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Décisions

CA Lyon, 1re ch. civ. B, 20 février 2024, n° 21/06400

LYON

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Atat (Sté)

Défendeur :

Generali Assurance Iard (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Goursaud

Conseillers :

Mme Lemoine, Mme Lecharny

Avocats :

Me Abada, Me Loye, Me Dumoulin, Me Perinetti

TJ Roanne, du 1 mars 2021, n° 20/00569

1 mars 2021

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Par contrat signé le 8 novembre 2017, la société Atat a confié à M [D] la conception d'un site internet « Histoire d'une rencontre » pour un prix de 31 500 €.

Le site « Histoire d'une rencontre » avait pour but de créer un réseau social mondial francophone avec une partie Chat permettant aux internautes d'échanger en privé.

Le contrat faisait référence au cahier des charges, élaboré par le client, décrivant l'ensemble des fonctionnalités attendues dans le site.

A la livraison, la société Atat s'est plaint de nombreuses défaillances fonctionnelles du site.

Par ordonnance du 20 décembre 2018, le juge des référés a confié une mesure d'expertise à M [O], qui a déposé son rapport au cours de l'été 2019.

Selon le rapport d'expertise, il existe des bugs mineurs qui auraient dû être vus et corrigés avant la livraison dans le cadre de la phase test. L'expert a évalué à 28 heures le temps nécessaire pour procéder aux corrections.

Par ailleurs, l'expert a indiqué qu'un module complémentaire devait encore être intégré pour assurer l'effectivité de la partie chat, pour un coût de 2 000 € environ.

Il a également mis en avant le choix inadapté de l'outil Wordpress pour concevoir le site, qui serait susceptible de générer des difficultés de mise à jour, ainsi qu'un coût de maintenance important. L'expert a cependant relevé que la rédactrice du cahier des charges de la société Atat disposait des capacités techniques suffisantes pour percevoir les implications de ce choix et qu'en l'acceptant, elle a concouru à son propre dommage à long terme.

Par exploit d'huissier de justice du 22 juillet 2020 et du 6 août 2020, la société Atat a fait assigner M [D] et sa compagnie d'assurance, la société Generali (l'assureur) devant le tribunal judiciaire de Roanne.

Par jugement du 1er mars 2021, le tribunal judiciaire de Roanne a :

- condamné M [D], au titre de sa responsabilité contractuelle, à payer à la société Atat, en indemnisation de son préjudice, les sommes suivantes :

* la somme de 11 000 € en réparation du préjudice matériel,

* la somme de 18 000 € au titre des pertes d'exploitation,

- condamné M [D] à payer à la société Atat, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 2 000 €,

- condamné la société Generali à relever et garantir M [D] des condamnations prononcées contre lui, sous réserve de la franchise de 750 € prévue au contrat au titre des dommages immatériels,

- dit n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire de la présente décision,

- rejeté toutes les autres demandes,

- condamné M [D] et la société Generali in solidum aux entiers dépens, en ce inclus le coût de l'expertise ordonnée en référé.

Par déclaration du 31 juillet 2021, la société Atat a interjeté appel de ce jugement.

Par ordonnance du 17 mars 2022, le conseiller de la mise en état s'est déclaré incompétent pour statuer sur la demande d'expertise sollicitée par la société Atat.

Aux termes de ses dernières conclusions, notifiées le 31 octobre 2022, la société Atat demande à la cour de :

- confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a :

- dit et jugé bien fondée l'action intentée par elle à l'encontre de Mr [D] et son assureur,

- dit et jugé que Mr [D] a engagé sa responsabilité contractuelle à l'égard de sa cliente,

- reconnu l'obligation de garantie et de couverture de la compagnie Generali,

- infirmer le jugement de première instance en ce qu'il a :

- limité l'indemnisation de la société Atat à :

* la somme de 11 000 € au titre du préjudice matériel,

* la somme de 18 000 € au titre de sa perte d'exploitation.

- débouter la société Atat de sa demande d'expertise formulée à titre subsidiaire et avant dire droit,

Et statuant à nouveau,

- condamner solidairement M [D] et son assureur, la société Generali, à lui verser les sommes de :

* 31 500 € correspondant au coût engagé par la société Atat pour un site non utilisable,

* 15 000 € au titre de son préjudice de jouissance,

* 2 000 € au titre de son préjudice matériel,

* 250 000 € au titre de sa perte d'exploitation,

* 2 000 € au titre de son préjudice de temps passé à préparer l'audience.

