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Décisions

CA Paris, Pôle 5 - ch. 3, 22 février 2024, n° 21/18952

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Pains Brioches (SARL)

Défendeur :

La Romainville (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Recoules

Conseillers :

Mme Leroy, Mme Lebée

Avocats :

Me Bellichach, Me Chabrerie, Me Masson, Me Garnero, Me Sagalovitsch

TJ Créteil, 3e ch. civ., du 07 sept. 202…

7 septembre 2021

Par acte sous signature privée du 12 septembre 2013, la SA La Romainville a donné à bail à la SARL Pains brioches de [Localité 7] des locaux commerciaux situés au [Adresse 2] (94), pour une durée de deux ans à compter du 15 septembre 2013 et contre paiement d'un loyer annuel hors taxes de 30.000 €.

La destination contractuelle des lieux est l'exercice d'activités d'«atelier de fabrication, de commercialisation et/ou de stockage», dans le domaine de la boulangerie.

Par acte sous signature privée du 17 septembre 2015, la SA La Romainville a donné à bail ces locaux commerciaux à la SARL Pains brioches de [Localité 7], suivant les clauses et conditions du bail expiré, pour une durée de deux ans à compter du 16 septembre 2015.

Par acte sous signature privée du 24 juillet 2017, un troisième bail portant sur ces locaux a été conclu entre la SA La Romainville et la SARL Pains brioches de [Localité 7], suivant les clauses et conditions du bail expiré, pour une nouvelle durée de deux ans à compter du 17 septembre 2017.

Par exploit d'huissier signifié le 07 août 2018, la SARL Pains brioches de [Localité 7] a fait assigner la SA La Romainville devant le tribunal de grande instance de Créteil afin d'obtenir la requalification de ce dernier contrat en bail commercial.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 17 septembre 2019, la SA La Romainville a fait sommation à sa locataire de quitter les locaux pour le 18 octobre 2019 au plus tard.

Par jugement du 07 septembre 2021, le tribunal judiciaire de Créteil a :

- constaté que la SARL Pains brioches de [Localité 7] et la SA La Romainville sont liées par un bail commercial d'une durée de neuf années à compter du 16 septembre 2016, portant sur des locaux situés au [Adresse 2] (94), aux clauses et conditions du bail dérogatoire conclu le 12 septembre 2013 ;

- débouté en conséquence la SA La Romainville de sa demande en expulsion et paiement d'une indemnité d'occupation ;

- fixé le montant du loyer du bail à la somme de 58.560 € (hors taxes et hors charges) par an ;

- condamné en tant que de besoin la SARL Pains brioches de [Localité 7] au paiement des rappels de loyer, outre les intérêts au taux légal à compter du 03 mars 2021 pour les loyers échus avant cette date et à compter de chaque échéance contractuelle pour les loyers échus après cette date ;

- ordonné la capitalisation des intérêts dus pour au moins une année entière ;

- condamné la SA La Romainville au paiement des entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de la SELAS Theillac-Cavarroc ;

- condamné la SA La Romainville à payer à la SARL Pains brioches de [Localité 7] la somme de 2.000 € au titre des frais exposés non compris dans les dépens, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire de la décision.

Par déclaration du 28 octobre 2021, la SARL Pains brioches de [Localité 7] a interjeté appel partiel du jugement des chefs du montant du loyer révisé et de la capitalisation des intérêts.

Par conclusions déposées le 15 avril 2022, la SA La Romainville a interjeté appel incident partiel du jugement.

La commune de [Localité 5] a constitué avocat, mais n'a pas conclu.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 22 novembre 2023.

MOYENS ET PRÉTENTIONS

Vu les conclusions déposées le 11 juillet 2022, par lesquelles la SARL Pains brioches de [Localité 7], appelante à titre principal et intimée à titre incident, demande à la Cour de :

- confirmer le jugement du 07 septembre 2021 en ce qu'il a jugé que la SARL Pains brioches de [Localité 7] et la SA La Romainville sont liées par un bail commercial d'une durée de neuf années à compter du 16 septembre 2016, portant sur des locaux situés au [Adresse 2] (94), aux clauses et conditions du bail dérogatoire conclu le 12 septembre 2013 ;

- infirmer le jugement du 7 septembre 2021 en ce qu'il a fixé le loyer du bail à effet du 16 septembre 2016 à la somme de 58.560 € HT et HC par an ;

