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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 6, 21 février 2024, n° 21/19887

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

SCI Clos Saint Gilles (SCI)

Défendeur :

BNP Paribas (SA), Société Française du Radiotéléphone (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Braud

Conseillers :

Mme Sappey-Guesdon, Mme Chaintron

Avocats :

Me Combastet, Me Bauch-Labesse, Me Tohier-Desclaux, Me Sarah

TJ Paris, 9e ch. 1re sect., du 26 oct. 2…

26 octobre 2021

Le 5 octobre 2018, la société civile immobilière Clos Saint-Gilles , qui a pour associés [I] [R] et [K] [O] veuve [R] qui est la gérante de cette société, a ouvert un compte bancaire no [XXXXXXXXXX01] auprès de la société BNP Paribas.

Le 21 février 2019, à la suite de la vente d'un bien immobilier, ce compte a été crédité d'une somme de 134 806,84 euros.

Par la suite, dans l'espace client du compte bancaire de la SCI Clos Saint-Gilles , deux personnes ont été ajoutées parmi les comptes bénéficiaires et, entre le 13 et le 29 mars 2019, plusieurs virements ont été effectués sur ces comptes.

Le 16 mars 2019, en raison des dysfonctionnements de son téléphone, [K] [O] a acheté une nouvelle carte SIM auprès de la Société française du radiotéléphone (S. F. R.). Toutefois la facture S. F. R. du 4 avril 2019 mentionne l'achat de deux cartes SIM effectué les 12 et 16 mars 2019.

Le 2 avril 2019, [K] [O] fut informée qu'un chèque de 24 825 euros avait été déposé sur le compte bancaire, puis que cette somme avait été débitée parce que le chèque avait été falsifié.

Le 5 avril 2019, la gérante de la société Clos Saint-Gilles a contesté les virements réalisés entre le 13 et le 28 mars précédents, ainsi que la remise du chèque de 24 825 euros.

Par acte d'huissier en date du 21 juin 2019, la société Clos Saint-Gilles a assigné la société BNP Paribas en responsabilité devant le tribunal de grande instance de Paris.

Par jugement contradictoire en date du 26 octobre 2021, le tribunal judiciaire de Paris a :

- Reçu l'intervention de [K] [O] veuve [R] ; 

- Condamné la société S. F. R. à rembourser la somme de 10 euros à [K] [O] veuve [R] ;

- Débouté la société Clos Saint-Gilles et [K] [O] veuve [R] de toutes leurs autres demandes ;

- Dit n'y avoir lieu à statuer sur les appels en garantie des sociétés S. F. R. et BNP Paribas ;

- Débouté toutes les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Condamné la société Clos Saint-Gilles et [K] [O] veuve [R] aux dépens dont droit de recouvrement direct au bénéfice de Maître Ronald Sarah ;

- Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Par déclaration du 15 novembre 2021, la société civile immobilière Clos Saint-Gilles et [K] [O] veuve [R] ont interjeté appel du jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 27 octobre 2023, la société civile immobilière Clos Saint-Gilles et [I] [R],venant aux droits de [K] [O] veuve [R] décédée le [Date décès 8] 2023, demandent à la cour de :

CONFIRMER le jugement dont appel en ce qu'il a :

- CONDAMNE la SOCIETE FRANCAISE DU RADIOTELEPHONE à payer à Mme [R] la somme de 10 € prélevée le 10/04/2019,

REFORMER le jugement dont appel et :

DIRE Monsieur [I] [R], en sa qualité d'héritier venant aux droits de Mme [O] [R], recevable et bien fondée dans son intervention volontaire,

CONDAMNER in solidum, BNP PARIBAS et la SOCIETE FRANCAISE DU RADIOTELEPHONE à payer à la SCI CLOS SAINT GILLES:

- La somme de 118.420,37 € et la somme de 1717 € avec intérêts au taux légal à compter du 10/04/2019, avec capitalisation des intérêts à compter du 11/04/2019, et à lui restituer la totalité des frais, intérêts de retard, agios et pénalités débités de son compte, sous astreinte de 500 € par jour de retard un mois après la signification de l'arrêt à intervenir,

- La somme de 1.000 € par mois à compter du 1/04/2019 jusqu'au paiement intégral des sommes sus visées à titre de dommages-intérêts,

CONDAMNER in solidum BNP PARIBAS et la SOCIETE FRANCAISE DU RADIOTELEPHONE à payer à Monsieur [I] [R] et à la SCI CLOS SAINT GILLES la somme de 15.000 € titre de dommages-intérêts, outre 8.000 € au titre de l'article 700 du CpC.

CONDAMNER in solidum, la BNP PARIBAS et la SOCIETE FRANCAISE DU RADIOTELEPHONE aux entiers dépens qui seront à recouvrer conformément à l'article 696 et 699 du Code de procédure civile par Maître Jean-Paul COMBASTET Avocat au Barreau de Paris.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 30 novembre 2023, la société anonyme Société française du radiotéléphone (S. F. R.) demande à la cour de :

DIRE ET JUGER que la preuve d'une faute de la société SFR n'est pas rapportée ;

DIRE ET JUGER que la responsabilité de la société BNP PARIBAS et de Madame [K] [O] veuve [R] dans la survenance du dommage allégué est établie ;

En conséquence :

À titre principal :

CONFIRMER le jugement déféré en ce qu'il a débouté Madame [K] [O] veuve [R], ainsi que les sociétés BNP PARIBAS et CLOS SAINT GILLES de toutes demandes indemnitaires dirigées contre la société SOCIÉTÉ FRANÇAISE DU RADIOTÉLÉPHONE ;

INFIRMER le jugement déféré pour le surplus et ;

STATUANT À NOUVEAU :

DÉBOUTER les sociétés CLOS SAINT GILLES et Madame [O] veuve [R] de leur demande tendant à voir la société SFR condamnée à rembourser à Madame [O] veuve [R] la somme de 10 euros ;

CONDAMNER tout succombant à payer à la société SOCIÉTÉ FRANÇAISE DU RADIOTÉLÉPHONE la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance ;

À titre infiniment subsidiaire :

CONDAMNER la société BNP PARIBAS à relever et garantir la société SOCIÉTÉ FRANÇAISE DU RADIOTÉLÉPHONE contre toute condamnation pouvant être prononcée à son encontre par la décision à intervenir ;

En tout état de cause :

CONDAMNER la société BNP PARIBAS ou tout succombant à payer à la société SOCIÉTÉ FRANÇAISE DU RADIOTÉLÉPHONE la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNER la société BNP PARIBAS ou tout succombant aux entiers dépens, dont distraction en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 30 novembre 2023, la société anonyme BNP Paribas demande à la cour de :

A titre principal :

CONFIRMER LE jugement dont appel en ce qu'il a :

- DEBOUTE les sociétés CLOS SAINT GILLES et Madame [O] veuve [R] de leurs demandes à l'encontre de BNP PARIBAS;

- DIT n'y avoir lieu à se prononcer sur les appels en garantie formulés par les sociétés SFR et BNP PARIBAS ;

A titre subsidiaire :

- CONSTATANT que la responsabilité de BNP PARIBAS ne saurait être engagée du fait de l'exécution des virements litigieux,

- CONSTATANT que SCI CLOS SAINT GILLES et Madame [K] [O] veuve [R] ont commis des négligences graves dans l'exécution des virements contestés,

- CONSTATANT que SOCIETE FRANCAISE DU RADIOTELEPHONE (SFR) a commis une faute prépondérante dans la survenance du préjudice allégué,

- CONSTATANT que BNP PARIBAS est exonérée de sa responsabilité éventuelle du fait des fautes et négligences de la SCI CLOS SAINT GILLES, Madame [K] [O] veuve [R] et SOCIETE FRANCAISE DU RADIOTELEPHONE (SFR)

DEBOUTER SCI CLOS SAINT GILLES, Monsieur [I] [R] venant aux droits de Madame [K] [O] veuve [R] et la SOCIETE FRANCAISE DU RADIOTELEPHONE (SFR) de leurs demandes, fins et conclusions,

A titre infiniment subsidiaire :

