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Décisions

CA Besançon, 1re ch., 13 février 2024, n° 22/01687

BESANÇON

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Merem (SAS)

Défendeur :

Adeo Informatique (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Manteaux

Conseillers :

M. Saunier, M. Wachter

Avocats :

Me De Bucy, Me Margotton, Me Leroux

T. com. Besançon, du 14 sept. 2022, n° 2…

14 septembre 2022

Exposé des faits et de la procédure

La SAS Adeo Informatique (la société Adeo) était depuis plusieurs années le prestataire informatique habituel de la SAS Merem, société spécialisée dans la fabrication de cartes électroniques assemblées, les montages électroniques et les réalisations électromécaniques, quand les deux sociétés ont conclu, le 17 févier 2020, un contrat de maintenance de divers équipements informatiques.

Ce contrat stipulait un prix mensuel total de 3 427,75 euros HT soit 4 113,30 euros TTC pour une durée de 36 mois commençant à courir rétroactivement le 1er janvier 2020, avec une faculté de résiliation anticipée.

La société Merem a résilié le contrat pour le 31 décembre 2020. La société Adeo a alors émis, le 29 décembre 2020, une facture d'un montant de 16 288,67 euros TTC, portant facturation de la majoration des prix de 33% pour l'année 2020, que la société Merem a contestée et refusé de payer.

Saisi par assignation délivrée par la société Adeo en date du 15 novembre 2021, le tribunal de commerce de Besançon a, par jugement rendu le 14 septembre 2022 :

- condamné la société Merem à payer à la société Adeo la somme de 16 288,67 euros TTC correspondant à la facture n° FAAD22194 du 29 décembre 2020, outre intérêts de retard à un taux égal au taux d'intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage à compter du 30 mars 2021, date de la première mise en demeure,

- condamné la société Merem à payer à la société Adeo la somme de 40 euros au titre de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement de la facture demeurée impayée,

- condamné la société Merem à payer à la société Adeo la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la société Merem de l'ensemble de ses demandes,

- condamné la société Merem aux entiers dépens,

- liquidé les dépens du présent jugement à la somme de 69,59 euros.

Pour parvenir à cette décision, le premier juge a considéré que :

- le prix convenu entre les parties a été fixé au regard de la durée d'engagement de 36 mois et que, a contrario, dans le cas d'un contrat de 12 mois, la société Merem ne pouvait pas bénéficier de la moindre remise sur aucune des prestations ;

- la société Merem ne justifie pas de préjudice financier fondant sa demande reconventionnelle en paiement.

Par déclaration parvenue au greffe le 31 octobre 2022, la société Merem a régulièrement interjeté appel de ce jugement.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 novembre 2023 et l'affaire a été appelée à l'audience du 14 décembre 2023 et mise en délibéré au 13 février 2024.

Exposé des prétentions et moyens des parties

Selon conclusions transmises le 17 novembre 2023, la société Merem demande à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a liquidé les dépens à la somme de 69,59 euros et, statuant à nouveau, de :

- débouter la société Adeo de l'intégralité de ses demandes,

- condamner la société Adeo à lui payer la somme de 10 162,50 euros au titre des prestations de maintenance préventive facturées mais non réalisées,

- ordonner la compensation entre les éventuelles créances et dettes réciproques,

- condamner la société Adeo à lui payer la somme de 3 000 euros s'agissant de la procédure de première instance et la somme de 3 000 euros à hauteur d'appel, au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Adeo aux entiers dépens des procédures de première instance et d'appel.

Elle fait valoir que :

- lorsque les stipulations d'un contrat sont ambiguës, il appartient au juge de déterminer quelle a été la commune intention des parties ;

- le contrat prévoyait expressément un tarif mensuel de 3 427,75 euros HT, soit 4 113,30 euros TTC, qu'il n'était nullement question de modifier à la hausse si la résiliation intervenait avant le terme de 36 mois ;

- six interventions de maintenance mensuelle (technicien et consultant), entre la mi-mars 2020 et la mi-septembre 2020 n'ont pas été réalisées par la société Adeo alors qu'elles lui ont pourtant été facturées et qu'elle les a réglées ;

- le coût mensuel des prestations de maintenance préventive étant fixé à 1 693,75 euros HT (800 euros + 893,75 euros) et ces dernières n'ayant pas été réalisées durant six mois, elle est bien fondée à solliciter la condamnation de la société Adeo à lui rembourser la somme de 10 162,50 euros (6 x 1 693,75 euros).

