Livv
Décisions

CA Grenoble, ch. com., 22 février 2024, n° 22/04551

GRENOBLE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Cassegrain Distribution (SARL)

Défendeur :

Imalp 1 (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Figuet

Conseillers :

M. Bruno, Mme Faivre

Avocats :

Me Colomb-Rey, Me Reboul, Me Niord

TJ Grenoble, du 14 nov. 2022, n° 21/0179…

14 novembre 2022

Faits et procédure :

1. Suivant contrat en date du 3 octobre 2011, la société IMALP 1 a donné à bail commercial à la société Cassegrain Distribution un local d'une superficie de 300 m² constituant le lot commercial n°1 au sein de la copropriété sise [Localité 5], [Adresse 6], en contrepartie d'un loyer annuel de 85.000 euros HT.

2. Par acte d'huissier du 14 novembre 2019, la société IMALP 1 a fait délivrer à la société Cassegrain Distribution un commandement de payer les sommes de 28.566,48 euros au titre des loyers et charges et 5.739,60 euros au titre de la taxe foncière 2019, outre le coût de l'acte, avec rappel de la clause résolutoire insérée au bail.

3. Par acte d'huissier du 19 mai 2020, la société IMALP 1 a fait délivrer à la société Cassegrain Distribution une réitération du commandement de payer visant la clause résolutoire et a mis en demeure le preneur de payer la somme globale de 61.194,88 euros comprenant l'arriéré locatif arrêté au deuxième trimestre de l'année 2020 et la taxe foncière de 2019.

4. Suivant acte d'huissier du 25 mai 2020 délivré à la société Cassegrain Distribution, la société IMALP 1 a donné congé sans offre de renouvellement ni paiement d'une indemnité d'éviction en raison d'un motif grave et légitime, à savoir le non-paiement des loyers.

5. Par jugement du 24 novembre 2020, le tribunal de commerce de Grenoble a placé en liquidation judiciaire la société Cassegrain Distribution et a désigné maître [R] en qualité de liquidateur judiciaire.

6. Par exploit du 13 avril 2021, maître [R], en qualité de liquidateur de la société Cassegrain Distribution, a assigné la société IMALP 1 devant le tribunal judiciaire de Grenoble, demandant notamment sa condamnation à lui payer la somme principal de 359.897,26 euros à titre d'indemnité d'éviction.

7. Par jugement du 14 novembre 2022, le tribunal judiciaire de Grenoble a :

- débouté maître [R], ès-qualités de mandataire liquidateur de la société Cassegrain Distribution, de l'ensemble de ses demandes ;

- condamné maître [R], ès-qualités de mandataire liquidateur de la société Cassegrain Distribution, à payer à la société IMALP 1 la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné maître [R], ès-qualités de mandataire liquidateur de la société Cassegrain Distribution, aux dépens.

8. Es-qualités de liquidateur de la société Cassegrain Distribution, maître [R] a interjeté appel de cette décision le 19 décembre 2022 en toutes ses dispositions reprises dans son acte d'appel.

L'instruction de cette procédure a été clôturée le 23 novembre 2023.

Prétentions et moyens de maître [R] ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Cassegrain Distribution :

9. Selon ses conclusions remises le 4 mai 2023, il demande à la cour, au visa des articles L 145-14 et L145-17 du code de commerce :

- de réformer le jugement entrepris en toute ses dispositions ;

- en conséquence, de condamner la société IMALP 1 à payer au concluant la somme principale de 359.897,26 euros à titre d'indemnité d'éviction, majorée de l'intérêt au taux légal à compter de la date de l'assignation, ledit intérêt annuellement capitalisé ainsi qu'il est dit à l'article 1154 du code civil, dès lors qu'il portera sur une année entière ;

- de débouter la société IMALP 1 de toutes ses demandes contraires ;

- de la condamner au paiement d'une somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- de la condamner au paiement des entiers dépens de l'instance.