A titre subsidiaire, et si la cour ne s'estimait pas suffisamment informée :

- ordonner une expertise avec pour mission spécifique de chiffrer le préjudice de la société Atat au titre de sa perte d'exploitation,

En tout état de cause,

- condamner les mêmes solidairement à lui verser la somme de 4 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et à supporter les entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de Maître Houda Abada, avocat sur son affirmation de droit, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 31 janvier 2022, M [D] demande à la cour de :

- confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a condamné la société Generali à le relever et garantir des condamnations prononcées contre lui, sous réserve de la franchise de 750 € prévue au contrat au titre des dommages immatériels.

- réformer le jugement,

Et statuant à nouveau :

- dire et juger mal fondée la demande de la société Atat en remboursement de la somme de 31 500 €,

- juger que le coût des travaux pour remédier aux désordres susceptibles d'être mis à la charge de M [D] ne saurait excéder la somme de 2 700 € HT,

- juger mal fondée la demande de la société Atat au titre du préjudice de jouissance,

- juger mal fondée la demande de la société Atat au titre du préjudice matériel,

- juger mal fondée la demande de la société Atat au titre du temps passé pour préparer l'audience,

- juger mal fondée la demande de la société Atat au titre de la perte d'exploitation,

A titre subsidiaire,

- juger que la perte d'exploitation ne peut s'apprécier que sur une seule année et ne peut excéder le résultat prévisionnel envisagé pour la première année d'exploitation,

- débouter la société Atat de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- juger que la société Atat et M [D] supporteront chacun par moitié les dépens, M [D] étant relevé et garantie par Generali, dépens distraits au profit de la SCP Juri-Europ.

Aux termes de ses dernières conclusions, notifiées le 14 décembre 2022, la société Generali demande à la cour de :

- réformer le jugement dont appel en ce qu'il :

- condamne M [D] au titre de sa responsabilité contractuelle à payer à la SAS Atat en indemnisation de son préjudice les sommes suivantes :

* la somme de 11 000 € en réparation du préjudice matériel,

* la somme de 18 000 € au titre des pertes d'exploitation,

- condamne M [D] à payer à la SAS Atat en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile la somme de 2 000 €,

- condamne la société Generali à relever et garantir M [D] des condamnations prononcées contre lui, sous réserve de la franchise de 750 € prévue au contrat au titre des dommages immatériels,

- dit n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire de la présente décision,

- rejette toutes les autres demandes,

- condamne M [D] et la société Generali in solidum aux entiers dépens de la présente instance, en ce inclus le coût de l'expertise ordonnée en référé,

Statuant à nouveau:

A titre principal,

- juger que la police d'assurance Generali (avec franchise contractuelle de 750 €) ne couvre pas les demandes sollicitées par la société Atat à l'encontre de la société Generali, que ce soit au titre de la prestation de l'assuré, ou au titre des autres demandes ; et dont M [D] sollicite à tort la garantie,

- juger la police d'assurance Generali, sa franchise applicable, ses plafonds de garantie et ses exclusions contractuelles opposables à la société Atat et à M [D],

En conséquence,

- débouter la société Atat et M [D] de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions dirigées à l'encontre la société Generali,

A titre subsidiaire

Et si par impossible la cour estimait que la garantie de la société Generali était pour partie applicable :

- juger mal fondée la demande de la société Atat en remboursement de la somme de 31.500€ au regard de l'exclusion de garantie de la société Generali afférente au «remboursement, la réparation, le remplacement, la mise au point, le parachèvement de tout ou partie des produits ou des prestations, livrés ou exécutées par l'assuré, ses sous-traitants ou toute personne agissant pour son compte ainsi que les frais afférents»,

- débouter purement et simplement la société Atat de cette demande et M [D] de sa demande de garantie afférente à l'encontre de la société Generali,

Plus subsidiairement sur ce poste de préjudice,

- juger que le coût des travaux pour remédier aux désordres susceptibles d'être mis à la charge de M [D] ne saurait excéder la somme de 2 700 € HT,

- limiter par voie de conséquence toute demande de la société Atat quant au coût des travaux pour remédier aux désordres à la somme de 2 700 €,

- rejeter en tout état de cause toute demande de toute partie à l'encontre de la société Generali au titre du coût des travaux pour remédier aux désordres de la société Atat susceptibles d'être mis à la charge de M [D] au regard de l'exclusion de garantie de la société Generali,

- rejeter la demande de la société Atat au titre du préjudice de jouissance et l'en débouter,

- rejeter la demande de la société Atat au titre du préjudice matériel et l'en débouter,

- rejeter la demande de la société Atat au titre du temps passé pour préparer l'audience et l'en débouter,

- rejeter la demande de la société Atat au titre de la perte d'exploitation et l'en débouter,

- rejeter la demande de M [D] de voir confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Generali à le relever et garantir des condamnations prononcées contre lui, sous réserve de la franchise de 750 € prévue au contrat au titre des dommages immatériels ; et l'en débouter,

Par voie de conséquence :

- débouter toute partie de toute demande dirigée à l'encontre de la société Generali,

Plus subsidiairement encore,

- juger que la perte d'exploitation ne peut s'apprécier que sur une seule année et ne peut excéder le résultat prévisionnel envisagé pour la 1 ère année d'exploitation,

- limiter toute indemnisation de la société Atat à ce montant et rejeter toute demande contraire,

- rejeter toutes autres demandes contraires de la société Atat et de M [D] et les en débouter.

- s'agissant des préjudices immatériels, limiter les plafond et franchise applicables - et opposables par la société Generali à toutes les parties - à ceux afférents aux «dommages immatériels non consécutifs » à savoir un plafond contractuellement fixé à la somme de 100 000 € par année d'assurance, et une franchise à hauteur de 750 € restant à la charge de M [D],

- juger ainsi que la garantie responsabilité contractuelle professionnelle concernant les dommages immatériels non consécutifs est limitée à un plafond de 100.000 € outre une franchise à hauteur de 750 €,

- limiter ainsi toutes demandes à l'encontre de la société Generali et formulées par la société Atat et M [D] à la somme de 100 000 €, avec franchise de 750 € à déduire restant à la charge de Mr [D],

- débouter ainsi la société Atat et M [D] de toute demande formulée à l'encontre de la société Generali au-delà de la somme de 100 000 € susvisée, dont à déduire également la somme de 750 € à titre de franchise et restant à la charge de M [D],

A titre infiniment subsidiaire sur la demande d'expertise formulée par la société Atat,

- confirmer la décision dont appel en ce qu'elle a débouté la société Atat de sa demande d'expertise à titre subsidiaire et avant dire droit,

- débouter par voie de conséquence la société Atat de ladite demande,

En tout état de cause,

- condamner la société Atat, ou qui mieux le devra, d'avoir à payer à la société Generali la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Atat ou qui mieux le devra, aux entiers dépens de 1ère instance et d'appel.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 16 février 2023.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

Motivation

MOTIFS DE LA DECISION

A titre liminaire, il y a lieu d'observer que ni M. [D] ni l'assureur ne remettent en cause le fait que M. [D] a, en son principe, engagé sa responsabilité contractuelle à l'égard de la société Atat. Seuls restent en débat, la garantie de l'assureur et le montant des préjudices subis par la société Atat.

1. Sur la liquidation des préjudices de la société Atat

* Sur la reprise des désordres

La société Atat sollicite le remboursement de l'intégralité du prix de la prestation réalisée par M. [D], soit la somme de 31 500 €. Elle fait notamment valoir que:

- elle a versé 31 500 € à M [D] sans aucune contrepartie, le site étant inexploitable sans que M [D] ne propose de remédier à ce problème,

- aucun prestataire ne prendra le risque d'engager sa responsabilité en poursuivant son travail, le site comportant tellement de bugs que la correction de l'un d'entre eux risque d'entraîner des dysfonctionnements supplémentaires,

-cette somme constitue un préjudice entièrement indemnisable et n'est pas consécutive à une demande de résolution de contrat,

- le fait que Mme [F], dirigeante de la société, ait des compétences en matière informatique n'induisait pas qu'elle avait la capacité de connaître l'outil le plus adapté à la création du site.

