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Décisions

CA Bordeaux, 4e ch. civ., 20 février 2024, n° 23/04430

BORDEAUX

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Franco

Conseillers :

Mme Goumilloux, M. Gettler

Avocats :

Me Kechad, Me Wickers, Me Capoul

T. com. Bergerac, du 13 sept. 2023, n° 2…

13 septembre 2023

EXPOSE DU LITIGE

Par jugement en date du 08 novembre 2017, le tribunal de commerce de Bergerac a ouvert une procédure de redressement judiciaire de Monsieur [P] [W], entrepreneur individuel exerçant une activité de travaux agricoles, convertie en liquidation judiciaire le 21 février 2018.

Par jugement en date du 24 mai 2019, le même tribunal a prononcé la sanction de faillite personnelle à l'encontre de M. [W], pour une durée de dix années.

M. [W] est redevable de plusieurs dettes fiscales.

Le comptable public au pôle de recouvrement spécialisé de [Localité 4] a, par acte du 28 avril 2023, saisi le tribunal de commerce de Bergerac afin de faire ouvrir une procédure de liquidation judiciaire de M. [W].

Par jugement réputé contradictoire du 13 septembre 2023, le tribunal a statué comme suit :

- constate que M. [W] est radié du RCS de Bergerac depuis le 27 juin 2019,

- en conséquence, faisant application des dispositions de l'article L. 631-5 du code de commerce, déboute le comptable public de sa demande,

- laisse les dépens à la charge de M. [W], taxés et liquidés pour les frais de greffe à la somme de 170,26 euros,

- dit que ces dépens seront avancés par le demandeur.

Le comptable public a relevé appel de cette décision par déclaration du 26 septembre 2023.

Par actes des 19 octobre et 07 novembre 2023, le comptable public a fait signifier sa déclaration d'appel et ses conclusions à M. [W].

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par dernières écritures notifiées par RPVA le 29 novembre 2023, auxquelles la cour se réfère expressément, le comptable public, demande à la cour de :

- le déclarer recevable et bien fondé en son appel,

- la réformation de la décision entreprise,

Vu les dispositions des articles L. 640-1 et suivants du code de commerce, L. 631-1 du code de commerce, R. 640-1 du code de commerce ainsi que R. 600-1 et R. 631-2 du code de commerce,

Vu le jugement de faillite personnelle et la poursuite de l'activité,

- prononcer la liquidation judiciaire de M. [W], avec toutes conséquences que de droit,

- procéder à la désignation des organes de la procédure collective,

- ordonner l'emploi des dépens en frais privilégiés de la procédure collective.

Par dernières conclusions notifiées le 4 janvier 2024, M [P] [W] demande à la cour de :

- déclarer recevable mais mal fondé l'appel formé par le comptable public responsable du pôle de recouvrement spécialisé de [Localité 4],

Au principal,

- confirmer le jugement déféré,

Subsidiairement,

- juger qu'il n'exerce plus aucune activité commerciale puisqu'il est actuellement ouvrier agricole.

Par avis du 04 décembre 2023, le ministère public, demande à la cour de :

Sur la recevabilité de l'appel,

- l'appel est recevable, formé dans les délais et conditions requises en application des articles 538, 546 et 901 du code de procédure civile,

Sur le fond,

- infirmer le jugement en ce qu'il a débouté le comptable public de sa demande d'assignation de M. [W] devant le tribunal de commerce de Bergerac aux fins de le voir déclarer en état de redressement judiciaire.

L'affaire a été fixée à bref délai.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions écrites déposées.

MOTIFS DE LA DECISION

1- Le comptable public fait valoir que M. [W] figure toujours comme commerçant au SIRENE, sur infogreffe et sur toutes les bases de données, qu' il n'est toujours par radié malgré le jugement de clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif du 8 septembre 2021 et de la réquisition de radiation d'office, de sorte qu'il doit être traitée comme commerçant de fait puisqu'il continue d'exercer son activité de travaux agricoles sous couvert d'une prétendue activité de négoce de véhicules d'occasion. Il estime qu'en conséquence, le délai d'un an après radiation d'office invoqué par le tribunal ne peut s'appliquer à M. [W].

2- M. [W] indique qu'en cours de procédure de liquidation judiciaire, il s'est fait inscrire le 5 mars 2018 au registre du commerce pour une activité de commerce de voitures et véhicules légers, qui lui a seulement permis de vendre quelques véhicules pour subvenir à ses besoins.

Il expose qu'il se trouve dans une situation extrêmement précaire depuis le dernier jugement du tribunal de commerce, et qu'il exerce l'activité d'ouvrier agricole avec trois enfants à charge.

Sur ce :

3- Selon les dispositions de l'article L.631-5 du code de commerce, lorsqu'il il n'y a pas de procédure de conciliation en cours, le tribunal peut également être saisi sur requête du ministère public aux fins d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire.

