CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 21 février 2024, n° 21/06641
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Prodex (SAS)
Défendeur :
Jebs Express (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Brun-Lallemand
Conseillers :
Mme Bodard-Hermant, M. Richaud
Avocats :
Me Boccon Gibod, Me Joinau-Dumail, Me Darcet, Me Seraiche
FAITS ET PROCÉDURE
La SAS Prodex est spécialisée dans le transport et la logistique de pièces détachées pour l'industrie aéronautique, son activité consistant à fournir à ses clients, dans un délai maximal de deux heures, des pièces pour des appareils immobilisés sur le tarmac en raison d'une panne technique (ou « AOG » pour Aicraft on ground). Elle dispose sur le territoire français de neuf établissements situés à proximité immédiate d'aéroports, tels Prodex 31 à [Localité 6] et Prodex 95 à Roissy.
Pour les besoins de l'exploitation de ces derniers, la SAS Prodex a entretenu à compter du mois de septembre 2010 des relations commerciales avec la SARL Jebs Express, qui exerce une activité de fret express au niveau national et international, en particulier dans le secteur aéronautique. Aucun contrat n'était conclu.
Courant 2019, le flux d'affaires entre les partenaires a été réduit par la SAS Prodex avant de se tarir à l'automne 2019.
Par lettres recommandées de son conseil du 17 décembre 2019, la SARL Jebs Express a dénoncé la rupture brutale de leurs relations commerciales établies à compter du mois de septembre 2019.
C'est dans ces circonstances que la SARL Jebs Express a, par acte d'huissier signifié le 4 juin 2020, assigné la SAS Prodex devant le tribunal de commerce de Bordeaux sur le fondement des articles L 442-1 II du code de commerce et 1382 du code civil.
Par jugement du 11 mars 2021, le tribunal de commerce de Bordeaux a :
- débouté la SAS Prodex de l'intégralité de ses demandes ;
- condamné la SAS Prodex à payer à la SARL Jebs Express la somme de 79 125 euros sur le fondement de l'article 442-1 II du code de commerce ;
- débouté la SARL Jebs Express de sa demande au titre des dommages et intérêts ;
- condamné la SAS Prodex à payer à la SARL Jebs Express la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dit n'y avoir lieu à statuer sur la demande d'exécution provisoire ;
- condamné la SAS Prodex aux entiers dépens.
Par déclaration reçue au greffe le 7 avril 2021, la SAS Prodex a interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique 7 octobre 2021, la SAS Prodex demande à la cour, au visa des dispositions des articles L 442-1 II du code de commerce et du décret n° 2009-1384 du 11 novembre 2009 relatif à la spécialisation des juridictions en matière de contestation de nationalité et de pratiques restrictives de concurrence :
- à titre principal, de juger recevable et bien fondée la SAS Prodex en son appel et, en conséquence, d'infirmer le jugement rendu le 11 mars 2021 par le tribunal de commerce de Bordeaux en ce qu'il a :
* caractérisé le caractère brutal de la rupture de la relation commerciale entre la SAS Prodex et la SARL Jebs Express ;
* débouté la SAS Prodex de l'intégralité de ses demandes ;
* condamné la SAS Prodex à payer à la SARL Jebs Express la somme de 79 125 euros sur le fondement de l'article L 442-1 II du code de commerce ;
* condamné la SAS Prodex à payer à la SARL Jebs Express la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
* condamné la SAS Prodex aux entiers dépens ;
- statuant à nouveau, de juger que la rupture brutale des relations commerciales n'est pas caractérisée et de débouter la SARL Jebs Express de l'ensemble de ses demandes ;
- à titre subsidiaire, d'infirmer le jugement du 11 mars 2021 rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux en ce qu'il a condamné la SAS Prodex à payer à la SARL Jebs Express la somme de 79 125 euros sur le fondement de l'article L 442-1 II du code de commerce en retenant un préavis de 10 mois ;
- statuant à nouveau, de débouter la SARL Jebs Express de l'ensemble de ses demandes et de juger que la condamnation de la SAS Prodex ne saurait excéder un mois de préavis, soit la somme de 7 912,50 euros ;
- en tout état de cause et y ajoutant, de :
* condamner la SARL Jebs Express à payer à la SAS Prodex la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
* la condamner aux entiers dépens, dont distraction au profit de la Selarl Lexavoue Paris-Versailles.