M [D] propose quant à lui de verser la somme de 2 700 € HT, en faisant notamment valoir que:

- la demande de remboursement de la somme de 31 500 € est excessive au regard de l'expertise qui avait prévu un budget de 2.700 € à 5 .900 € HT pour remédier aux désordres constatés,

- la Société Atat n'a rien entrepris pour remédier à ces modestes dysfonctionnements,

- la fourchette haute de l'estimation chiffrée par l'expert correspond à une société structurée, de sorte que c'est la fourchette basse de l'estimation chiffrée par l'expert qui sera retenue soit 2 700 € HT,

- cette demande de 31 500 € ne pourrait s'entendre que dans le cas d'une demande en résolution du contrat qui serait rejetée en présence de dysfonctionnements mineurs.

Réponse de la cour

L'expert, M. [O], désigné par le juge des référés, a réalisé sa mission en répondant de façon précise et complète aux questions qui lui étaient posées. Il a disposé de l'ensemble des pièces produites par les parties, entendu chacune d'entre elles et a répondu à leurs dires. Il n'existe aucune critique sérieuse de nature à remettre en cause l'analyse et les conclusions de l'expert judiciaire qui a complètement et objectivement rempli sa mission. Dès lors, ce rapport servira de base d'appréciation à la cour sur les prétentions faites par les parties.

Selon ce rapport, :

- « hormis le module de chat video, le site présente dans sa globalité l'essentiel des fonctionnalités décrites dans le cahier des charges. Environ 50% du site respecte le guide des bonnes pratiques de Wordpress.(...) L'utilisation du module de chat vidéo sélectionné par la société Atat ne proposant pas 100% des fonctionnalités décrites dans le cahier des charges, il faut prévoir un budget d'environ 2 000 euros HT pour l'intégrer au site HDR et lui adjoindre les fonctionnalités manquantes dans le cahier des charges. »,

- « Hormis le module de chat vidéo, le site est finalisé à 95%. Des corrections de bugs mineurs sont à réaliser et ont été estimées à environ 28 heures de travail par le sapiteur. »,

- « Le coût estimé pour régler ces dysfonctionnements est celui correspondant à environ 28 heures de travail (...) Ce qui permet d'obtenir un budget de l'ordre de 2 700 euros à 5 900 euros HT (...) Le coût lié à l'intégration du module vidéo chat sélectionné par la société Atat est de l'ordre de 2 000 euros HT selon l'éditeur du module vidéo. »

Il en résulte que contrairement à ce qui est soutenu par la société Atat, elle n'a pas versé la somme de 31 500 € à M [D] sans aucune contrepartie, des corrections mineures restant à finaliser, représentant environ 28 heures de travail, ainsi que l'intégration d'un module vidéo chat.

Par ailleurs, la société Atat ne démontre pas qu'elle a essayé en vain de faire réparer les désordres par une autre société, de sorte qu'il n'est pas démontré, ainsi qu'elle le soutient, qu'aucune société n'acceptera d'y remédier.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, il convient de condamner M. [D] à payer à la société Atat la somme de 7 900 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice correspondant à la nécessité de faire reprendre les désordres.

Le jugement est infirmé de ce chef.

* Sur le préjudice de jouissance

La société Atat sollicite à ce titre la somme de 15 000 €, faisant notamment valoir que:

- les deux préjudices - de jouissance et d'exploitation- sont bien distincts, la jouissance d'un bien étant distincte du gain d'exploitation de ce même bien, le préjudice de jouissance correspond à la perte du droit d'en jouir pendant un certain temps déterminé, et non pas au gain qui peut en être tiré,

- la société Atat aurait dû jouir de son site depuis plus de 4 ans, en vivre et se réaliser au travers l'exercice de son activité,

- elle n'a pas pu procéder à la correction de bugs du site, aucun prestataire n'acceptant d'engager sa responsabilité au risque de créer de nouveaux dysfonctionnements sur le site.

M [D] fait valoir en réplique que :

- il n'existe pas de préjudice de jouissance à exploiter un site ; si ce site avait fonctionné dès fin 2018, la société Atat l'aurait exploité plus tôt et sa demande se confond donc avec sa prétendue perte d'exploitation,

- la société Atat pouvait parfaitement exploiter son site juste après le dépôt du rapport en juin 2019, en faisant intervenir un spécialiste WordPress pour un coût modeste,

- la société Atat a même indiqué à deux reprises à l'expert vouloir trouver un arrangement amiable avec M [D], ce qu'elle n'a en réalité jamais recherché.