L'appelant soutient :

10. - qu'un congé sans motif ou nul, qui donne droit au preneur de quitter les lieux sans atteindre l'issue de la procédure, ne peut le priver de son droit à l'indemnité d'éviction ;

11. - qu'en l'espèce, le congé délivré le 25 mai 2020 est nul pour n'avoir pas détaillé les loyers impayés, motif sur lequel s'appuie le refus de renouvellement sans indemnité ; que ce congé se contente de faire référence à la date de la mise en demeure et au non-paiement des loyers et des accessoires sans les détailler ;

12. - en tout état de cause, que la mise en demeure du 19 mai 2020 a donné un mois au preneur afin de faire cesser l'infraction, alors que le congé a été délivré avec effet au 30 novembre 2020, sans condition ; que l'infraction reprochée doit s'être renouvelée plus d'un mois après mise en demeure ; que si la mise en demeure et le congé peuvent être délivrés concomitamment, le congé doit être alors conditionné à la persistance de l'infraction dans le mois de la mise en demeure, ce qui n'a pas été le cas ;

13. - que le bail cessant ses effets le 30 septembre 2020, le congé aurait dû être délivré, à peine de nullité, au mois six mois avant son terme par application de l'article L145-9 du code de commerce, soit avant le 30 mars 2020 ; que ce n'est que par application de l'article 5 de l'ordonnance du 25 mars 2020 étant venue aménager des délais spéciaux suite à l'épidémie de la Covid 19 que le bailleur a pu délivrer son congé le 25 mai 2020, la fin de la période épidémique ayant été fixée au 23 juin 2020, avec expiration des délais spéciaux le 23 août 2020 ;

14 - que l'article 2 de cette ordonnance a disposé que tout acte prescrit impérativement par la loi ou le règlement qui aurait du être accompli pendant la période épidémique sera réputé avoir été fait à temps s'il a été effectué dans le délai de deux mois suivant la fin de la période épidémique ; que cet article ajoute qu'il en est de même de tout paiement prescrit par la loi ou le règlement en vue de l'acquisition ou de la conservation d'un droit ;

15. - qu'en conséquence, le preneur est également bénéficiaire de ce report de délai ; que s'il n'est pas contesté que cette ordonnance n'exonère pas le preneur de son obligation de payer les loyers, il ne peut être sanctionné que s'il poursuit l'infraction reprochée au-delà du délai de deux mois suivant la fin de la période épidémique, soit à compter du 23 août 2020 ; que la mise en demeure l'informant que le bail prendra fin sans indemnité faute de régularisation des loyers au 19 juin 2020 est ainsi nulle, puisque le preneur disposait d'un délai expirant le 23 août 2020 ;

16. - que contrairement à l'appréciation faite par le tribunal, le commandement du 14 novembre 2019 ne constitue pas une mise en demeure, même s'il retranscrit l'article L145-17, ne comportant pas d'injonction de faire cesser une infraction, d'autant que le bailleur ne le soutient pas et que le congé fait référence à la mise en demeure du 19 mai 2020 ;

17. - que le congé délivré le 25 mai 2020 est également irrégulier en ce qu'il a modifié le terme du bail, expirant le 30 septembre 2020 ; qu'aucune disposition propre à la période épidémique n'a en effet prorogé la durée du bail ; que le congé ne pouvait ainsi être donné pour le 30 novembre 2020 ;

18. - que le tribunal a fait une fausse application de l'article L145-9, en considérant que cet article prévoit que le congé doit être délivré au mois six mois à l'avance et pour le dernier jour du dernier trimestre civil, de sorte que ne l'ayant pas été pour ce dernier jour, si le congé n'est pas nul, son effet doit être reporté à la date à laquelle il aurait dû être délivré ; qu'en effet, le tribunal a ainsi retenu la solution applicable à un bail en cours de tacite reconduction ou à un bail dont la durée est subordonnée à un événement dont la réalisation autorise le bailleur à demander la résiliation, alors qu'en l'espèce, le bail n'arrivait au terme des neuf premières années que le 30 septembre 2020 ; ainsi, que le congé délivré moins de six mois à l'avance est nul ;

19. - que si la cour estime la mise en demeure régulière en la forme, il n'existe aucun motif grave et légitime, puisque si le bailleur invoque une créance de 61.194,88 euros relative aux loyers des 4ième trimestre 2019 et second trimestre 2020, deux acomptes de 15.000 euros ont été payés en janvier et mars 2020, de sorte que l'arriéré locatif n'était que de 4.606,28 euros pour l'année 2019, outre les loyers des deux premiers trimestres 2020 ;

20. - que la gravité du manquement doit s'apprécier en prenant en considération un contexte financièrement difficile, ainsi lorsque le preneur s'est trouvé privé de la possibilité d'exploiter son fonds ; qu'il n'est pas contesté que les loyers ont été régulièrement payés avant le premier commandement de la fin de l'année 2019 ; que l'activité du preneur était située dans une station de ski et était saisonnière, alors qu'à compter du 17 mars 2020, le confinement imposé par l'État a entraîné la désertion de la station ; que ce confinement n'a cessé que le 11 mai 2020 alors que la saison de ski était terminée ; que le preneur était ainsi de bonne foi, alors que le bailleur savait qu'une exécution du commandement de payer était impossible ;

21. - que le bailleur et le franchiseur du preneur ont organisé de concert la succession du preneur dans le fonds de commerce à leur seul profit, ce qui est inéquitable envers la collectivité des créanciers représentée par le liquidateur judiciaire ;

22. - concernant le montant de l'indemnité d'éviction, qu'une indemnité de pas de porte de 200.000 euros a été versée en octobre 2011, fixant la valeur du droit au bail ; que les immobilisations corporelles après amortissement étaient de 92.639 euros au 30 septembre 2019 ; que le commissaire-priseur a donné une valeur d'exploitation de 87.580 euros pour l'ensemble des matériels inventoriés ; que le chiffre d'affaires au 30 septembre 2019 était de 1.717.480 euros HT ; que le franchiseur Carrefour avait évalué le fonds à 300.000 euros début juin 2020 ; que compte tenu de ces éléments, la valeur marchande du fonds est de 375.160 euros ;

23. - que le concluant n'a pu récupérer que 31.166,44 euros au titre de la vente des actifs après déduction des frais ; que la perte subie est ainsi de 343.993,56 euros au titre de la valeur du fonds ;

24. - que l'intimée ne peut soutenir qu'en cas d'entreprise déficitaire, la valeur du fonds est réduite à celle du droit au bail, puisque cela n'est applicable qu'à une hypothèse dans laquelle le fonds de commerce est inexistant ;

25. - qu'il convient d'ajouter les indemnités de licenciement pour 15.903,70 euros, puisque si l'AGS a avancé ces indemnités, il s'agit d'une créance devant lui être remboursée, de sorte que l'indemnité d'éviction est de 359.897,26 euros ;

26. - qu'il n'y a pas lieu de compenser les loyers dus avec l'indemnité d'éviction, en raison de leur nature différente, puisque l'indemnité d'éviction a une nature quasi délictuelle, ne résultant pas du bail mais de la loi ; que le bailleur n'a en outre aucun droit particulier sur la vente d'un fonds de commerce lors d'une liquidation, sauf son rang privilégié, de sorte qu'admettre une compensation lui accorderait un traitement préférentiel.

Prétentions et moyens de la société IMALP 1 :

27. Selon ses conclusions remises le 14 avril 2023, elle demande à la cour, au visa des articles L 145-14 et L 145-17 du code de commerce :

- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté maître [R], ès-qualités de mandataire liquidateur de la société Cassegrain Distribution de l'ensemble de ses demandes ; en ce qu'il a condamné maître [R] ès-qualités de mandataire liquidateur de la société Cassegrain Distribution à payer à la concluante la somme de 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ; en ce qu'il a condamné maître [R] ès-qualités de mandataire liquidateur de la société Cassegrain Distribution aux dépens ;

- subsidiairement, de débouter l'appelant de ses fins et prétentions concernant le paiement d'une indemnité d'éviction principale en présence d'un fonds de commerce disparu du fait de la liquidation judiciaire et d'un droit au bail distinct du droit d'entrée dont le montant n'est pas justifié au regard du temps qui restait à courir jusqu'à l'échéance, et du loyer actuel correspondant à la valeur locative ;