CONDAMNER SOCIETE FRANCAISE DU RADIOTELEPHONE (SFR) à GARANTIR et RELEVER BNP PARIBAS de toute condamnation qui serait prononcée à son encontre au profit de la SCI CLOS SAINT GILLES et Monsieur [I] [R] venant aux droits de Madame [K] [O] veuve [R]

En tout état de cause :

CONDAMNER in solidum la SCI CLOS SAINT GILLES, Monsieur [I] [R] venant aux droits de Madame [K] [O] veuve [R] et SOCIETE FRANCAISE DU RADIOTELEPHONE (SFR) au paiement d'une somme de 10.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du CPC ;

CONDAMNER in solidum la SCI CLOS SAINT GILLES Monsieur [I] [R] venant aux droits de Madame [K] [O] veuve [R] et SOCIETE FRANCAISE DU RADIOTELEPHONE (SFR) à supporter l'intégralité des dépens.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux dernières conclusions écrites déposées en application de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 décembre 2023 et l'audience fixée au 9 janvier 2024.

CELA EXPOSÉ,

[I] [R] justifie de sa qualité d'héritier unique de [K] [O] veuve [R], décédée le [Date décès 8] 2023, si bien qu'il est recevable à intervenir à l'instance.

Sur la responsabilité de la société S. F. R. :

Sur ce point, il n'est pas produit en appel de nouvel argument ou de nouvelles pièces de nature à remettre en cause l'exacte analyse des premiers juges qui, après avoir relevé la négligence de [K] [O] veuve [R], titulaire depuis le 4 novembre 2016 de la ligne téléphonique no [XXXXXXXX02], ont écarté toute responsabilité de la société S. F. R. tant à son égard qu'à l'égard de la société Clos Saint-Gilles du fait de la délivrance d'une nouvelle carte SIM le 12 mars 2019, ordonnant seulement le remboursement du prix de celle-ci.

En effet, la société S. F. R. ne réfute pas sérieusement le caractère frauduleux de cette vente qui ressort de la succession rapprochée de l'achat de deux cartes SIM pour la même ligne les 12 et 16 mars 2019, seul le second étant reconnu par [K] [O] veuve [R].

Étant établi que la vente du 12 mars 2019 a été consentie à un tiers, [K] [O] veuve [R] est fondée à en obtenir le remboursement, le prix de 10 euros lui ayant été indûment facturé.

Pour autant, la faute alléguée contre la société S. F. R., qui n'aurait pas vérifié l'identité de la personne à qui elle a délivré une carte SIM le 12 mars 2019, n'est pas démontrée. L'obligation de vérification de la société S. F. R. ne saurait en effet être qu'une obligation de moyens, et s'il lui incombe d'en justifier, le tribunal a considéré à raison que la société S. F. R. avait été privée de la faculté d'apporter cette preuve par la négligence de [K] [O] veuve [R] qui a tardé à contester la vente.

C'est en conséquence à juste titre que la société S. F. R. a été condamnée à rembourser la somme de 10 euros à [K] [O] veuve [R], et qu'ont été rejetées les autres demandes de celle-ci et de la société Clos Saint-Gilles contre la société S. F. R. Le jugement mérite confirmation de ce chef.

Sur la responsabilité de la société BNP Paribas :

Sur la responsabilité de la société BNP Paribas à l'égard de la société Clos Saint-Gilles :

a) Sur la responsabilité du fait des opérations de payement :

Afin d'apprécier la responsabilité de la société BNP Paribas du fait des virements litigieux, le tribunal a considéré à raison que la banque et la société Clos Saint-Gilles pouvaient déroger par convention aux dispositions légales en vertu de l'article L. 133-2 du code monétaire et financier, dès lors que la société Clos Saint-Gilles n'est pas une personne physique agissant pour des besoins non professionnels.

En signant la convention de compte professionnel du 5 octobre 2018 (pièce no 6 de l'intimée), la société Clos Saint-Gilles a expressément reconnu avoir pris connaissance et accepté les conditions générales de la convention de compte professionnels et entrepreneurs (pièce no 7 de l'intimée), lesquelles renvoient notamment aux conditions générales de banque en ligne entreprise (pièces nos 8 et 8 bis de l'intimée) et au conditions générales d'utilisation du portail Ma banque entreprise (pièce no 9 de l'intimée), qu'invoque la banque en l'espèce.

