Cass. com., 6 novembre 2007, n° 07-10.620
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Favre
Sur le moyen unique du pourvoi n° P 07-10.620 et le moyen unique du pourvoi n° T 07-10.785, réunis :
Attendu que le 7 juillet 1992, la Société nationale maritime Corse-Méditerranée (la SNCM), à laquelle a ultérieurement été substituée sa filiale la société Compagnie générale de tourisme et d'hôtellerie (la CGTH) a conclu avec la Compagnie de navigation d'Orbigny (la CNO), devenue la Société de travaux industriels et maritimes d'Orbigny (la STIM), un pacte d'actionnaires précisant qu'il s'appliquerait aussi longtemps que ces sociétés ou leurs substitués demeureraient ensemble actionnaires de la Compagnie méridionale de participation (la CMP), laquelle détenait la majorité des actions composant le capital de la Compagnie méridionale de navigation (la CMN) ; que ce pacte comportait notamment une clause stipulant que celle des parties qui serait à l'origine d'une décision ayant pour conséquence un manquement important à l'accord de coopération conclu entre la SNCM et la CMN ou un changement substantiel de la politique de la CMN entraînant entre elles un profond désaccord s'engageait, à première demande de l'autre et au choix de celle-ci, soit à lui céder tout ou partie des titres détenus dans cette société, soit à lui acheter tout ou partie des siens ; que par lettre adressée à la SNCM le 15 mars 2006, la STIM a dénoncé le pacte d'actionnaires ; que par lettre du 21 juillet 2006, la SNCM et la CGTH ont notifié à la STIM qu'elles exerçaient l'option prévue par la clause susmentionnée, entendant ainsi acquérir un certain nombre des actions détenues par cette société dans le capital de la CMP ; que la STIM s'étant opposée à l'exercice de l'option, la SNCM et la CGTH ont demandé en justice que soit constatée la cession et ordonné le transfert des titres ;
Attendu que la CGTH et la SNCM font grief à l'arrêt d'avoir dit que le pacte d'actionnaires du 7 juillet 1992 avait été conclu pour une durée indéterminée et qu'il avait été valablement dénoncé par la STIM, alors, selon le moyen :
1 / qu'est pris pour une durée déterminée l'engagement dont le terme est fixé par référence à un événement futur, même si la date de réalisation de cet événement est inconnue dès lors que cette réalisation n'est pas aléatoire en son principe ; que la clause fixant le terme du pacte à la date à laquelle les parties cesseront d'être ensemble actionnaires de la CMP constitue un terme incertain, ce pacte ayant ainsi pour limite la durée de la société, peu important que celle-ci puisse être ultérieurement prorogée comme peut l'être tout contrat ; qu'en jugeant que le pacte avait une durée indéterminée au prétexte que "pour un contrat de société, l'arrivée du terme convenu n'est pas inéluctable ou encore une fatalité puisque les associés ont la possibilité, avant la date fatidique, d'en décider la prorogation", cependant que cette faculté ouverte dans tous les contrats à durée indéterminée, ne leur fait pas perdre pour autant ce caractère, la cour d'appel a violé les articles 1134, 1185 et 1838 du code civil et L. 210-2 du code de commerce ;
2 / que, dès lors que l'objet même d'un pacte d'actionnaires est, comme l'avait rappelé le tribunal, de "fixer les relations entre les signataires pour la durée de leur participation commune dans une société", ce pacte, qui n'est pas plus à durée indéterminée que ne l'est la société elle-même, ne peut pas être dénoncé unilatéralement par une partie qui entendrait demeurer associée en s'affranchissant des obligations corrélatives définies par le pacte ; qu'en validant une telle dénonciation, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil ;
3 / que la faculté de dénonciation unilatérale des contrats à durée indéterminée, qui procède de la prohibition des engagements perpétuels, est sans application dès lors que le contrat lui-même ouvre à chacune des parties le moyen de mettre fin à son engagement ; que dès lors que le pacte stipulait qu'il ne durerait qu'autant que les parties demeureraient ensemble actionnaires de la CMP et qu'il n'était pas contesté que chacun des actionnaires avait la faculté de céder ses titres à tout moment, et de mettre ainsi fin aux obligations nées de ce pacte, la cour d'appel ne pouvait décider que le pacte avait été valablement dénoncé le 15 mars 2006 sans violer les articles 1134 et 1184 du code civil ;
4 / que la clause par laquelle les signataires d'un pacte d'actionnaires conviennent que ses dispositions s'appliqueront aussi longtemps qu'ils demeureront ensemble engagés dans les liens du contrat de société suffit à conférer à leur convention un caractère extinctif, calqué, au plus tard, sur celui du contrat de société ; qu'il importe peu, à cet égard, que le contrat de société puisse être ultérieurement prorogé, dès lors que cette décision, qui peut être votée à la majorité requise pour la modification des statuts, n'a pas pour effet de proroger les accords extrastatutaires qu'ont pu conclure les associés entre eux ; qu'en jugeant, au contraire, que la clause du pacte d'actionnaires du 7 juillet 1992 qui prévoyait que ses dispositions s'appliqueraient aussi longtemps que ses signataires demeureraient actionnaires de la CMP n'était pas de nature à imprimer un terme à leur convention, au motif inopérant que les actionnaires d'une société ont toujours la possibilité de proroger le contrat de société, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1185 du code civil, ensemble l'article L. 210-2 du code de commerce ;
