée sur la base d'un tarif forfaitaire par jour et par patient effectivement pris en charge sous pompe à insuline, fixé selon la règlementation imposée par le ministère des solidarités et de la santé à laquelle elle est soumise en tant que prestataire de santé à domicile.

La Cour retient qu'en application du contrat du 21 mai 2004 et de son avenant daté du 5 octobre 2009, la première mission dite de sous-traitance relative au stockage des matériels médicaux et au suivi des patients, ne caractérise pas de pouvoir de négociation. N'ont été en effet prévues ni la possibilité de démarcher des patients, ni la possibilité de négocier tant sur les prix que sur les services associés, ni la possibilité de proposer des services annexes aux prescripteurs, ni la possibilité de conclure des ventes pour son compte.

Il n'est pas démontré, par ailleurs, que l'activité ait été effectivement exercée dans des conditions différentes. La circonstance que trois pompes à insuline aient été prêtées le 31 mai 2019 à un centre hospitalier et qu'il ait été question d'organiser la formation d'un même médecin en 2015 et 2017 (sans qu'aucune précision ne permette d'établir qu'elle ait effectivement eu lieu) ne permet pas d'établir que ces services très annexes et particulièrement ponctuels eu égard à la durée de la relation commerciale, caractérisent la capacité de négociation de Dinno Santé, étant observé que les procédés incitatifs à la prescription sont interdits par la réglementation des prestataires de santé à domicile.

En second lieu, la Cour retient que dans le cadre de sa prestation de sous-distribution, les missions de la société Caraïbes Chirurgie ont été limitées au ciblage, à l'identification des besoins des prescripteurs, à des actions médico-marketing, à la supervision de la promotion des dispositifs médicaux auprès des médecins, au stockage, à la gestion et à la livraison des dispositifs médicaux, toutes les informations et tous les objets promotionnels ayant été fournis par la société Dinno Santé (pièces n°3 et 4).

Les pièces produites Chirurgie Caraïbes ne démontrent pas la réalité d'une mission d'intermédiation auprès des praticiens médicaux en vue de la prescription des produits de la société Dinno Santé ou la conclusion de ventes au nom et pour le compte de cette dernière ou le développement d'opérations avec des clients existants.

La circonstance qu'il existe des tableaux renvoyant aux prix de vente de certains produits qui évoluaient en fonction de la quantité vendue ne caractérise pas une marge de négociation qui aurait été consentie, dans la mesure où les remises ont été automatiquement concédées aux clients en cas d'augmentation des quantités vendues. La circonstance, spécifiquement soutenue par Caraïbes Chirurgie, qu'y figure de surcroît la mention "document confidentiel, à usage interne uniquement", est dépourvue de portée.

Le pouvoir de négociation de la société Caraïbes Chirurgie n'est donc pas caractérisé et le contrat ne peut être qualifié d'agence commerciale.

Le jugement attaqué est confirmé.

Sur l'abus de dépendance économique et sur la soumission à un déséquilibre significatif allégués

Moyens des parties

La société Caraïbes Chirurgie Biotechno Médicales soutient, au visa de l'article L. 442-6 ancien du code de commerce relatif au déséquilibre significatif, que la société Dinno Santé a abusé de sa situation de dépendance économique, laquelle serait caractérisée par l'impossibilité dans laquelle elle a été placée de rechercher un autre mandat pour réaliser les mêmes prestations à compter du 30 juin 2020. Elle fait valoir, en ce sens, que l'avenant du 5 octobre 2009 prévoit une clause de non-concurrence dont le champ d'application temporel couvre la période d'exécution du contrat et une durée de 24 mois après la date de rupture du contrat.

Elle soutient ensuite qu'au titre de sa mission relative à la fourniture des pompes à insuline, elle a subi des abus de dépendance économique de la part de Dinno Santé, l'obligeant à réaliser des prestations non contractuellement prévues, afin de ne pas s'exposer à la dénonciation du contrat. Ces abus seraient caractérisés, d'une part, par l'astreinte à laquelle elle a été soumise d'intervenir 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24 pour palier toute panne des pompes à insuline pendant toute la durée du contrat (15 années) et d'autre part, par son rôle dans la direction des infirmiers recrutés par la société Dinno Santé. Elle ajoute qu'une situation de travail dissimulé peut être caractérisée dès lors que le dirigeant de la société Caraïbes Chirurgie a été dans l'obligation de satisfaire aux directives qui lui ont été adressées en ce sens. Selon elle, la société Dinno Santé a abusé de la dépendance économique dans laquelle elle s'est trouvée afin de lui imposer de réaliser des prestations supplémentaires sans les lui rémunérer.

La société Dinno Santé fait valoir en réponse, tout d'abord, que l'article L. 442-6, I° ancien du code de commerce sanctionne non pas un abus de dépendance économique d'un partenaire mais le déséquilibre des relations commerciales. Or, selon la société intimée, aucun déséquilibre ne peut être caractérisé en l'espèce, la société Caraïbes Chirurgie Biotechno Médicales ayant toujours été rémunérée pour les prestations accomplies sans qu'aucune obligation créant un déséquilibre quelconque ne lui ait été imposée.

Dinno Santé ajoute que la clause de non-concurrence stipulée dans l'avenant du 5 octobre 2009 est régulière, l'article L. 134-14 du code de commerce disposant que le contrat d'agent commercial peut contenir une clause de non-concurrence après la cessation du contrat. Elle fait en outre observer, d'une part, qu'il ne lui a pas été demandé par Caraïbes Distribution d'y mettre et fin et, d'autre part, qu'elle ne s'est pas opposée à renoncer à cette clause de non-concurrence à compter de la date de l'assignation, soit le 12 mai 2020, afin de couper court à toute discussion.