- Statuant à nouveau, fixer le loyer du bail à effet du 16 septembre 2016 à la somme de 30.000 € HT et HC par an conformément à l'accord des parties ;

- A titre subsidiaire, et dans l'hypothèse où la Cour estimerait ne pouvoir statuer de plano sur le montant du loyer, désigner tel expert qu'il plaira avec mission de :

o donner son avis sur la valeur locative des locaux loués telle que définie aux articles L. 145-33 et suivants du code de commerce à la date du 16 septembre 2016 en fonction de l'activité exercée,

o dire que la provision sera à consigner par la bailleresse,

o fixer en ce cas, à titre provisionnel et par application de l'article L. 145-57 du code de commerce, le loyer provisionnel pendant la durée de la procédure au dernier loyer en vigueur soit 30.000 € HT et HC par an,

- infirmer le jugement du 07 septembre 2021 en ce qu'il a condamné la SARL Pains brioches de [Localité 7] à rembourser à la SA La Romainville un arriéré de loyer depuis le 16 septembre 2016 ;

- débouter la SA La Romainville de toutes demandes, fins et conclusions plus amples et contraires ;

En tout état de cause :

- condamner la SA La Romainville au paiement d'une somme de 3.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du CPC, ainsi qu'en tous les dépens, dont distraction au profit de Me Bellichach, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Vu les conclusions déposées le 15 avril 2022, par lesquelles la SA La Romainville, intimée à titre principal et appelante à titre incident, demande à la Cour de :

Il est demandé à la cour d'appel d'infirmer le jugement en ce qu'il a :

- constaté que la SARL Pains brioches de [Localité 7] et la SA La Romainville sont liées par un bail commercial d'une durée de 9 années à compter du 16 mars 2016, portant sur des locaux situés au [Adresse 2] à [Localité 5] (94), aux clauses et conditions du bail dérogatoire conclu le 12 septembre 2013,

- débouté en conséquence la SA La Romainville de sa demande d'expulsion et paiement d'une indemnité d'occupation,

- fixé le montant du loyer du bail à la somme de 58.560 € (hors taxes hors charges) par an,

- condamné en tant que de besoin la SARL Pains brioches de [Localité 7] au rappels de loyer, outre les intérêts au taux légal à compter du 3 mars 2021 pour les loyers échus avant cette date et à compter de chaque échéance contractuelle pour les loyers échus avant cette date,

- ordonné la capitalisation des intérêts dus pour au moins une année entière,

- condamné la SA La Romainville aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de la SELAS Theillac-Cavarroc ;

- condamné la SA La Romainville à payer à la SARL Pains brioches de [Localité 7] la somme de 2.000 € au titre des frais exposés non compris dans les dépens, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Et statuant à nouveau :

A titre principal,

- débouter la SARL Pains brioches de [Localité 7] de toutes ses demandes, fins et prétentions et notamment de sa demande de requalification en bail commercial à compter du 16 septembre 2015,

- dire et juger que la SARL Pains brioches de [Localité 7] est occupante sans droit ni titre des lieux loués situés à [Adresse 2] depuis le 18 octobre 2019, date d'effet de la sommation de déguerpir,

- en conséquence, ordonner l'expulsion de la SARL Pains brioches de [Localité 7] et de tous occupants de son chef des locaux qu'elle occupe à [Localité 5] ([Adresse 2] et ce, sous astreinte de 50 € / jour de retard à compter de la décision à intervenir ; avec l'assistance de la force publique et d'un serrurier si besoin est.

- fixer l'indemnité d'occupation annuelle à la somme de 60.000 € HT, correspondant à un loyer mensuel de 5.000 € HT outre 150 € de provision mensuelle sur charges, à compter du 18 octobre 2019 jusqu'à la libération effective des lieux et remise des clés ;

- condamner la SARL Pains brioches de [Localité 7] à payer à la SA La Romainville les intérêts de retard au taux d'intérêts légal sur les arriérés de loyer à compter du 03 septembre 2021, date de la demande en première instance, pour les loyers échus avant cette date et à compter de chaque échéance contractuelle pour les loyers échus après cette date ;

- ordonner la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;

