Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 21 février 2024, n° 22/03658

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Vignobles Laur (SAS)

Défendeur :

Société Civile Vinicole Chateau du Tariquet, CGM VINS (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Douillet

Conseillers :

Mme Barutel, Mme Bohée

Avocats :

Me Autier, Me Lecomte, Me Aittouares, Me Lallement, Me Burghardt

TJ Paris, 3e ch. 3e sect., du 25 janv. 2…

25 janvier 2022

EXPOSE DU LITIGE

La société vinicole Château du Tariquet (Tariquet) se présente comme propriétaire-récoltant du Gers et principal producteur de vins de Côtes de Gascogne IGP et de Bas-Armagnac AOC. Elle produit notamment depuis plus de 20 ans un vin blanc moelleux commercialisé sous la marque « Premières grives », qui représente 45% de son chiffre d'affaires, et un autre vin blanc moelleux IGP Côtes de Gascogne, marqué « Dernières grives », qui se différencie du vin « Premières grives » en ce qu'il est créé à partir d'un autre cépage, le petit manseng, dont les raisins sont récoltés à surmaturité.

Elle est notamment titulaire des marques verbales suivantes, toutes enregistrées pour désigner notamment des vins :

Tariquet, marque française n° 4202685 (685), déposée le 10 aout 2015

Tariquet, marque de l'UE n°016788151 (151), déposée le 1er juin 2017

Premières grives, marque française n°4202661 (661), déposée le 10 aout 2015

Premières grives, marque de l'UE n°016957102 (102), déposée le 5 juillet 2017

Dernières grives, marque française n°4202667 (667), déposée le 10 aout 2015

Dernières grives, marque verbale de l'UE n°016957111 (111), déposée le 5 juillet 2017

La famille Laur qui détient la SAS Vignobles Laur exerce la double activité de producteur et de négociant en vins ; la première s'exerce par le biais du Château Laur qui est établi en AOP [Localité 5] et la seconde s'exerce par l'intermédiaire de la SAS Vignobles Laur laquelle achète des produits finis, des vins en vrac ou des raisins, qu'elle vinifie en vue de les revendre essentiellement à la grande distribution.

La société CGM Vins se présente comme une société créée en 1997 par deux frères, MM. [U] et [G] [F], exerçant une activité de grossiste spécialisé dans la distribution de vins de [Localité 4]. La société CGM Vins est l'une des sociétés distribuant les produits de la société Vignobles Laur.

La société CGM Vins et la SAS Vignobles Laur ont eu des relations d'affaire avec la société Château du Tariquet, qui ont cessé en 2013.

M. Laur a déposé le 20 juillet 2017 la marque verbale « Faute de Grives je bois du Merle » n° 4 377 791, puis le 25 janvier 2018, une marque semi figurative n° 4 422 803.

La société Tariquet indique avoir découvert, en janvier 2018, qu'un de ses anciens partenaires commerciaux, la société Vignobles Laur, commercialisait des vins blancs moelleux et secs IGP Côte de Gascogne sous le signe « Faute de grives » ou « Faute de grives Je bois du Merle », puis en février 2018, qu'elle exposait lesdits vins blancs moelleux et secs « Fautes de grives » au salon professionnel international Vinisud des 18, 19 et 20 février 2018, et que les vins « Faute de grives » étaient commercialisés par la société CGM Vins, également ancienne cliente, cette société présentant publiquement le vin blanc moelleux comme étant un produit « anthologique assimilé Tariquet ».

Après avoir pratiqué une saisie-contrefaçon aux sièges de ces deux sociétés le 28 mars 2018, elle les a assignées le 26 avril suivant en contrefaçon de marques et concurrence déloyale et parasitaire.

Dans un jugement du 25 janvier 2022, dont appel, le tribunal judicaire de Paris a :

- Déclaré irrecevables les demandes en nullité et radiation formées par la société Vignobles Laur à l'égard des marques n° 4202685, n°016788151, n°3664645, n°3938898, n°98740280, n°793370 et de la marque française n°4090753 ;

- Déclaré irrecevables les demandes en nullité et radiation de marques formées par les sociétés Vignobles Laur et CGM Vins en ce qu'elles désignent des produits autres que les vins ;

- Déclaré irrecevable la demande en nullité de la dénomination sociale « Château du Tariquet » formée par la société Vignobles Laur ;

- Rejeté les demandes de la société Vignobles Laur en nullité (et déchéance) des marques n°4202661, n°016957102, n°4202667, n°016957111, n°98744094, n°98744093, n°017882187;

- Condamné in solidum les sociétés CGM Vins et Vignobles Laur à payer une provision de 48 900 euros à la société Tariquet sur la réparation son préjudice matériel en contrefaçon des marques Premières grives et Dernières grives ;

- Condamné in solidum les sociétés Cgm vins et Vignobles Laur à payer une provision de 15 500 euros à la société Tariquet sur la réparation de son préjudice d'image causé par les mêmes ventes;

- Dit que dans leurs rapports entre eux, la société Vignobles Laur doit garantir la société CGM Vins de ces condamnations à hauteur de

- 31 000 euros pour le préjudice matériel

- 9 800 euros pour le préjudice d'image ;

- Condamné la société Vignobles Laur à payer en outre une provision de 108 700 euros à la société Tariquet sur la réparation de son préjudice matériel causé par la contrefaçon des mêmes marques Premières grives et Dernières grives, et une provision de 34 500 euros sur la réparation de son préjudice d'image causé par la même contrefaçon ;

- Condamné les sociétés CGM Vins et Vignobles Laur à remettre à la société Tariquet la copie de tout contrat, devis, bon de commande, facture, et extraits du grand livre comptable, relatifs à la production et la distribution des vins « Faute de grives je bois du merle » depuis janvier 2017, et ce dans un délai de 30 jours à compter de la signification du jugement, puis sous astreinte de 500 euros par jour de retard, qui courra pendant 180 jours, contre chacune de ces deux sociétés ;

- Interdit aux sociétés CGM Vins et Vignobles Laur de commercialiser de quelque manière que ce soit, du vin ou des produits similaires sous un signe contenant « Faute de grive(s) », sous astreinte de 100 euros par infraction constatée passés 15 jours suivant la signification du présent jugement, chaque bouteille commercialisée caractérisant une infraction, l'astreinte commençant à courir 15 jours après la signification du jugement et courant an maximum pendant 180 jours à compter de la première infraction constatée ;

- S'est réservé la liquidation des astreintes ;

- Condamné la société Vignobles Laur à payer à la société Tariquet une provision de 60 000 euros sur la réparation du préjudice causé par les faits distincts de concurrence déloyale et parasitaire ;

- Renvoyé les parties à la détermination amiable du préjudice et, à défaut d'accord, par le tribunal saisi par nouvelle assignation ;

- Rejeté les demandes en procédure abusive (et amende civile) ;

- Condamné in solidum les sociétés Vignobles Laur et CGM Vins aux dépens, avec recouvrement par l'avocat de la société Tariquet dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile;

- Condamné à payer à la société Tariquet, au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- la société Vignobles Laur, 30 000 euros,

- la société CGM Vins, 10 000 euros,

- Et rejeté leur propre demande à ce titre ;

- Ordonné l'exécution provisoire.

La société Vignobles Laur a interjeté appel de ce jugement le 11 février 2022.

Le 22 juillet 2022, la société Château du Tariquet a signifié des conclusions d'intimées portant appel incident, et le 10 août 2022, la société CGM Vins a notifié ses conclusions d'intimée portant appel incident.

La société CGM Vins a transmis à la société Tariquet ses pièces comptables le 28 février 2022, et la société Vignobles Laur le 11 mars 2022.

La société Tariquet a introduit deux recours en annulation des marques n°803 et n° 791 par lettres du 19 juillet 2022 devant l'INPI, lequel a prononcé un sursis à statuer dans l'attente de la décision de la cour d'appel.

