Livv
Décisions

CA Grenoble, 1re ch., 3 février 2024, n° 22/01959

GRENOBLE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

RESIDENCES BERNARD TEILLAUD (SARL)

Défendeur :

ACTIS - OPH DE LA REGION GRENOBLOISE

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Clerc

Conseillers :

Mme Blatry, Mme Lamoine

Avocats :

SELAS AGIS, SELARL DEJEAN-PRESTAIL

TJ Grenoble, du 14 avr. 2022

14 avril 2022

Selon acte notarié du 20 février 2019, l'établissement public industriel et commercial Actis-OPH de la région grenobloise (ci-après désigné Actis) a conclu avec la SARL Résidences Bernard Teillaud (la société RBT) une promesse de vente en deux phases d'un terrain que cet établissement avait acquis à [Localité 2] le 27 juillet 2010, promesse consentie pour une durée expirant le 31 octobre 2019 pour la première phase et le 28 février 2020 pour la seconde.

Il était prévu dans cet acte une indemnité d'immobilisation de 90.000€ pour la première phase et de 50.000€ pour la seconde, restant acquise au promettant à titre d'indemnité forfaitaire en cas de non-réalisation de la vente par le bénéficiaire après réalisation de toutes les conditions suspensives.

Faisant valoir que les conditions suspensives de la première phase et de la deuxième phase de l'opération avaient été réalisées sans que la société RBT entende réitérer la vente dans les délais prévus, Actis a réclamé à celle-ci paiement des indemnités d'immobilisation.

La société RBT s'est opposée à cette demande en faisant valoir que l'une des conditions suspensives de la promesse de vente n'avait pas été réalisée malgré plusieurs sollicitations de sa part, à savoir l'obtention d'une nouvelle délibération de [Localité 2] Alpes Métropole pour permettre l'aménagement de la parcelle par la création d'accès.

Par acte extrajudiciaire du 13 août 2021, Actis a fait assigner la société RBT devant le tribunal judiciaire de Grenoble en paiement de la somme de 140.000€, outre intérêts au taux légal à compter du 8 avril 2020, au titre des indemnités d'immobilisation ainsi que la somme de 3.000€ en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement réputé contradictoire du 14 avril 2022, le tribunal précité a :

jugé la demande recevable et bien fondée,

condamné la société RBT à payer à Actis la somme de 140.000€ avec intérêts au taux légal à compter du 28 mai 2020,

condamné la société RBT à payer à Actis la somme de 1.500€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

condamné la société RBT aux entiers dépens.

La juridiction a retenu en substance que la délibération de la communauté d'agglomération autorisant l'aménagement d'accès à la parcelle faisant l'objet de la promesse de vente n'était pas une condition suspensive mais une condition particulière de vente.

Par déclaration déposée le 18 mai 2022, la société Résidences Bernard Teillaud a relevé appel.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 24 octobre 2023 sur le fondement des articles 654, 659, 693 et 114 du code de procédure civile, des articles 1103, 1104 et suivants du code civil, la société Résidences Bernard Teillaud (RBT) demande à la cour d'infirmer en toutes ces dispositions le jugement déféré, et statuant à nouveau,

principalement

juger nul le procès-verbal d'assignation dressé le 13 août 2021 par la SELARL Henri Mazaghrani, en raison du manque de diligences suffisantes et effectives,

juger non avenu le jugement rendu le 14 avril 2022 par le tribunal judiciaire de Grenoble,

subsidiairement

débouter Actis de sa demande de condamnation au titre des indemnités d'immobilisation, la condition suspensive de droit commun stipulé dans l'acte authentique du 20 février 2019 n'ayant pas été réalisée,

en tout état de cause

condamner Actis à payer la somme de 3.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner le même aux entiers dépens de l'instance.

L'appelante fait valoir en substance que :

divers éléments démontrent un manque de diligence de l'huissier dans la délivrance de l'assignation selon les modalités de l'article 659 du code de procédure civile ; cet acte est donc nul et le jugement rendu le 14 avril 2022 « doit être en conséquence infirmé dans toutes ses dispositions »,

faute de réalisation de la condition particulière d'accès au tènement, la condition suspensive de droit commun relative à l'obtention de pièces d'urbanisme ou autres ne devant révéler ni vice pouvant grever l'immeuble et en diminuer sensiblement la valeur ou le rendre impropre à sa destination n'est pas remplie ; ainsi, elle n'est pas tenue au paiement des indemnités d'immobilisation.

