Cass. com., 6 février 1996, n° 93-15.736
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bézard
Rapporteur :
M. Rémery
Avocat général :
M. Mourier
Avocats :
SCP Le Bret et Laugier, SCP Rouvière et Boutet, Me Copper-Royer, SCP Defrénois et Levis
Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 8 avril 1993), rendu en matière de référé, que la Banque du bâtiment et des travaux publics (la banque) s'est portée caution des sociétés composant le groupe d'entreprises de construction immobilière Guerra Tarcy au titre des différentes garanties dues par elles à leurs clients maîtres d'ouvrage ; qu'à chacune des sociétés Guerra Tarcy, un compte courant a été ouvert dans les livres de la banque destiné à enregistrer toutes les opérations entre celle-ci et celle-là, notamment, en portant à son débit le montant des versements faits par la banque au titre de ses engagements de caution ; que postérieurement, par jugement du 5 janvier 1993, l'ensemble des sociétés Guerra Tarcy a été mis en redressement judiciaire ; que, par lettre du 8 janvier suivant, ayant pris effet le 18 janvier 1993, l'administrateur commun des procédures collectives a demandé à la banque de procéder à la clôture des comptes courants et de lui remettre le montant de leurs soldes créditeurs ; que la banque, faisant valoir qu'elle serait fondée à porter au débit de chacun de ces comptes le montant des versements qu'elle serait obligée d'effectuer en exécution de ses engagements de caution, s'est opposée à cette dernière demande ; qu'estimant que la décision de la banque de retenir ainsi à titre de garantie les soldes créditeurs des comptes courants constituait un trouble manifestement illicite, les sociétés Guerra Tarcy et l'administrateur l'ont assignée devant le juge des référés afin d'obtenir la libération sous astreinte des fonds détenus par elle ;
Attendu que la banque reproche à l'arrêt d'avoir accueilli cette demande à concurrence d'une somme de 10 millions de francs, alors, selon le pourvoi, d'une part, que lorsque deux dettes sont connexes, le juge ne peut écarter la demande de compensation au motif que l'une d'elles ne réunit pas les conditions de liquidité et d'exigibilité et doit, bien au contraire, constater le principe de la compensation qui constitue, pour les parties, une garantie, sauf à ordonner toutes mesures pour parvenir à l'apurement des comptes ; qu'en matière de compte courant, il est de règle que les créances non encore payées peuvent être appréhendées en application du principe d'affectation générale, inhérent au mécanisme de garantie du compte courant, et figurer alors au différé, ce qui permet au banquier de retenir le solde créditeur jusqu'à ce que soient apurées les créances figurant au différé ; qu'ainsi, l'arrêt, sans relever que la survenance de la procédure collective aurait dégagé la banque des garanties fournies au groupe Guerra Tarcy, garanties précisément mises en oeuvre à cette occasion, comme il en est justifié, n'a privé la banque du droit de rétention à due concurrence, qu'elle invoquait, qu'au prix d'une violation des règles de la compensation pour connexité et des articles 33 et 37 de la loi du 25 janvier 1985, ensemble les articles 1134, 1289 et suivants du Code civil ; et alors, d'autre part, que les opérations à intégrer aux comptes courants, en vertu des conventions antérieures, se sont poursuivies après l'ouverture de la procédure collective et au moins jusqu'à la notification, le 18 janvier 1993, par l'administrateur de la clôture desdits comptes, mettant fin au mandat d'encaissement de la banque ; qu'en refusant de retenir les décaissements, constitutifs pour la banque de l'exécution de ses engagements contractuels antérieurs, ayant pour contrepartie le droit de débiter aussitôt les comptes courants, tel que stipulé dans la clause d'autorisation, bien que le mandat d'encaissement se soit poursuivi, après le 5 janvier 1993 et jusqu'à la notification précitée, ce qui impliquait l'inscription au différé des comptes jusqu'à ce moment au moins, l'arrêt attaqué a méconnu les conséquences légales de ses propres constatations et son devoir de favoriser le jeu de la compensation pour une connexité de dettes dûment établie, violant ainsi les articles 33 et 37 de la loi du 25 janvier 1985, ensemble les articles 1134, 1289 et suivants du Code civil ;
Mais attendu, d'une part, qu'après avoir relevé que l'existence des créances que la banque invoquait à l'encontre des sociétés du groupe Guerra Tarcy était subordonnée à l'exécution de son propre engagement de caution qui, seule, l'autorisait à débiter les comptes courants et que les maîtres d'ouvrage bénéficiaires de cet engagement ne lui avaient pas demandé, à due concurrence des sommes en litige, de payer, la cour d'appel en a exactement déduit que ces créances éventuelles n'étaient pas entrées en compte courant et que la banque ne pouvait donc, pour garantir le paiement de telles créances incertaines, retenir les soldes créditeurs des comptes courants ;
Attendu, d'autre part, que n'ayant pas constaté, contrairement aux allégations du moyen, qu'entre la date du jugement d'ouverture du redressement judiciaire et celle de la clôture des comptes courants, la banque aurait été obligée d'effectuer des versements au titre de son engagement de caution, ni que l'obligation d'effectuer ultérieurement de tels versements était certaine, bien que non encore exigible, la cour d'appel n'encourt pas le grief du moyen ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.