Constatant que de nombreuses factures étaient destinées à une société dénommée [Adresse 8] pour un montant de 329 312,16 euros entre août 2020 et janvier 2022, et qu'en avril 2022, la société Laur s'était mise à commercialiser un vin dénommé « Faute de merles », conditionné dans la même bouteille, sous le même code-barres et la même étiquette, l'expression « faute de grives je bois du merle » ayant été remplacée par « faute de merles je ne bois que ça », et que malgré le jugement du 25 janvier 2022, les vins « Faute de grives » continuaient à être commercialisés, et que les vins « Faute de merles » étaient commercialisés de façon massive, la société Tariquet a sollicité, d'une part, des ordonnances sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile rendues le 13 avril 2023 par le président du tribunal judiciaire de Toulouse, destinées à obtenir des éléments relatifs à l'exploitation des vins « Faute de merles » pour initier un nouveau procès en concurrence déloyale et parasitaire, d'autre part, des ordonnances de saisie-contrefaçon rendues le 24 mai 2023 sur délégation du Premier président de la présente cour, destinées à établir la poursuite des exploitations des vins « Faute de grives », dans le cadre du présent procès. Les opérations de saisie-contrefaçon ont eu lieu le 28 juin 2023 au siège de la société Bertrand Ravache ainsi que dans deux magasins Carrefour, un Intermarché et un magasin Leclerc à [Localité 9].

La société [Adresse 8] a formé un recours en référé-rétractation. Par ordonnance du 5 juillet 2023, la Présidente de la chambre a rétracté une partie du dispositif de son ordonnance, ordonné la restitution des pièces saisies en exécution de celui-ci et ordonné la libération des autres pièces saisies, l'huissier instrumentaire ayant procédé à la levée du séquestre selon les termes de l'ordonnance le 10 juillet 2023.

Dans ses dernières conclusions récapitulatives numérotées 8, signifiées le 24 novembre 2023, la société Vignobles Laur, appelante, demande à la cour de :

- En cas de confirmation, condamner CGM Vins à garantir la société Vignobles Laur de toute condamnation et la débouter au contraire de son appel en garantie.

- Réduire en tout cas l'indemnisation accordée à la SCV du Château du Tariquet du fait de l'absence de préjudice constatée par le Tribunal.

- Rejeter en toute hypothèse l'appel incident de Tariquet.

Et autrement,

- Infirmer en son entier le jugement entrepris

Et statuant à nouveau,

- Prononcer l'irrecevabilité de la SCV Château du Tariquet sur la base de l'art. 117 C. pr. civ.

- Prononcer aussi l'irrecevabilité de la SCV Château du Tariquet pour défaut d'intérêt à agir sur la base de l'art. 31 C. pr. civ.

- Écarter la pièce adverse n° 8-4 des débats sur la base de l'art. 9 C. pr. civ.

A défaut,

- Débouter purement et simplement la SCV Château du Tariquet de toutes ses demandes, fins et conclusions.

- Ordonner en toute hypothèse la restitution aux Vignobles Laur de toutes sommes versées à la SCV Château du Tariquet au titre du jugement rendu le 25 janvier 2022 par le tribunal judiciaire de Paris avec intérêts de droit à compter de la déclaration d'appel.

Et reconventionnellement,

- Prononcer la déchéance des marques suivantes pour violation des art. 58-1 sous « c » RMUE, L. 714-6 CPI et 7 du décret n° 2012-655 du 4 mai 2012

+ Marque française Premières Grives n° 4 202 661

+ Marque de l'UE Premières Grives n° 016 957 102

+ Marque française Dernières Grives n° 4 202 667

+ Marque française Dernières Grives n° 016 957 111

- Prononcer encore la déchéance desdites marques sur le fondement des art. 58-1 sous « c » RMUE, L. 711-2 al 7 et L. 714-6 CPI comme suggérant fallacieusement au consommateur, du fait de leur étiquetage, l'existence d'une unité géographique plus petite dénommée TARIQUET, au sein de l'IGP Côtes de Gascogne.

- En ordonner la radiation auprès de l'INPI et de l'EUIPO

- Déclarer nulle pour contrariété au droit de l'étiquetage des vins la dénomination sociale SCV Château du Tariquet ; en interdire tout usage sous astreinte définitive de 1 000 euros par jour de retard passé un mois après la signification de l'arrêt à intervenir, et dont la cour se réservera la liquidation.

- Prononcer en conséquence la nullité de la SCV Château du Tariquet sur la base de l'art. 1844-10 C. civ.

- Déclarer nulles pour inexistence de leur titulaire les marques françaises n° 4 202 661 et n° 4 202 667, ainsi que les marques de l'UE 016 957 102 et 016 957 11 pour l'hypothèse où la déchéance n'en aurait pas déjà été prononcée

- Déclarer irrecevable faute de base juridique et, en toute hypothèse, mal-fondée, l'action en contrefaçon de marque engagée par la SCV Château du Tariquet

- Déclarer mal-fondée l'action en concurrence déloyale engagée par la SCV Château du Tariquet

- Condamner la SCV dite Château du Tariquet à 250 000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive sur le fondement de l'art. 1240 C. civ.

- Condamner la SCV dite Château du Tariquet à 50 000 euros au titre de l'art. 700 C. pr. civ.

- La condamner en tous dépens dont distraction au profit de Me Jean-Philippe AUTIER, Avocat, sur ses affirmations de droit, dans les termes de l'art. 699 C. pr. civ.

Dans ses dernières conclusions numérotées 4, signifiées le 15 novembre 2023, la société Vinicole Château du Tariquet, intimée et appelante incidente, demande à la cour de :

A titre principal,

- de juger irrecevables les demandes de la société LAUR en annulation de la SCV CHATEAU DU TARIQUET et en irrecevabilité pour défaut de capacité à ester en justice en découlant ;

- de réformer le jugement rendu par le Tribunal judiciaire le 25 janvier 2022 sous le RG n°18/04839, en ce qu'il a :

- jugé recevable les demandes reconventionnelles de la société VIGNOBLES LAUR en nullité de la marque n°17 882 187 ;

- jugé que la société VIGNOBLES LAUR n'a pas commis d'actes de concurrence déloyale et parasitaire en :

- imitant les caractéristiques et le conditionnement des vins de la société TARIQUET ;

- proposant ses propres vins à un prix inférieur à ceux de la société TARIQUET ;

- présentant ses vins en tant que produits de substitution de ceux de la société TARIQUET ;

- promouvant ses vins par un discours commercial trompeur ;

- débouté la société TARIQUET de sa demande de publication judiciaire ;

- de confirmer, pour le surplus, le jugement rendu par le Tribunal judiciaire le 25 janvier 2022 sous le RG n°18/04839 ;

- de condamner :

- la société VIGNOBLES LAUR à payer à la société TARIQUET la somme de 1 221 984,15 euros au titre des bénéfices injustement réalisés du fait de la contrefaçon, sous déduction de la provision ordonnée en première instance ;

- la société CGM VINS à payer à la société TARIQUET la somme de 42 722,25 euros au titre des bénéfices injustement réalisés du fait de la contrefaçon, sous déduction de la provision ordonnée en première instance ;

- in solidum, les sociétés VIGNOBLES LAUR et CGM VINS à payer à la société TARIQUET la somme de 450 000 euros au titre de son manque à gagner ;

- in solidum les sociétés VIGNOBLES LAUR et CGM VINS à payer à la société TARIQUET 396 112,50 euros en réparation de son préjudice d'image, sous déduction de la provision ordonnée en première instance ;

- de juger irrecevable la demande de la société LAUR de rejet de la pièce n°17, qu'elle identifie sous le numéro 8.4 ;

A titre subsidiaire,

- de débouter la société LAUR de ses demandes en annulation de la SCV CHATEAU DU TARIQUET et en irrecevabilité pour défaut de capacité à ester en justice en découlant ;

- de juger que sont constitutifs de concurrence déloyale et parasitaire :

- la commercialisation, par la société VIGNOBLES LAUR et la société CGM VINS, de vins sous le nom FAUTE DE GRIVES ;

- l'usage de la mention « assimilé Tariquet » par la société CGM VINS, dans le cadre de la promotion et de la commercialisation du vin marqué FAUTE DE GRIVES ;

- de condamner :

- la société VIGNOBLES LAUR à payer à la société TARIQUET la somme de 1 064 384,15 euros ;

- la société CGM VINS à payer à la société TARIQUET la somme de 6 922,25 euros ;

- la société VIGNOBLES LAUR et la société CGM VINS in solidum, à payer à la société TARIQUET, à titre provisionnel, la somme de 796 112,5 euros (450 000 + 346 112,50) ;