5 / que les conventions légalement formées font la loi des parties et ne peuvent être révoquées que d'un commun accord ; que seuls les contrats à exécution successive dans lesquels aucun terme n'a été prévu peuvent, par exception, faire l'objet d'une résiliation unilatérale par chacun des contractants ; que tel n'est pas le caractère des droits de préférence et des promesses de vente ou d'achat convenus dans un pacte d'actionnaires, lesquels font naître, dès leur souscription, une faculté d'option irrévocablement acquise à leur bénéficiaire en cas de cession des actions dont ces pactes sont l'objet ; qu'en l'espèce, il résultait tant des constatations de l'arrêt attaqué que des conclusions convergentes des parties que le pacte d'actionnaires litigieux renfermait seulement des droits de préférence et des droits d'option réciproques, susceptibles d'être exercés dans l'éventualité d'une cession de titres ou d'un différend opposant les associés fondateurs de la CMP sur un changement substantiel de la politique de la société ; que la cour d'appel qui, sans avoir égard à la nature des engagements que renfermait le pacte en cause, reconnaît à chacune des parties la faculté de dénoncer unilatéralement celui-ci, au seul motif que ce pacte avait été stipulé à durée indéterminée, viole l'article 1134 du code civil ;
6 / que la faculté exceptionnelle et dérogatoire de dénoncer unilatéralement un contrat dans lequel aucun terme n'a été prévu ne se justifie qu'en considération du risque d'atteinte excessive à la liberté individuelle qu'un engagement perpétuel pourrait faire peser sur l'une ou l'autre des parties ; que cette faculté est donc sans application lorsque le contrat ménage à chacune d'entre elles d'autres voies pour se délier de son engagement ; qu'après avoir rappelé que le pacte d'actionnaires litigieux stipulait que les engagements réciproques qu'il renfermait ne s'appliqueraient qu'autant que les parties demeureraient ensemble actionnaires de la société, la cour d'appel a constaté que l'un et l'autre des cocontractants conservaient à tout moment la liberté de céder ses actions et de s'affranchir par là des obligations nées de ce pacte ; qu'en jugeant néanmoins que la STIM d'Orbigny était fondée à dénoncer unilatéralement le pacte, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations, en violation de l'article 1134 du code civil ;
7 / qu'un pacte d'actionnaires que les parties ont entendu maintenir en vigueur pour toute la durée de la participation commune de ses souscripteurs dans la société ne peut être répudié indépendamment de la qualité d'actionnaire en considération de laquelle ont été souscrits les engagements réciproques qu'il renferme ; qu'en jugeant néanmoins que la STIM d'Orbigny était fondée à dénoncer unilatéralement le pacte sans abdiquer sa qualité d'associé, la cour d'appel a violé de plus fort l'article 1134 du code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'il ne résulte ni de leurs conclusions ni de l'arrêt que la CGTH ou la SNCM aient soutenu devant la cour d'appel le moyen qu'invoque la cinquième branche ; que ce moyen est donc nouveau ; qu'il est mélangé de fait et de droit ;
Et attendu, en second lieu, qu'après avoir constaté qu'aucune disposition du pacte litigieux n'est relative à son terme, l'arrêt relève que l'article 3 des dispositions générales énonce seulement que "Les dispositions du présent pacte s'appliqueront aussi longtemps que la CNO et la SNCM ou leurs substitués demeureront ensemble actionnaires" de la CMP ; que l'arrêt retient encore que la perte, par l'un ou l'autre des cocontractants, de la qualité d'actionnaire ne présente aucun caractère de certitude, quand bien même l'un ou l'autre peut-il à tout moment céder ses actions ; que l'arrêt relève enfin que la SNCM et la CGTH se bornent à invoquer la fin de la société, dont la durée est au maximum de quatre-vingt-dix-neuf ans, sans préciser s'il s'agit de la fin de la société dans laquelle elles sont actionnaires ou de la leur ; qu'en l'état de ces constatations et énonciations, dont elle a exactement déduit que le pacte d'actionnaires du 7 juillet 1992 n'étant affecté d'aucun terme, même incertain, avait été conclu pour une durée indéterminée, et abstraction faite du motif surabondant critiqué par les première et quatrième branches, c'est à bon droit que la cour d'appel a décidé que ce pacte avait été régulièrement résilié par la volonté unilatérale de la STIM, peu important à cet égard que celle-ci ait
également disposé de la faculté de céder ses actions ;
D'où il suit que le moyen, qui est irrecevable en sa cinquième branche et ne peut être accueilli en ses première et quatrième branches, est pour le surplus non fondé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les pourvois incidents :
REJETTE les pourvois.