Dans ses uniques conclusions déposées le 15 novembre 2022 au visa des articles 1194, 1304 et suivants du code civil, la société Actis entend voir la cour :

juger l'appel interjeté par la société RBT recevable mais mal fondé,

débouter par conséquent la société RBT de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

juger que l'assignation signifiée le 13 août 2021 dans les formes de l'article 659 du code de procédure civile ne souffre aucun moyen de nullité,

confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré,

par conséquent, le disant recevable et bien fondé en son action,

juger que la caducité de la promesse de vente du 20 février 2019 nonobstant la réalisation des conditions suspensives oblige la société RBT au paiement des indemnités d'immobilisation contractuellement convenues,

condamner la société RBT au paiement de la somme de 140.000€ outre intérêts au taux légal à compter du 8 avril 2020,

condamner la société RBT au paiement de la somme de 3.000€ en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

L'intimé répond que :

à l'époque de la délivrance de l'assignation, l'adresse du siège social de la société appelante était celle à laquelle l'huissier instrumentaire s'est rendu et celui-ci a bien énuméré les diligences entreprises dans le but de signifier cette assignation,

la condition particulière sur laquelle se fonde la société RBT qui ne démontre pas les démarches entreprises en vue de l'obtention d'une nouvelle délibération, n'est pas une condition suspensive.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 21 novembre 2023.

Motivation

MOTIFS

Sur la régularité de l'acte introductif d'instance,

Si l'article 693 précise que ce qui est prescrit par l'article 659 doit être observé à peine de nullité, le régime applicable est celui des nullités de procédure réglementé par l'article 114 qui suppose la démonstration d'un grief en lien avec l'irrégularité alléguée.

En l'espèce, l'assignation délivrée à la société RBT a été signifiée le 13 août 2021 à l'adresse suivante « [Adresse 5] » qui se trouvait être l'adresse de son siège social depuis le 3 septembre 2020 ainsi qu'en atteste l'extrait K bis communiqué au débat et le contrat de domiciliation signé le même jour.

Après s'être transporté à cette adresse le 13 août 2021, l'huissier instrumentaire a mentionné que « sur place, le nom de la société destinatrice de l'acte n'apparaît nulle part ».

Il a ensuite énuméré les diligences effectuées pour remettre l'acte à son destinataire, à savoir :

«

les recherches auprès du voisinage sont restées vaines,

de retour à mon étude, j'ai procédé à une recherche internet (www.pagesjaunes.fr) sur le département de l'Isère, en vain,

une recherche plus générale sur un moteur de recherche (www.google.fr) et les réseaux sociaux n'a pas permis de trouver d'informations exploitables,

une recherche sur les sites compilant les informations tirées du registre du Commerce et des Sociétés ainsi que sur le site du BODACC n'a pas permis de trouver d'informations exploitables,

j'ai contacté mon correspondant qui n'a pu me fournir de nouveaux d'éléments,

toutes les autres recherches entreprises sont restées infructueuses,

les services de la Poste, sous couvert du secret professionnel, ont refusé de me communiquer un quelconque renseignement,

les services municipaux de la ville n'ont pu me renseigner davantage ».

La lettre recommandée avec AR et la lettre simple adressées le jour de cette signification par l'huissier de justice instrumentaire à la société destinataire de l'acte, ont été retournées avec la mention « destinataire inconnu à l'adresse ». La circonstance que le nom de la rue ne soit pas complet sur ces deux lettres ([Adresse 4] au lieu de [Adresse 5]) n'est pas la cause de la non-remise de ces courriers à la société RBT ainsi qu'en atteste le fait que les services postaux n'ont pas coché la case « défaut d'accès ou d'adressage ».

Est sans emport sur la solution du litige le procès-verbal de constat d'huissier dressé le 1er juin 2022 à la requête de « la société Kaufman&Broad Savoies ayant indiqué exploiter un local à usage de bureaux sis [Adresse 5] à [Localité 3] et que l'appellation Bernard Teillaud est apposée sur la boîte aux lettres de l'immeuble de bureaux » ; en effet, de première part, cette société Kaufman& Broad Savoies n'est pas partie à l'instance, ensuite, de seconde part, ce procès-verbal a été établi près d'un an après la délivrance de l'assignation litigieuse et ne permet pas de retenir que le nom « Bernard Teillaud » scotché sur la boîte à lettres de l'immeuble situé à l'adresse précitée comme constaté dans ce constat, y figurait déjà le 13 août 2021, enfin en dernier lieu, le nom « Bernard Teillaud » n'est pas celui de la société concernée, à savoir la société RBT.

De plus fort, la société RBT ne communique pas le moindre justificatif (constat d'huissier, attestations, factures à son nom') pour démontrer qu'à la date de la présentation de cette assignation, le 13 août 2021, ou à tout le moins en août 2021, elle était effectivement et visiblement domiciliée à l'adresse précitée, à savoir que son nom figurait sur une des boîtes à lettres de l'immeuble et/ ou qu'une plaque à son nom était apposée sur la façade de celui-ci.

Sans plus ample discussion, il y a lieu en conséquence de dire que l'acte de signification du 13 août 2021 est régulier, l'huissier de justice en charge de la signification de l'assignation apparaissant avoir accompli de suffisantes diligences et investigations qui sont renforcées dans l'hypothèse de l'établissement d'un procès-verbal de recherches infructueuses en application de l'article 659 du code de procédure civile.

Sur le fond

La promesse de vente signée le 20 février 2019 distingue de manière claire et apparente d'une part, les conditions suspensives à la réalisation de la vente en pages 12, 13, 14 et 15, d'autre part les conditions particulières en pages 21 et 22.

La condition particulière « accès au tènement -réalisation de la voie d'accès » ne peut être assimilée à une condition suspensive, sa réalisation n'étant pas enfermée dans un délai et aucune sanction n'y étant attachée en cas de non réalisation.

Il est par ailleurs expressément rappelé dans cette condition particulière que le promettant, donc Actis, avait « obtenu toutes les autorisations nécessaires de la ville de [Localité 2] et de la Métropole pour la desserte des terrains et l'aménagement des accès, à savoir une autorisation de voirie par arrêté du maire de [Localité 2] du 7 juin 2012 et une délibération du Conseil Métropolitain du 13 février 2015 (visée par la préfecture de l'Isère le 18 février 2018), » cette délibération mentionnant notamment qu'il était demandé au nouveau gestionnaire de la voie concernée de s'engager à réaliser les travaux avant janvier 2019 afin de permettre d'envisager la délivrance du permis de construire d'Actis en cours d'instruction.

Il y était en outre mentionné que la société bénéficiaire (donc la société RBT) faisait son affaire personnelle, non seulement de la réalisation des travaux nécessaires permettant la desserte des biens acquis, mais également de « l'éventuelle mise à jour des autorisations ainsi obtenues par le promettant ».

Et il y était prévu que « nonobstant les stipulations ci-dessus, pour permettre au bénéficiaire de mener à bien son projet de construction, les parties conviennent que les présentes sont conclues (pour les deux phases) sous la condition de l'obtention, le cas échéant d'une nouvelle délibération du Conseil Métropolitain autorisant la réalisation par le gestionnaire de la [Adresse 6] des travaux au niveau du rond-point [Adresse 7] en vue de la création des accès et aménagements nécessaires à l'édification et à la desserte des constructions projetées, à la charge du bénéficiaire, dans la limite d'un coût maximal de 135.000€ HT, et de la conclusion d'une convention avec [Localité 2] Alpes Métropole relativement auxdits travaux, à leur exécution et leur prise en charge. Il est ici précisé que la condition relative au montant maximum des travaux d'aménagement étant stipulé au profit du bénéficiaire, ce dernier pourra y renoncer à tout moment » (').

C'est à la faveur d'une analyse toute personnelle que la société RBT conclut que « faute de réalisation de la condition particulière sur l'accès au tènement, la condition suspensive de droit commun relative à l'obtention de pièces d'urbanisme ou autres ne devant révéler ni vice pouvant grever l'immeuble et en diminuer sensiblement la valeur ou le rendre impropre à destination n'est pas remplie ».

En effet, les pièces d'urbanisme afférentes au bien vendu ne sont affectées d'aucun vice, la preuve contraire n'en étant pas apportée en tout état de cause, Actis ayant obtenu préalablement à la promesse de vente « toutes les autorisations nécessaires de la ville de [Localité 2] et de la Métropole pour la desserte des terrains et l'aménagement des accès ».

Ensuite, de l'ensemble des énonciations de cette condition particulière il s'évince que seule la société RBT en était la bénéficiaire et avait l'initiative d'engager les travaux de la desserte du terrain dont elle se portait acquéreur, mais également de solliciter « le cas échéant » une nouvelle délibération du Conseil Métropolitain ; elle était également informée de la teneur de la délibération de ce conseil du 13 février 2015, en tant qu'étant annexée à la promesse de vente, et donc de ses obligations en tant que nouveau propriétaire du terrain.

Or, la société RBT s'abstient de justifier des démarches qu'elle a initiées pour entreprendre la construction de ces accès ou obtenir une nouvelle délibération du Conseil Métropolitain en cas de nécessité ; cette condition particulière ayant été spécifiée à son seul bénéfice, et son exécution lui en incombant personnellement, elle ne peut donc pas utilement se prévaloir de sa non-réalisation, sauf à se prévaloir de sa propre turpitude , pour dire par extension la non-réalisation d'une condition suspensive relative aux pièces d'urbanisme, dénaturant au surplus la nature de cette condition particulière qui n'est pas une condition suspensive.

Sans plus ample discussion, le jugement déféré est confirmé en ce qu'il a condamné la société RBT au paiement des deux indemnités d'immobilisation.

Sur les mesures accessoires

Succombant dans son recours, la société RBT est condamnée aux dépens d'appel et conserve la charge de ses frais irrépétibles exposés devant la cour ; elle est condamnée à verser à Actis une indemnité de procédure pour l'instance d'appel et les mesures accessoires du jugement déféré sont confirmées.

Dispositif

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Rejetant la demande en nullité de l'acte introductif d'instance en date du 13 août 2021 soutenue par la SARL Résidences Bernard Teillaud,

Confirme le jugement déféré,

Ajoutant,

Condamne la SARL Résidences Bernard Teillaud à verser à Actis-OPH de la région grenobloise, une indemnité de procédure de 2.000€ pour l'instance d'appel,

Déboute la SARL Résidences Bernard Teillaud de sa demande présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la SARL Résidences Bernard Teillaud aux dépens d'appel.

Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de la procédure civile.