Livv
Décisions

Cass. 3e civ., 15 juin 2023, n° 21-23.902

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Teiller

Rapporteur :

Mme Andrich

Avocat général :

Mme Guilguet-Pauthe

Avocats :

SCP Delamarre et Jehannin, Me Laurent Goldman

Paris, du 28 oct. 2021

28 octobre 2021

Examen du moyen Enoncé du moyen

5. La locataire fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'annulation du commandement de quitter les lieux délivré le 29 octobre 2020, alors :

« 1°/ que les personnes susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité mentionné à l'article 1er de l'ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 ne peuvent encourir d'exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d'activation des garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents à leurs locaux professionnels et commerciaux, lorsque ces loyers et charges locatives étaient échus entre le 12 mars et le 10 septembre 2020 ; que le défaut de paiement des loyers intervenu entre le 12 mars et 10 septembre 2020 ne peut donc entraîner la mise en oeuvre d'une clause résolutoire, peu important que les effets de ladite clause ait été, avant le commencement de la période protégée, suspendus par une décision de justice sous réserve de paiement des loyers ; qu'en l'espèce, par ordonnance du 17 décembre 2019, le juge des référés a suspendu les effets de la clause résolutoire invoquée par Mme [L] sous réserve du paiement des loyers et d'un arriéré locatif par Mme [H] durant 24 mois ; que, durant la période protégée, et en raison des conséquences de la crise sanitaire, Mme [H] n'a pas été en mesure de s'acquitter des échéances des mois d'avril et mai 2020 ; qu'un tel défaut de paiement des loyers pendant la période protégée ne pouvait justifier l'acquisition de la clause résolutoire ; qu'en retenant pourtant, pour dire régulier le commandement de quitter les lieux, que « la locataire s'est abstenue de payer, aux dates prévues par l'ordonnance de référé du 17 décembre 2019, les mensualités imparties pour l'apurement de l'arriéré locatif, de même que les loyers et charges courants, aux mois d'avril et mai 2020 », la cour d'appel a violé, par refus d'application, l'article 4 de l'ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 ;

2°/ que les personnes susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité mentionné à l'article 1er de l'ordonnance n°2020-317 du 25 mars 2020 ne peuvent encourir d'exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d'activation des garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents à leurs locaux professionnels et commerciaux, et ce, entre les 12 mars et 10 septembre 2020 ; que le défaut de paiement d'un arriéré de charges et loyers qu'un jugement rendu antérieurement au commencement de la période protégée avait ordonné au preneur de payer sous peine d'acquisition de la clause résolutoire, ne peut donc donner effet à ladite clause ; qu'en l'espèce, par ordonnance du 17 décembre 2019, le juge des référés a suspendu les effets de la clause résolutoire invoquée par Mme [L] sous réserve du paiement des loyers et d'un arriéré locatif par Mme [H] durant 24 mois ; que, durant la période protégée, et en raison des conséquences de la crise sanitaire, Mme [H] n'a pas été en mesure de s'acquitter des échéances des arriérés locatifs des mois d'avril et mai 2020 ; que ce défaut de paiement de ces arriérés locatifs pendant la période protégée ne pouvait justifier l'exécution de la clause résolutoire ; qu'en retenant que « ces dispositions ne s'appliquent qu'aux loyers et charges locatives dont l'échéance est intervenue pendant les périodes protégées susvisées, et non pas aux chefs de dispositif d'une décision de justice exécutoire condamnant au paiement d'une dette locative née antérieurement à ces périodes protégées », la cour d'appel a violé, par refus d'application, l'article 4 de l'ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 ;

3°/ que ne peuvent encourir d'exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d'activation des garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents à leurs locaux professionnels et commerciaux les personnes susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité mentionné à l'article 1er de l'ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 ; qu'il n'est donc pas nécessaire d'avoir effectivement bénéficié du fonds de solidarité pour jouir du statut protecteur, mais uniquement d'avoir été susceptible d'en jouir, c'est-à-dire d'en remplir les conditions ; qu'en retenant pourtant en l'espèce, pour dire régulier le commandement de quitter les lieux adressé à Mme [H] qu' « en ce qui concerne l'applicabilité de l'article 4 de l'ordonnance n° 2020-316, même si Mme [H] justifie de plusieurs récépissés de demandes d'aide aux « entreprises fragilisées Covid-19 », déposées les 30 avril, 6 juillet, 3 août et 29 octobre 2020, elle ne justifie pas en avoir bénéficié finalement » la cour d'appel a violé les articles 1er et 4 de l'ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020, ensemble les articles 1er, 3-1 de de l'ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 et 2 du décret n° 2020-371 du 30 mars 2020 ;

4°/ que sont susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité mentionné à l'article 1er de l'ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020, les personnes ayant fait l'objet d'une interdiction d'accueil du public intervenue entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020 ; que le bénéfice du fonds de solidarité n'est donc aucunement subordonné à une interdiction générale et absolue de recevoir du public ; qu'ainsi, une interdiction, serait-elle partielle et ne frappant qu'une partie de l'activité concernée, rend éligible les commerçants concernés au bénéfice du fonds de solidarité ; qu'afin de ralentir la propagation du virus covid-19, n'ont pas pu recevoir du public du 14 mars au 15 avril 2020, les établissements relevant de la catégorie N de l'arrêté du 25 juin 1980, à savoir les restaurants et débits de boissons, sauf pour leurs activités de livraison et de vente à emporter ; qu'en conséquence, une personne exploitant un restaurant et un établissement de vente à emporter, en ce qu'elle a fait l'objet d'une interdiction partielle de recevoir du public, était bien éligible au fonds de solidarité ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a pourtant considéré que Mme [H] n'aurait pu bénéficier du fonds de solidarité au prétexte que « la destination des lieux loués visée au bail liant les parties est stipulée être la restauration et la vente à emporter. Or l'article 1. I de l'arrêté du 15 mars 2020, complétant l'arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19, prévoit la fermeture administrative des restaurants, sauf pour leurs activités de vente à emporter » ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles 1er et 4 de l'ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020, ensemble les articles 1er, 3-1 de l'ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020, 2 du décret n° 2020-371 du 30 mars 2020 et 1er de l'arrêté du 15 mars 2020 complétant l'arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19. »

Réponse de la Cour

6. Selon la combinaison des articles 1er et 4 de l'ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020, 1er et 3-1 de l'ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020, 2 du décret n° 2020-371 du 30 mars 2020 et 1er de l'arrêté du 15 mars 2020 complétant l'arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19, les personnes physiques et morales de droit privé qui, exerçant une activité économique particulièrement touchée par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation du covid-19 et des mesures prises pour la limiter, sont susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité, ne peuvent encourir d'exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents à leurs locaux professionnels et commerciaux, dont l'échéance de paiement intervient entre le 12 mars 2020 et l'expiration d'un délai de deux mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire.

7. Selon l'article L. 145-41 du code de commerce, les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues aux articles 1244-1 à 1244-3 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.

8. Il en résulte que faute de libération dans les conditions fixées par le juge, l'effet résolutoire de la clause est réputé avoir joué au jour où le bénéfice de cette clause a été acquis au bailleur, soit un mois après délivrance d'un commandement de payer resté infructueux.

9. Il s'en évince que l'interdiction des sanctions pour défaut de paiement des « loyers et charges » dont l'échéance de paiement intervient pendant la période protégée, prévue à l'article 4 de l'ordonnance du 25 mars 2020, ne s'applique pas aux effets d'une clause résolutoire acquise antérieurement à la période protégée, dont la suspension était conditionnée au respect d'un échéancier fixé par le juge.

10. La cour d'appel a d'abord relevé, que l'ordonnance de référé du 17 décembre 2019 avait constaté les effets de la clause résolutoire insérée au bail et, en avait suspendu les effets à l'apurement de l'arriéré locatif par fractions mensuelles devant intervenir le 15 de chaque mois suivant sa signification.

11. Elle a, ensuite, exactement retenu que les dispositions de l'article 4 de l'ordonnance n° 2020-316 ne s'appliquaient pas au non-respect d'une échéance au paiement duquel les effets de la clause résolutoire étaient suspendus par une décision de justice antérieure qui emporte résiliation du bail un mois après délivrance d'un commandement de payer la mettant en oeuvre.

12. Elle a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne Mme [H] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze juin deux mille vingt-trois.