- de débouter la société LAUR de sa demande de rejet de la pièce n°17, qu'elle identifie sous le numéro 8.4 ;

En tout état de cause,

- de débouter la société CGM VINS de sa demande en déchéance pour défaut d'usage sérieux des marques françaises PREMIERES GRIVES n°4202661 et DERNIERES GRIVES n°4202667, ainsi que des marques européennes PREMIERES GRIVES n°16957102 et DERNIERES GRIVES n° 16957111 ;

- de condamner la société VIGNOBLES LAUR à payer à la société TARIQUET, la somme de 252 375,94 euros en réparation du préjudice résultant des actes de concurrence déloyale et parasitaire invoqués à titre complémentaire, sous déduction de la provision ordonnée en première instance ;

- de condamner la société VIGNOBLES LAUR à communiquer à la société TARIQUET ses factures de vente des vins FAUTE DE GRIVES en intégralité, afin de permettre à cette dernière d'identifier les réseaux de distribution des vins contrefaisants ;

- de condamner la société LAUR à communiquer à la société TARIQUET ses factures d'achat des vins PREMIERES GRIVES et DERNIERES GRIVES en intégralité ;

- d'ordonner à la société VIGNOBLES LAUR de procéder, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, au rappel systématique des produits « Faute de grives » ainsi qu'à leur destruction, à ses frais ;

- d'ordonner la publication de l'arrêt à intervenir, en intégralité ou par extrait :

- dans 8 journaux au choix de la SCV CHÂTEAU DU TARIQUET, aux frais in solidum de la société VIGNOBLES LAUR et de la société CGM VINS, dans la limite de 35 000 euros HT ;

- sur le site Internet de la société VIGNOBLES LAUR et sur celui de la société CGM VINS pendant une durée de 6 mois à compter de la signification du jugement en page d'accueil sur une surface égale à 50% de la surface de cette page d'accueil, dans la partie supérieure de celle-ci, dans un encadré parfaitement visible intitulé « Publication judiciaire » ;

- sur le site Internet de la SCV CHÂTEAU DU TARIQUET pour une durée de 6 mois à compter du prononcé du jugement ;

- de condamner la société LAUR au versement d'une amende civile du montant qu'il lui plaira de fixer, sur le fondement de l'article 32-1 du Code de procédure civile ;

- de condamner la société LAUR à payer à la SCV CHATEAU DU TARIQUET 20 000 euros, sur le fondement de l'article 32-1 du Code de procédure civile ;

- de condamner la société LAUR à payer à la SCV CHATEAU DU TARIQUET 10 000 euros, sur le fondement de l'article 118 du Code de procédure civile ;

- de condamner la société VIGNOBLES LAUR et la société CGM VINS, in solidum, à payer à la société TARIQUET la somme de 71 000 euros, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- de condamner la société VIGNOBLES LAUR et la société CGM VINS, in solidum, aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Jean AITTOUARES, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions numérotées 4, signifiées le 27 novembre 2023, la société CGM Vins, intimée, demande à la cour de :

Vu les pièces versées aux débats ;

Vu les dispositions de l'article article 18 décret n°2015 ' 282 du 11 mars 2015 ;

Vu les dispositions du Code de procédure civile et notamment des articles 6, 9, 56 et 700 ;

Vu les dispositions du Code de la Propriété intellectuelle et notamment des articles 711-3 c), 711-2, 714-6, 713-3, 331-3 ;

Vu l'article 1240 du Code civil ;

- Infirmer le jugement rendu le 25 janvier 2022 par le Tribunal judiciaire de Paris, en ce qu'il a :

- Déclare irrcevable les demandes en nullité et radiation des marques formées par les sociétés Vignobles Laur et Cgm vins en ce qu'elles désignent des produits autres que les vins ;

- Rejette les demandes de la société Cgm vins en nullité (et déchéance) des marques 1, 2, 3, 4, 5, 6 ;

- Condamne in solidum les sociétés Cgm vins et Vignobles Laur à payer une provision de 48 900 euros à la société Tariquet sur la réparation de son préjudice matériel au titre des ventes réalisées à et par la société Cgm vins, en contrefaçon des marques Premières grives et Dernières grives ;

- Condamne in solidum les sociétés Cgm vins et Vignobles Laur à payer une provision de 15 500 euros à la société Tariquet sur la réparation de son préjudice d'image causé par les mêmes ventes ;

- Dit que dans leurs rapports entre eux, la société Vignobles Laur doit garantir la société Cgm vins de ces condamnations à hauteur de

- 31 000 euros pour le préjudice matériel

- 9 800 euros pour le préjudice d'image ;

- Condamne les sociétés Cgm vins et Vignobles Laur à remettre à la société Tariquet la copie de tout contrat, devis, bon de commande, facture, et extraits du grand livre comptable, relatifs à la production et la distribution des vins « Faute de grives je bois du merle » depuis janvier 2017, et ce dans un délai de 30 jours à compter de la signification du jugement, puis sous astreinte de 500 euros par jour de retard, qui courra pendant 180 jours, contre chacune de ces deux sociétés ;

- Interdit aux sociétés Cgm vins et Vignobles Laur de commercialiser, de quelque manière que ce soit, du vin ou des produits similaires sous un signe contenant « Faute de grive(s) », sous astreinte de 100 euros par infraction constatée passés 15 jours suivant la signification du présent jugement, chaque bouteille commercialisée caractérisant une infraction, l'astreinte commençant à courir 15 jours après la signification du jugement et courant au maximum pendant 180 jours à compter de la première infraction constatée ;

- Se réserve la liquidation des astreintes

- Rejette les demandes en procédure abusive (et amende civile) ;

- Condamne in solidum les sociétés Vignobles Laur et Cgm vins aux dépens, avec recouvrement par l'avocat de la société Tariquet dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile ;

- Condamne à payer à la société Tariquet, au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- la société Vignobles Laur, 30 000 euros,

- la société Cgm vins, 10 000 euros,

- Et rejette leur propre demande à ce titre ;

- Ordonne l'exécution provisoire.

Statuant à nouveau,

A titre principal :

Sur les demandes reconventionnelles de la société CGM Vins :

- Prononcer la nullité des marques « TARIQUET » (française n° 4202685 ; européenne n°16788151), « PREMIERES GRIVES » (française, n°4202661 ; européenne n°16957102), « DERNIERES GRIVES » (française n° 4202667 ; européenne n° 16 957111) ;

- Ordonner la radiation desdites marques auprès de l'EUIPO et de l'INPI ;

- Débouter la société Château de Tariquet de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

A titre subsidiaire :

- Prononcer la déchéance des marques « TARIQUET » (française n° 4202685 ; européenne n°16788151), « PREMIERES GRIVES » (française, n°4202661 ; européenne n°16957102), « DERNIERES GRIVES » (française n° 4202667 ; européenne n° 16 957111), en retenant la date de cinq ans après leurs dates de dépôts respectifs ;

- Débouter la société Château de Tariquet de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

A titre très subsidiaire :

- Débouter la société Château du Tariquet de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, en ce qu'elle ne justifie d'aucun préjudice, ni patrimonial, ni moral, qui soit certain et en lien direct avec la prétendue faute de la société CGM VINS, et qu'elle ne justifie pas les demandes d'indemnisation de son préjudice qu'elle invoque ;

A titre infiniment subsidiaire, et si la Cour de céans retenait les demandes de condamnations,

- Juger que le préjudice de la société Château du Tariquet ne saurait être supérieur au bénéfice réalisé par la société CGM VINS ;

- Juger que le paiement provisionnel réalisé par CGM VINS au titre du préjudice matériel a entièrement liquidé ce poste de préjudice ;

- Ramener en toutes hypothèses les mesures d'indemnisation à de plus justes proportions ;

- Condamner la société VIGNOBLES LAUR à garantir intégralement la société CGM de toutes condamnations en principal, accessoires, intérêts, frais et autres qui seraient prononcées à leur encontre au cas où par extraordinaire la Cour recevait la société château de Tariquet en ses demandes et les déclarait même partiellement fondées ;

En tout état de cause :

- Débouter la société VIGNOBLES LAUR de ses demandes d'appel en garantie à l'encontre de la société CGM ;

- Condamner la société Château du Tariquet à payer une amende civile d'un montant de 10.000,00 euros ;

- Condamner la société Château du Tariquet à payer à la société CGM la somme de 10.000,00 euros au titre du préjudice subi par celle-ci au titre de la procédure abusive ;

- Condamner la société Château du Tariquet à payer à la société CGM la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- Condamner la société Château du Tariquet aux entiers dépens, conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 28 novembre 2023.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur les demandes de nullité de la Société civile vinicole Château du Tariquet et d'irrecevabilité à agir de la société Tariquet

La société Vignobles Laur soutient que les statuts de la société civile vinicole du Château Tariquet sont affectés d'une nullité absolue pour illicéité de son objet et pour illicéité de sa cause; que la validité de cette société vinicole et de toutes les marques déposées par celle-ci est compromise par l'incorporation d'un vocable correspondant à une unité géographique plus petite que l'IGP dont relève le vin concerné, non visée par le cahier des charges ; que les quatre marques invoquées sont frappées de ce fait d'une nullité absolue tenant à leur déceptivité et à leur contrariété à l'ordre public ; que la nullité de la SCV Château du Tariquet doit être prononcée ; que la demande de la société Tariquet est donc irrecevable pour défaut de capacité d'ester en justice sur le fondement de l'article 117 du code de procédure civile, ainsi que du fait de la nullité de la société et pour absence d'intérêt légitime à agir au sens de l'article 31 du code de procédure civile.

La société Tariquet fait valoir que ces demandes de nullité de la société Laur dont il découlerait une irrecevabilité ne tendent pas aux mêmes fins que celles formées en première instance ; que les demandes d'annulation de la société Tariquet et d'irrecevabilité fondée sur l'article 117 du code de procédure civile en découlant sont donc irrecevables ; qu'en tout état de cause elles sont infondées en ce que l'usage du terme « château » dans sa dénomination sociale est parfaitement licite, le texte invoqué ne contenant aucune disposition règlementant les dénominations sociales, et encore moins conditionnant leur validité, outre que la société Tariquet exerce son activité au sein d'un château dont elle est propriétaire et qu'elle récolte et vinifie tous ses vins au sein de son domaine lequel abrite le château de Tariquet.

Sur ce,

La cour constate qu'il résulte du dispositif des conclusions de première instance de la société Laur tel que repris dans le jugement dont appel, qu'elle demande de déclarer irrecevables les demandes en contrefaçon, et du dispositif du jugement que la demande en nullité de la dénomination sociale « Château du Tariquet » formée par la société Laur a été déclarée irrecevable, de sorte que les demandes d'annuler la société Tariquet au motif de l'illicéité de son objet et de sa cause du fait de l'incorporation dans sa dénomination du vocable « château Tariquet », et en conséquence d'en déduire la nullité de l'acte introductif d'instance sur le fondement de l'article 117 du code de procédure civile pour défaut de capacité d'ester en justice, ainsi que le défaut d'intérêt à agir au sens de l'article 31 du code de procédure civile, et donc l'irrecevabilité de la société Tariquet, sont des moyens, pour partie nouveaux, au soutien d'une demande d'irrecevabilité, déjà formée en première instance, qui ne peut donc être déclarée irrecevable.

Cependant, ces moyens d'irrecevabilité sont infondés. En effet, l'article 7 du décret du 4 mai 2012 réglemente le terme « château » pour l'étiquetage des bouteilles mais ne contient aucune disposition règlementant les dénominations sociales. Il est en outre constant que la société Tariquet cultive, récolte et vinifie tous ses vins au sein de son domaine lequel abrite le château du Tariquet, que les étiquettes des vins « Premières Grives » et « Dernières Grives », qui sont des IGP Côtes de Gascogne récoltés, vinifiés et mis en bouteille au domaine de Tariquet, mentionnent « domaine » conformément aux articles 7 et 10 du décret du 4 mai 2012 règlementant les termes « Château » et « domaine », et que la société Tariquet n'utilise le terme « château » que pour ses Armagnacs bénéficiant d'une AOC. En tout état de cause, même à supposer que l'emploi du terme « château » serait interdit dans la dénomination sociale de la société Tariquet, ce qui n'est pas démontré, cela n'emporterait pas la « nullité » de la société civile vinicole Château du Tariquet, aucun texte ne prévoyant que l'illicéité d'une dénomination sociale puisse emporter l'annulation de la société.

En conséquence, les demandes de la société Laur de prononcer la nullité de la SCV Château du Tariquet seront rejetées tout comme ses demandes de prononcer l'irrecevabilité de la société Tariquet sur le fondement des articles 117 et 31 du code de procédure civile, et ses demandes de déclarer nulles les marques n°4202661 et 4202667 pour inexistence de leur titulaire.

Sur la recevabilité des demandes reconventionnelles en nullité et en déchéance des marques Tariquet n°4202685 (685), n°16788151 (151), n°3 664645 (645), n°3938898 (898), n°98740280 (280), n°793370 (370), et de la marque européenne semi-figurative « Premières Grives » n° n°882187 (187)

La société Laur sollicite à titre reconventionnel la nullité et la déchéance pour caractère trompeur des marques susvisées.

La société Tariquet demande la confirmation du jugement en ce qu'il a jugé pour partie ces demandes irrecevables pour défaut d'intérêt à agir, la société Tariquet ne les invoquant pas au titre de la contrefaçon, ou ne les invoquant pas à l'encontre de la société Laur. Elle demande également de dire irrecevable la demande reconventionnelle en nullité à l'encontre de la marque n°187, qu'elle n'invoque pas au titre de ses demandes en contrefaçon, et qui n'est pas strictement identique aux marques qu'elle oppose s'agissant d'une marque semi-figurative alors qu'elle n'oppose qu'une marque verbale.

Sur ce,

C'est par de justes motifs adoptés par la cour que le tribunal, après avoir constaté que la société Tariquet ne reproche pas à la société Vignobles Laur l'usage des marques Tariquet n°4202685, n°6788151, n°664645, n°3938898, n°98740280, n°793370 et n°4090753 a jugé que les demandes reconventionnelles que forme la société Laur contre ces marques sont donc irrecevables, faute pour elle de justifier d'un intérêt à agir. Le jugement sera confirmé de ce chef.

La société Tariquet demande en outre de dire irrecevable les demandes formées à l'encontre de la marque semi-figurative « Premières Grives » n°017882187(187) qu'elle n'invoque pas au titre de ses demandes en contrefaçon.

Il est constant que la société Tariquet n'invoque pas la marque n°187 au titre de ses demandes en contrefaçon, outre que cette marque n'est pas identique aux marques verbales « Premières Grives » n°661 et n°102 qu'elle oppose, puisqu'il s'agit d'une marque semi-figurative, composée de l'élément verbal « Premières grives », auquel s'ajoute un élément figuratif à savoir un dessin à la façon d'une gravure d'une grive sur une branche. En conséquence, la demande reconventionnelle en nullité de la marque n°187 formée par la société Vignobles Laur ne se rattache pas aux prétentions originaires par un lien suffisant, et doit être déclarée irrecevable. Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.

Sur les demandes en nullité et en déchéance des marques Tariquet n°685 et 151

La cour rappelle que la société Laur a été déclarée irrecevable dans ses demandes relatives aux marques Tariquet qui ne lui sont pas opposées.

La société CGM Vins soutient en substance que les marques Tariquet n°685 et n°151 sont devenues génériques et usuelles pour désigner une caractéristique du produit vendu ; que le mot Tariquet s'apparente à une AOP voire à une IGP ; qu'il désigne indifféremment un certain type de vins de l'IGP des Côtes de Gascogne ; que cette banalisation ressort des propos de professionnels indiquant « cousin du Tariquet » ou « équivalent à du Tariquet » ; que le terme « Tariquet » est utilisé pour désigner un cépage du sud-ouest ; que 77% des personnes interrogées par l'IFOP dans un sondage diligenté en juillet 2023 indiquent « ne sait pas » lorsqu'on leur demande si Tariquet est une mention collective (AOP, IGP, Cépage) ; que toutes les caractéristiques d'une appellation sont réunies à savoir un nom générique, un cépage particulier, un volume exponentiel ; que la société Tariquet tolère l'usage du nom Tariquet à titre référentiel ; que le terme est donc déceptif et source de confusion pour les restaurateurs qui l'assimilent à une appellation d'origine, le terme « Tariquet » figurant sur les cartes sans la mention Côte de Gascogne, ou comme remplaçant « vin blanc » ; qu'il ne remplit plus sa fonction essentielle ; qu'il convient de prononcer la nullité des marques n°685 et n°151, ou leur déchéance.