S'agissant de l'abus de dépendance économique sanctionné par l'article L. 420-2 du code de commerce, elle soutient que l'appelante se contente d'indiquer que l'existence d'une clause de non-concurrence permettrait de caractériser un abus de dépendance économique alors qu'une telle clause ne fait que restreindre l'activité de cette dernière. Il s'ensuit qu'aucun élément n'est produit pour démontrer la dépendance évoquée par la société Caraïbes Chirurgie.

Réponse de la Cour

En premier lieu, aux termes de l'alinéa 2 de l'article L. 420-2 du code de commerce, "est (..) prohibée, dès lors qu'elle est susceptible d'affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées, en pratiques discriminatoires visées aux articles L. 442-1 à L. 442-3 ou en accords de gamme".

L'abus de dépendance économique suppose donc la réunion de trois conditions cumulatives : l'existence d'une situation de dépendance économique d'une entreprise à l'égard d'une autre, une exploitation abusive de cette situation et une affectation, réelle ou potentielle du fonctionnement ou de la structure de la concurrence. En l'absence de l'une de ces trois conditions, l'abus de dépendance économique allégué n'est pas établi.

L'état de dépendance économique se définit, pour un distributeur, comme l'impossibilité, pour une entreprise, de disposer d'une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu'elle a nouées avec une autre entreprise. (Com., 12 février 2013, pourvoi n°12-13.603 ; voir également Com., 3 mars 2004, pourvoi n°02-14529). Cette condition s'identifie à celle d'absence de solution alternative équivalente, qui constitue donc une condition nécessaire et suffisante à la caractérisation d'une relation de dépendance. La possibilité de disposer d'une solution équivalente s'entend de la possibilité juridique mais aussi matérielle pour l'entreprise de développer des relations contractuelles avec d'autres partenaires. (Com., 12 février 2013, précité). Il doit être recherché si l'entreprise dispose de la possibilité de substituer à son donneur d'ordre un ou plusieurs autres donneurs d'ordre lui permettant de faire fonctionner son entreprise dans des conditions techniques et économiques comparables. (Com. 23 octobre 2007 pourvoi n°6-14.981).

Si l'existence d'un état de dépendance économique s'apprécie en tenant compte de la notoriété de la marque du fournisseur, il convient également de tenir compte de l'importance de sa part dans le marché considéré et dans le chiffre d'affaires du revendeur ainsi que de l'impossibilité pour ce dernier d'obtenir d'autres fournisseurs des produits équivalents. (Com., 12 octobre 1993 pourvois n°91-16988 et 91-17090), mais aussi de l'importance du distributeur dans la commercialisation du produit concerné et de l'existence et de la diversité éventuelle de solutions alternatives pour le fournisseur (Com., 10 décembre 1996, pourvoi n° 94-16.192).

Au cas présent, il suffit de constater :

- que les parts de marché de Dinno Santé sur le marché de la fourniture des pompes à insuline (à supposer que puisse être caractérisé un marché de référence de ce type, ce qui n'est établi en aucune façon) ne sont pas précisées ;

- que l'attestation de l'expert-comptable de Caraïbes Chirurgie, qui produit un tableau se limitant à comparer le chiffre d'affaires HT entre les deux partenaires sur les exercices 2018 à 2020 et le résultat net de la Caraïbes Chirurgie, n'apporte pas de données suffisantes.

Dans ces circonstances, les éléments versés aux débats ne permettent pas d'étayer l'existence d'une situation de dépendance économique, au sens de l'article L.420-2, alinéa 2, du commerce, de Caraïbes Distribution à l'égard de Dinno Santé. Aucun abus ne peut donc être utilement recherché.

En second lieu, aux termes de l'article L. 442-6, I ancien du code de commerce, "engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait (') :

2° de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties".

Il doit être constaté que Caraïbes Distribution, à qui la charge de la preuve des faits nécessaires au succès de sa prétention incombe, ne démontre en l'espèce ni soumission, ni déséquilibre significatif.

La Cour ajoute que l'objet de la clause de non concurrence critiquée est limité aux missions confiées, soit la sous-traitance de prestation de service de pompe à insuline et la sous-distribution de dispositif médical ("activités concurrentes de celles de Dinno Santé visées au présent contrat (') sur le territoire et pour la clientèle [objet du contrat]"), et que Caraïbes Chirurgie a pu librement poursuivre son activité de commerce de gros de produits pharmaceutiques.

Le jugement est confirmé.

Sur l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens

Il serait inéquitable de laisser à la charge de l'intimée les frais irrépétibles d'appel qu'elle a contrainte d'exposer pour faire valoir ses droits devant la Cour.

Caraïbes Distribution sera en conséquence condamnée à verser à Dinno Santé la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Caraïbes Distribution, qui succombe en toutes ses prétentions, sera condamnée aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement du tribunal de commerce de Paris du 2 février 2022 en ses dispositions qui lui sont soumises ;

Y ajoutant,

Condamne la société Caraïbes Chirurgie Biotechno Médicales aux dépens d'appel ;

Condamne la société Caraïbes Chirurgie Biotechno Médicales à verser à la société Dinno Santé la somme supplémentaire de 5 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.