CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 22 décembre 2023, n° 22/20519
PARIS
Arrêt
Autre
PARTIES
Demandeur :
Maje (Sasu)
Défendeur :
Emajein (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Renard
Conseillers :
Mme Lehmann, Mme Marcade
Avocat :
Me Sion
Vu la décision du 4 novembre 2022 du directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle (INPI) qui, statuant sur l'opposition formée le 28 mars 2022 par la société Maje, titulaire de la marque verbale française « maje » déposée le 19 juin 2017 et enregistrée sous le n°17 4 369 682, à l'encontre de la demande d'enregistrement de la marque verbale française « LES MAISONS DE MAJE » n°22 4 831 136 déposée le 5 janvier 2022 par la SAS Emajen, a considéré que le signe contesté pouvait être adopté comme marque pour les services en cause sans porter atteinte aux droits antérieurs de la société opposante sur la marque de renommée « maje » et en conséquence a rejeté l'opposition,
Vu le recours en annulation de cette décision formée par la société Maje le 2 décembre 2022 signifié à la société Emajen par acte du 23 février 2023 (acte remis en l'étude) et les conclusions à l'appui du recours remises au greffe le 17 février 2023 et signifiées à la société Emajen par le même acte du 23 février 2023,
Vu l'absence de constitution d'avocat de la société Emajen,
Vu les observations écrites du directeur général de l=INPI reçues au greffe le 17 juillet 2023,
Vu l'audience du 26 octobre 2023,
Le ministère public avisé ;
SUR CE,
Sur l'atteinte à une marque renommée
Selon l'article L. 711-3 du code de la propriété intellectuelle :
« Ne peut être valablement enregistrée (') une marque portant atteinte à des droits antérieurs ayant effet en France, notamment (') :
2° Une marque antérieure enregistrée ou une demande de marque sous réserve de son enregistrement ultérieur, jouissant d'une renommée en France ou, dans le cas d'une marque de l'Union européenne, d'une renommée dans l'Union, lorsque la marque postérieure est identique ou similaire à la marque antérieure, que les produits ou les services qu'elle désigne soient ou non identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque antérieure est enregistrée ou demandée et lorsque l'usage de cette marque postérieure sans juste motif tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure, ou qu'il leur porterait préjudice ».
Il est constant que l'atteinte à la marque renommée est constituée quand le public concerné par les produits ou services couverts par la marque établit un lien ou une association entre cette marque et le signe opposé et qu'il en résulte pour son titulaire un préjudice en raison de la dilution ou du ternissement de la marque, ou encore en raison du profit indu que le déposant du signe critiqué est susceptible de tirer de la forte connaissance de la marque renommée.
Ainsi, l'atteinte suppose que la marque antérieure invoquée soit renommée, qu'il existe un lien entre les signes en cause et que l'atteinte à la renommée soit démontrée, c'est-à-dire qu'il soit établi un usage sans juste motif du signe contesté qui tire ou tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure ou lui porte ou porterait préjudice.
En l'espèce, la marque verbale française dont est titulaire la société Maje désigne divers produits en classes 3, 9, 14, 18 et 25. Sa renommée est invoquée s'agissant des « sacs à main ; vêtements, chaussures ; chapellerie » des classes 18 et 25.
Sur la renommée de la marque verbale française « maje » n°17 4 369 682
Il est constant que la renommée implique un seuil de connaissance qui n'est atteint que lorsque la marque antérieure est connue d'une partie significative du public concerné par les produits ou services qu'elle désigne.
Afin de déterminer le niveau de renommée de la marque, il convient de prendre en considération tous les éléments pertinents de l'espèce, à savoir notamment, la part de marché détenue par la marque, l'intensité, l'étendue géographique et la durée de son usage, ainsi que l'importance des investissements réalisés par l'entreprise pour la promouvoir.
En l'espèce, la société Maje fait valoir que la renommée de la marque antérieure « maje » résulte de plusieurs facteurs, notamment de son histoire, de sa présence et de son implantation, de la communication effectuée autour de celle-ci et d'une précédente décision de l'INPI.
Elle a produit au soutien de son opposition devant l'INPI, pour établir la renommée de la marque « maje » pour les produits en cause, un article sur l'histoire de la marque et ses chiffres clés en 2019, un référencement des points de vente en France sur son site internet, un référencement d'articles de presse papier et en ligne par les grandes maisons de presse comme Elle et Vogue de 2015 à 2020 ainsi que des posts sur les réseaux sociaux des maisons de presse sur cette même période, des posts de la marque sur les réseaux sociaux en 2019 à 2021, des posts par les tiers sur les réseaux sociaux en 2019 à 2021 et une décision de l'INPI du 15 novembre 2021 reconnaissant la renommée de la marque « maje » pour des produits identiques à ceux qui sont invoqués dans le cadre de la présente procédure.
L'ensemble de ces pièces, qui proviennent pour la plupart de sources externes, démontrent, que la marque antérieure « maje » fait l'objet d'un usage intensif, qu'elle est connue d'une partie significative du public français et constitue une des marques leaders du marché des vêtements et accessoires de mode, ce que confirme une étude de l'impact digital de douze marques de prêt à porter premium de 2015 produite également devant l'INPI et annonçant la marque française « maje » comme étant une marque premium située en 3ème position sur les réseaux sociaux.
Ainsi, il a été démontré que la marque antérieure est renommée en France pour les « sacs à main ; Vêtements, chaussures, chapellerie » invoqués, ce point n'étant d'ailleurs pas remis en cause dans le cadre du présent recours.
Sur l'existence d'un lien entre les signes en cause
Pour déterminer si l'usage de la marque contestée risque de porter préjudice au caractère distinctif ou à la renommée de la marque antérieure, ou d'en tirer un profit indu, il convient d'analyser si un lien ou une association entre les signes peut être établi dans l'esprit du public concerné en fonction de l'ensemble des facteurs pertinents de l'espèce tels le degré de similitude entre les signes, la nature des produits et des services désignés ainsi que le public concerné, l'intensité de la renommée de la marque antérieure, le degré de caractère distinctif intrinsèque ou acquis par l'usage de la marque antérieure et éventuellement l'existence d'un risque de confusion.
Sur la comparaison des signes
La demande d'enregistrement porte sur le signe verbal servant à désigner les services suivants : « hébergement temporaire; réservation de logements temporaires ».
Il a été dit que la marque antérieure désigne notamment les « sacs de tous les jours ; sacs à main ; Vêtements, chaussures, chapellerie ».
La société Maje soutient que les signes sont similaires.
L'appréciation globale doit, en ce qui concerne la similitude visuelle, auditive ou conceptuelle des signes en cause, être fondée sur l'impression d'ensemble produite, en tenant compte notamment de leurs éléments distinctifs et dominants.
Le signe contesté est constitué de quatre éléments verbaux totalisant seize lettres et la marque antérieure d'une dénomination unique comportant quatre lettres.
Si les signes diffèrent par la présence dans le signe contesté des éléments verbaux « LES MAISONS DE », ils présentent des ressemblances visuelles et phonétiques en ce qu'ils ont en commun la dénomination « maje » qui apparaît distinctive au regard des produits et des services en cause et dominante dans le signe contesté en ce que les termes « LES MAISONS DE » qui la précèdent, sont quant à eux faiblement distinctifs car évocateurs d'un hébergement ou d'un logement.
D'un point de vue conceptuel, le terme « maje » n'aura aucune signification particulière pour le consommateur concerné, et aucun élément ne permet de considérer que l'expression « LES MAISONS DE MAJE » renvoie, comme le soutient la société Maje, à une maison de couture.
Pour autant, il existe bien une certaine similarité entre les signes.