Réponse de la cour

Ainsi que l'ont à juste titre relevé les premiers juges, le préjudice de jouissance tel que revendiqué par la société Atat, qui correspond à l'impossibilité de profiter de la prestation, qui a pour objet de générer des revenus, correspond à la perte de profit donc à la perte d'exploitation, dont l'indemnisation est demandée par ailleurs.

Confirmant le jugement, il convient de débouter la société Atat de cette demande.

* Sur le préjudice matériel

La société Atat sollicite à ce titre la somme de 2 000 €, correspondant aux intérêts d'un prêt qu'elle a dû souscrire, en faisant valoir que :

- ce prêt a été souscrit directement à titre personnel par Mme [F], qui en règle les échéances, pour pouvoir faire face à l'ensemble des charges de la société Atat dont, le coût du site internet versé à Mr [D], le coût des frais de procédure, de la consignation de l'expert et des frais d'expertise, pour assurer son besoin en fonds de roulement, en l'absence de recettes provenant du site litigieux.

- ce prêt est distinct de celui qui a été souscrit par la société Atat pour l'acquisition et le financement du site internet.

M [D] fait valoir en réplique :

- que la société Atat n'établit pas l'objet de son prêt, qui était d'abord de financer la procédure, puis d'assurer le besoin en fonds de roulement.

- si il s'agit du financement de la procédure, cela entre alors dans le champ de l'article 700 du code de procédure civile,

- mais s'il s'agit d'assurer le besoin en fonds de roulement alors sa demande ne tient pas car il s'agit d'une charge que la société Atat aurait nécessairement dû supporter car elle n'aurait pas enregistré de chiffre d'affaires dès le 1er jour de l'exploitation du site, - cet emprunt était prévu dans son prévisionnel indiquant qu'il lui fallait un fonds de roulement de 32 492 € dès la 1ère année.

Réponse de la cour

Le financement du « fonds de roulement » dont la société Atat demande l'indemnisation dont l'objet est flou, correspond à des postes de préjudice dont ll'indemnisation est examinée par ailleurs, tels que les dépens, les frais irrépétibles, la perte d'exploitation, les désordres affectant le site internet...

Confirmant le jugement, il convient de débouter la société Atat de cette demande.

* Sur la perte d'exploitation

La société Atat sollicite à ce titre la somme de 250 000 € ou, à titre subsidiaire, que soit ordonnée une expertise, faisant notamment valoir que:

- son objet social se limite à l'exploitation du site,

- le site n'ayant pu être exploité, la société et ses dirigeants se sont retrouvés privés de tout revenu depuis 4 ans,

- au nom du principe de la réparation intégrale, son préjudice ne saurait être calculé sur son prévisionnel, qui est un document établi avant le litige et dont l'objet est distinct,

- la réparation doit être calculée à partir d'éléments contemporains au litige, tels que la méthode par comparaison avec des sites similaires, en y appliquant évidemment une décote au regard de la différence de renommée,

- dans un premier temps, la société Atat a eu recours à des outils et logiciels utilisés par les professionnels du référencement, notamment le logiciel Sem Rush permettant de manière fiable d'indiquer le volume de recherche d'un mot-clé sur Internet que ce soit en France ou à l'International,

- 3 mots clés qui auraient permis d'accéder au site ont été choisis : vision tchat ; tchat; tchat vidéo. Les résultats indiquent que sur un mois ces mots clés ont été tapés sur Google dans 4 pays francophones 1 107 990 fois, soit autant de recherches qui auraient mené au site,

- l'indemnisation de la société Atat repose sur la perte de chance de capter ces visiteurs, il peut être estimé qu'elle aurait pu capter 2% de ces recherches, soit 22 159 visites par mois, sur ces 22 159 visites, il peut également être raisonnablement estimé un pourcentage de vente de 3% qui correspond au pourcentage de conversion moyen pour un site de vente, cela représente une perte de chance de procéder à 663 ventes par mois, avec un panier moyen de 25 €, dès lors, la perte d'exploitation représente 198.900 € par année,