Les appelants critiquent ces dispositions contractuelles en ce qu'elles seraient contraires à l'article 1356 du code civil qui dispose :

« Les contrats sur la preuve sont valables lorsqu'ils portent sur des droits dont les parties ont la libre disposition.

« Néanmoins, ils ne peuvent contredire les présomptions irréfragables établies par la loi, ni modifier la foi attachée à l'aveu ou au serment. Ils ne peuvent davantage établir au profit de l'une des parties une présomption irréfragable. »

Or, l'article 7.2 des conditions générales de banque en ligne entreprise stipule que « toute consultation, instruction ou ordre émis dans le cadre du service est réputé de façon irréfragable émaner du client lui-même ou de l'un des utilisateurs ou administrateurs ». Il convient alors de considérer que cette présomption établie au profit du prestataire de services de payement est une présomption simple.

Les appelants invoquent également l'article 1170 du code civil, aux termes duquel toute clause qui prive de sa substance l'obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite, pour critiquer « la clause exclusive de responsabilité qui décharge la BNP de toute conséquence de détournements réalisés du fait de la défaillance de sa procédure de sécurité ».

Toutefois aucune des clauses évoquées par la société BNP Paribas et citées par le jugement déféré n'est une clause élusive de responsabilité en cas de défaillance de la procédure de sécurité du prestataire de services de payement. Il s'agit soit de clauses relatives à l'aménagement de la preuve (identification et consentement de l'utilisateur du service de payement), soit de clauses relatives à la responsabilité du client pour les seuls faits qui relèvent de lui (conservation et utilisation de ses modes d'authentification et de ses mots de passe, utilisation abusive ou inappropriée du service). Elles ne privent pas de sa substance l'obligation essentielle de la société BNP Paribas, prestataire de services de banque et de services de payement.

Les appelants critiquent encore ces dispositions contractuelles au visa des articles 1171 du code civil, L. 132-1 du code de la consommation dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 14 mars 2016, et L. 442-1 du code de commerce, en ce qu'elles créeraient un déséquilibre significatif.

La cour a jugé ci-avant que les clauses applicables à l'espèce n'ont pas pour objet ni pour effet d'exclure toute responsabilité de la société BNP Paribas mais, dans les limites posées par la loi, régissent la responsabilité de l'utilisateur du service de payement et aménagent la preuve entre les parties sans pouvoir instituer néanmoins de présomption irréfragable. Aussi le déséquilibre allégué entre les droits et obligations des parties au contrat, qui n'est pas autrement caractérisé par les appelants, n'apparaît-il pas établi.

Les appelants ne sont pas davantage fondés à soutenir que, de même que le vendeur professionnel est censé connaître de façon irréfragable les vices de la chose qu'il vend, la société BNP Paribas est tenue par une obligation irréfragable de garantie des vices liés à l'utilisation du système de paiement qu'elle a mis en place et exploite, puisque les parties ne sont pas liées par un contrat de vente.

Les appelants ne peuvent pas mieux soutenir que la présomption irréfragable opposée par la société BNP Paribas serait une clause léonine, puisque les parties ne sont pas liées par un contrat de société, et qu'en tout état de cause il a été précédemment jugé que la présomption conventionnelle précitée ne peut être qu'une présomption simple.

En définitive, le tribunal était fondé à faire application des stipulations des conventions liant les parties, dont il se déduit que les opérations contestées (création de bénéficiaires, ordres de virement) sont présumées autorisées par la société Clos Saint-Gilles du fait qu'elles ont été réalisées en ligne en utilisant les données de sécurité personnalisées de cette société, à savoir son code d'accès, son mot de passe et un code de validation à usage unique, conformément aux conditions générales d'utilisation du portail de la banque. Ce fait est établi par la société BNP Paribas (sa pièce no 10 : extrait Canal Net), conformément aux articles IV.5 du titre V des conditions générales et 7.1 des conditions de banque en ligne stipulant que « la banque apporte la preuve des opérations' au moyen du récapitulatif des transactions établies quotidiennement et automatiquement par ses systèmes, qu'elle conserve sur support informatique » (pièces nos 7 et 8 de l'intimée). Il n'est d'ailleurs pas sérieusement contesté par la société Clos Saint-Gilles, qui prétend seulement que ses données de sécurité personnalisées ont été utilisées par un tiers.