La société Adeo a répliqué en dernier lieu par conclusions transmises le 20 février 2023 pour demander à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et condamner l'appelante à lui verser la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel ainsi qu'aux entiers dépens.

Elle soutient que :

- la société Merem étant liée à elle par un contrat prévu sur 36 mois et ayant résilié ce contrat au bout de 12 mois, elle ne pouvait donc plus se prévaloir des prix fixés pour un engagement de 36 mois conformément aux dispositions contractuelles,

- elle-même a parfaitement respecté ses obligations contractuelles tant concernant les prestations de maintenance curative que les opérations de maintenance préventive.

Pour l'exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

Motifs de la décision

- Sur la demande en paiement formée par la société Adeo à l'encontre de la société Merem au titre de la facture n°FAAD22194 du 29 décembre 2020 :

Il résulte des articles 1103 et 1188 du code civil que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits et qu'ils s'interprètent, lorsque les stipulations d'un contrat sont ambiguës, d'après la commune intention des parties plutôt qu'en s'arrêtant au sens littéral de leurs termes. Lorsque cette intention ne peut être décelée, le contrat s'interprète selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable placée dans la même situation.

En l'espèce, le contrat litigieux stipule que l'engagement est formalisé pour une durée incompressible de 36 mois avec possibilité de résiliation trois mois avant le terme de cette durée. L'article 10 précise que cette durée ne peut en aucun cas être résiliée par anticipation, sauf en payant l'ensemble des mensualités restant dues.

Les conditions particulières du contrat du 17 février 2020 conclu entre les sociétés Adeo et Merem, qui porte sur la seule maintenance des matériels et systèmes, présente une mention manuscrite ajoutée en haut de la 2e page indiquant la « possibilité de résiliation anticipée au 31/12/2020 par courrier recommandé 2 mois avant ; début contrat : 01/01/2020 fin engagement : 31/12/2022 ».

Ce rajout au contrat-type s'explique par le contexte de la reconduction du contrat en février 2020 : la société Merem se plaignant des manquements à répétition de la société Adeo dans les opérations de maintenance, avait décidé de lancer en 2020 un audit interne informatique puis un appel d'offre pour revoir complètement son infrastructure informatique, appel d'offre auquel la société Adeo a participé. Ce contexte est établi par les pièces versées au dossier de la société Merem.

Par ailleurs, la grille tarifaire figurant sous l'article 6.1 sur le tarif de la souscription, qui n'est visiblement pas d'origine (mais figurait dans le contrat signé par les parties en février 2020) puisqu'elle est insérée au milieu d'une phrase inachevée, est la seule à faire référence à un tarif sur 12 mois ; elle n'est visée par aucune des clauses 9 (durée, résiliation) et 10 (tarifs et facturations).

Enfin, dans les conditions particulières du contrat du 17 février 2020, au dessus de la rubrique «désignation du matériel et des prestations et des prix appliqués», figure la mention pré-imprimée écrite en petits caractères : «prix remisé pour un engagement de 36 mois».

Il ressort de l'analyse de l'ensemble de ces données que la mention manuscrite qui ouvre la possibilité de résiliation du contrat au bout d'un an rend le dit contrat ambigu sur les effets de cette résiliation anticipée sur le prix de la prestation, lesquels ne sont pas précisés ; l'interprétation du contrat par le juge est donc nécessaire.

La commune intention des parties sur le prix à appliquer en cas de résiliation anticipée n'est pas décelable dans les documents versés aux débats.

Au vu de l'absence de référence claire dans le contrat à un tarif sur 12 mois, au vu du contexte établi de difficultés entre les parties et de l'acceptation par la société Adeo de prolonger le contrat existant seulement pour la durée de l'année 2020 pour permettre à la société Merem de choisir l'entreprise à laquelle elle confiera la maintenance de son système informatique à l'issue de son appel d'offre, au vu enfin des prix qui ont été mentionnés en détail, manuscritement, de la même écriture que la mention manuscrite permettant une résiliation à un an, la cour en déduit que doivent s'appliquer ces prix sans sur-cote de 33  % même en cas de résiliation au 31 décembre 2020.

La cour infirme donc le jugement en ce qu'il a condamné la société Merem à payer à la société Adeo la somme de 16 288,67 euros TTC correspondant à la facture n° FAAD22194 du 29 décembre 2020 et la somme de 40 euros au titre de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement de la facture demeurée impayée et rejette ces demandes de la société Adeo.

- Sur la demande en paiement formée par la société Merem à l'encontre de la société Adeo au titre des prestations de maintenance préventive facturées mais non réalisées :

Il résulte de l'article 1217 du code civil que la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut obtenir une réduction du prix. L'article 1223 du code civil précise que si le créancier a déjà payé, à défaut d'accord entre les parties, il peut demander au juge la réduction du prix.

Par ailleurs, il résulte de l'article 1353 du code civil que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver et que réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

Il s'évince des textes susvisés qu'il appartient à la société Merem de prouver que la société Adeo devait effectuer des prestations de maintenance préventive tandis que cette dernière doit démontrer qu'elle les a bien exécutées.

Le contrat du 17 février 2020 établit l'obligation pour la société Adeo de fournir 3,25 « maintenance préventive 1/2 journée technicien » et 2 « maintenance préventive 1/2 journée consultant » par mois, ce qui représente 39 interventions sur une demie journées d'un technicien et 24 interventions sur une demie journée d'un consultant dans l'année.

L'article 2.3 du contrat matériels et systèmes stipule que « la maintenance préventive consiste à effectuer une intervention sur site afin de réaliser : une vérification de la protection antivirale par un contrôle des journaux ; des événements permettant de juger de l'efficacité et de réadapter la stratégie antivirale en conséquence ; la mise à jour des systèmes d'exploitation ; une vérification de l'état des postes (résidents mémoires, programmes installés inutilement, etc') ; des conseils aux utilisateurs en répondant aux petits problèmes qui ont ou qui peuvent les polluer dans leur travail quotidien ; une analyse des performances du réseau ».

La société Merem soutient que cette maintenance préventive technicien et consultant n'a pas été réalisée entre le milieu du mois de mars 2020 et le milieu du mois de septembre 2020, soit durant six mois et que c'est donc à tort que la société Adeo lui a facturé les prestations de maintenance.

La société Adeo se contente, dans ses conclusions, de dresser une liste des jours d'intervention de son personnel, ce qui ne vaut pas preuve de la réalité des prestations. Elle succombe donc dans l'administration de la preuve qui lui incombe.

Dès lors, la cour, infirmant le jugement, condamne la société Adeo à verser à la société Merem la somme de 10 162,50 euros TTC représentant le montant que cette dernière lui a indûment imputé sur la facture n° FAAD20430 du 27 février 2020 au titre de la prestation « maintenance préventive ».

Dispositif : Par ces motifs,

La cour, statuant par arrêt contradictoire, après débats en audience publique :

Infirme, en toutes ses dispositions dans les limites de l'appel, le jugement rendu entre les parties le 14 septembre 2022 par le tribunal de commerce de Besançon ;

Statuant à nouveau et y ajoutant :

Déboute la SAS Adeo Informatique de ses demandes dirigées contre la SAS Merem en paiement de la somme de 16 288,67 euros au titre de la majoration des prix de 33 % pour l'année 2020 (facture n° FAAD22194 du 29 décembre 2020) et de la somme de 40 euros au titre du remboursement de l'indemnité forfaitaire de recouvrement ;

Condamne la SAS Adeo Informatique à payer à la SAS Merem la somme de 10 162,50 euros TTC en diminution de la facture n° FAAD20430 du 27 février 2020 payée par la société Merem ;

Condamne la SAS Adeo Informatique aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, déboute la SAS Adeo Informatique de ses demandes et la condamne à payer à la SAS Merem la somme globale de 4 000 euros pour ses frais exposés tant au titre de la procédure de première instance que de ceux exposés à hauteur de cour.