- dans un second temps, elle a eu recours aux services d'un expert judiciaire, M. [E], auquel elle a réclamé la réalisation d'une expertise technique portant sur la comparaison entre l'activité du site anglophone Comfrog développé par la société Paltalk par rapport à celle qui était projetée par la société Atat, car il n'existe aucun équivalent d'Histoire d'une rencontre sur le marché francophone,

- l'expert conclut que seuls deux outils, étrangers et ne captant pas la clientèle francophone, sont comparables à « Histoire d'une rencontre », à savoir « Paltalk » et « Comfrog »,

- Les résultats de la société Paltalk se chiffrent en plusieurs millions de dollars, dès lors sa demande n'est pas excessive,

- d'autant que les pertes supposées s'avèrent plus grande encore puisque le site aurait dû être lancé en 2018, avant le confinement, propice à la fréquentation d'un site comme « Histoire d'une rencontre ».

M [D] fait notamment valoir que :

- le retard d'exploitation a pu avoir une incidence financière, mais cette incidence est loin d'être aussi élevée que le prétend la société Atat, car si le site était aussi rentable qu'elle l'affirme elle aurait dû procéder immédiatement aux travaux de remise en état d'un coût minime au regard des pertes d'exploitation alléguées, de l'ordre de 198.900 € par an,

- elle aurait pu exploiter le site dès le dépôt du rapport de l'expert, de telle sorte que sa demande sur 2 années n'est pas justifiée,

- le prévisionnel estimait un résultat de 13 035 € la 1ère année et de 15 596 € la 2ème année, de sorte que la perte d'exploitation de la société Atat susceptible d'être retenue ne saurait être supérieure au résultat prévisionnel de la 1ère année (13 035 €), d'autant plus que ce chiffre est fréquemment surestimé, compte tenu de la concurrence sur internet et du temps nécessaire pour acquérir une notoriété,

- la comparaison avec d'autres sites dont la notoriété est déjà acquise, n'est absolument pas fondée,

- enfin la société Atat n'a fourni aucun élément chiffré à l'expert pour estimer le préjudice,

- faute d'éléments probants sa demande sera rejetée ou du moins réduite dans des proportions très importantes pour ne pas excéder la somme maximale du résultat d'exploitation prévu dans le prévisionnel pour la 1ère année.

La société Generali s'accorde avec M [D].

Réponse de la cour

Ainsi que l'ont exactement retenu les premiers juges, le document prévisionnel est une estimation des gains futurs et la base de calcul du nombre d'achats en fonction du nombre de connexions au site, à partir de mots clés utilisés de façon très courante, ou par comparaison avec des sites dont la notoriété est déjà acquise, est parfaitement théorique.

En revanche, ainsi que le soutient la société Atat, les désordres affectant le site l'ont empêché d'utiliser le site, ce qui représente pour elle une perte de chance de réaliser des gains et l'ont privée de tout revenu durant quatre ans.

Cette perte de chance doit être évaluée à partir du dossier prévisionnel, qui est un document objectif, établi par un expert-comptable, pour la société Atat, avant le litige.

Compte tenu de la concurrence très importante existant dans le secteur des sites de rencontre sur internet, il y a lieu d'évaluer la perte de chance à 30% des gains espérés, ramenés sur quatre ans, avec une évolution du résultat d'environ 30%, ainsi que le retient le document prévisionnel et d'allouer à la société Atat la somme de 25 000 euros.

En conséquence, par infirmation du jugement, il convient de condamner M. [D] à payer à la société Atat la somme de 25 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice lié à la perte d'exploitation du site.

* Sur le préjudice de temps passé

La société Atat sollicite à ce titre la somme de 2 000 €, faisant notamment valoir que:

- la préparation de la procédure en cours a nécessité trois réunions d'expertise de plusieurs heures chacune, soit une durée de près de 10 heures au total, ainsi que le temps passé par son conseil pour rassembler les éléments nécessaires à la procédure et à l'expertise,

- Mme [F], une des dirigeante de la société Atat, occupe parallèlement un emploi pour pouvoir subvenir aux besoins de sa famille, faute de site internet à exploiter, et a dû prendre sur ses jours de congés pour pouvoir participer aux réunions d'expertise,,

- ce poste de préjudice tenant essentiellement au temps consacré, par la société Atat, à la conduite de son dossier, ne saurait être confondu avec les sommes allouées au titre de l'article 700 du code de procédure civile qui vise uniquement le remboursement de tout ou partie des frais exposés pour son conseil.