- de rejeter les demandes de maître [R], ès-qualités de liquidateur de la société Cassegrain Distribution, concernant le remboursement d'indemnités et accessoires, de licenciement ou de déménagement, non liés au non renouvellement mais à la cessation des paiements ;

- plus subsidiairement, d'opérer compensation entre la créance déclarée par la concluante à la procédure collective et l'éventuel valeur du droit au bail ;

- de condamner maître [R], ès-qualités de mandataire liquidateur de la société Cassegrain Distribution à payer à la concluante la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'intimée soutient :

28. - concernant la validité du commandement itératif et du congé sans offre de renouvellement pour motif grave, que le congé donné moins de six mois avant l'expiration du bail n'est pas nul, seuls ses effets étant reportés à la première date utile pour laquelle le congé pouvait être donné ;

29. - que selon la note de la direction des affaires civiles du 7 avril 2020, concernant les baux d'habitation, mais applicable aux baux commerciaux, le délai de préavis ne peut être raccourci par la mise en application de l'article 5 de l'ordonnance du 25 mars 2020, et la période qui s'étend entre le terme contractuel et la reprise des lieux peut être considérée comme une prorogation temporaire du contrat, de sorte que le terme du bail peut être dépassé sans qu'un nouveau contrat ne se forme ;

30. - qu'en l'espèce, si l'appelant soutient que le commandement itératif aurait dû viser un délai de régularisation de l'infraction au regard de sa date de délivrance, délai ne pouvant se situer avant le 23 août 2020, par application de l'article 2 de cette ordonnance, cependant, comme il n'a pas été fait opposition pour dénoncer un effet prématuré de ce commandement, alors qu'à la date d'échéance du congé les causes de ce commandement n'étaient pas régularisées, la nullité du commandement, motif pris de ce qu'il n'a pas visé la prorogation pour régulariser l'infraction, ne fait pas grief ;

31. - au surplus, que l'ordonnance étant d'ordre public et ne faisant pas obligation de rappeler son article 2, la nullité du congé ou du commandement itératif n'est pas encourue ;

32. - que l'article 5 de l'ordonnance a eu pour effet de repousser la date d'échéance du bail au 30 novembre 2020 au lieu du 30 septembre, afin de ne pas désavantager le preneur ; qu'il en résulte que cette date de décalage du terme du contrat a ouvert une période entre ces deux dates pendant laquelle les droits du preneur ont été maintenus, sans qu'il s'agisse d'une prorogation tacite visée par l'article L145-9 ; que ce report de l'effet du congé n'a pu profiter qu'au preneur qui ne peut ainsi invoquer un motif de nullité ;

33. - que la mise en demeure est régulière, puisqu'elle peut être notifiée avant tout congé, ou concomitamment et dans un même acte ; que le commandement réitératif du 19 mai 2020 est ainsi régulier, exposant précisément l'infraction reprochée et visant le commandement du 11 novembre 2019 ;

34. - que le preneur ne peut invoquer de grief au motif que le congé sans offre de renouvellement aurait prolongé les effets du bail postérieurement au 30 septembre 2020, puisqu'il bénéficiait ainsi d'un délai supplémentaire pour vendre son fonds ;

35. - qu'il existe un motif grave et légitime de ne pas renouveler le bail, en raison de la persistance de l'absence de paiement des loyers, puisque les deux acomptes de 15.000 euros ont laissé persister un solde ;

36. - que lors du premier commandement, le preneur n'a pas sollicité la suspension des effets de la clause résolutoire au visa de l'article L145-41 du code de commerce ;

37. - que lors du second commandement valant mise en demeure, sur lequel le congé est fondé, la dette locative s'est accrue ;

38. - que l'appelant ne justifie pas de motif pouvant exonérer le preneur de son obligation de régler les loyers, puisqu'avant même la survenue de la crise sanitaire, alors que le tourisme en montagne connaissait une embellie, le preneur s'est abstenu de payer les loyers ; que lorsque que l'état de crise sanitaire a été levé une première fois le 11 mai 2020, la saison touristique a été exceptionnelle en raison des restrictions de voyages à l'étranger, alors que le preneur n'a plus réglé ses loyers, de sorte que la créance de la concluante était de 145.525,85 euros à la date de l'ouverture de la liquidation judiciaire le 21 novembre 2020 ;

39. - que le preneur ne bénéficiait pas d'une antériorité importante dans les lieux puisque le bail initial a été conclu en 2011, alors que l'arriéré locatif est supérieur à une année complète de location ;

40. - que les difficultés du preneur résultent d'une baisse important de son chiffre d'affaires, passant en dessous du seuil de rentabilité, s'expliquant par un point de vente exploité avec des horaires d'ouverture ne correspondant pas à la fréquentation touristique, et non à la conjoncture générale ;

41. - qu'il n'existe pas de collusion entre le franchiseur et la concluante, puisque le seul motif de résiliation résulte du défaut de paiement des loyers à leur échéance avec une menace d'aggravation de cette situation, de sorte que le bailleur a recherché un autre locataire, y compris franchisé par l'enseigne, auprès de laquelle le preneur avait une dette fournisseur abyssale ;

42. - subsidiairement, concernant le calcul de l'indemnité d'éviction, que lorsque le locataire a quitté les lieux, l'indemnité est évaluée au jour de son départ ; ainsi, que cette indemnité peut ne revêtir qu'un montant symbolique lorsque le preneur a fait l'objet d'une liquidation judiciaire entre la délivrance du congé et le prononcé de la décision ; que lorsqu'un droit au bail existe, la valeur du fonds est alors réduite à cette valeur ; que cette valeur se calcule par la différence entre le montant de la valeur locative et le loyer qui aurait été perçu si le bail avait été renouvelé, différence affectée d'un coefficient multiplicateur ;

43. - que le droit au bail ne se confond pas avec l'indemnité de pas de porte versée au début du bail, correspondant à divers avantages commerciaux fournis par le bailleur sans rapport avec le loyer, et compensant les avantages de la propriété commerciale acquise par le preneur, puisque le droit au bail est versé à l'ancien locataire par le nouveau preneur lors de la reprise du bail;

44. - qu'en l'espèce, le bail arrivait à expiration, de sorte qu'il ne restait pas d'année à courir ; qu'il n'est pas démontré que le loyer aurait été d'un montant inférieur à la valeur locative concernant le loyer initial fixé en 2011, porté à 95.000 euros HT lors de la résiliation outre la taxe foncière de 5.000 euros ; qu'il n'est pas ainsi démontré que le preneur aurait perdu une valeur de droit au bail conséquente ;

45. - que le bail a prévu que le droit d'entrée de 200.000 euros resterait acquis au bailleur en cas d'absence de renouvellement, avec ou sans indemnité d'éviction ;

46. - qu'en raison de la liquidation judiciaire, le fonds est dépourvu de valeur, à l'exception des éléments corporels comme le stock et les aménagements, d'autant qu'antérieurement, ce fonds générait des pertes ; qu'il appartenait ainsi au preneur, pour convertir son droit d'entrée en droit au bail, de faire perdurer son exploitation ;

47. - que les indemnités accessoires liées au déménagement et au coût de licenciements ne sont pas dues, étant imputables à la cessation des paiements et non au refus de renouvellement, puisque la liquidation judiciaire a été prononcée avant l'échéance du bail ; que le liquidateur judiciaire a ainsi indiqué ne pouvoir vendre le fonds en raison de l'absence de régularisation des loyers et a rendu spontanément les clefs, de sorte qu'il ne peut soutenir que ces accessoires seraient liés à l'absence de renouvellement du bail ;

48. - concernant la compensation entre l'indemnité d'éviction et les loyers, qu'ils sont nés du même contrat et sont connexes, de sorte que la compensation n'est pas soumise aux conditions de liquidité et d'exigibilité, d'autant que la créance de la concluante a été définitivement admise pour 124.525,85 euros.

*****

49. Il convient en application de l'article 455 du code de procédure civile de se référer aux conclusions susvisées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.

MOTIFS DE LA DECISION :

50. Concernant la validité du congé, il résulte de l'article L145-17 du code de commerce que le bailleur peut refuser le renouvellement du bail sans être tenu au paiement d'aucune indemnité, notamment s'il justifie d'un motif grave et légitime à l'encontre du locataire sortant. Toutefois, s'il s'agit soit de l'inexécution d'une obligation, soit de la cessation sans raison sérieuse et légitime de l'exploitation du fonds, compte tenu des dispositions de l'article L. 145-8, l'infraction commise par le preneur ne peut être invoquée que si elle s'est poursuivie ou renouvelée plus d'un mois après mise en demeure du bailleur d'avoir à la faire cesser. Cette mise en demeure doit, à peine de nullité, être effectuée par acte extrajudiciaire, préciser le motif invoqué et reproduire les termes de cet alinéa.

51. En l'espèce, si l'appelant soutient que le commandement est nul faute d'avoir détaillé les loyers impayés, motif sur lequel s'appuie le refus de renouvellement du bail, la cour constate qu'un premier commandement de payer avec rappel de la clause résolutoire insérée au bail pour défaut de paiement des loyers a été signifié le 14 novembre 2019, concernant le loyer et les charges du 3ième trimestre 2019 et la taxe foncière 2019, outre les frais de l'acte, pour un total de 34.575,76 euros. Il a rappelé que faute de régularisation dans le délai d'un mois, le bail sera résilié de plein droit et il a précisé qu'en raison du non paiement des loyers, charges et taxes, le bailleur entend refuser le renouvellement du bail à son expiration, sans être tenu de payer une indemnité d'éviction.

52. Ce commandement a été réitéré par exploit du 19 mai 2020, visant le défaut de paiement des loyers et des charges du 4ième trimestre 2019, du 1er et du 2ième trimestre 2020, de la taxe foncière 2019. Il a tenu compte des deux acomptes de 15.000 euros versés le 8 janvier 2020 et le 3 mars 2020. Il n'est pas contesté que le solde était alors de 61.194,88 euros. Ainsi qu'indiqué dans cet acte, si deux acomptes pour un total de 30.000 euros ont été payés, les causes du premier commandement, que cet exploit a rappelé, n'ont été que partiellement réglées. Ce second commandement a rappelé l'existence de la clause résolutoire et a reproduit l'article L145-17 du code de commerce, en précisant qu'à défaut de paiement, le bailleur se réserve la possibilité d'invoquer la persistance de l'infraction au-delà d'un mois comme motif grave et légitime de refus de renouvellement sans indemnité du bail.

53. Enfin, le congé sans offre de renouvellement ni paiement d'une indemnité d'éviction pour motif grave et légitime a été signifié le 25 mai 2020, avec la reproduction de l'article L145-17 du code de commerce, visant la mise en demeure du 19 mai 2020 et donnant congé pour le 30 novembre 2020, afin de tenir compte du délai de six mois calculé à compter de sa délivrance. Il a également reproduit la suite de l'article 145-9 selon laquelle le congé doit être donné par acte extrajudiciaire et doit, à peine de nullité, préciser les motifs pour lesquels il est donné et indiquer que le locataire qui entend, soit contester le congé, soit demander le paiement d'une indemnité d'éviction, doit saisir le tribunal avant l'expiration d'un délai de deux ans à compter de la date pour laquelle le congé a été donné.

54. Il en résulte, alors qu'il n'est pas contesté par l'appelant que le congé peut être délivré concomitamment avec la mise en demeure, que le congé sans offre de renouvellement s'est valablement fondé sur le commandement valant la mise en demeure du 19 mai 2020, réitérant le commandement du 14 novembre 2019, tous ces actes visant le défaut de paiement des loyers et accessoires, dont les deux commandements ont précisé le détail. Il en résulte que le congé sans offre de renouvellement et sans indemnité d'éviction est régulier à cet égard.

55. S'agissant ensuite de la date de la délivrance de ce congé, et de la date de la résiliation du bail, ainsi que soutenu par l'appelant, le bail venait à expiration le 30 septembre 2020. Il en résulte que le congé aurait dû être délivré, à peine de nullité, au mois six mois avant son terme par application de l'article L145-9 du code de commerce, soit avant le 30 mars 2020. Ainsi, à défaut de congé donné six mois avant la date de l'échéance contractuellement fixée dans le bail initial, ce dernier fait par écrit se prolonge tacitement au-delà du terme fixé par le contrat. La cour indique que ce n'est qu'au cours de la tacite prolongation que le congé doit être donné au moins six mois à l'avance et pour le dernier jour du trimestre civil. De même, le bail dont la durée est subordonnée à un événement dont la réalisation autorise le bailleur à demander la résiliation ne cesse, au-delà de la durée de neuf ans, que par l'effet d'une notification faite six mois à l'avance et pour le dernier jour du trimestre civil. Ainsi, dans le cadre d'une première échéance du bail neuf ans après sa conclusion, ce dernier ne cesse qu'à cet anniversaire, et non le dernier jour du trimestre civil suivant cette date. Le commandement de payer du 19 mai 2020 a d'ailleurs indiqué que le 30 septembre 2020 constituait la date d'expiration du bail.

56. Si le tribunal judiciaire a rappelé que le congé donné pour une date antérieure à celle fixée par l'article L145-9 du code de commerce dans sa version applicable au contrat n'est pas, de ce fait, nul et que son effet peut être reporté à la date pour laquelle il aurait dû être régulièrement donné, ce principe résultant d'un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de Cassation du 9 octobre 1996 concerne le cas d'un congé effectivement donné au mois six mois avant le terme contractuel du bail, mais prévoyant une date erronée, quoique postérieure de six mois à la délivrance du congé. Dans cette hypothèse, le congé n'est pas nul, ayant été donné six mois avant la date effective de fin du bail. Le bail ne prend alors fin qu'à la date à laquelle le congé devait être donné. Tel n'est pas le cas de la présente espèce, puisque le congé délivré par l'intimée ne l'a pas été six mois au moins avant la date d'expiration du bail.

57. Cependant, l'appelant reconnaît (page 5 de ses conclusions) que, par application de l'article 5 de l'ordonnance du 25 mars 2020, venant aménager des délais spéciaux suite à l'épidémie de la Covid 19, le bailleur a pu délivrer son congé le 25 mai 2020, la fin de la période épidémique ayant été fixée au 23 juin 2020, avec expiration des délais spéciaux le 23 août 2020. Il est en conséquence mal fondé à soutenir, sauf à se contredire, que le congé donné le 25 mai 2020 serait nul en raison de la date de sa délivrance ne respectant pas le délai de six mois.

58. S'agissant en outre du délai imparti au preneur pour régulariser l'infraction, il n'est pas contesté que le délai de deux mois suivant l'expiration de la période définie au I de l'article 1er de l'ordonnance du 25 mars 2020 a pris fin le 23 août 2020. Ces dispositions n'ont concerné que le report de l'exécution de certains actes et des sanctions attachées à un paiement devant intervenir en vue de l'acquisition ou de la conservation d'un droit. Contrairement à l'argumentation de l'appelant, si le preneur disposait ainsi d'un délai expirant le 23 août 2020 pour satisfaire aux causes du commandement délivré le 19 mai 2020, il n'en résulte pas que la mise en demeure était ainsi nulle faute d'avoir préciser cette date, seule la date du paiement permettant d'y satisfaire étant reportée. Comme retenu par le tribunal, les éléments versés au débat et les écritures des parties démontrent au contraire qu'au 23 août 2020, les impayés n'étaient toujours pas régularisés et ces dispositions n'exonéraient pas le preneur de son obligation de paiement des loyers et accessoires et n'imposaient pas au bailleur d'y faire référence lors de la délivrance des actes litigieux.

59. Enfin, l'appelant ne peut invoquer de grief concernant la date d'expiration du bail mentionné dans le congé, reportée au 30 novembre 2020. Il résulte de ces éléments que le congé a ainsi été valablement donné le 25 mai 2020.