Sous cette même réserve, la procédure peut aussi être ouverte sur l'assignation d'un créancier, quelle que soit la nature de sa créance. Toutefois, lorsque le débiteur a cessé son activité professionnelle, cette assignation doit intervenir dans le délai d'un an à compter de :

1° La radiation du registre du commerce et des sociétés. S'il s'agit d'une personne morale, le délai court à compter de la radiation consécutive à la publication de la clôture des opérations de liquidation ;

2° La cessation de l'activité, s'il s'agit d'une personne exerçant une activité artisanale, d'un agriculteur ou d'une personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante, y compris une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé ;

3° La publication de l'achèvement de la liquidation, s'il s'agit d'une personne morale non soumise à l'immatriculation.

4- Selon les dispositions de l'article R. 123-129 du code de commerce, est radié d'office tout commerçant ou personne morale :

1° A compter de la clôture d'une procédure, soit de faillite, soit de liquidation des biens pour insuffisance d'actif ou dissolution de l'union, soit de liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif.

5- Il résulte des pièces produites que M. [P] [W], qui a fait l'objet d'un jugement de liquidation judiciaire le 21 février 2018, avec poursuite d'activité autorisée jusqu'au 21 mars 2018, pour son activité de travaux agricoles pour laquelle il était inscrit au RCS de Bergerac sous le numéro 811 833 284, puis d'un jugement de clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif le 8 septembre 2021, a néanmoins poursuivi en 2019 et 2020 son activité de travaux agricoles, sous couvert d'une inscription prise le 5 mars 2018 au RCS pour une activité de commerce de voitures et de véhicules automobiles légers, sous l'enseigne César Bergerac sous le même numéro de SIRET (811 833 284 00011).

L'appelant justifie que cette inscription datant du 5 mars 2018 était toujours active au 12 octobre 2023.

6- Ainsi que le fait valoir à bon droit le Ministère public, le délai d'un an prévu par l'articl'e L.651-3 du code de commerce n'a pas commencé à courir dès lors que M. [W] n'a pas cessé d'exercer son activité professionnelle de fait.

7- Il ressort de la proposition de rectification de la direction des finances publiques de Dordogne en date du 23 novembre 2021, suite à une vérification de comptabilité que M. [W] a réalisé au-delà de la date limite de cessation d'activité (soit le 21 mars 2018) des travaux de vigne et de taille, qu'il a facturés sous diverses identités, et qui ont généré un chiffre d'affaires excédant la limite pour l'application du régime de la franchise en base de TVA (141'206 euros TTC en 2018 et 216'928 euros TTC pour l'année 2019); et qui aurait dû donner lieu aux déclarations réglementaires.

8- Le comptable public n'a pu obtenir le recouvrement des créances suivantes :

- rappel de la TVA pour un montant de 79'649 euros en droit et 83'024 euros en pénalités (mise en demeure infructueuse du 11 février 2022),

- redressement taxable à l'impôt sur le revenu pour un montant total de 45'018 euros en droits et pénalités sur les années 2018 et 2019,

- les taxes foncières 2018 et 2022 pour la somme de 1817 euros et la taxe d'habitation 2018 pour un montant de 158 euros.

Soit une créance de 209 666 euros.

9- Dès lors que M. [W] ne dispose d'aucun actif, et n'a effectué aucun paiement au titre des créances précitées la cessation des paiements est avérée, et l'élaboration d'un plan de redressement est impossible, compte tenu de l'interdiction de gérer dont fait l'objet l'intéressé.

10- Il convient en conséquence d'infirmer le jugement et, statuant à nouveau, d'ouvrir à l'égard de Monsieur [W] une procédure de liquidation judiciaire, en fixant provisoirement la date de cessation des paiements au 14 aout 2022, conformément aux dispositions des articles L.631-8 et L.641-1 du code de commerce.

PAR CES MOTIFS

Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 13 septembre 2023 par le tribunal de commerce de Bergerac,

Statuant à nouveau,

Constate la cessation des paiements de M. [P] [W],

Prononce l'ouverture de la liquidation judiciaire de M. [P] [W], immatriculé au Registre du commerce et des sociétés de Bergerac sous le numéro 811 833 284 00011, sous la dénomination Cesar Bergerac,

Ordonne le renvoi de l'affaire devant le tribunal de commerce aux fins de désignations de juge-commissaire et mandataire liquidataire, et mesures de publicité légale,

Dit que conformément aux dispositions de l'article R.661-7 du code de commerce, le greffier de la cour d'appel (chambre commerciale) transmettra dans les huit jours du prononcé du présent arrêt infirmatif une copie de celui-ci au greffier du tribunal judiciaire de Libourne pour l'accomplissement des mesures de publicité prévues à l'article R.621-8, notifiera l'arrêt aux parties et, par remise contre récépissé, au Procureur général,

Ordonne l'emploi des dépens en frais privilégiés de liquidation judiciaire.