M [D] fait valoir en réplique que ce temps passé constitue des frais irrépétibles et qu'il n'est donc pas possible de présenter une telle demande, distincte de celle faite au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Réponse de la cour

Ainsi que l'ont retenu à juste titre les premiers juges, cette demande se confond avec celle présentée au titre des frais irrépétibles.

Le jugement est donc confirmé.

2. Sur la garantie de l'assureur

La société Generali sollicite la réformation du jugement en ce qu'il l'a condamnée à relever et garantir M [D] des condamnations prononcées contre lui.

Elle fait notamment valoir que :

- le contrat d'assurance a été résilié le 5 juin 2018, alors qu'il était en base «réclamation», de sorte que l'assureur appelé en garantie doit être celui dont le contrat est en cours à la date de la réclamation, et il appartenait donc au nouvel assureur en place le 22 octobre 2018, date de délivrance de l'assignation en référé, de prendre en charge le sinistre. Or M [D] n'a pas souscrit de nouveau contrat d'assurance.

-si le contrat d'assurance est considéré comme applicable, aucune des demandes formulées ne se sont garanties,

- les conditions générales excluant de la garantie « le remboursement, la réparation, le remplacement, la mise au point, le parachèvement de tout ou partie des produits ou des prestations, livrés ou exécutées par l'assuré, ses sous-traitants ou toute personne agissant pour son compte ainsi que les frais afférents », la demande de la société Atat afférente à la prise en charge du coût de la prestation de M [D] à hauteur de 31.500 € doit être rejetée,

- il s'agit d'une clause limitée conformément aux dispositions de l'article L. 113-1 du code des assurances, ce qui la rend opposable à M [D] et à la société Atat,

- les conditions générales du contrat excluant également de la garantie les «dommages immatériels non consécutifs résultant d'un défaut de conformité aux engagements contractuels de l'assuré», les autres demandes de la société Atat afférentes à l'indemnisation des dommages immatériels doivent être rejetées car l'expert a estimé que « les causes [du dommage] sont un manque de tests élémentaires et de conformité au cahier des charges qui auraient dû être réalisés par le développeur du site ».

La société Atat sollicite la confirmation du jugement sur ce point, faisant valoir que :

- elle a adressé à M. [D], avant la résiliation du contrat, plusieurs courriels et courriers recommandés valant réclamation au sens de l'article L124-5 du code des assurances, qui exige seulement une réclamation adressée à l'assuré, sans imposer aucune forme pour matérialiser cette réclamation,

- même si la réclamation n'était matérialisée que par l'assignation, elle a été formulée pendant le délai subséquent après la résiliation, alors qu'aucune nouvelle assurance n'a été souscrite par M [D], de sorte que la garantie est due,

- si la discussion reste ouverte sur la garantie de l'assureur au titre du préjudice lié à la réparation des désordres, elle doit nécessairement être mise en jeu au titre de la perte d'exploitation car la clause d'exclusion qui vise « les dommages immatériels non consécutifs résultant d'un défaut de conformité aux engagements contractuels de l'assuré » contrevient aux dispositions du contrat qui couvre la responsabilité de l'assuré, en le vidant de son objet, et doit donc être déclarée nulle.

M [D] sollicite d'être relevé et garanti par son assureur, faisant valoir que :

- il était assuré auprès de la société Generali, qui a versé aux débats en référé le contrat Pro ainsi que les dispositions générales et particulières,

- en page 23 des dispositions générales du contrat, il est indiqué que « l'ancienne et la nouvelle garantie sont enclenchées par le fait dommageable. La garantie qui est activée par la réclamation est celle qui était en cours de validité à la date de survenance du fait dommageable »,

- la garantie lui est donc acquise.

