Livv
Décisions

CA Rennes, 3e ch. com., 13 février 2024, n° 22/02328

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Espace Poids Lourds (SARL)

Défendeur :

Prestoloc (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Contamine

Conseillers :

Mme Clément, Mme Jeorger-Le Gac

Avocats :

Me Combe, Me Le Berre Boivin, Me Guenoux

T. com. Rennes, du 22 mars 2022

22 mars 2022

Les sociétés PRESTOLOC et ESPACE POIDS LOURDS exercent toutes les deux la même activité principale, soit le commerce de véhicules.

Au mois de juillet 2020, la société PRESTOLOC a fait paraître sur un site internet une annonce de vente d'un camion Renault nacelle Midium 220 DCI Gazoil Euro 3 d'occasion, pour un prix de 21.000 euros HT.

La société ESPACE POIDS LOURDS a demandé des renseignements et il lui a été adressé :

- un devis de vente du véhicule 'en l'état sans garantie' pour un prix de 21.000 euros HT,

- les deux derniers contrôles techniques,

- un rapport de l'APAVE à propos de l'état de la nacelle,

- le contrôle de vitesse et le 'barré rouge'.

Le 24 juillet 2020, le véhicule a été livré à la société ESPACE POIDS LOURDS, qui n'a émis aucune réserve.

Le 19 novembre 2020, par courrier recommandé la société ESPACE POIDS LOURDS a demandé l'annulation de la vente compte tenu de l'état de la nacelle, un devis de remise en état s'élevant à la somme de 10.405,68 euros HT.

Cette demande est restée sans réponse et l'assureur de la société ESPACE POIDS LOURDS a organisé une expertise qui a constaté l'état du véhicule.

La société ESPACE POIDS LOURDS a assigné la société PRESTOLOC sur le fondement de la tromperie et des vices cachés pour demander l'annulation de la vente et la restitution du prix.

Par jugement du 22 mars 2022, le tribunal de commerce de Rennes a :

- débouté la société ESPACE POIDS LOURDS de l'intégralité de ses demandes,

- condamné la société ESPACE POIDS LOURDS au paiement de la somme de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société ESPACE POIDS LOURDS aux dépens.

Par conclusions du 09 juin 2022, la société ESPACE POIDS LOURDS, appelante de ce jugement, a demandé à la Cour de :

Infirmer ou a tout le moins réformer le jugement entrepris, et, statuant de nouveau :

A titre principal,

- PRONONCER la nullité du contrat de vente conclu entre les deux sociétés relativement au camion RENAULT nacelle Midlum 220 DCI ;

- CONDAMNER la société PRESTOLOC à devoir rembourser le prix d'achat du véhicule à la société ESPACE, d'un montant de 25.200 euros, avec intérêt au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir ;

- ORDONNER à la société PRESTOLOC d'aller chercher à ses frais exclusifs le véhicule au siège de la société ESPACE POIDS LOURDS ;

- DIRE que cette obligation sera assortie d'une astreinte de 200 euros par jour de retard, et ce à compter de la signification de la décision à intervenir ;

A titre subsidiaire,

- PRONONCER la résolution de la vente conclue entre les deux sociétés relativement au camion RENAULT nacelle Midlum 220 DCI ;

- DÉBOUTER société PRESTOLOC de toutes ses demandes, fins et prétentions;

- CONDAMNER la société à verser à la société ESPACE POIDS LOURDS, la somme de 8.000 euros au titre des dommages et intérêts ;

En tout état de cause,

- CONDAMNER la société PRESTOLOC à payer à la société ESPACE POIDS LOURDS

la somme de 4500,00 euros par application de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

- CONDAMNER la société PRESTOLOC en tous les dépens de la procédure, en ce compris les frais éventuels d'exécution forcée.

Par conclusions du 07 septembre 2022, la société PRESTOLOC a demandé à la Cour de :

- confirmer le jugement déféré,

- rejeter toutes prétentions contraires,

- condamner la société ESPACE POIDS LOURDS au paiement de la somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

MOTIFS DE LA DÉCISION:

Les parties sont des professionnels exerçant la même activité, celle de négoce de véhicules automobiles.

L'annonce de vente se bornait à mentionner la date de première mise en circulation (2004), le kilométrage (130.000 km) et les caractéristiques du modèle.

La société ESPACE POIDS LOURDS se prévaut d'un rapport d'expertise amiable réalisé à la demande de son assureur par le cabinet [T], en présence de la société PRESTOLOC, aux termes duquel :

- la cabine présente une forte détérioration sur le pavillon,

- l'état général est mauvais, la nacelle inutilisable pour des raisons de sécurité (jeu excessif de fonctionnement),

- le plancher et la passerelle de la plate-forme sont fortement détériorés,

- le boîtier de commande de la nacelle est fortement corrodé.

Le devis de remise en état de la nacelle se monte à 10.405,68 euros HT.

Il mentionne comme constatations:

- armoire châssis à remplacer rongée par la rouille,

- armoire tourelle à remplacer rongée par la rouille,

- jeu très important sur la couronne d'orientation,

- fuite vérin de calage avant droit,

- marche pied défectueux, bord hauts du panier endommagés.

La société ESPACE POIDS LOURDS prend des conclusions ambiguës quant à sa bonne réception avant la vente du rapport de l'APAVE.

Elle indique en effet ne pas avoir eu connaissance avant la vente d'un contrôle de sécurité alors que tel est l'objet du rapport APAVE, pour ensuite analyser les termes du rapport et conclure qu'il n'évoquait que des désordres mineurs et ne permettait pas d'envisager l'ampleur des désordres réels ; or, cette démonstration n'a d'intérêt que si elle en a eu connaissance avant la vente.

Pour sa part, la société PRESTOLOC démontre que par courriel du 06 juillet 2020 passant par le site de petites annonces, la société ESPACE POIDS LOURDS a demandé différentes pièces dont le 'dernier contrôle de sécurité nacelle'.

Le 06 juillet à 13h29, la société PRESTOLOC lui a renvoyé par le même média un 'contrôle de sécurité nacelle'.

Le rapport de l'APAVE est intitulé 'rapport de vérification' d'un 'élévateur de personnes mobiles pendant la manoeuvre', ce qui correspond bien à une nacelle.

Au demeurant, la société ESPACE POIDS LOURDS ne précise pas ce qui aurait pu lui être envoyé si ce n'était pas le rapport de l'APAVE.

Elle ne conclut pas plus avoir fait l'imprudence d'acheter alors que le vendeur se refusait à lui transmettre, alors qu'elle le lui demandait, le rapport de sécurité nacelle.

La Cour constate donc que ce rapport lui a été transmis préalablement à la vente.

Selon ce rapport, les examens et essais faisaient apparaître des anomalies ou défectuosités auxquelles 'il convient de remédier', soit :

- source d'énergie : équipements et canalisation : armoire électrique détériorée, remettre en état le sélecteur à clef, poste haut/poste bas,

- châssis : châssis porteur : présence d'une déformation de la cabine porteur.

- châssis : stabilisateurs : remplacer les axes des patins des stabilisateurs, chappe des axes des patins stabilisateurs déformée, descente du stabilisateur avant coté passager, y remédier

- charpente : mât, tourelle, flèche, bras, ciseaux : jeux présent dans les assemblages du bras, jeu présent dans le mécanisme d'orientation du bras,

- mécanismes : circuit hydraulique/pneumatique : étancher les fuites d'huile hydraulique au niveau des distributeurs du bras,

- mouvements concourant au levage : limitation des sollicitations : régler le limiteur de charge (déclenchement maxi 1,10 Pm).

La société ESPACE POIDS LOURDS prétend que les défauts mentionnés dans le rapport APAVE étaient des défauts mineurs tandis que les défauts constatés dans le rapport [T] seraient des défauts majeurs.

Toutefois, les défauts mentionnés par l'APAVE dans son rapport correspondent très exactement aux constatations du cabinet [T] et de la société ayant effectué le devis de réparation.

Sont notamment notés par l'APAVE la déformation de la cabine, la déformation du porteur, la détérioration de l'armoire électrique, le jeu de la nacelle et la fuite du circuit hydraulique.

Dans le même courriel que le rapport de l'APAVE, le vendeur a adressé une facture pro-format, qui mentionnait expressément 'vente dans l'état sans garantie', et 'vente à marchand' cette exclusion étant possible en présence de deux professionnels de la même spécialité.

En présence de l'exclusion de garantie et d'un rapport de l'APAVE faisant état de défauts importants, il appartenait à la société ESPACE POIDS LOURDS de renoncer à son achat, de solliciter des renseignements supplémentaires, ou de se déplacer sur le site de stockage du véhicule avant de l'acquérir.

De la même façon, certains des défauts étant parfaitement apparents (déformation de la nacelle, déformation de la plate-forme, corrosion), elle aurait pu refuser de prendre livraison de l'engin.

Elle a en fait attendu de connaître le coût économique de la réparation pour procéder à une réclamation contre son vendeur.

En tout état de cause, compte tenu de la réception préalablement à la vente du rapport de l'APAVE, dont, en qualité de professionnel de la vente de véhicules, elle était parfaitement à même de tirer toutes conséquences, la société ESPACE POIDS LOURDS ne peut soutenir avoir été victime d'un dol par omission ou avoir acquis un véhicule atteint de vices cachés.

En effet, les informations portées à sa connaissance excluaient le dol et faisaient apparaître les vices.

Le jugement déféré est confirmé en ce qu'il a débouté la société ESPACE POIDS LOURDS de toutes ses demandes.

La société ESPACE POIDS LOURDS, qui succombe, est condamnée aux dépens d'appel.

Les demandes de frais irrépétibles sont rejetées.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement déféré.

Condamne la société ESPACE POIDS LOURDS aux dépens d'appel.

Rejette les prétentions formées sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.