Cette allégation, reprise dans sa plainte (pièces nos 3, 6 et 17 des appelants) et dans sa réclamation auprès de la banque (pièces no 7 des appelants), n'est pas suffisamment corroborée par le fait qu'un tiers ait disposé d'une carte SIM correspondant à la ligne téléphonique de la gérante de la société. En effet, si ce tiers a pu ainsi être destinataire des minimessages contenant les codes d'activation des opérations litigieuses, il n'est pas établi qu'il ait également disposé de l'identifiant et du mot de passe de la société Clos Saint-Gilles, nécessaires pour accéder au préalable à son compte en ligne et y saisir les instructions en cause. La gérante de la société a déclaré au contraire que personne d'autre qu'elle n'avait accès au compte (pièce no 7 des appelants). L'appelante admet par ailleurs qu'elle ne peut savoir si elle a été victime d'hameçonnage.

Les appelants ne formulent que des hypothèses telles qu'une divulgation du numéro de client et du mot de passe par les sociétés BNP Paribas ou S. F. R., une défaillance du système d'authentification, ou une cyberattaque réalisée contre la banque.

La société Clos Saint-Gilles et [I] [R] considèrent que la défaillance des systèmes de sécurité et d'authentification de la société BNP Paribas est établie par le rejet du chèque de 24 825 euros alors que la banque ne justifie pas du motif de ce rejet. Selon l'avis de rejet du 1er avril 2019, ce chèque a été rejeté comme irrégulier pour être un faux chèque (pièce no 4 des appelants). Or, [K] [O] veuve [R] a reconnu, aux termes de sa plainte et de sa réclamation, qu'il s'agissait d'un faux chèque, dont le tireur lui était inconnu, et qu'elle n'avait pas endossé. Dans ces circonstances, le rejet de cet effet, loin de trahir la défaillance des systèmes de sécurité et d'authentification de la banque, manifeste sa vigilance dans le fonctionnement du compte de sa cliente.

À défaut d'apporter la preuve de la défaillance alléguée de la société BNP Paribas, les appelants échouent à renverser la présomption selon laquelle les instructions et les ordres émis dans le cadre du service en ligne émanent du client, dont l'identité et le consentement sont prouvés par l'utilisation du mode d'authentification et la saisie du code d'accès et du mot de passe associé (article 7.2 des conditions générales de banque en ligne).

Les virements litigieux étant réputés autorisés par la société Clos Saint-Gilles, leur exécution n'engage pas la responsabilité de la société BNP Paribas.

b) Sur le devoir de vigilance :

En application de l'article 1147 ancien, devenu 1231-1, du code civil, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.

Sauf disposition légale contraire, la banque est tenue à une obligation de non-ingérence dans les affaires de son client, quelle que soit la qualité de celui-ci, et n'a pas à procéder à de quelconques investigations sur l'origine et l'importance des fonds versés sur ses comptes ni même à l'interroger sur l'existence de mouvements de grande ampleur, dès lors que ces opérations ont une apparence de régularité et qu'aucun indice de falsification ne peut être décelé (Com., 25 sept. 2019, no 18-15.965, 18-16.421). Ainsi, le prestataire de services de payement, tenu d'un devoir de non-immixtion dans les affaires de son client, n'a pas, en principe, à s'ingérer, à effectuer des recherches ou à réclamer des justifications des demandes de paiement régulièrement faites aux fins de s'assurer que les opérations sollicitées ne sont pas périlleuses pour le client ou des tiers.

S'il est exact que ce devoir de non-ingérence trouve une limite dans l'obligation de vigilance de l'établissement de crédit prestataire de services de payement, c'est à la condition que l'opération recèle une anomalie apparente, matérielle ou intellectuelle, soit des documents qui lui sont fournis, soit de la nature elle-même de l'opération ou encore du fonctionnement du compte.