La société Tariquet demande la confirmation du jugement qui a rejeté les demandes en nullité et déchéance de la société CGM Vins à l'encontre des marques Tariquet.

Sur ce,

La société CGM, échoue à démontrer que la marque Tariquet serait devenue une appellation usuelle. En effet les articles, sites internet ou carte de vins cités mentionnent « Tariquet » comme désignant les vins de la société Tariquet, ou faisant référence à la notoriété de ladite marque compte tenu notamment de l'importance de son volume de production, sans que soit établi un usage du signe Tariquet pour exprimer un terme générique du langage courant, les expressions, par exemple, « cousin du Tariquet » ou « alternative au Tariquet » démontrant au contraire la notoriété des vins de la société Tariquet qui reçoit régulièrement des récompenses pour lesdits vins et constitue une référence parmi les vins blancs moelleux des Côtes de Gascogne.

S'agissant du sondage produit par la société CGM Vins en septembre 2023, la cour constate qu'il est biaisé, la question étant précédée d'une information « il se produit chaque année environ 8 millions de bouteilles de Tariquet.», dont le consommateur n'avait pas nécessairement connaissance et qui induit le choix des réponses proposées « Tariquet est selon vous ' », le consommateur étant peu enclin à choisir la réponse « un domaine familial », alors que le terme familial évoque une exploitation de petite taille qui peut sembler incompatible avec un important volume de bouteilles, ce qui peut expliquer notamment que 45% des sondés ont répondu « ne sait pas ». Les réponses proposées du second sondage sont également biaisées, trois réponses sur les quatre étant des réponses fausses de nature à induire le consommateur en erreur car toutes ont en commun la dénomination « Côte de Gascogne », créant ainsi une confusion pour le sondé, de sorte que le fait que 16% des sondés identifient Tariquet à « un cépage dominant les Côtes de Gascogne », 14% à « une appellation d'origine contrôlée du sud-ouest qui englobe les Côtes de Gascogne » et 13% à une « Sous-appellation géographique des Côtes de Gascogne » traduit la confusion entretenue par le biais des questions et des réponses du sondage ainsi que la méconnaissance de ces notions par le consommateur, sans démontrer aucunement le caractère prétendument générique ou trompeur de la marque Tariquet.

Enfin, ainsi que l'a relevé le tribunal par des motifs que la cour approuve, le fait que la société Tariquet occupe une position dominante au sein de l'indication géographique protégée Côtes de Gascogne, n'est pas de nature à rendre la marque Tariquet usuelle, pas plus que sa politique de communication tenant à privilégier la marque au détriment de l'IGP ne fait de la marque Tariquet, dont la notoriété est ainsi promue, une dénomination usuelle pour les autres vins de cette appellation.

Il se déduit de ces développements que la société CGM Vins échoue à démontrer tant le caractère usuel dans le langage courant du signe Tariquet, que son défaut de caractère distinctif ou son caractère trompeur sur la qualité ou la provenance géographique du produit, de nature à entraîner la nullité des marques Tariquet n° 685 et n°151. Elle ne démontre pas davantage le fait que la marque serait devenue par le fait de son titulaire la désignation usuelle d'un produit pour lequel elle est enregistrée, ou qu'elle serait propre à induire le public en erreur par suite de l'usage de son titulaire, de nature à lui faire encourir la déchéance. Les demandes de la société CGM Vins de nullité et de déchéance des marques Tariquet n°685 et 151 seront rejetées. Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur les demandes de nullité et de déchéance des marques « Premières grives » et « Dernières grives »

La société Vignobles Laur fait valoir en substance que les marques de la « Famille Grives » sont déceptives en ce qu'elles sont déposées pour des vins alors que Tariquet renvoie à une appellation d'origine précise ; qu'elles ne sont jamais utilisées dans la simplicité de leur dépôt ; qu'elles sont toujours complétées par la mention « Domaine du Tariquet » qui incorpore, un vocable réglementé du droit de l'étiquetage des vins, le vocable « domaine » qui ne peut désigner qu'une exploitation viticole produisant des vins d'AOP ou à IGP en application de l'article 7 du décret-étiquetage n° 2012-655 du 4 mai 2012 ; que la société se dénomme Société vinicole Château du Tariquet ; qu'il est inconcevable de dénommer « château » un vin n'obéissant pas aux conditions de l'article 7 du décret n° 2012-655 ; que « château » est l'un des termes ne pouvant désigner qu'un vin d'appellation d'origine ; que peu importe que l'exploitation dite « Château Tariquet » comprenne au sein de ses quelques 1 250 ha un château au sens architectural de ce terme.

La société CGM Vins fait valoir que le terme « grives » est associé aux produits vinicoles depuis le XIXème siècle ; qu'il a été associé au vin tant dans la littérature que dans le langage courant ; que l'INPI recense une vingtaine de marques comprenant le terme « grives » ; que l'association avec des adjectifs ne le rend pas plus distinctif ; que les marques Premières Grives et Dernières Grives doivent donc être annulées. A titre subsidiaire, elle demande qu'elles soient déchues pour défaut d'usage en ce qu'elles sont toujours utilisées avec la marque Tariquet, de sorte qu'elles n'ont jamais été utilisées conformément à leur fonction essentielle.

Sur ce,

La société Laur prétend à tort que vendre, sous une marque désignant les vins en général, un vin particulier relevant d'une indication géographique protégée, serait trompeur alors que le titulaire, en l'espèce la société Tariquet, d'une marque commerciale, en l'espèce les marques « Premières grives » et « dernières Grives », déposées pour des vins en général, peut l'exploiter pour des vins bénéficiant d'indications qualitatives comme « domaine » et relevant d'une IGP.

La société Laur ne démontre en outre aucun usage trompeur des marques « Première grives » et « Dernières Grives » résultant de ce qu'elles sont utilisées en même temps que la dénomination « Domaine Tariquet » alors qu'il est constant que la société Tariquet cultive, récolte et vinifie tous ses vins au sein de son domaine lequel abrite le château du Tariquet, et que les étiquettes des vins « Premières Grives » et « Dernières Grives », qui sont des IGP Côtes de Gascogne récoltés, vinifiés et mis en bouteille au domaine de Tariquet, mentionnent « domaine » conformément aux articles 7 et 10 du décret du 4 mai 2012 règlementant l'usage sur les étiquettes des termes « château » et « domaine », la société Tariquet n'utilisant pas le terme « château » sur les étiquettes desdits vins.

En outre, ainsi que l'a relevé le tribunal par des motifs que la cour approuve, s'il est évoqué que les grives sont présentes dans les vignes du sud-ouest à l'automne jusqu'à une période tardive correspondant à la récolte du raisin entrant dans la composition des vins blancs moelleux « Premières grives » et « Dernières grives » de la société Tariquet, il n'est pas démontré que ce nom d'oiseaux soit devenu usuel dans le langage courant pour désigner du vin ou l'une de ses caractéristiques telle que sa période de production. De même le fait que des étiquettes de vins et certaines marques contiennent le mot grive telles que « cuvée des grives », « clos des grives », « la ferme aux grives » ou « domaine de la grive » est insuffisant pour démontrer l'absence de distinctivité des marques « Premières grives » et « Dernières grives », expressions qui ne sont pas usuelles pour désigner du vin ou l'une de ses caractéristiques.

Enfin, le fait que les marques « Premières grives » et « Dernières grives » soient apposées sur les étiquettes des bouteilles sous la marque ombrelle « Tariquet » ne les empêchent pas de remplir leur fonction essentielle de marque, le sondage produit dont les questions sont biaisées et confuses ne démontrant aucunement le contraire, le consommateur visé comprenant que le domaine de Tariquet commercialise plusieurs vins sous plusieurs marques, et notamment les vins désignés sous les marques « Premières grives » et « Dernières grives ».