Sur le degré de distinctivité et de renommée de la marque
La marque antérieure française verbale « maje » présente intrinsèquement un caractère distinctif au regard des produits désignés au dépôt, lequel est accru par la renommée.
Sur la nature des produits et services en cause
Il convient de rechercher s'il existe une similitude entre les produits ou les services en cause, en tenant compte de leur nature, leur fonction et/ou leur destination, ainsi que leurs circuits de fabrication et de distribution et éventuellement leur caractère complémentaire.
En l'espèce, les « sacs à main ; vêtements, chaussures, chapellerie » pour lesquels la marque antérieure est renommée et les services d' « hébergement temporaire; réservation de logements temporaires » visés par la demande contestée ne présentent aucune similitude au regard des critères sus énoncés, de sorte qu'aucun lien direct ne peut être établi entre eux.
La société Maje se prévaut néanmoins de la proximité des secteurs en cause.
Dans le cadre de la procédure d'opposition devant l'INPI, la société Maje a fait valoir que les produits et services en cause présentent un lien que le public pourra facilement établir dès lors qu'il est habitué à associer des sociétés du domaine de la mode aux services hôteliers et pour en justifier, elle a cité les trois exemples de liens hypertextes suivants : https://www.hotels-insolites.com/maison-rika.hotel, https : //www . hotels -insolites . com /hotel-du-continent.com et https://www.hotels-insolites.com/armanimilano.hotel.
Devant la cour, la société Maje a intégré dans le corps de son mémoire diverses copies d'écran pour démontrer l'existence d'un chevauchement entre les publics concernés par les produits et services en cause. Toutefois, le présent recours en annulation de la décision de l'INPI est dépourvu d'effet dévolutif et la cour doit se placer dans les conditions qui existaient au moment où cette décision a été prise ; elle ne peut statuer sur de nouveaux moyens ou de nouvelles pièces, même intégrées aux écritures, qui n'auraient pas été préalablement soumis à l'appréciation de l'INPI.
En l'état, la société Maje a donc cité devant l'INPI trois liens hypertextes pour démontrer l'existence d'un chevauchement entre les publics concernés par les produits et services en cause. Or les hyperliens ou les adresses URL en tant que tels ne constituent pas des éléments de preuve suffisants, dès lors notamment que l'INPI n'a pas pu apprécier la pertinence des contenus des sites auxquels les liens renvoient, lesquels en tout état de cause sont susceptibles de varier. En outre et contrairement à ce que suggère la société Maje, il n'appartient pas à la cour de vérifier elle-même les informations résultant des liens hypertextes cités dans ses écritures au sujet de la diversification des enseignes de mode au secteur d l'hôtellerie.
La décision de l'INPI qui a considéré que dans ces conditions, la société Maje n'avait produit aucun document permettant de démontrer la diversification des sociétés de prêt-à-porter dans le domaine de l'hôtellerie, doit ainsi être approuvée.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que malgré la similitude existant entre les signes, qui toutefois ne sont pas identiques, la grande dissemblance entre les produits et services en cause et l'absence de démonstration par la société Maje que les publics concernés sont communs, même pour partie, exclut que la marque contestée puisse évoquer la marque antérieure dans l'esprit du consommateur français.
C'est donc sans encourir la critique que le directeur général de l'INPI a considéré que faute d'avoir démontré l'existence d'un lien entre les marques dans l'esprit du public, l'atteinte à la renommée de la marque « maje » n°4 369 682 n'était pas caractérisée en l'espèce.
Il convient en conséquence de rejeter le recours de la société Maje.
Il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La procédure de recours contre une décision du directeur général de l'INPI ne donne pas lieu à condamnation aux dépens.
PAR CES MOTIFS
Rejette le recours formé par la société Maje à l'encontre de la décision du directeur général de l'INPI du 4 novembre 2022.
Rejette la demande de la société Maje formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Dit que le présent arrêt sera notifié par lettre recommandée avec avis de réception par les soins du greffier aux parties et au directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle.