CA Bordeaux, 4e ch. civ., 19 février 2024, n° 23/03612
BORDEAUX
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
PSM Viti (SAS)
Défendeur :
Selarl Ekip' (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Goumilloux
Conseillers :
Mme Masson, Mme Tronche
Avocats :
Me Trassard, Me Bouru
EXPOSE DU LITIGE
La société PSM Viti exerce une activité de réalisation de travaux agricoles pour le compte de propriétés viticoles du Médoc. Elle a été placée en redressement judiciaire par décision du 11 mai 2022 du tribunal de commerce de Bordeaux.
La société Ekip' a été désignée en qualité de mandataire judiciaire.
Par décision du 9 novembre 2022, le tribunal a renouvelé la période d'observation pour six mois.
La société PSM Viti a déposé au greffe du tribunal son projet de plan de redressement le 17 avril 2023.
Par jugement contradictoire du 12 juillet 2023, le tribunal de commerce de Bordeaux a statué comme suit :
- joint les instances,
- rejette le plan proposé par la société PSM Viti,
- prononce la liquidation judiciaire de société PSM Viti, identifiée sous le n° 825 348 345 RCS Bordeaux, dont le siège social est situé à [Localité 5], [Adresse 3], ayant pour activité la réalisation de tous travaux d'espaces verts, tous travaux agricoles et viticoles, toutes activités s'y rapprochant à [Localité 5], [Adresse 3], met fin à la période d'observation,
- maintient Marc Wolff, dans ses fonctions de juge-commissaire et Eric Groisillier, dans ses fonctions de juge-commissaire suppléant,
- nomme le mandataire judiciaire la société Ekip', [Adresse 2], [Localité 4]x, en qualité de liquidateur et dit que cette mission sera suivie par Maître [R] [O],
- fixe à deux ans le délai dans lequel le tribunal devra examiner la clôture de la liquidation judiciaire,
- dit que le présent jugement sera signifié par acte extrajudiciaire au débiteur avec convocation de celui-ci d'avoir à comparaître à l'audience du 1er juillet 2023 à 14 heures au tribunal de commerce de Bordeaux, place de la Bourse pour que soit examinée la clôture de la procédure conformément aux dispositions de l'article L. 643-9 du code de commerce,
- ordonne les avis et mentions prévus aux articles R. 641-1, R. 641-7, R. 621-7 et R. 621-8 du code du commerce,
- ordonne les publicités, mentions, notifications prévues par les articles R. 626-20 et R. 626-21 du code de commerce.
En substance, le tribunal a jugé, au visa de l'article L. 631-1 du code de commerce, que le plan proposé par la société PSM Viti ne permettait pas la poursuite de l'activité de l'entreprise et l'apurement de son passif.
La société PSM Viti a relevé appel de cette décision par déclaration au greffe du 26 juillet 2023.
Par ordonnance du 31 août 2023, la première présidente de la cour d'appel de Bordeaux a débouté la société PSM Viti de sa demande d'arrêt de l'exécution provisoire attachée au jugement dont il est fait appel.
La société Ekip', ès qualités, a fait sommation à la société PSM Viti de communiquer les conditions dans lesquelles les baux qui lui ont bénéficié, [Adresse 1], ont été résiliés et d'indiquer l'emplacement des actifs dépendants de la liquidation judiciaire.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par dernières écritures notifiées par RPVA le 16 août 2023, auxquelles la cour se réfère expressément, la société PSM Viti, demande à la cour de :
Vu l'article L. 640-1 du code de commerce,
Vu la jurisprudence citée,
Vu les pièces versées au débat,
- infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
- adopter le plan de redressement proposé par elle,
- rejeter la demande de conversion en liquidation judiciaire de la procédure,
- dire que la société Ekip', ès qualités, sera condamnée aux entiers dépens,
- dire et juger qu'à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées dans la décision à intervenir, l'exécution forcée devra être réalisée par l'intermédiaire d'un commissaire de justice et que le montant des émoluments retenus en application de l'article A444-32 du code de commerce devra être supporté en sus par le débiteur en sus de l'application de l'article 700.
Par dernières écritures notifiées par RPVA le 19 octobre 2023, auxquelles la cour se réfère expressément, la société Ekip', ès qualités, demande à la cour de :
Vu l'article L. 631-1 du code de commerce,
Vu les pièces,
Vu la jurisprudence citée,
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux en date du 12 juillet 2023,
- débouter la société PSM Viti de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions,
- dire qu'en aucun cas les dépens ne peuvent être mis à la charge de l'intimée notamment en les ordonnant en frais privilégiés de la procédure et qu'aucune demande sur le fondement de l'article 700 ne peut être accueillie à l'égard de la procédure.
Par avis du 20 septembre 2023, le ministère public, demande à la cour de :
Sur la recevabilité de l'appel,
- s'en rapporte en l'absence d'éléments portés à la connaissance du parquet, relatifs à la date de signification du jugement dont appel,
Sur le fond,
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions au motif que la débitrice ne dispose pas de fonds suffisants pour rembourser le passif, que son activité quoiqu'en augmentation sur plusieurs années est cependant déficitaire et que le résultat d'exploitation enregistré en 2023 même bénéficiaire est très en deçà des exigences du plan qui en l'état n'apparaît pas réaliste et qu'enfin la majorité des créanciers est opposée au plan.
L'affaire a été fixée à bref délai à l'audience du 18 décembre 2023.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions écrites déposées.
MOTIFS DE LA DECISION
1- L'appelante soutient qu'il n'est pas démontré que son redressement est manifestement impossible.
Elle fait valoir notamment que :
- le passif échu non contesté est de 380 243 euros et qu'elle dispose d'une trésorerie conséquente de 150 889 euros au 11 juillet 2023,
- le résultat d'exploitation est devenu positif en 2023 et le rapport prévisionnel de l'expert-comptable laisse apparaître une capacité d'autofinancement de 38 647 euros en 2024,
- une minorité des créanciers (31 % des créanciers représentant 49,02 % du passif) dont l'avis n'est que consultatif a refusé le plan proposé,
- les dettes postérieures ont fait l'objet d'un moratoire,
- contrairement à ce que le mandataire expose, des mesures de restructuration de la société ont été engagées.
2- La selarl Ekip' répond que la débitrice doit établir une possibilité sérieuse de redressement et qu'en l'espèce, la débitrice a été dans l'incapacité de faire face à ses charges courantes dès la période d'observation. L'examen des résultats comptables de la société permet en outre de constater que le redressement de la société est impossible eu égard à l'ampleur du passif. Elle rappelle que la débitrice ne détient aucun actif immobilier et n'a plus aucun actif mobilier susceptible de lui permettre de poursuivre son activité. S'agissant du niveau de trésorerie, elle fait valoir que la trésorerie dont il est fait état était celle au 11 juillet 2023 et qu'elle résulte notamment du défaut de paiement des échéances du crédit-bail. Il a par ailleurs été porté à sa connaissance que les deux baux conclus par la débitrice ont été résiliés.
Sur ce :
3- Aux termes de l'article L 631-1 du code de commerce, il est institué une procédure de redressement judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné aux articles L. 631-2 ou L. 631-3 qui, dans l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible, est en cessation des paiements. Le débiteur qui établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec son actif disponible n'est pas en cessation des paiements.
La procédure de redressement judiciaire est destinée à permettre la poursuite de l'activité de l'entreprise, le maintien de l'emploi et l'apurement du passif. Elle donne lieu à un plan arrêté par jugement à l'issue d'une période d'observation et, le cas échéant, à la constitution de classes de parties affectées, conformément aux dispositions des articles L. 626-29 et L. 626-30. La demande prévue au quatrième alinéa de l'article L. 626-29 peut être formée par le débiteur ou l'administrateur judiciaire.
4- Aux termes de l'article L 640-1 du code de commerce, il est institué une procédure de liquidation judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné à l'article L. 640-2 en cessation des paiements et dont le redressement est manifestement impossible.
La procédure de liquidation judiciaire est destinée à mettre fin à l'activité de l'entreprise ou à réaliser le patrimoine du débiteur par une cession globale ou séparée de ses droits et de ses biens.
5- Le projet de plan prévoit le paiement de l'intégralité du passif en 10 annuités progressives : 2% la première année, 5% la deuxième année, 10% de la 3ème année à la 8 ème année, 15% la 9ème année et 18 % la dixième année.
6- Le passif pris en compte dans le plan inclut le passif contesté s'il reste, comme en l'espèce, des contestations à trancher à la date d'adoption du plan. Il convient donc de rechercher si l'activité de la société débitrice est susceptible de lui permettre de régler un passif de 649 647 euros en 10 ans, et notamment les premières annuités, à savoir 12 992 euros la première année, 32 482 euros la deuxième et 64 964 euros à compter de la troisième année.
7- Le prévisionnel établi le 6 avril 2023 par un cabinet d'expertise comptable à la demande du débiteur, bien qu'optimiste puisqu'il table sur une augmentation non documentée du chiffre d'affaires en 2023 puis en 2024, fait état, après un résultat net gravement déficitaire en 2002 de - 144 772 euros en 2022, d'un résultat net de 8557 euros en 2023 et de 37 821 euros en 2024.
8- Or, même en tenant compte du report d'une année de l'exigibilité de la première échéance prévu dans le plan, il apparaît que le bénéfice dégagé par la société n'est pas susceptible de lui permettre de respecter le plan au-delà des deux premières années comportant des annuités réduites.
9- Les mesures de restructuration envisagées par la débitrice, tel que l'emploi de 'titres emploi simplifié agricole', apparaissent insuffisantes pour envisager à court terme un doublement du bénéfice net susceptible de permettre à la société PSM Viti de faire face au paiement des annuités du plan d'un montant de plus 60 000 euros à partir de la 3ème année.
10- Il ressort par ailleurs des pièces produites aux débats que les véhicules de la société ont été cédés ainsi que le matériel d'exploitation. La société débitrice sous-loue sa seule machine à vendanger, acquise 200 000 euros au moyen d'un crédit-bail, à une société tierce.
11- S'agissant de la trésorerie, le mandataire relève à juste titre qu'elle a été partiellement constituée par le non-paiement des mensualités du crédit-bail pendant la période d'observation, ce qui peut laisser craindre une difficulté à respecter un plan. La cour note qu'il n'est pas produit de situation actualisée de cette trésorerie.
12- Les capitaux propres de la société sont négatifs depuis 2021 (- 73 087 en 2021) et la société n'a aucun actif immobilier.
13- Il ressort de l'ensemble de ces éléments que le redressement de la débitrice est manifestement impossible. Le tribunal a pu ainsi à bon droit rejeter le projet de plan et prononcer l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire.
14- Les dépens seront pris en frais privilégiés de la liquidation judiciaire.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par décision contradictoire et en dernier ressort,
Confirme la décision rendue le 12 juillet 2023 par le tribunal de commerce de Bordeaux, y ajoutant,
Dit que les dépens seront pris en frais privilégiés de la liquidation judiciaire.