Cass. 1re civ., 18 mai 2022, n° 20-20.609
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chauvin
Rapporteur :
M. Fulchiron
Avocat général :
M. Sassoust
Avocats :
SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, SCP Foussard et Froger, SCP Gouz-Fitoussi, SCP Le Bret-Desaché
La première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 3 juin 2020), [S] [W] est décédé le 15 juillet 2012, à [Localité 11], en laissant pour lui succéder Mme [M] [W] et M. [Y] [W], nés d'un premier mariage, Mme [O] [W], née d'un deuxième mariage, et Mme [K] [L], son épouse.
2. Les 30 octobre, 4 et 7 novembre 2014, M. [Y] [W] a assigné devant le tribunal de grande instance de Paris Mme [K] [L], Mmes [M] et [O] [W], ainsi que les sociétés Masterart Foundation, Artfond Foundation, Artmuse, Leuwin Assets, Sloane Properties, Volaw Trust et corporate, Talley Investors, [Adresse 15], ABA corporates services, MD services, prise tant en son nom personnel qu'en sa qualité de gérant de droit ou de fait des sociétés Volaw Trust et corporate services limited, Artfond foundation, ABA corporate services limited, Arfound fundations, Templar House, DGM avocats et M. [J], tant en son nom personnel qu'en sa qualité de représentant de fait ou de droit des sociétés [Adresse 15] et Masterart Foundation, pour voir déclarer la loi française applicable à la succession mobilière de [S] [W] et déclarer comme dépendant de cette succession les biens détenus par les sociétés trustees.
Examen des moyens
Sur les deuxième, troisième et cinquième moyens
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. Mme [K] [L] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable l'exception d'incompétence, alors « que les successions s'ouvrent par la mort, au dernier domicile du défunt ; que les tribunaux français saisis d'une action en matière successorale doivent se déclarer d'office incompétents lorsqu'ils constatent que le domicile du défunt est situé à l'étranger ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a expressément relevé que le domicile de feu M. [W] était situé à [Localité 11] ; qu'en s'abstenant de relever d'office son incompétence, la cour d'appel a violé les articles 45 et 720 du code civil, ensemble l'article 92 du code de procédure civile, devenu l'article 76 du même code. »
Réponse de la Cour
5. Si, en application de l'article 92, devenu 76, du code de procédure civile, la cour d'appel pouvait se déclarer d'office incompétente, elle n'y était pas tenue.
6. Le moyen ne peut donc être accueilli.
Sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
7. Mme [K] [L] fait grief à l'arrêt de déclarer nul et de nul effet, comme fictif, le transfert des droits de propriété de [S] [W] au profit des entités [Adresse 15], Leuwin Assets, Artmuse, Masterart Foundation, Talley Investors et Artfound Foundation et de dire que les biens mobiliers dépendant de ces entités doivent être intégrés dans la succession de [S] [W], alors « que le trust se définit comme l'ensemble des relations juridiques créées, dans le droit d'un État autre que la France, par une personne, qui a la qualité de constituant, par un acte entre vif ou à cause de mort, en vue d'y placer des biens ou droits, sous le contrôle d'un administrateur, dans l'intérêt d'un ou plusieurs bénéficiaires ou pour la réalisation d'un objectif déterminé ; que le trust révocable et discrétionnaire ne constitue pas un simple instrument de gestion mais emporte, dès sa constitution, un transfert de propriété des biens au profit du trustee qui en détient la « propriété légale » ou « legal owneship » ; que les biens détenus dans un trust discrétionnaire et irrévocable appartiennent au seul trustee qui n'est pas un simple intermédiaire et dispose seul de pouvoirs excédant ceux d'un simple mandat de gestion dans la mesure où il a le pouvoir d'agir de façon discrétionnaire sur l'administration du trust et de décider ou pas de la distribution de revenus ou de capital ; qu'en affirmant que les biens mobiliers dépendant des trusts devaient être intégrés dans la succession de M. [S] [W], alors que le trustee était devenu propriétaire des biens figurant dans ces trusts dont M. [S] [W] n'avait plus la propriété, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs au regard de l'article 544 du code civil. »
Réponse de la Cour
8. Ayant retenu que les différentes entités créées de longue date par [S] [W], non comparantes en dépit de leur mise en cause, avaient, pour des considérations fiscales et familiales illicites, été détournées de leur fonctionnement normal par celui-ci, qui en avait conservé la maîtrise globale, ce qui caractérisait l'existence d'une fraude aux droits des héritiers, c'est sans excéder ses pouvoirs au regard de l'article 544 du code civil que la cour d'appel a décidé que les transferts apparents de droits au profit des entités [Adresse 15], Leuwin Assets, Artmuse, Masterart Fondation, Talley Investors et Artfond Fondation, étant inopposables aux héritiers, ne pouvaient être pris en compte pour la détermination de la masse des biens dépendant de la succession.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le sixième moyen
Enoncé du moyen
10. Mme [K] [L] fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à M. [Y] [W] la somme de 91 000 euros à titre de liquidation de l'astreinte, alors « que le juge statuant sur la liquidation de l'astreinte ne peut pas modifier le dispositif de la décision de justice servant de fondement aux poursuites ; que ce dispositif doit être apprécié strictement ; que l'ordonnance du 29 juin 2016 ordonnait sans ambiguïté uniquement à Mme [O] [W] et Mme [L] de produire la copie de « la transaction conclue par elles pour mettre fin au contentieux les opposant relatif au trust [Adresse 15] » ; qu'en reprochant à Mme [L] de n'avoir pas communiqué les raisons ayant conduit à mettre un terme à la procédure, peu importait qu'il y ait eu ou non un acte formalisant un accord, quand l'ordonnance se contentait d'ordonner la production de la copie de la transaction, la cour d'appel qui a modifié le dispositif de l'ordonnance du 29 juin 2016, a violé les articles L. 131-4 et R. 121-1 du code de procédures civiles. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 131-4 et R. 121-1 du code des procédures civiles d'exécution :
11. Selon le premier de ces textes, le taux de l'astreinte définitive ne peut jamais être modifié lors de sa liquidation.
12. Selon le second, le juge de l'exécution ne peut ni modifier le dispositif de la décision de justice qui sert de fondement aux poursuites ni en suspendre l'exécution.
13. Pour condamner Mme [K] [L] à payer à M. [Y] [W] une certaine somme au titre de la liquidation de l'astreinte, l'arrêt, après avoir constaté que, par ordonnance du 29 juin 2016, le juge de la mise en état a prescrit à celle-ci de produire la transaction conclue avec Mme [O] [W] pour mettre fin au contentieux les opposant au sujet du trust [Adresse 15], retient que, bien que le règlement de ce contentieux n'ait pas fait l'objet d'une transaction mais d'un échange de courriels entre les conseils des intéressées, les circonstances du litige impliquent de s'intéresser de façon évidente, non seulement à la fin de la procédure devant la cour royale de Jersey, mais également et surtout aux raisons ayant conduit à mettre un terme à la procédure.
14. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a modifié le dispositif de la décision de justice servant de fondement aux poursuites, a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
15. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
16. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne Mme [K] [L] à payer à M. [Y] [W] une somme de 91 000 euros à titre de liquidation d'astreinte, l'arrêt rendu le 3 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi.