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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 22 février 2024, n° 22/19027

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Bleu Vert (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Soudry

Conseillers :

Mme Ranoux-Julien, Mme Prigent

Avocats :

Me Herman, Me Robert, Me Allouche, Me Tosi

T. com. Bordeaux, 7e ch., du 15 mars 201…

15 mars 2019

EXPOSE DU LITIGE

La société Laboratoires de [Localité 6] (ci-après société LDB) est une société française créant et fabriquant des produits cosmétiques bio. Elle est titulaire des marques Algamaris, Meteologic et Laboratoires de [Localité 6].

La société Laboratoires de [Localité 6] International (ci-après société LBI) est une société belge fabriquant et commercialisant des produits cosmétiques.

La société Bleu Vert est une société de distribution.

Par acte du 20 octobre 2016, un accord de distribution a été signé aux termes duquel la société LDB a accordé à la société Bleu Vert le droit de distribuer tous ses produits sur le territoire national métropolitain et ultra-marin dans le réseau des magasins bios pour une durée de cinq ans.

Par courriel du 12 avril 2018, la société LDB a informé la société Bleu Vert d'un changement d'organisation avec la création d'une nouvelle structure, la société LBI, sise en Belgique, ayant repris son fonds de commerce.

Par acte du 27 avril 2018, la société LDB a cédé son fonds de commerce à la société LBI.

Le 28 septembre 2018, la société Bleu Vert a passé commande de produits qui lui ont été livrés puis facturés par la société LBI pour un montant de 162 378 euros le 30 septembre 2018.

Le 1er octobre 2018, la société Bleu Vert a transmis à la société LBI ses observations sur les deux propositions de contrat de distribution qui lui étaient soumis.

La société LDB, par courriel du 29 octobre 2018, a informé la société Bleu Vert que sa situation de trésorerie ne lui permettait plus de produire et vendre des produits pour la saison suivante et que tout accord possible envisagé devait être pris avec la société LBI.

Par courriel du même jour, le dirigeant de la société LBI a écrit à la société Bleu Vert que "au vu des événements et des échanges emails et téléphoniques de ces dernières semaines, j'ai décidé que la société belge que je représente, Laboratoires de [Localité 6] international sa, ne signera pas de contrat de distribution avec la société Bleu Vert. Dès lors, nous ne pourrons accepter aucune commande de votre part et n'effectuerons aucune livraison de nos produits à Bleu vert".

La société Bleu Vert a néanmoins adressé le 5 novembre 2018 une nouvelle commande à la société LBI puis le 15 novembre 2018, a mis en demeure cette société de reprendre sans délai l'exécution du contrat de distribution exclusive et de livrer sa commande.

N'obtenant pas satisfaction, la société Bleu Vert a assigné les sociétés LDB et LBI le 14 décembre 2018 devant le tribunal de commerce de Bordeaux pour les voir, à titre principal, condamner à honorer sa commande du 5 novembre 2018, à titre subsidiaire, condamner solidairement à lui payer des dommages-intérêts.

Par jugement du 15 mars 2019, le tribunal de commerce de Bordeaux a :

- Mis hors de cause la société Laboratoires de [Localité 6] International ;

- Débouté la société Bleu Vert de sa demande principale et subsidiaire ;

- Condamné la société Laboratoires de [Localité 6] à payer à la société Bleu Vert la somme de 46.004 euros à titre de dommages et intérêts ;

- Condamné la société Laboratoires de [Localité 6] à payer à la société Bleu Vert la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamné la société Laboratoires de [Localité 6] aux dépens.

La société Bleu Vert a formé appel contre le jugement.

La société Les Laboratoires de [Localité 6] a été placée en liquidation judiciaire par un jugement du 3 juin 2019 et la société Guerin et associés, prise en la personne de Mme [J] [I] [F], a été désignée en qualité de liquidateur.

Par arrêt du 3 mars 2021, la cour d'appel de Paris a :

- Confirmé le jugement en ce qu'il a mis hors de cause la société Laboratoires de [Localité 6] International ;

- Infirmé pour le surplus, et statuant à nouveau :

- Fixé la créance de la société Bleu Vert au passif de la société Laboratoires de [Localité 6] aux sommes de :

* 325.689 euros au titre de la perte de marge en 2019,

* 7.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- Débouté la société Bleu Vert du surplus de ses demandes à l'encontre de la société Laboratoires de [Localité 6] et de l'intégralité de ses demandes à l'encontre de la société Laboratoires de [Localité 6] International ;

- Débouté la société Laboratoires de [Localité 6] International de toutes ses demandes formées contre la société Bleu Vert ;

- Condamné la société Laboratoires de [Localité 6], prise en la personne de son liquidateur judiciaire, aux dépens de première instance et d'appel.

La société Bleu Vert a formé un pourvoi en cassation à l'encontre de cet arrêt.

Par arrêt du 19 octobre 2022, la chambre commerciale de la Cour de cassation a :

- Cassé et annulé, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il met hors de cause la société Laboratoires de [Localité 6] International, et en ce que, l'infirmant, il rejette l'intégralité des demandes de la société Bleu Vert à l'encontre de la société Laboratoires de [Localité 6] International et en ce qu'il statue sur les dépens et sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile dans les rapports entre la société Bleu Vert et la société Laboratoires de [Localité 6] International, l'arrêt rendu le 3 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

- Remis, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

- Condamné la société Laboratoires de [Localité 6] International aux dépens ;

- En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejeté la demande formée par la société Bleu Vert contre la société Guérin, en qualité de liquidateur de la société Les Laboratoires de [Localité 6] International et condamné cette dernière à payer à la société Bleu Vert la somme de 3.000 euros ;

Aux motifs qu'il résulte des articles 1200 et 1240 du code civil que le tiers à un contrat qui se rend complice de la violation par une partie de ses obligations contractuelles engage sa responsabilité délictuelle ;

Que pour mettre hors de cause la société Laboratoires de [Localité 6] international et rejeter les demandes de la société Bleu Vert formées contre elle, l'arrêt retient que c'est par courriel du 23 novembre 2018 que la société Bleu Vert a informé la société Laboratoires de [Localité 6] international qu'une société à laquelle elle distribuait les produits antérieurement fournis par la société Les laboratoires de [Localité 6] ne passerait plus par son intermédiaire pour obtenir ces produits, que ce n'est que postérieurement, soit par courriel du 6 décembre 2018, que la société Laboratoires de [Localité 6] international a envoyé des propositions de collaboration directement à une autre société cliente de la société Bleu vert et qu'en cet état, la société Bleu Vert ne démontre pas d'agissements fautifs imputables à la société Laboratoires de [Localité 6] international, susceptibles d'engager sa responsabilité délictuelle ;

Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si la société Laboratoires de [Localité 6] international n'avait pas connaissance, lors de l'acquisition du fonds de commerce, de l'accord de distribution exclusive conclu par la société Les laboratoires de [Localité 6] et si elle ne s'était pas sciemment rendue complice de l'inexécution de cet accord par la société Les laboratoires de [Localité 6], la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Par déclaration de saisine du 7 novembre 2022, la société Bleu Vert a saisi la cour d'appel de renvoi.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par ses dernières conclusions notifiées le 11 avril 2023, la société Bleu Vert demande, au visa des articles 1216 et 1216-1, 1103, 1217, 1226 à 1229 du code civil, ainsi que 1336, 1338 et 1240 du code civil, et de l'article L.442-6 devenu L.442-2 du code de commerce de :

- Infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux rendu le 15 mars 2019 sur la question de la responsabilité délictuelle de la société Laboratoire De [Localité 6] International au regard des termes de l'arrêt de la Cour de cassation en date du 19 octobre 2022, et statuant à nouveau :

- Juger que la société Laboratoires De [Localité 6] International a commis des fautes sur le fondement de la concurrence déloyale, du parasitisme, et des infractions propres à la violation des obligations relatives aux réseaux de distribution ;

- Juger que la société Laboratoires De [Localité 6] International a engagé sa responsabilité délictuelle à l'égard de la société Bleu Vert ;

En conséquence :

- Juger que le préjudice subi par la société Bleu Vert est constitué par la perte de marge brute de la société du fait de l'inexécution du contrat pour les saisons 2019, 2020 et 2021 ;

- Juger que la perte par exercice est fixée à la somme de 325.689 euros ;

- Condamner la société Laboratoires De [Localité 6] International à verser à la société Bleu Vert la somme de 977.067 euros au titre de l'indemnisation du préjudice subi du fait de ses agissements fautifs à son égard ;

- Condamner la société Laboratoires De [Localité 6] International à payer la somme de 15.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Débouter la société Laboratoires De [Localité 6] International de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;

- Condamner la société Laboratoires De [Localité 6] International aux entiers dépens d'instance.

Par ses dernières conclusions notifiées le 15 mai 2023, la société Laboratoires de [Localité 6] International demande, au visa de l'article 1240 du code civil, de :

- Confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux en date du 15 mars 2019, en ce qu'il a :

* mis hors de cause la société Laboratoires De [Localité 6] International,

* débouté la société Bleu Vert SAS de sa demande principale et subsidiaire.

- Débouter la société Bleu Vert de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions, telles que dirigées à l'encontre de la société Laboratoires De [Localité 6] International.

- Condamner la société Bleu Vert au paiement de la somme de 10.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 23 novembre 2023.

MOTIFS

Sur la responsabilité délictuelle de la société LBI

La société Bleu Vert revendique l'engagement de la responsabilité délictuelle de la société LBI. Elle fait valoir que cette société a repris l'intégralité des actifs de la société LDB en pleine connaissance des droits de la société Bleu Vert. Elle soutient que la société LBI avait connaissance de l'existence du contrat d'exclusivité consenti par la société LDB à son profit lorsqu'elle a repris le fonds de commerce de cette dernière.

Elle reproche à la société LBI des faits de parasitisme économique par l'exploitation à son profit du réseau de distribution qu'elle avait précédemment mis en place. Elle lui fait ainsi grief d'avoir organisé, de concert avec la société LDB, son impossibilité de s'approvisionner en produits des marques Laboratoires de [Localité 6], Alga Maris et Meteologic et d'avoir directement pris attache avec ses clients (Biocoop, Le Terreau, Monde Bio, Naturalia) pour la distribution desdits produits. Elle fait valoir que la société LBI a ainsi économisé les frais liés au développement et à la mise place du réseau de distribution qu'elle a supportés.

Par ailleurs, elle reproche à la société LBI d'avoir participé à la violation d'un accord de distribution exclusive.

La société LBI ne nie pas la connaissance du contrat de distribution exclusive entre la société LDB et la société Bleu Vert. Elle réplique néanmoins qu'elle n'était pas tenue de la poursuite de cet accord de distribution qui n'a pas été cédé avec le fonds de commerce. En outre, elle affirme que cette connaissance ne démontre en rien l'existence d'une faute délictuelle de sa part. Elle affirme qu'aucun agissement déloyal ne peut lui être reproché. Elle se prévaut de la liberté du commerce et de l'industrie et de la liberté de concurrence pour affirmer qu'elle pouvait démarcher les grands acteurs de la distribution bio quand bien même ces acteurs se seraient approvisionnés jusqu'alors auprès de la société Bleu Vert. Elle précise qu'elle ne s'est rendue coupable d'aucun détournement de fichier clients, dénigrement, mensonges ni encore d'action concertée avec la société LDB. Elle prétend que l'article L. 442-2 du code de commerce vise à sanctionner le tiers qui participe à la violation de l'interdiction de revente hors réseau faite au distributeur agréé, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Elle fait valoir qu'elle n'a fait que chercher à commercialiser ses propres produits auprès de distributeurs qui ne pouvaient plus s'approvisionner auprès de la société Bleu Vert.

L'article L. 442-6 I 6° du code de commerce dans sa version applicable au litige prévoit que : "Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de participer directement ou indirectement à la violation de l'interdiction de revente hors réseau faite au distributeur lié par un accord de distribution sélective ou exclusive exempté au titre des règles applicables du droit de la concurrence."

Cet article sanctionne la "tierce complicité" d'un distributeur non agréé qui participe à la violation d'une interdiction de revente hors réseau souscrite par les membres du réseau et l'action, fondée sur cet article, est dirigée contre le distributeur non agréé qui commet une faute et engage sa responsabilité délictuelle.

En l'espèce, l'action de la société Bleu Vert est dirigée non pas vers un distributeur non agréé mais contre le fabricant et titulaire des marques de produits qui faisaient l'objet du contrat de distribution exclusive. Cet article n'est donc pas applicable en la cause.

En revanche, il résulte des articles 1240 et 1200 du code civil que le tiers à un contrat qui se rend complice de la violation par une partie de ses obligations contractuelles engage sa responsabilité délictuelle.

En l'espèce, il est constant que la société LDB avait confié à la société Bleu Vert, en vertu d'un accord de distribution du 20 octobre 2016, le droit de vendre et distribuer à titre exclusif tous les produits des marques Algamaris, Meteologic, Laboratoires de [Localité 6], sur le territoire de la France métropolitaine et dans les DOM-TOM dans le réseau des magasins bio (physique et web) pendant une durée de 5 ans, soit jusqu'au 20 octobre 2021, et que le 27 avril 2018, la société LDB a cédé à la société LBI son fonds de commerce comprenant notamment les droits de propriété industrielle sur les marques et brevets, le stock existant de produits et les contrats de travail de ses salariés.

Cette cession du fonds de commerce, intervenue en cours d'exécution du contrat de distribution exclusive, a rendu impossible son exécution jusqu'à son terme. La société LDB a ainsi indiqué, par courriel du 29 octobre 2018, à la société Bleu Vert que : "Suite aux échanges que vous avez eus avec [U] [G] (CEO de la société Laboratoires de [Localité 6] International) et aux mails adressés, je vous informe que dans la situation actuelle de trésorerie de LDB, nous ne serons en aucun cas capable de produire et vendre des produits à BV pour la saison prochaine. Tout accord possible que vous envisagez devra être pris avec Laboratoires de [Localité 6] International." C'est dans ces conditions que la responsabilité contractuelle de la société LDB a été retenue par arrêt de la cour d'appel de Paris du 3 mars 2021 devenu définitif.

Il convient dès lors de rechercher si la société LBI n'avait pas connaissance de l'accord de distribution exclusive antérieurement conclu par la société LDB au moment où elle a acquis son fonds de commerce et si elle ne s'est pas sciemment rendue complice de son inexécution en concluant un contrat qui privait celle-ci des moyens de l'exécuter.

Tout d'abord, la société LBI ne dénie pas qu'elle avait connaissance de l'accord de distribution exclusive conclu entre la société LDB et la société Bleu Vert au moment où elle a acquis son fonds de commerce.

Cette connaissance résulte en tout état de cause des courriels adressés les 12 et 20 avril 2018, soit avant la cession du fonds de commerce, par la société LDB à la société Bleu Vert dans le but d'organiser une réunion avec M. [U] [G], CEO de la société LBI, pour présenter le changement d'organisation à la suite de la cession.

Ensuite il résulte des pièces versées aux débats que la société LBI a, dans un premier temps, après la cession du fonds de commerce, livré et facturé une commande du 28 septembre 2018 de la société Bleu Vert d'un montant de 162.278 euros TTC et a suscité une seconde commande pour une livraison en janvier/février 2019 (courriel du 1er octobre 2018), laissant ainsi penser à la société Bleu Vert qu'elle poursuivrait l'exécution du contrat de distribution conclu avec la société LDB. Pourtant, alors que des négociations étaient en cours sur la conclusion d'un nouveau contrat de distribution, la société LBI, a, le 29 octobre 2018, soit le jour même où la société LDB annonçait qu'elle ne serait plus en mesure d'exécuter le contrat de distribution les liant, informé la société Bleu Vert qu'elle n'accepterait aucune commande de sa part ni n'effectuerait plus aucune livraison.

Son courriel est ainsi rédigé :

"Je n'ai pas reçu de vos nouvelles à ce jour comme je vous l'avais demandé, ni de votre directeur commercial et ni de votre DAF que j'avais également tous deux sollicités.

J'ai été informé par [H] [E] cette après-midi que la société SAS Laboratoires de [Localité 6] qu'elle représente ne serait plus en mesure de distribuer et de vous vendre les produits que nous fabriquons et ce malgré le contrat de distribution qui peut vous lier.

De notre côté, au vu des événements et des échanges emails et téléphoniques de ces dernières semaines, j'ai décidé que la société belge que je représente, Laboratoires de [Localité 6] International SA, ne signera aucun contrat de distribution avec la société Bleu Vert. Dès lors, nous ne pourront accepter aucune commande de votre part et nous n'effectuerons aucune livraison de nos produits à Bleu Vert.

Je voulais vous en informer et vous prie de considérer cette réponse comme étant officielle et définitive."

En outre, dès le lendemain, le 30 octobre 2018, la responsable export de la société LBI, Mme [Z] [Y], prenait attache avec la société Biocoop, client principal de la société Bleu Vert, pour l'informer de l'arrêt de la collaboration avec cette société et lui proposer un référencement direct des produits de sa société au sein de son réseau.

Elle indique ainsi :

"Je me permets de prendre contact avec vous car nous avons décidé de ne plus collaborer avec la société Bleu Vert qui distribue actuellement nos produits.

Je vous adresse 2 mails ci-joints :

- un émanant de [H] [E] de la société Laboratoires de [Localité 6] qui n'est plus en mesure de livrer des commandes car elle est en pré-cessation de paiement. C'est avec cette société que Bleu Vert a signé un contrat il y a quelques années.

- un autre de [U] [G], le nouveau PDG et actionnaire de Laboratoires [Localité 6] International (société créée il y a un an) qui a racheté tous les brevets de la marque.

Bleu Vert ne souhaite pas accepter les nouvelles règles dictées par Mr [G] pour la prochaine saison. Ils nous ont aussi dit que Biocoop allait déréférencer notre gamme suite à notre augmentation tarifaire et notre nouvelle politique commerciale.

J'aimerais donc m'entretenir avec vous à ce sujet, en espérant qu'il ne soit pas trop tard pour tenter un référencement en direct dans votre réseau."

Ce courriel démontre que les sociétés LDB et LBI ont agi de concert et avec déloyauté à l'égard de la société Bleu Vert : la première en cédant son fonds de commerce, ce qui la plaçait dans l'impossibilité de poursuivre l'exécution du contrat de distribution exclusive, la seconde en acceptant de se faire céder ledit fonds de commerce, en ce inclus les droits de propriété industrielle sur les marques et brevets, ainsi que l'intégralité de son stock, alors que cette cession était de nature à empêcher l'exécution jusqu'à son terme du contrat de distribution exclusive dont elle avait eu préalablement connaissance et les deux ensemble, en se concertant pour refuser, au même moment, tout approvisionnement à la société Bleu Vert afin que la société LBI puisse proposer un référencement direct aux clients revendeurs qui se fournissaient auparavant auprès de la société Bleu Vert.

La société LBI s'est ainsi sciemment rendue complice de l'inexécution de l'accord de distribution exclusive conclu entre la société LDB et la société Bleu Vert et a commis une faute engageant sa responsabilité délictuelle à l'égard de cette dernière. Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a mis hors de cause la société LBI.

Sur le préjudice

La société Bleu Vert revendique à titre d'indemnisation le paiement d'une somme de 977.067 euros correspondant à la perte de marge brute subie pour les exercices 2019, 2020 et 2021, soit à la perte des gains qu'elle aurait dû percevoir jusqu'à la fin du contrat de distribution.

La société LBI conteste le préjudice allégué. Elle affirme que la société Bleu Vert ne saurait lui réclamer le préjudice résultant de l'inexécution d'un contrat auquel elle n'était pas tenue. Elle fait encore valoir que ledit préjudice a fait l'objet d'une indemnisation par l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 3 mars 2021.

Le tiers complice de la violation d'obligations contractuelles est tenu de réparer l'entier préjudice résultant desdites inexécutions contractuelles.

En l'espèce, la société LBI, bien que non partie au contrat de distribution conclu entre la société LDB et la société Bleu Vert, doit réparation du préjudice résultant de l'inexécution dudit contrat dont elle s'est rendue complice.

Il ressort de l'attestation de l'expert-comptable de la société Bleu Vert que celle-ci aurait dû réaliser une marge de 325.689 euros en 2019 si elle avait pu continuer à distribuer les produits de la société LDB. Contrairement à ce que soutient la société LBI, il n'est pas démontré que ce préjudice ait déjà été réparé. En effet, bien que l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 3 mars 2021 ait fixé à la procédure collective dont fait l'objet la société LDB une créance de 325.689 euros en réparation du même préjudice financier, il n'en demeure pas moins que le paiement de cette créance est soumis aux règles de la procédure de liquidation judiciaire dont fait l'objet la société LDB et est plus qu'hypothétique. Il sera à cet égard relevé que la société Bleu Vert produit un courriel du liquidateur daté du 24 mars 2023 indiquant qu'il n'est pas en mesure d'indiquer le sort de la créance déclarée à la procédure collective.

Il convient en conséquence d'allouer à la société Bleu Vert une somme de 325.689 euros en réparation de la perte de marge subie pour l'exercice 2019.

En revanche, la perte financière alléguée pour les exercices 2020 et 2021 n'est pas établie. En effet, si le contrat de distribution entre la société LDB et la société Bleu Vert aurait dû se poursuivre jusqu'au 20 octobre 2021, il n'en demeure pas moins que la société LDB rencontrait des difficultés financières susceptibles de compromettre ses capacités de production. Dans ces conditions et eu égard aux aléas liés à l'activité de distribution de produits de beauté, le préjudice allégué n'est pas démontré et la demande d'indemnisation sur ce point sera rejetée.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

La société LBI succombe à l'instance. Elle sera condamnée à supporter les dépens ainsi qu'à payer à la société Bleu Vert une somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Sa demande sur ce point sera rejetée.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a mis hors de cause la société Laboratoires de [Localité 6] International ;

Statuant à nouveau,

Dit que la société Laboratoires de [Localité 6] International engage sa responsabilité délictuelle à l'égard de la société Bleu Vert ;

Condamne la société Laboratoires de [Localité 6] International à payer à la société Bleu Vert une somme de 325.689 euros en réparation de la perte de marge subie pour l'exercice 2019 ;

Rejette le surplus de la demande d'indemnisation de la société Bleu Vert ;

Y ajoutant,

Condamne la société Laboratoires de [Localité 6] International à payer à la société Bleu Vert une somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejette la demande de la société Laboratoires de [Localité 6] International sur ce fondement ;

Condamne la société Laboratoires de [Localité 6] International aux dépens.