Au soutien du caractère exceptionnel des opérations litigieuses, les appelants font valoir que :

- Le montant des virements représente la quasi-totalité du prix de vente de l'immeuble de la société Clos Saint-Gilles sur une courte période ;

- Le compte de la société civile immobilière ouvert en 2018 ne comportait aucun bénéficiaire autre que [K] [O] veuve [R], jusqu'à la subite adjonction de bénéficiaires et aux virements litigieux ;

- La société BNP Paribas se reconnaît débitrice d'un devoir de vigilance, en prétendant avoir informé [K] [O] veuve [R] par un message téléphonique du 16 mars 2019 à 9 heures 10.

La société BNP Paribas déclare en effet que [K] [O] veuve [R], qui a été jointe au sujet des ordres de payement, a laissé le message sans réponse, démontrant ainsi l'absence d'anormalité à la situation.

En application de l'article 1383-2, alinéa 3, du code civil, l'aveu judiciaire ne peut être divisé contre son auteur. La société Clos Saint-Gilles ne peut déduire de la déclaration de l'intimée la reconnaissance d'une anomalie apparente des opérations en cause, tout en mettant en doute l'effectivité de l'appel téléphonique de la banque. En invitant la gérante de la société à rappeler le service de détection de la fraude au sujet de l'ajout de bénéficiaires et des virements ordonnés, par un message téléphonique laissé le 16 mars 2019 (pièce no 11 des appelants), après que quatre virements avaient été réalisés pour un montant total de 37 200 euros, la société BNP Paribas a satisfait à son obligation de vigilance.

Sur la responsabilité de la société BNP Paribas à l'égard de [K] [O] veuve [R] :

[I] [R] reproche à la société BNP Paribas d'avoir bloqué sans justification le compte personnel no [XXXXXXXXXX07] de [K] [O] veuve [R], la privant de la disposition de ses avoirs. Il demande avec la société Clos Saint-Gilles une somme de 15 000 euros en réparation de son préjudice moral.

Au soutien de sa demande il verse aux débats une capture d'écrans non datée indiquant que « pour des raisons de sécurité, [son] accès a été bloqué à la suite de plusieurs tentatives d'identification erronées » (pièce no 18 des appelants), ainsi qu'un bordereau délivrance d'une carte de dépannage du 30 avril 2019 (pièce no 19 des appelants), carte qui permet à tout client non muni de sa carte bancaire de retirer des fonds dans son agence. Ces pièces ne montrent pas que le compte de [K] [O] veuve [R] ait été bloqué, ni qu'elle ait été empêchée de disposer de ses fonds.

Le jugement critiqué sera donc confirmé en ce qu'il déboute la société Clos Saint-Gilles et [K] [O] veuve [R] de toutes leurs demandes contre la société BNP Paribas, et en ce qu'il dit par voie de conséquence n'y avoir lieu à statuer sur les appels en garantie des sociétés S. F. R. et BNP Paribas.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

Aux termes de l'article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. Les appelants en supporteront donc la charge.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer :

1o À l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

2o Et, le cas échéant, à l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle partielle ou totale une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide. Dans ce cas, il est procédé comme il est dit aux alinéas 3 et 4 de l'article 37 de la loi no 91-647 du 10 juillet 1991 .

Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations.

Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent.

La somme allouée au titre du secundo ne peut être inférieure à la part contributive de l'État majorée de 50 %.

Sur ce fondement, la société Clos Saint-Gilles et [I] [R] seront condamnés in solidum à payer à la société S. F. R. la somme de 1 500 euros et à la société BNP Paribas celle de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles.

LA COUR, PAR CES MOTIFS,

DIT [I] [R], en sa qualité d'héritier venant aux droits de [K] [O] veuve [R], recevable en son intervention volontaire ;

CONFIRME le jugement ;

Y ajoutant,

CONDAMNE in solidum la société Clos Saint-Gilles et [I] [R] à payer à la Société française du radiotéléphone (S. F. R.) la somme de 1 500 euros et à la société BNP Paribas celle de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE in solidum la société Clos Saint-Gilles et [I] [R] aux entiers dépens, dont distraction au profit de maître Ronald Sarah en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

REJETTE toute autre demande plus ample ou contraire.