A titre subsidiaire, si le bail était requalifié en bail commercial,

- fixer le montant du loyer du bail commercial à une somme de 80.520 € HT/HC pour les locaux situés [Adresse 2] correspondant à la valeur locative pour un bail de 9 années à compter du 16 septembre 2015, date d'effet sollicité par la société Pains brioches de [Localité 7], les autres clauses et conditions du bail dérogatoire expiré demeurant inchangées ;

- condamner la SARL Pains brioches de [Localité 7] à payer à la SA La Romainville les arriérés de loyers outre les intérêts de retard au taux de légal sur les arriérés de loyer à compter du 03 mars 2021 pour les loyers échus avant cette date et à compter de chaque échéance contractuelle pour les loyers échus après cette date ;

- ordonner la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;

- à titre subsidiaire, si par extraordinaire, il était désigner un Expert afin de déterminer la valeur locative des locaux loués, fixer à titre provisionnel le loyer à la somme de 58.560 € HT/HC annuel tel que déterminée par l'Expert [T] à compter du 16 septembre 2015, et ce pour sauvegarder les droits de la bailleresse, du fait du loyer manifestement sous évalué et de la durée de la procédure ;

En tout état de cause,

- condamner la SARL Pains brioches de [Localité 7] à payer à la SA La Romainville la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de l'instance.

SUR CE,

1) Sur la qualification du contrat de bail liant les parties

Aux termes de l'article L.145-5 du code de commerce dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 18 juin 2014, les parties peuvent, lors de l'entrée dans les lieux du preneur, déroger aux dispositions du présent chapitre à la condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à deux ans. Si, à l'expiration de cette durée, le preneur reste et est laissé en possession, il s'opère un nouveau bail dont l'effet est réglé par les dispositions du présent chapitre. Il en est de même, à l'expiration de cette durée, en cas de renouvellement exprès du bail ou de conclusion, entre les mêmes parties, d'un nouveau bail pour le même local, le preneur pouvant toujours renoncer au bénéfice du statut des baux commerciaux dès que celui-ci est acquis, cette renonciation devant cependant être claire et univoque.

Aux termes de l'article L. 145-5 du code de commerce, tel qu'issu de l'entrée en vigueur de la loi du 18 juin 2014, applicable aux contrats conclus ou renouvelés à compter du 1er septembre 2014,les parties peuvent, lors de l'entrée dans les lieux du preneur, déroger aux dispositions du présent chapitre à la condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à trois ans. A l'expiration de cette durée, les parties ne peuvent plus conclure un nouveau bail dérogeant aux dispositions du présent chapitre pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux.

Si, à l'expiration de cette durée, et au plus tard à l'issue d'un délai d'un mois à compter de l'échéance le preneur reste et est laissé en possession, il s'opère un nouveau bail dont l'effet est réglé par les dispositions du présent chapitre. Il en est de même, à l'expiration de cette durée, en cas de renouvellement exprès du bail ou de conclusion, entre les mêmes parties, d'un nouveau bail pour le même local.

Aux termes du jugement querellé, le premier juge a dit que le bail liant les parties était soumis au statut des baux commerciaux, d'une durée de 9 années à compter du 16 septembre 2016, et aux clauses et conditions du bail dérogatoire du 12 septembre 2013, à l'exception du loyer, après avoir relevé que :

- il est établi que par actes sous signature privée des 12 septembre 2013, 17 septembre 2015 et 24 juillet 2017, la SARL Pains brioches de [Localité 7] et la SA La Romainville ont conclu trois baux d'une durée de deux années portant sur des locaux commerciaux situés au [Adresse 2] (94), ces baux étant de courte durée dits « dérogatoires », au regard de leur désignation et du visa aux dispositions de l'article L. 145-5 du code de commerce qu'ils comportent (article 1 - « objet »),

- la locataire, la SARL Pains brioches de [Localité 7], est entrée dans les lieux le l5 septembre 2013 et s'y est maintenue sans discontinuer jusqu'à ce jour, malgré sommation de quitter les lieux délivrée par le bailleur par lettre recommandée avec accusé de réception du 17 septembre 2019,

- le bénéfice du statut des baux commerciaux était acquis à la SARL Pains brioches de [Localité 7] au 16 septembre 2015 dès lors qu'un bail de deux ans ' limite légale antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 ' venait à expiration et qu'un nouveau bail a été immédiatement conclu entre les parties, marquant ainsi la volonté du bailleur de la laisser en possession des locaux,

