Cass. 2e civ., 10 février 2022, n° 20-12.482
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Pireyre
Rapporteur :
M. Martin
Avocat :
SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bourges, 14 novembre 2019), par un jugement du 10 novembre 2016, un tribunal paritaire des baux ruraux, saisi par [S] [R], en sa qualité d'usufruitière, a prononcé la résiliation de trois baux à ferme qu'elle avait consentis à son fils, M. [M] [D], lequel avait mis les biens loués à la disposition de la société SCEA des Chaudières (la société).
2. Statuant sur l'appel interjeté par M. [M] [D] et la société, par arrêt du 6 juillet 2017, une cour d'appel a confirmé le jugement déféré et ordonné « l'expulsion de M. [M] [D], ainsi que celle de tous occupants de son chef et notamment de la société des Chaudières », sous astreinte de 15 euros par jour de retard.
3. [S] [R] est décédée le 8 novembre 2017, laissant pour lui succéder ses trois fils, MM. [H], [M] et [F] [D].
4. Par un jugement du 27 mars 2019, un juge de l'exécution a liquidé l'astreinte provisoire prononcée par l'arrêt du 6 juillet 2017, pour la période du 20 septembre 2017 jusqu'au 8 novembre 2017, et rejeté la demande de MM. [H] et [F] [D] aux fins de fixation d'une astreinte définitive.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. M. [M] [D] et la société des Chaudières font grief à l'arrêt de les condamner à payer à l'indivision successorale de [S] [D] la somme de 11 805 euros au titre de l'astreinte provisoire, alors :
« 1°/ qu'une décision d'expulsion sous astreinte d'un occupant sans droit ni titre perd son fondement juridique lorsque, postérieurement à cette décision, la personne condamnée acquiert un droit ou un titre lui permettant d'occuper le bien, l'astreinte ne pouvant dès lors plus être liquidée que pour la période antérieure à l'acquisition de ce droit ou de ce titre ; que chaque indivisaire peut user et jouir des biens indivis librement sans le consentement de ses coïndivisaires ; qu'en l'espèce, postérieurement à une décision ordonnant son expulsion sous astreinte d'un bien immobilier dont sa mère était usufruitière, M. [M] [D] a acquis, en raison du décès de sa mère, la qualité de propriétaire indivisaire dudit bien ; qu'en liquidant l'astreinte pour la période postérieure à la date à laquelle M. [M] [D] avait acquis une qualité lui permettant d'occuper librement le bien immobilier, ce dont il résultait qu'il ne pouvait plus ni être expulsé ni être condamné au paiement de l'astreinte pour ne pas avoir quitté les lieux, la cour d'appel a violé les articles 815-9 du code civil et L. 131-1 à L. 131-4 du code des procédures civiles d'exécution ;
2°/ que l'expulsion sous astreinte de la société des Chaudières n'a été ordonnée qu'eu égard à sa qualité d'occupante « du chef » de M. [M] [D], associé de cette société ; que cette décision a perdu son fondement juridique dès lors que M. [M] [D] n'était plus, en raison du décès de sa mère, occupant sans droit ni titre, mais pouvait, en sa qualité d'indivisaire, user et jouir librement du bien indivis ; qu'en liquidant cependant l'astreinte pour la période postérieure au décès de la mère de M. [M] [D], la cour d'appel a violé les articles 815-9 du code civil et L. 131-1 à L. 131-4 du code des procédures civiles d'exécution. »
Réponse de la Cour
Vu l'articles 815-9 du code civil et l'article L. 131-1 du code des procédures civiles d'exécution :
6. Selon le premier de ces textes, chaque indivisaire peut user et jouir librement des biens indivis sans le consentement de ses coïndivisaires. Selon le second, l'astreinte est une mesure accessoire à la condamnation qu'elle assortit.
7. Pour rejeter la demande de suppression des astreintes échues à compter du 8 novembre 2017, et condamner M. [M] [D] et la société à payer une certaine somme à ce titre jusqu'à la date du prononcé de l'arrêt, celui-ci retient que la décision devenue définitive ayant ordonné l'expulsion de M. [M] [D] et de la société ne saurait être remise en cause par le décès de [S] [R], qui a eu pour conséquence de transmettre ce droit à expulsion à ses héritiers sans qu'il ne s'éteigne par la confusion du patrimoine de la défunte avec celui de M. [M] [D], confusion qui n'aurait pu intervenir que si M. [M] [D] avait été son unique héritier ou si, le partage ayant eu lieu, cette créance lui avait été attribuée.
8. Il relève que la société n'a pas la qualité d'héritière de [S] [R] et énonce que M. [M] [D] ne peut seul, sans mandat tacite ou majorité des deux tiers des droits indivis, mettre à disposition ou louer les terres indivises à quiconque, ni les occuper seul, sans accord de ses cohéritiers ou autorisation judiciaire.
9. Il ajoute, enfin, que M. [M] [D] et la société ne contestent plus, en cause d'appel, occuper toujours les lieux et en jouir privativement, situation qui préjudicie nécessairement sur le plan matériel à l'indivision.
10. En statuant ainsi, alors qu'elle constatait que, par suite du décès de [S] [R], M. [M] [D] était devenu, avec ses cohéritiers, propriétaire indivis des terres dont son expulsion, et celle de tous occupants de son chef, avait été ordonnée, ce dont il résultait de plein droit la perte de fondement juridique de l'arrêt ayant ordonné l'astreinte, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le second moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
11. M. [M] [D] et la société des Chaudières font grief à l'arrêt de les condamner à payer à l'indivision successorale de [S] [D] la somme de 100 euros par jour de retard au titre de l'astreinte définitive à compter de la notification de l'arrêt, alors « que l'astreinte définitive ne peut être prononcée que pour une période que le juge détermine ; qu'en condamnant M. [M] [D] et la société des Chaudières au paiement d'une astreinte définitive sans fixer le terme du délai, la cour d'appel a violé l'article L. 131-2, alinéa 3, du code des procédures civiles d'exécution. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 131-2, alinéa 3, du code des procédures civiles d'exécution :
12. Selon ce texte, l'astreinte définitive ne peut être prononcée que pour une période que le juge détermine.
13. L'arrêt, après avoir liquidé l'astreinte provisoire, prononce une astreinte définitive de 100 euros par jour de retard à compter de sa notification, sans fixer le terme du délai.
14. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 14 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Bourges ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans.