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Décisions

Cass. 3e civ., 15 février 2023, n° 21-12.698

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Teiller

Rapporteur :

Mme Aldigé

Avocats :

SARL Cabinet Rousseau et Tapie, SCP Foussard et Froger, SCP Spinosi

Bastia, du 2 déc. 2020

2 décembre 2020

1. Selon l'arrêt attaqué (Bastia, 2 décembre 2020), Mmes [B] [W], [Y] [J], [P] [W], [X] [W], [XY] [W], [R] [T], [H] [W], [Z] [W], [GB] [W], [S] [W], [F] [W], [G] [W], [G] [K], [U] [W], [L] [W] et MM. [V] [W], [DU] [W], [I] [W] et [D] [W] (les consorts [W]) sont propriétaires de deux parcelles cadastrées section I n° [Cadastre 1] et [Cadastre 2].

2. Le 30 mai 2004, certains des consorts [W] ont conclu avec M. [A] un contrat d'occupation d'une partie des parcelles n° [Cadastre 1] et [Cadastre 2] pour une durée de six mois, commençant le 1er mai 2004 et s'achevant le 30 octobre 2004.

3. A compter du 1er avril 2014, les consorts [W] ont donné à la société Marie Lucile à bail commercial une partie de ces parcelles.

4. Les consorts [W] ont assigné, d'une part, M. [A], en expulsion et en condamnation au paiement d'une indemnité d'occupation, d'autre part, la société Marie Lucile en acquisition de la clause résolutoire pour non-paiement de loyers et en expulsion.

5. A titre reconventionnel, M. [A] a revendiqué le bénéfice du statut commercial et la société Marie Lucile a demandé la nullité du bail commercial.

Examen des moyens

Sur les moyens du pourvoi provoqué de la société Marie Lucile, et sur le moyen du pourvoi incident des consorts [W], ci- après annexés

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les moyens du pourvoi provoqué, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation, et sur le moyen du pourvoi incident, qui est irrecevable.

Mais sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, du pourvoi principal Enoncé du moyen

7. M. [A] fait grief à l'arrêt de dire que l'acte du 30 mai 2004 intitulé « bail d'occupation précaire 6 mois » est un bail dérogatoire, de constater qu'il a renoncé à la mutation de ce bail en bail commercial de droit commun, de le déclarer occupant sans droit ni titre d'une partie des parcelles appartenant aux consorts [W], d'ordonner son expulsion et de le condamner au paiement d'une indemnité d'occupation, alors :

« 2°/ que lorsqu'un contrat remplit les conditions d'application du statut des baux commerciaux, la renonciation à ce statut, au moment de la conclusion du contrat ou à l'arrivée de son terme, doit être non équivoque ; qu'en considérant, pour qualifier de bail dérogatoire le contrat du 30 mai 2004, que M. [A] avait signé, le 18 juin 2010, un protocole d'accord, assisté de son conseil, dans lequel il reconnaissait devoir la somme de 26 678 euros au titre d'indemnités d'occupation dues pour les années 2005, 2006, 2007, 2008 et 2009, et non pas au titre de loyers, et que, par conséquent, il avait reconnu l'inexistence d'un contrat de bail commercial le liant aux consorts [W], quand un loyer est dû aussi bien dans le cadre d'un bail commercial que d'un bail dérogatoire et que, par conséquent, la nature du contrat de bail conclu entre les parties ne pouvait se déduire de la reconnaissance de cette dette, de sorte que la renonciation de M. [A] au statut des baux commerciaux était nécessairement équivoque, la cour d'appel a violé l'article L. 145-5 du code de commerce ;

3°/ que les parties ne peuvent, lors de l'entrée dans les lieux du preneur, déroger au statut des baux commerciaux pour une durée supérieure à deux ans ; qu'en qualifiant de bail dérogatoire le contrat du 30 mai 2004 au motif inopérant que M. [A] avait signé, le 18 juin 2010, un protocole d'accord, assisté de son conseil, dans lequel il reconnaissait devoir la somme de 26 678 euros au titre d'indemnités d'occupation dues pour les années 2005, 2006, 2007, 2008 et 2009, et non pas au titre de loyers, et que, par conséquent, il avait reconnu l'inexistence d'un contrat de bail commercial le liant aux consorts [W], après avoir pourtant constaté que plus de deux années s'étaient écoulées depuis le 30 mai 2004 et que M. [A] avait été laissé en possession des lieux, la cour d'appel, qui n'a pas tiré toutes les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 145-5 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 145-5 du code de commerce, en ses deux premiers alinéas, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2000-912 du 18 septembre 2000 :

8. Selon ce texte, les parties peuvent, lors de l'entrée dans les lieux du preneur, déroger au statut des baux commerciaux à la condition que le bail soit conclu pour une durée au plus égale à deux ans. Si, à l'expiration de cette durée, le preneur reste et est laissé en possession, il s'opère un nouveau bail soumis au statut.

9. Pour dire que M. [A] a renoncé à la mutation du bail dérogatoire en un bail commercial de droit commun, l'arrêt retient, par motifs adoptés, que le paiement des loyers constituant la contrepartie due par le locataire pour la naissance d'un contrat de bail commercial non dérogatoire, M. [A], en se maintenant dans les lieux sans payer de loyer, a manifesté, sans aucune équivoque, sa volonté de ne pas se comporter en tant que preneur commercial du local.

10. Il ajoute, par motifs propres, que M. [A], assisté de son conseil, a signé un protocole d'accord le 18 juin 2010, dans lequel il admettait devoir une certaine somme au titre d'indemnités d'occupation dues pour les années 2005 à 2009, et non pas de loyers, reconnaissant ainsi l'inexistence d'un contrat de bail commercial.

11. En statuant ainsi, par des motifs ne caractérisant pas une renonciation non équivoque du locataire à se prévaloir du statut des baux commerciaux, la cour d'appel, qui avait constaté que le locataire était resté et avait été laissé en possession à l'expiration de la convention qu'elle avait exactement qualifiée de bail dérogatoire, a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

12. La cassation prononcée sur le moyen du pourvoi principal n'emporte pas cassation du chef du dispositif ayant dit que l'acte en date du 30 mai 2004 intitulé « bail d'occupation précaire six mois » était un bail dérogatoire, qui ne trouve pas son soutien dans les motifs critiqués par ce moyen et qui n'est pas dans un lien de dépendance avec les dispositions annulées de l'arrêt.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il constate que M. [A] a renoncé à la mutation du bail dérogatoire en un bail commercial de droit commun et qu'il occupe sans droit ni titre une partie des parcelles appartenant aux consorts [W], situées sur la commune de [Localité 19] (Corse-du-sud), village de [Localité 18], lieu dit [Adresse 15], cadastrées section I n° [Cadastre 1] et [Cadastre 2], concernant la terrasse se trouvant devant le restaurant Stella Diana, correspondant à un rectangle de 18 mètres en façade mer et 16 mètres de profondeur, soit 288 m2 environ, ordonne l'expulsion de M. [A] sous astreinte, le condamne à payer aux consorts [W] une indemnité d'occupation et dit que cette condamnation est à parfaire jusqu'à la libération des lieux, l'arrêt rendu, le 2 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Bastia ; remet, seulement sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;

Condamne Mmes [B] [W], [Y] [J], [P] [W], [X] [W], [XY] [W], [R] [T], [H] [W], [Z] [W], [GB] [W], [S] [W], [F] [W], [G] [W], [G] [K], [U] [W], [L] [W] et MM. [V] [W], [DU] [W], [I] [W] et [D] [W] aux dépens, sauf ceux exposés par le pourvoi de la société Marie Lucile qui resteront à sa charge ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze février deux mille vingt-trois.