Les demandes de nullité et de déchéance des marques « Premières grives » n°661 et n°102, et « Dernières grives » n°667 et n°111 seront donc rejetées. Le jugement sera confirmé de ces chefs.

Sur la contrefaçon des marques « Premières grives » et « Dernières grives »

La société Vignoles Laur fait valoir que la paraphrase du proverbe « Faute de grives, on mange du merle » exclut absolument que le public puisse confondre le signe querellé avec les « grives » de Tariquet ; qu'il n'existe pas de risque de confusion entre les signes en présence ; que les adjectifs premières et dernières sont totalement indétachables du substantif « grives » ; que ces termes constituent respectivement un tout indivisible ; que l'étiquette incriminée se présente comme un rébus dont les éléments verbaux donnent l'explication : la grive s'envole, le merle reste ; que l'étiquette constitue donc aussi un tout indivisible au sein duquel il est impossible d'isoler le mot grives, puisqu'il est conceptuellement lié au reste de la phrase comme l'adaptation d'un proverbe bien connu ; que le consommateur reconnaît le vin en fonction de l'élément verbal qui sert à l'identifier ; que la dénomination critiquée comporte sept mots et on ne peut la réduire à un seul, et ce d'autant que les marques adverses comportent deux mots dont un seul est utilisé par les signes querellés ; que le graphisme des trois étiquettes du blanc sec « Le Merle original », du blanc moelleux « Le Merle moqueur » et du rosé « Le Merle séducteur » traduit parfaitement la morale du proverbe et son application au cas précis à savoir que la grive est à l'envol et le merle est sédentaire ; que si « Faute de grives » est effectivement surdimensionné par rapport à « Je bois du Merle », on y voit parfaitement en filigrane l'image d'un merle posé sur sa branche et non celle d'une grive ; que le consommateur de référence lira bien sûr « Faute de Grives » et « Je bois du Merle », mais qu'il verra surtout le merle sédentaire qui couvre la quasi-totalité de la contre-étiquette ; que la marque « Faute de Grives' » avait pour but exclusif d'avertir le consommateur du changement radical imposé par l'attitude de Tariquet dans l'offre commerciale des Vignobles Laur ; que la simple formulation de la marque « Faute de Grives je bois du merle » est étrangère à l'imitation comme à l'association car elle ne constitue qu'une évocation des « Grives » de Tariquet.

La société CGM Vins fait valoir en substance des moyens similaires.

Sur ce,

La cour constate que sur les étiquettes incriminées des bouteilles de la société Vignobles Laur figurent sur une première ligne, occupant l'essentiel de l'espace, les mots « FAUTE DE GRIVES » et sur une seconde ligne, en plus petits caractères, les mots « Je bois du Merle », puis, en plus petits caractères encore, en-dessous, « IGP COTES DE GASCOGNE» ; qu'au-dessus de «FAUTE DE GRIVES » est représenté un oiseau gris, aux ailes déployées, dont les parties s'accordent à dire qu'il s'agit d'une grive, dont les pattes prennent appui sur le G de « Grives », et dont la queue occupe un grand espace séparant les mots « FAUTE DE » et « GRIVES » ; que sous « IGP Côtes de Gascogne » est représenté un merle sur une branche, plus petit que la grive dominant le haut de l'étiquette ; qu'enfin, dans un bandeau à fond coloré, tout en bas, se trouvent en caractères blancs les mots « LE MERLE MOQUEUR ».

En l'espèce, les produits en cause sont identiques, à savoir des bouteilles de vin, et plus particulièrement de vins AOP Côtes de Gascogne.

Le signe critiqué ne constituant pas la reproduction à l'identique des marques premières qui lui sont opposées, il convient de rechercher s'il n'existe pas entre les signes un risque de confusion, lequel comprend le risque d'association, qui doit être apprécié globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce ; cette appréciation globale doit, en ce qui concerne la similitude visuelle, phonétique et conceptuelle des marques en cause, être fondée sur l'impression d'ensemble produite par celles-ci en tenant compte de leurs éléments distinctifs et dominants au regard du consommateur, normalement informé et raisonnablement avisé des produits en cause, lequel est en l'espèce le grand public, consommateur de vins, qui fera preuve d'un niveau d'attention moyen.

Cette appréciation globale implique une certaine interdépendance entre les facteurs pris en compte, un moindre degré de similitude entre les signes pouvant être compensé par une plus grande similitude entre les produits ou services et inversement.

La notoriété de la marque antérieure constitue un facteur aggravant du risque de confusion.

Il convient donc de comparer les signes en litige avant de procéder à l'appréciation du risque de confusion pouvant exister entre eux pour le consommateur, lequel inclut le risque d'association.

Sur un plan visuel, les signes ont en commun le terme « GRIVES » particulièrement mis en avant sur les bouteilles incriminées en ce qu'il est écrit en majuscules et en plus gros caractères et qu'il est illustré par la représentation d'une grive de grande taille aux ailes déployées, dont la queue occupe un grand espace séparant les mots « FAUTE DE » et « GRIVES ». Ils se distinguent par les autres vocables accompagnant le mot « grives », les marques opposées comprenant un adjectif qualifiant les « grives », et le signe incriminé étant constitué de « FAUTE DE » avant le mot GRIVES, puis en dessous dans une autre typographie italique et en beaucoup plus petit « je bois du merle ».

Sur le plan auditif, les signes ont en commun le mot « grives », et se distinguent par la présence avant le mot « Grives » des adjectifs « Premières » et « Dernières » dans les marques opposées, et « Faute de » dans le signe incriminé, qui est également suivi de « je bois du merle ».

Sur le plan conceptuel enfin, « Premières Grives » et « Dernières Grives » évoquent les grives qui volent dans les vignes au début ou à la fin de la récolte du raisin. Le signe « Faute de grives, je bois du merle » est un détournement du dicton ou du proverbe « Faute de grives, je mange du merle », qui est une évocation par contraste des « Premières grives » et des « Dernières grives » de la société Tariquet, ce qui est revendiqué par la société Laur, le consommateur de vins et plus particulièrement de vins AOP Côtes de Gascogne, comprenant que ce produit « Faute de Grives ' » est un remplacement des vins identifiables sous le terme « grives », à savoir « Premières grives » et « Dernières grives ». Il s'ensuit que le tribunal a retenu à juste titre une forte similitude conceptuelle entre les signes en cause, fondée sur la recherche d'une association avec les marques opposées, le consommateur étant conduit à associer le signe incriminé dans lequel le mot « GRIVES » est fortement mis en avant et illustré, avec les marques litigieuses de référence des vins AOP Côte de Gascogne comprenant le mot Grives.

Ces similitudes visuelle, auditive et conceptuelle sont renforcées par la distinctivité, au regard des produits en cause à savoir du vin, du mot « Grives », qui évoque pour le public visé un oiseau, ainsi que par son caractère dominant, tant dans les marques opposées, dont il constitue le seul substantif, que dans le signe incriminé dans lequel il est fortement mis en avant par la taille des caractères et par son illustration positionnée juste au-dessus desdits caractères.

Il s'infère en définitive de la comparaison visuelle, phonétique et intellectuelle des signes en présence, en tenant compte leurs éléments distinctifs et dominants, que le consommateur de vins sera fondé à associer les produits couverts par les signes en cause, comme provenant d'entreprises économiquement liées. Ce risque d'association, constitutif d'un risque de confusion, est encore aggravé par la bonne connaissance des marques « Premières Grives » et « Dernières grives » auprès du grand public et des professionnels du secteur ainsi qu'en atteste la revue de presse versée au débat.

Il s'ensuit que les actes de contrefaçon des marques Premières grives et Dernières grives sont caractérisés. Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.

Sur la contrefaçon des marques Tariquet

La société CGM Vins fait valoir que les faits qui lui sont reprochés se réduisent à la mention « assimilé Tariquet » au sein d'un mail transmis à un cercle restreint et qu'elle l'a modifiée dans sa brochure commerciale ; que cette mention avait un but descriptif sans porter atteinte aux droits de la société Tariquet ; qu'il convient de prendre en compte sa bonne foi.

