Cass. 3e civ., 16 novembre 2023, n° 22-17.567
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Teiller
Rapporteur :
Mme Aldigé
Avocat :
SARL Cabinet Rousseau et Tapie
1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 15 juin 2020) et les productions, M. [R] (le locataire), locataire de locaux commerciaux appartenant à M. [H] (le bailleur) a conclu le 23 octobre 2014, une promesse de vente du fonds de commerce avec cession de son droit au bail au profit de Mme [X] et M. [K], sous condition suspensive de l'accord du bailleur.
2. Le bail commercial contenait une clause n'autorisant la cession du bail qu'à l'acquéreur de son fonds de commerce et avec l'accord préalable et par écrit du bailleur.
3. Suite au refus d'agrément du bailleur, par ordonnance du 28 janvier 2015, le juge des référés a autorisé la cession du bail inclus dans le fonds de commerce du locataire au profit de Mme [X] et de M. [K].
4. Par acte du 16 février suivant, la société L'Amirale bière, immatriculée le 10 février 2015, et ayant pour gérant Mme [X] et M. [K], a fait l'acquisition du fonds de commerce et a assigné le bailleur sur le fondement de l'article L. 145-48 du code de commerce en déspécialisation du bail.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. Le bailleur fait grief à l'arrêt de déclarer recevable la demande de la société L'Amirale bière et de rejeter ses demandes en constatation de la qualité d'occupant sans droit ni titre de celle-ci et en expulsion, alors :
« 1°/ qu'une cession de bail commercial consentie entre le cédant et le cessionnaire sans l'accord préalable du bailleur, requis dans le contrat de bail, est irrégulière et lui est inopposable ; que dans ses écritures d'appel, M. [H] avait rappelé que le contrat de bail commercial conclu avec M. [R] contenait une clause d'agrément soumettant la cession du droit au bail à son accord préalable et écrit ; que pour déclarer la société L'Amirale bière titulaire du droit au bail et recevable en son action, et débouter M. [H] de sa demande tendant à la voir reconnaître occupant sans droit ni titre et à voir ordonner son expulsion, la cour d'appel s'est bornée à relever qu'aux termes du compromis de vente du 23 octobre 2014 conclu au bénéfice de Mme [X] et de M. [K], il était précisé que ces derniers agissaient « tant en leur nom personnel que pour le compte de toute personne physique ou morale pouvant s'y substituer », de sorte que la société L'Amirale bière avait pu procéder à l'acquisition du fonds de commerce le 16 février 2015 ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si M. [R] avait reçu l'accord préalable écrit de M. [H] pour céder son droit au bail à la société L'Amirale bière, à défaut de quoi cette cession, irrégulière, n'était pas opposable au bailleur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ensemble l'article 1717 du code civil ;
2°/ qu'une cession de bail commercial consentie entre le cédant et le cessionnaire sans l'accord préalable du bailleur, requis dans le contrat de bail, est irrégulière et lui est inopposable ; qu'en retenant, par motifs adoptés, que la société L'Amirale bière avait qualité pour demander la déspécialisation du bail et n'était pas occupant sans droit ni titre « dès lors que le juge des référés dans l'ordonnance [du 28 janvier 2015] a autorisé la cession du droit au bail inclus dans ce fonds de commerce », quand le juge avait autorisé la cession uniquement au profit de Mme [X] et de M. [K], la cour d'appel a statué par un motif impropre à caractériser la régularité de la cession du droit au bail consentie par M. [R] à la société L'Amirale bière et son opposabilité à M. [H], privant ainsi sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ensemble l'article 1717 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1134, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et 1717 du code civil et l'article L. 145-16 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 :
6. Il résulte de la combinaison de ces textes que les parties à un bail commercial peuvent subordonner la cession du droit au bail à l'acquéreur du fonds de commerce à l'accord écrit et préalable du bailleur, le preneur pouvant se faire autoriser par justice à passer outre un refus injustifié.
7. Pour dire que la société L'Amirale bière a qualité à agir, en tant que titulaire du droit au bail, à l'encontre du bailleur, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, qu'en l'absence d'autorisation du bailleur, le juge des référés a autorisé la cession du bail et du fonds de commerce du local au profit de Mme [X] et de M. [K], que dans la promesse de cession, il est précisé que ceux-ci agissent tant en leur nom personnel que pour le compte de toute personne physique ou morale pouvant s'y substituer, que la société L'Amiral bière a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 10 février 2015, avec la mention que Mme [X] et M. [K] étaient les représentants légaux.
8. En se déterminant ainsi, sans rechercher si le bailleur avait donné son agrément à la cession du bail à la société L'Amiral bière alors que l'autorisation judiciaire était limitée à une cession au profit de Mme [X] et M. [K] en leur nom personnel, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux autrement composée ;
Condamne la société L'Amirale bière aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société L'Amirale bière à payer à M. [H] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize novembre deux mille vingt-trois.