En réponse, dans ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 7 septembre 2021, la SARL Jebs Express demande à la cour, au visa des articles L 442-1 II du code de commerce et 1382 du code civil, de confirmer en toutes ses dispositions le jugement querellé et de condamner la SAS Prodex à payer à la SARL Jebs Express la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions visées pour un exposé détaillé du litige et des moyens des parties.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 décembre 2023. Les parties ayant régulièrement constitué avocat, l'arrêt sera contradictoire en application de l'article 467 du code de procédure civile.
MOTIVATION
A titre liminaire, la Cour constate que la SARL Jebs Express n'a formé aucun appel incident. Aussi, le rejet de sa demande indemnitaire complémentaire (5 000 euros) est définitif et cette prétention n'est pas dévolue à l'appréciation de la Cour au sens de l'article 562 du code de procédure civile.
1°) Sur la rupture brutale de la relation commerciale
Moyens des parties
Au soutien de son appel, la SAS Prodex, qui reconnaît le caractère établi des relations commerciales depuis le mois de septembre 2010, expose que la SARL Jebs Express ne bénéficiait ni d'une exclusivité ni d'un engagement de volume sur les courses à accomplir. Elle précise que la rupture des relations est causée par ses inexécutions contractuelles, la SARL Jebs Express n'étant plus en mesure de respecter les délais contraints qu'elle lui imposait et n'étant pas suffisamment disponible, à la différence de la société concurrente Arion créée par un ancien salarié de la SARL Jebs Express, ainsi que par la baisse de sa propre activité à raison des prémices de la crise sanitaire, de la déconfiture de deux compagnies aériennes clientes et du départ de plusieurs salariés désorganisant sa direction. Soulignant avoir alerté son partenaire dès le mois de septembre 2019, elle conteste l'imprévisibilité et la soudaineté de la rupture. Elle ajoute que la relation représentait 2,7 % du chiffre d'affaires global de la SARL Jebs Express et portait sur un volume variable. Subsidiairement, elle explique que le tribunal a, à tort, apprécié la durée du préavis éludé en considération de la seule ancienneté des relations sans égard pour l'absence d'exclusivité bénéficiant à la SARL Jebs Express et de dépendance économique, son chiffre d'affaires postérieur à l'année 2016 n'étant de surcroît pas justifié.
En réponse, la SARL Jebs Express, qui souligne la stabilité et la continuité de la relation depuis 2010, expose que, dès le mois de septembre 2019, la SAS Prodex l'a évincée sans alerte préalable au profit d'un concurrent, la société Arion, trois courses lui ayant été confiées en septembre 2019, quatre en octobre 2019 et aucune par la suite. Elle ajoute que les arguments de la SAS Prodex relatifs à la crise sanitaire, dont les effets se sont manifestés au plus tôt en décembre 2019, aux créances impayées de ses clientes liquidées, de faible montant au regard de son chiffre d'affaires, et au départ de ses salariés, dont l'impact sur son organisation est d'autant moins étayé qu'il est postérieur à la modification substantielle du flux d'affaires, sont inopérants. Elle soutient que les manquements qui lui sont imputés ne sont pas prouvés et qu'ils ne sont quoi qu'il en soit pas suffisamment graves pour fonder une rupture sans préavis, la seule indisponibilité reconnue étant celle opposée à une course sollicitée le 8 janvier 2020, postérieurement à la rupture, avec des exigences objectivement impossibles à satisfaire. Précisant que l'état de dépendance économique qu'elle n'invoque pas n'est pas une condition de succès de son action, elle estime le préavis éludé à 10 mois à raison de l'ancienneté et de la stabilité des relations débutées en 2010.
Réponse de la cour
En application de l'article L 442-1 II du code de commerce, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels. En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois. Ces dispositions ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.
Sur les caractéristiques de la relation commerciale
Au sens de ce texte, la relation, notion propre du droit des pratiques restrictives de concurrence qui n'implique aucun contrat (en ce sens, Com., 9 mars 2010, n° 09-10.216) et n'est soumise à aucun formalisme quoiqu'une convention ou une succession d'accords poursuivant un objectif commun puisse la caractériser, peut se satisfaire d'un simple courant d'affaires, sa nature commerciale étant entendue plus largement que la commercialité des articles L 110-1 et suivants du code de commerce comme la fourniture d'un produit ou d'une prestation de service (en ce sens, Com., 23 avril 2003, n° 01-11.664). Elle est établie dès lors qu'elle présente un caractère suivi, stable et habituel laissant entendre à la victime de la rupture qu'elle pouvait raisonnablement anticiper, pour l'avenir, une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial (en ce sens, Com., 15 septembre 2009, n° 08-19.200 qui évoque « la régularité, le caractère significatif et la stabilité de la relation commerciale »).
Les parties s'accordent sur le caractère établi des relations commerciales ainsi que sur leur durée. Au jour de la rupture de septembre 2019, dont l'existence et la date ne sont pas en débat, les relations avaient une ancienneté de 9 ans.
Pour établir le chiffre d'affaires généré par sa relation avec la SAS Prodex avant la rupture, la SARL Jebs Express produit des tableaux statistiques ou des relevés internes de factures et d'avoirs couvrant la période 2010 à 2018 (ses pièces 2 et 6). L'attestation de son expert-comptable corrobore ces éléments à compter de l'année 2017 (sa pièce 5). La SAS Prodex conteste à la marge ces données pour la période 2015 à 2018, l'attestation de son commissaire aux comptes signalant un écart avec les chiffres de la SARL Jebs Express de 946,35 euros en 2015 et de 1 045,32 euros en 2016 (sa pièce 8).
Cette dernière pièce est plus fiable et probante que les seuls documents internes de la SARL Jebs Express à raison de la qualité de son auteur, spécialiste du chiffre, assermenté et extérieur à l'entreprise, exerçant une profession règlementée et surveillée au sens des articles L 821-1 et suivants et L 822-1 et suivants du code de commerce et engageant sa responsabilité civile professionnelle, y compris à l'égard de tiers, à raison des fautes et négligences commises dans l'exercice de ses fonctions en vertu de l'article L 822-17 du même code. Aussi, les éléments qu'elle comporte seront retenus pour les années 2015 et 2016, le chiffre d'affaires atteignant respectivement 97 750,96 euros et 96 366,85 euros.
En revanche, l'attestation de l'expert-comptable de la SARL Jebs Express est confortée par les tableaux et relevés dressés par cette dernière pour les années suivantes. Cette concordance justifie que les éléments qu'elle mentionne priment ceux du commissaire aux comptes qui n'est pour sa part accompagnée d'aucun document justificatif ou explicatif. Sur cette base, le chiffre d'affaires généré par la relation litigieuse atteignait 116 502 euros en 2017 et 103 209 euros en 2018.
Ainsi, le courant d'affaires, continu, était en constante augmentation de 2010 à 2015, date à partir de laquelle il s'est globalement stabilisé, le montant annuel moyen des courses étant de 105 359,28 euros sur les années 2016 à 2018 incluses. Significatif et stable, ce chiffre d'affaires ne représentait toutefois qu'une part réduite de moins de 3 % dans le chiffre d'affaires global de la SARL Jebs Express.
Sur l'imputabilité de la rupture des relations et le préavis suffisant
L'article L 442-1 II du code de commerce sanctionne non la rupture - qui doit néanmoins être imputable à l'agent économique à qui elle est reprochée et peut être totale ou partielle, la relation commerciale devant dans ce dernier cas être modifiée substantiellement (en ce sens, Com. 31 mars 2016, n° 14-11.329 ; Com 20 novembre 2019, n° 18-11.966, qui précise qu'une modification contractuelle négociable et non imposée n'est pas la marque d'une rupture partielle brutale) - mais sa brutalité qui résulte de l'absence de préavis écrit ou de préavis suffisant. Celui-ci, qui s'apprécie au moment de la notification ou de la matérialisation de la rupture, s'entend du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, soit pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement en bénéficiant, sauf circonstances particulières, d'un maintien des conditions antérieures (en ce sens, Com., 10 février 2015, n° 13-26.414), les éléments postérieurs ne pouvant être pris en compte pour déterminer sa durée (en ce sens, Com, 1er juin 2022, n° 20-18960). Les critères pertinents sont notamment l'ancienneté des relations et les usages commerciaux, le degré de dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, l'éventuelle exclusivité des relations et la spécificité du marché et des produits et services en cause ainsi que tout obstacle économique ou juridique à la reconversion. En revanche, le comportement de la SARL Jebs Express postérieurement à la rupture est sans pertinence pour apprécier la suffisance du préavis accordé.
Mais, la rupture, quoique brutale, peut être justifiée si elle est causée par une faute suffisamment grave pour fonder la cessation immédiate des relations commerciales (en ce sens, sur le critère de gravité, Com. 27 mars 2019, n° 17-16.548). La faute doit être incompatible avec la poursuite, même temporaire, du partenariat : son appréciation doit être objective, au regard de l'ampleur de l'inexécution et de la nature l'obligation sur laquelle elle porte, mais également subjective, en considération de son impact effectif sur la relation commerciale concrètement appréciée et sur la possibilité de sa poursuite malgré sa commission ainsi que du comportement de chaque partie.
Alors que le chiffre d'affaires né de la relation était relativement stable jusqu'en 2019, la SARL Jebs Express démontre, par la production des pièces internes et comptables déjà examinées et non utilement contredites, que les commandes ont presque totalement cessé dès septembre 2019, trois puis quatre courses d'un montant total de 7 884,93 euros (6 971,43 euros et 913,5 euros) ayant été commandées en septembre et octobre 2019 avant que le flux d'affaires ne se tarisse complètement en novembre 2019, le montant total du chiffre d'affaires dégagé en 2019 étant de 48 716 euros, soit une réduction de près de la moitié par rapport à la moyenne des trois années précédentes sur dix mois.
Cette chute drastique du chiffre d'affaires caractérise une rupture de la relation qui sera considérée comme totale en septembre 2019 en l'absence de débat sur ce point et d'invocation d'une cessation partielle antécédente.
Reconnaissant la réalité de la rupture à cette date, la SAS Prodex conteste sa brutalité puis son imputabilité en opposant :
- l'incapacité de la SARL Jebs Express à réponde à ses exigences. Pour l'établir, elle produit un échange de courriels de janvier 2020 évoquant une course refusée le 7 janvier 2020 (sa pièce 4). Très postérieur à la rupture, cet évènement, même à le supposer révélateur d'une faute, lui est étranger. Elle invoque également une correspondance électronique de septembre 2019 évoquant « un manque de disponibilité ['] par le passé » mais qui n'est illustré par aucun fait précis et tangible (pièce 3 de l'intimée) : elle ne peut caractériser une alerte préalable précarisant la relation ;
- une augmentation des tarifs de la SARL Jebs Express qui n'est pas prouvée, en valeur absolue ou relative, par comparaison avec les prix des concurrents, et qui n'est quoi qu'il en soit pas, en l'absence de toute réserve sur ce point durant la relation, un élément causal pertinent ;
- la manifestation des premiers signes de la crise sanitaire mondiale liée à la pandémie de Covid 19, assertion que rien n'étaye alors que le premier cas a été identifié en Chine en décembre 2019 ainsi que le souligne la SARL Jebs Express ;
- la liquidation judiciaire de deux clients (ses pièces 5 et 6 mentionnant des déclarations de créances avoisinant 17 000 euros à titre chirographaire, soit 0,22 % de son chiffre d'affaires ainsi que le relève la SARL Jebs Express sans être contredite). Toutefois, au regard du faible montant des créances détenues à leur encontre et à défaut de tout élément permettant d'apprécier l'importance relative de ces derniers dans l'activité de la SAS Prodex, cet argument est inopérant ;
- le départ de trois salariés entre janvier et avril 2020. Cependant, outre le fait que son impact sur l'organisation de l'entreprise n'est ni expliqué ni justifié, ce mouvement est postérieur de plus trois mois à la rupture. Cet argument n'est pas pertinent.
Ces trois derniers éléments de justification sont d'autant moins convaincants que, par-delà la contradiction logique qui consiste à fonder la rupture sur la faute grave tout en l'expliquant par des circonstances extérieures insurmontables, la SAS Prodex reconnaît avoir préféré à la SARL Jebs Express un prestataire concurrent, signe que son activité n'a en réalité jamais varié.
Dès lors, intervenue sans alerte préalable et sans préavis, la rupture, qui n'est justifiée ni par l'existence d'une faute grave imputable à la SARL Jebs Express ni par des circonstances extérieures contraignant la SAS Prodex, est brutale.
Les parties ne livrent aucun élément sur la structure du marché et sur l'état de la concurrence que s'y livrent les acteurs ainsi que sur les possibilités de redéploiement de son activité par la SARL Jebs Express qui ne bénéficiait en fait ou en droit ni d'une exclusivité ni d'un engagement de volume et ne se trouvait pas dans une situation de dépendance économique à l'égard de son partenaire. De ce fait, les seuls critères exploitables par la Cour pour apprécier la suffisance du préavis éludé sont la durée de la relation (9 ans au jour de la matérialisation de la rupture) et l'importance et la stabilité du flux d'affaires tel qu'il a déjà été analysé.
Au regard de ces éléments combinés et de l'absence d'usage professionnel contraire, le préavis suffisant sera estimé à 10 mois ainsi que l'a retenu le tribunal.
Le préjudice subi par la SARL Jebs Express est constitué de son gain manqué qui correspond à sa marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d'affaires dont la victime a été privée et les charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, appliquée au chiffre d'affaires moyen hors taxe qui aurait été généré pendant la durée du préavis éludé. A ce titre, le préjudice subi, qui trouve son siège dans une anticipation déjouée, s'évalue à la date de la rupture à partir des éléments comptables antérieurs à celle-ci qui constituent le socle des prévisions de la victime, sans égard pour les circonstances postérieures telles sa reconversion durant la durée du préavis éludé. Celui-ci s'exécutant aux conditions de la relation, le gain manqué n'est que la projection de celui antérieurement réalisé.
Dans ce cadre, les années 2016 à 2018 incluses, non affectées par la rupture, sont pertinentes. Le chiffre d'affaires annuel moyen sur cette période est de 105 359,28 euros.
Pour justifier de sa marge, la SARL Jebs Express produit l'attestation déjà examinée de son expert-comptable qui certifie la pratique d'un « taux de marge sur coût direct des éléments variables » de 86,41 % en moyenne pour les années 2017 et 2018. Appliqué au chiffre d'affaires moyen, ce taux induit une perte de marge de 75 867,46 euros sur la période de préavis.
Cependant, il est constant que la SARL Jebs Express a exécuté sept courses en septembre et octobre 2019 pour un chiffre d'affaires de 7 884,93 euros impliquant la perception d'une marge de 6 813,37 euros. La SAS Prodex contestant le principe et la mesure de l'indemnisation sollicitée et n'admettant les calculs de la SARL Jebs Express qu'à titre subsidiaire et le juge étant tenu de respecter le principe de la réparation intégrale, cette somme, pour éviter l'indemnisation d'un préjudice partiellement inexistant, doit venir en déduction de la marge perdue sur la période de référence qui sera ainsi fixée à 69 054,09 euros, quantum qui correspond au préjudice économique subi par la SARL Jebs Express du fait de la rupture brutale des relations commerciales.
Le jugement entrepris sera en conséquence infirmé en ce qu'il a condamné la SAS Prodex à payer à la SARL Jebs Express la somme de 79 125 euros et la première sera condamnée à payer à la seconde la somme de 69 054,09 euros.
2°) Sur les frais irrépétibles et les dépens
Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.
Succombant en son appel, la SAS Prodex, dont la demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée, sera condamnée à supporter les entiers dépens d'appel ainsi qu'à payer à la SARL Jebs Express la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions soumises à la Cour, sauf en ce qu'il a rejeté les demandes de la SAS Prodex et staué sur l'indemnité de procédure et les dépens ;
Statuant à nouveau du chef infirmé,
Condamne la SAS Prodex à payer à la SARL Jebs Express la somme de 69 054,09 euros en réparation intégrale du préjudice causé par la rupture brutale de leurs relations commerciales établies ;
Y ajoutant,
Rejette la demande de la SAS Prodex au titre des frais irrépétibles ;
Condamne la SAS Prodex à payer à la SARL Jebs Express la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SAS Prodex à supporter les entiers dépens d'appel.