Sur ce,

Il est établi que la société CGM Vins a désigné, dans un courriel adressé à au moins deux distributeurs de vins, et dans une brochure commerciale, un vin « Faute de grives je bois du merle » comme étant « assimilé Tariquet ». Le tribunal a pertinemment retenu qu'il a ainsi été fait usage du signe Tariquet dans la vie des affaires, et ce pour désigner des vins, produits identiques à ceux pour lesquels les marques sont enregistrées.

La société GGM Vins prétend qu'un tel usage n'a pas porté atteinte ou n'est pas susceptible de porter atteinte à l'une des fonctions de la marque Tariquet.

Elle se prévaut d'un arrêt de la Cour de justice (CJUE, 14 mai 2002, Hölterhoff, C-2/00) aux termes duquel « le titulaire d'une marque ne peut pas invoquer son droit exclusif lorsqu'un tiers, dans le cadre de tractations commerciales, révèle que le produit provient de sa propre fabrication et n'utilise la marque en cause qu'à la seule fin de décrire les propriétés spécifiques du produit qu'il propose, si bien qu'il est exclu que la marque utilisée soit interprétée comme se référant à l'entreprise de provenance dudit produit. »

En l'espèce, ainsi que l'a relevé le tribunal par des motifs que la cour adopte, rien n'indique que la société CGM Vins ait indiqué que les produits offerts à la vente n'émanaient pas du titulaire de la marque Tariquet, cela ne pouvant être déduit du simple usage du terme « assimilé », qui est ambigu. En outre, l'usage de la marque par la société CGM Vins a eu pour objet de faire référence aux vins de la société Tariquet auxquels les produits qu'elle proposait elle-même étaient «assimilés », et non à une caractéristique unique, particulière et clairement identifiée, qu'il se serait agi de décrire, comme dans l'espèce ayant donné lieu à l'arrêt Hölterhoff.

Enfin, en tout état de cause, la référence à une marque pour attribuer à un produit qui n'en est pas revêtu, des qualités que le public prête à cette marque, ce qui a été fait en l'espèce par l'emploi de « assimilé Tariquet », porte atteinte aux fonctions de garantie de qualité, d'investissement et de publicité de la marque.

Les faits de contrefaçon des marques Tariquet n°685 et 151 commis par la société CGM Vins sont dès lors caractérisés. Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.

Sur la concurrence déloyale et parasitaire

La société Vignobles Laur fait valoir que la grande distribution lui demandant des vins blancs moelleux d'IGP Côtes de Gascogne et plus précisément du Tariquet, elle se devait de répondre à leurs désirs sous peine de les perdre, tout en leur expliquant l'impossibilité de leur servir du Tariquet ; que commercialisant des vins « Premières grives » et « Dernières grives » et étant subitement obligée de tirer un trait sur les commandes futures de ce produit, il lui vint à l'esprit en forme de pirouette d'essayer de limiter la casse en mettant les rieurs de son côté ou plus précisément en signifiant au microcosme du Sud-Ouest viticole et aux milieux de la distribution l'estime que leur inspiraient les procédés de la société Tariquet ; que les visuels des étiquettes en conflit confirment l'absence de toute confusion puisque la grive sur les étiquettes de la société Tariquet est posée alors que sur les étiquettes incriminées elle est à l'envol.

Elle ajoute que dans les AOP, et donc dans les IGP, les bouteilles sont homogènes ; qu'il est également contradictoire de lui reprocher le positionnement des bouteilles sur les linéaires et leur prix alors que la société Tariquet refuse de traiter en direct avec la grande distribution qui pourtant, malgré tout, arrive à proposer du Tariquet ; que la modicité des tarifs qu'elle propose s'explique par le désir de rester au plus près du prix de revient des produits ; qu'il n'est pas démontré de concurrence alors que son vin ne se vend qu'en grande distribution et que les vins de la société Tariquet n'y sont jamais vendus directement ; que c'est la mention « Produit anthologique assimilé Tariquet » qui a mis le feu aux poudres, alors que cette mention est uniquement le fait de la société CGM Vins.

La société Tariquet demande la confirmation du jugement en ce qu'il a reconnu des actes de concurrence déloyale et parasitaire du fait de la présentation accolée des produits en cause sur les rayons des grandes surfaces à la suite d'un stratagème. Elle demande en outre de réformer le jugement en ce qu'il n'a pas retenu d'actes de concurrence déloyale et parasitaires résultant de l'imitation des caractéristiques et du conditionnement des vins de la société Tariquet, de leur présentation comme produits de substitution, de leur prix deux fois inférieur, et de leur promotion par un discours commercial trompeur.

Sur ce,

Ainsi que l'a relevé le tribunal par des motifs que la cour approuve, la société Tariquet justifie par la production d'une facture adressée le 17 avril 2020 à la société Vignobles Laur, que cette dernière ne conteste pas, qu'elle a acheté 2 100 bouteilles « Premières grives », sans fournir d'explication à cet achat alors qu'elle se plaint dans ses écritures d'avoir dû cesser de commercialiser les vins Tariquet, de sorte que cet achat de vins « Premières grives » à un intermédiaire ne trouve aucune autre justification que celle, avancée par la société Tariquet, de les revendre avec ses propres vins « Faute de grives je bois du merle », afin de créer la présence simultanée de ces deux vins sur les rayons, ainsi que cela résulte des photographies auxquelles sont joints des tickets de caisse montrant que dans plusieurs grandes surfaces les vins « faute de grives » sont présentés en rayon à côté des vins « Premières Grives » de la société Tariquet.

Le tribunal a retenu à juste titre qu'une telle manipulation consistant à orchestrer la présence simultanée des vins en cause, alors que la société Tariquet vend peu ses vins dans la grande distribution, et aggravant manifestement le risque de confusion créé par l'emploi du signe contrefaisant, constitue un fait distinct fautif.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a reconnu les faits de concurrence déloyale et parasitaire à l'encontre de la société Laur, étant ajouté que les choix de la société Laur de commercialiser un vin blanc moelleux IGP Côte de Gascogne de même cépage gros manseng que le vin « Première grives », dans une bouteille de même format et de même couleur, à un prix deux fois inférieur, en le présentant comme un produit de substitution des vins « Premières grives » et « Dernières grives » de la société Tariquet, en faisant référence à un grand chef tel qu'[N] [M] sur la contre-étiquette, alors que ce dernier atteste n'avoir jamais donné son autorisation, sont également constitutifs d'actes de concurrence déloyale et parasitaire. Le jugement sera complété de ce chef.

Sur la réparation des préjudices

Il convient de confirmer les mesures d'interdiction prononcées sous astreinte en première instance.

Il est en outre justifié par des photographies, des factures, par un procès-verbal de constat dressé le 25 juillet 2023 ainsi que par le procès-verbal de la saisie contrefaçon diligentée au sein de la société [Adresse 8] le 28 juin 2023 que les vins « Fautes de grives » contrefaisants étaient, à ces dates, toujours proposés à la vente. Il y a lieu en conséquence de faire droit à la demande de rappel systématique des produits « faute de grives » ainsi qu'à leur destruction dans les conditions du dispositif ci-après.

La cour rappelle qu'en vertu de l'article L. 717-2 du code de la propriété intellectuelle, pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :

1° Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;

2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;

3° Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.

S'agissant de la demande à l'encontre de la société Laur au titre du bénéfice du contrefacteur, la cour constate qu'il résulte des attestations comptables de la société Laur que sur la période de 2017 à février 2022 elle a commercialisé 792 225 bouteilles de vins contrefaisants pour un chiffre d'affaires de 2 377 535 euros. Après déduction de la valeur « étiqueté capsulé » à savoir le prix de revient par bouteille, ainsi que des coûts commerciaux, de manutention et de stockage engagés pour leur commercialisation, il en découle une marge commerciale totale de 469 335 euros. S'il est vrai que la société Laur donne peu de précision comptable sur les éléments déduits au titre des coûts de distribution, de manutention et de stockage et que le contrefacteur ne peut amortir ses coûts internes sur les biens contrefaisants, la société Tariquet ne peut cependant pas être suivie lorsqu'elle demande de ne prendre en compte que le prix de revient de la bouteille, à l'exclusion de tous les coûts de commercialisation, pour demander au titre du bénéficie du contrefacteur une somme de 1 221 984 euros, qui correspondrait à un taux de marge de 51,4% dont elle se borne à affirmer qu'il ne serait pas déraisonnable pour un négociant en vins sans le démontrer. Au vu de ces éléments, la somme de 500 000 euros sera retenue au titre du bénéfice du contrefacteur à l'encontre de la société Laur.