60. Concernant le motif grave et légitime du refus de renouvellement du bail sans indemnité, comme relevé par la juridiction de première instance, le bailleur s'est prévalu, dans le congé délivré le 25 mai 2020, du commandement du 19 mai 2020, rappelant la délivrance d'un premier commandement de payer le 14 novembre 2019, visant la clause résolutoire. Elle a exactement relevé pour cet acte que, bien qu'il rappelle la clause résolutoire et la faculté pour le bailleur de s'en prévaloir si le commandement demeure infructueux dans un délai d'un mois, il retranscrit également le 1er alinéa de l'article L145-17 du code de commerce et invoque aussi la possibilité de refuser le renouvellement du bail sans indemnité d'éviction pour motif grave et légitime en raison du non-paiement des loyers et accessoires.

61. Ainsi que retenu par le tribunal, l'acte extrajudiciaire du 19 mai 2020 constitue une seconde mise en demeure de régler les loyers et accessoires impayés dans laquelle les dispositions exigées sont reproduites et il est rappelé, une nouvelle fois, la clause résolutoire et la possibilité de se prévaloir d'un non-renouvellement. Il est explicitement et clairement mentionné le manquement reproché, à savoir "le défaut de paiement des loyers, charges et accessoires ", et il est enjoint au preneur de régler les impayés locatifs dus au 1er avril 2020 arrêtés à la somme de 61.194,88 euros. Le tribunal a exactement constaté que les deux versements de 15.000 euros chacun le 8 janvier et le 3 mars 2020 n'ont pas permis au preneur ni d'apurer l'intégralité de l'arriéré locatif ni de payer les loyers et accessoires courants, et même que l'arriéré locatif a augmenté entre ces actes.

62. La cour ajoute que le manquement relatif à l'obligation de paiement des loyers et accessoires a persisté après le 23 août 2020, date ultime prévue par l'article 2 de l'ordonnance du 25 mars 2020, prévoyant que tout paiement prescrit par la loi ou le règlement en vue de l'acquisition ou de la conservation d'un droit sera réputé avoir été fait à temps s'il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette date, le délai imparti légalement.

63. Il en résulte que l'appelant est mal fondé à soutenir que ce congé a été délivré sans motif, et sans attendre l'issue d'une procédure, celle-ci ayant été engagée lors de la délivrance du premier commandement le 14 novembre 2019. Il est également mal fondé à invoquer la nullité du congé pour ne pas avoir détaillé les loyers impayés, puisque l'acte a rappelé la mise en demeure visant la clause résolutoire signifiée quelques jours auparavant, celle-ci rappelant l'existence et les causes du premier commandement, inexécuté à la date de la délivrance de la seconde mise en demeure et du congé sans offre de renouvellement pour motif grave et légitime.

64 Enfin, le tribunal a exactement constaté que si les difficultés rencontrées par le preneur par l'effet de la crise sanitaire ne peuvent être contestées pour l'exploitation de son fonds de commerce, il convient toutefois de souligner que les premiers impayés sont apparus dès le 4ème trimestre de l'année 2019, soit bien avant le premier confinement imposé en mars 2020. Ainsi, le manque d'achalandage ne peut remettre en cause la gravité des manquements du preneur.

65. Il s'ensuit, sans qu'il soit nécessaire de plus amplement statuer, que le jugement déféré sera confirmé en toutes ses dispositions. L'appelant sera condamné en conséquence à payer à l'intimée la somme complémentaire de 4.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens exposés en cause d'appel, qui seront employés en frais privilégiés de la liquidation judiciaire, par application de l'article 696 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu les articles L145-8 et suivants, L145-14, L145-17, L145-41 et suivants du code de commerce, l'ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 ;

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions;

y ajoutant ;

Condamne maître [R], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Cassegrain Distribution, à payer à la société IMALP 1 la somme complémentaire de 4.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne maître [R] ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Cassegrain Diffusion aux dépens exposés en cause d'appel, qui seront employés en frais privilégiés de la liquidation judiciaire ;

SIGNÉ par Mme Marie-Pierre FIGUET, Présidente et par Mme Alice RICHET, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.