Réponse de la cour

En premier lieu, page 6 des conditions générales du contrat d'assurance « 100% Pro services » liant l'assureur à M. [D], il est mentionné sous le titre « Fonctionnement de la garantie », paragraphe « Application de la garantie dans le temps » que, « la garantie de responsabilité est déclenchée par la réclamation. Elle couvre l'assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres: dès lors que le fait dommageable est antérieur à la date de résiliation ou d'expiration de la garantie de responsabilité et que la première réclamation est adressée à l'assuré ou à son assureur entre la prise d'effet initiale de la garantie de responsabilité et l'expiration d'un délai de CINQ ANS, ou DIX ANS lorsqu'une réglementation impérative le prévoit, après sa date de résiliation ou d'expiration, quelle que soit la date des autres éléments constitutifs des sinistres (...) ».

Il est constant entre les parties que M. [D] était assuré auprès de son assureur au titre de son activité professionnelle du 25 février 2015 au 5 juin 2018, date d'effet de la résiliation.

Le fait dommageable, consistant en la livraison d'un site défectueux en mars 2018, s'est produit avant la résiliation et la réclamation, qui a été adressée à M. [D] par la société Atat, d'abord par des courriels du 11 juin 2018, puis une lettre recommandée du 13 juin 2018 et enfin une assignation en référé du 22 octobre 2018, est intervenue dans le délai de 5 ans après la résiliation, de sorte que l'assureur est tenu de garantir M. [D] des condamnations prononcées contre lui qui entrent dans le champ des garanties contractuelles.

En deuxième lieu, en page 8 des conditions générales est exclu de la garantie « le remboursement, la réparation, le remplacement, la mise au point, le parachèvement de tout ou partie des produits ou des prestations, livrés ou exécutés par l'assuré, ses sous-traitants ou toute personne agissant pour son compte ainsi que les frais y afférents. »

Cette clause, qui a vocation à exclure de la garantie l'exécution même de la prestation est applicable puisque limitée, en excluant seulement les coûts afférents aux dommages subis par la prestation, sans vider la garantie de son objet.

En conséquence, l'assureur n'est pas tenu de garantir le préjudice lié à la réparation des désordres affectant le site.

En troisième lieu, si en page 8 des conditions générales, sont exclus « les dommages immatériels non consécutifs résultant d'un défaut de conformité aux engagements contractuels de l'assuré », soit aux termes du glossaire de l'assureur, les préjudices économiques, financiers et moraux « survenant en l'absence de tout dommage corporel et/ou matériel ou faisant suite à des dommages corporels et/ou matériels non garantis par le présent contrat », force est de constater que cette clause, bien trop large, vide le contrat responsabilité civile professionnelle de la société Atat de son objet.

En conséquence, il convient d'écarter cette clause et de condamner l'assureur à garantir M. [D] de la condamnation mise à sa charge de payer à la société Atat la somme de 25 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice lié à la perte d'exploitation du site, déduction faite de la franchise de 750 euros prévue au contrat.

En revanche, il n'y a pas lieu de faire application du plafond de garantie de 100 000 euros, qui n'est pas atteint.

Le jugement est infirmé de ces chefs.

3. Sur les autres demandes

Le jugement est confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la société Atat, en appel. M. [D] et l'assureur sont, chacun, condamnés à lui payer à ce titre la somme de 2.000 €.

Les dépens d'appel sont à la charge de M. [D] et l'assureur qui succombent en la majorité de leurs demandes.

Dispositif

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Infirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il condamne M. [D] à payer à la société Atat la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, condamne M. [D] et la société Generali in solidum aux dépens de l'instance, en ce inclus le coût de l'expertise ordonnée en référé,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne M. [D] à payer à la société Atat la somme de 7 900 euros au titre de la reprise des désordres,

Condamne M. [D] à payer à la société Atat la somme de 25 000 euros au titre du préjudice d'exploitation,

Déboute la société Atat au titre de l'indemnisation des autres préjudices,

Condamne la société Generali, sous réserve de la franchise de 750 euros à déduire, à relever et garantir M. [D] des autres condamnations prononcées contre lui, à l'exception de la condamnation au titre de la reprise des désordres,

Condamne M. [D] à payer à la société Atat, la somme de 2.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Generali à payer à la société Atat, la somme de 2.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties de toutes leurs autres demandes,

Condamne in solidum M. [D] et la société Generali aux dépens de la procédure d'appel, et accorde aux avocats qui en ont fait la demande le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.