Concernant la demande à l'encontre de la société CGM Vins au titre du bénéfice du contrefacteur, il est établi que la société CGM Vins a vendu 61 199 bouteilles « Faute de grives » contrefaisantes pour un chiffre d'affaires de 231 165 euros. Après déduction du prix d'achat des bouteilles, s'agissant d'un simple distributeur, il s'ensuit une marge commerciale de 42 000 euros, la société CGM ne pouvant déduire en plus du prix d'achat de ses bouteilles des coûts fixes notamment de salaires, d'impôts et de charges sociales, qui constituent des frais généraux de fonctionnement sans lien avec les produits litigieux. La somme de 42 000 euros sera mise à la charge de la société CGM Vins au titre du bénéfice indu du contrefacteur.

S'agissant du manque à gagner, la société Tariquet fait valoir qu'elle a subi une baisse de chiffre d'affaires de 1,86% en 2017 et de 1,68% en 2018 sur les ventes de Premières Grives, et ce alors qu'elle aurait pu au contraire escompter une augmentation de 4,9%. Elle en déduit un manque à gagner imputable pour un quart aux produits illicites soit un préjudice de 450 000 euros dont elle demande la condamnation in solidum des sociétés Laur et CGM Vins. La cour observe cependant que la baisse de vente peut être liée à une baisse de production du fait de mauvaises conditions climatiques, telle que la gelée, ainsi qu'il est justifié dans les vignobles de Gascogne en 2017, outre qu'il ne peut être retenu une substitution complète entre les produits alors que la société Tariquet vend très peu ses vins en grande distribution. Il est en outre établi que la société CGM Vins a commercialisé environ 8% des produits litigieux incriminés. Au vu de ces éléments, il sera retenu au titre du manque à gagner un montant de 150 000 euros à l'encontre de la société Laur, et de 20 000 euros à l'encontre de la société CGM Vins.

Enfin concernant le préjudice d'image, la société Tariquet démontre que le vin « Premières grives » est l'un de ses produits phares sur lequel elle a investi depuis les années 1980, bénéficiant d'une image de qualité, que les produits contrefaisants « Faute de grives » ont été commercialisés de manière massive, à savoir plus de 800 000 bouteilles en quatre ans placées en têtes de gondole des magasins de manière particulièrement visibles, son préjudice d'image étant aggravé par la commercialisation dans des enseignes discount n'ayant pas une image de qualité et par le fait qu'une bouteille est vue, non par un seul consommateur, mais aussi par ceux avec qui ce consommateur la partage. Ces éléments justifient l'allocation d'une somme de 80 000 euros à l'encontre de la société Vignobles Laur et de 15 000 euros à l'encontre de la société CGM Vins au titre du préjudice d'image.

Enfin les actes de concurrence déloyale et parasitaires commis par la société Laur, qui a manœuvré pour que les vins soient présentés en magasin côte à côte, tout en entretenant la confusion par ces choix de bouteilles, d'étiquette et de contre-étiquette, ont causé à la société Tariquet un préjudice distinct que les premiers juges ont justement évalué à 60 000 euros.

Il résulte des développements qui précèdent, et sans qu'il y ait lieu de faire droit aux demandes de communication de factures, la cour d'appel disposant d'éléments suffisants, que la société Vignobles Laur sera condamnée à payer à la société Tariquet la somme de 730 000 euros, dont seront déduites les sommes déjà versées, en réparation des préjudices subis du fait des actes de contrefaçon, ainsi que la somme de 60 000 euros, dont seront déduites les sommes déjà versées, en réparation des actes distincts de concurrence déloyale et parasitaire.

La société CGM Vins sera condamnée à payer à la société Tariquet la somme de 77 000 euros, dont seront déduites les sommes déjà versées, en réparation des préjudices subis du fait des actes de contrefaçon.

Les préjudices étant ainsi suffisamment réparés, il n'y a pas lieu de faire droit aux demandes de publication judiciaire.

Sur les appels en garantie

La société CGM Vins demande à ce que la société Vignobles Laur la garantisse intégralement de toutes condamnations sur le fondement de la garantie d'éviction de l'article 1625 du code civil, et alors qu'elle était de bonne foi.

La société Vignobles Laur demande de son côté la garantie de la société CGM Vins, qui est un professionnel du commerce du vins, lequel a fait référence dans sa brochure à un vin « assimilé Tariquet », ce qui a aggravé les faits de la cause au préjudice de la société Vignobles Laur.

Sur ce,

La société CGM Vins, qui connaissait la marque Tariquet en sa qualité de professionnelle du commerce de vins, et qui a contrefait la marque Tariquet dans ses brochures de promotion, a agi intentionnellement de sorte que sa demande en garantie sera rejetée, tout comme celle de la société Vignobles Laur dont le comportement ouvertement déloyal est franchement fautif. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de garantie de la société Vignobles Laur et infirmé en ce qu'il a partiellement fait droit à la demande de garantie de la société CGM Vins.

Sur les demandes au titre de la procédure abusive

La mise en oeuvre de l'amende civile prévue à l'article 32-1 du code de procédure civile n'appartient pas aux parties et la cour estime que les conditions d'application de cette disposition ne sont, en l'espèce, pas réunies.

La société Tariquet, ayant prospéré dans ses prétentions, les demandes des sociétés Vignobles Laur et CGM Vins au titre de la procédure abusive seront en outre rejetées.

La société Tariquet soutient que la société Vignobles Laur a fait preuve d'une résistance abusive et a développé en appel des moyens dénués de sérieux ayant abusivement complexifié la procédure.

La société Tariquet sera cependant déboutée de sa demande à ce titre, faute pour elle de rapporter la preuve d'une faute de la part de la société Vignobles Laur, qui a pu se méprendre sur l'étendue de ses droits et d'établir l'existence d'un préjudice autre que celui déjà réparé ou celui subi du fait des frais exposés pour sa défense. Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.

Elle sera également déboutée de sa demande sur le fondement de l'article 118 du code de procédure civile, l'intention dilatoire de la société Vignobles Laur n'étant pas caractérisée.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Confirme le jugement sauf en ce qu'il a déclaré recevable la demande reconventionnelle de la société Laur à l'encontre de la marque n° 17 882 187, en ce qu'il a statué sur les quantum de préjudices et en ce qu'il a fait droit à la demande de garantie de la société CGM Vins,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Rejette les demandes de la société Laur aux fins de prononcer la nullité de la Société civile vinicole Château du Tariquet et l'irrecevabilité de la société Tariquet sur le fondement des articles 117 et 31 du code de procédure civile ;

Déclare irrecevables les demandes reconventionnelles de la société Laur en nullité de la marque n° 17 882 187 ;

Dit qu'en commercialisant un vin blanc moelleux IGP Côte de Gascogne de même cépage que le vin « Première grives », dans une bouteille de même format et de même couleur, à un prix deux fois inférieur, en le présentant comme un produit de substitution des vins « Premières grives » et « Dernières grives » de la société Tariquet et en faisant indûment référence à un grand chef tel qu'[N] [M] sur la contre-étiquette, la société Laur a commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire ;

Ordonne à la société Vignobles Laur de procéder, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, au rappel systématique des produits « Faute de grives » ainsi qu'à leur destruction, à ses frais ;

Condamne la société Vignobles Laur à payer à la société civile vinicole Château du Tariquet la somme de 730 000 euros en réparation des préjudices subis du fait des actes de contrefaçon et la somme de 60 000 euros en réparation des actes de concurrence déloyale et parasitaire ;

Condamne la société CGM Vins à payer à la société Tariquet la somme de 77 000 euros en réparation des préjudices subis du fait des actes de contrefaçon ;

Dit n'y avoir lieu à garantie ;

Rejette les demandes de production de pièces et les demandes de publication judiciaire ;

Condamne in solidum les sociétés CGM Vins et Vignobles Laur aux dépens d'appel, et vu l'article 700 du code de procédure civile, les condamne in solidum à verser à la Société civile vinicole Château du Tariquet la somme de 60 000 euros.