- Toutefois, bien que la seule conclusion d'un nouveau bail dérogatoire ne vaille pas à elle seule renonciation, il apparaît que la SARL Pains brioches de [Localité 7] a entendu renoncer à son droit de bénéficier d'un bail commercial par une clause claire et non équivoque du contrat conclu le 17 septembre 2015 (« le preneur déclare ici avoir une parfaite connaissance de l'article L. 145-[5] du code de commerce, et que c'est d'un commun accord avec le bailleur qu'il a été convenu de déroger au statut des baux commerciaux en toutes ses dispositions et singulièrement en ce qui concerne le droit au renouvellement »),

- En revanche, en application de l'article L. 145-5 du code de commerce dans sa version résultant de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, qui régit le contrat conclu le 17 septembre 2015, un bail soumis au statut des baux commerciaux s'est formé à compter du 16 septembre 2016, dans la mesure où la durée totale des baux successifs a atteint trois ans et que le preneur a été laissé en possession des locaux plus d'un mois à compter de cette échéance,

- Contrairement à ce que soutient le bailleur, les nouvelles dispositions introduites par la loi susmentionnée ne permettent plus au preneur de renoncer à l'application du statut des baux commerciaux lorsque la durée totale des baux successifs atteint trois années et que les parties n'ont pas manifesté leurs intentions dans le délai mensuel imparti (« à l'expiration de cette durée, les parties ne peuvent plus conclure un nouveau bail dérogeant aux dispositions du présent chapitre pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux »)

La SARL Pains brioches de [Localité 7] sollicite la confirmation du jugement querellé de ce chef, en faisant valoir principalement qu'un premier bail dérogatoire a été régularisé le 12 septembre 2013 pour une durée de deux ans, à l'issue de laquelle la SA La Romainville n'a pas donné congé à la concluante mais a entendu la maintenir dans les lieux loués, de sorte qu'il s'est opéré automatiquement une mutation en un bail soumis au statut des baux commerciaux au sens de l'article L. 145-5 du code de commerce.

Elle souligne que le 17 septembre 2015, la SA La Romainville lui a finalement consenti un nouveau bail d'une durée équivalente de deux ans venant en « renouvellement du bail initial » puis ensuite un troisième bail d'une même durée le 24 juillet 2017, ces deux baux ayant été conclus sous l'empire des nouvelles dispositions de l'article L. 145-5 du code de commerce, et ne pouvant avoir pour effet de porter la durée totale du bail dérogatoire à une durée supérieure à trois ans, tandis qu'à l'expiration de cette durée, il ne pouvait être, quoiqu'il en soit, conclu un nouveau bail dérogeant au statut, dès lors qu'il y avait identité de parties, de locaux et de fonds de commerce.

La SA La Romainville, laquelle sollicite l'infirmation du jugement attaqué de ce chef, fait valoir en substance que la SARL Pains brioches de [Localité 7] a conclu le second bail dérogatoire deux jours après l'expiration du premier dès lors le second bail dérogatoire a été conclu le 17 septembre 2015 alors que le premier était expiré depuis le 16 septembre 2015.

Or, la Cour de cassation a jugé qu'un nouveau bail dérogatoire pouvait valablement être conclu dès le lendemain de l'expiration du bail dérogatoire, de sorte que le troisième bail dérogatoire ayant été conclu le jour de l'expiration, à savoir le 17 septembre 2017, dans l'ensemble des actes, le preneur a ainsi renoncé expressément à l'application du statut des baux commerciaux.

En l'espèce, il est constant que par acte sous seing privé en date du 12 septembre 2013, la SA La Romainville a donné à bail à la SARL Pains brioches de [Localité 7] pour une durée de deux années les locaux commerciaux situés au [Adresse 2] (94), dans le cadre d'un bail dit « dérogatoire ».

Il est tout aussi constant qu'à l'expiration de ce premier bail dérogatoire, le 16 septembre 2015, la SARL Pains brioches de [Localité 7] a été laissée en possession, de sorte que par application des dispositions dénuées d'ambiguïté de l'article L. 145-5 du code de commerce dans leur version antérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 18 juin 2014, il s'est opéré un nouveau bail dont l'effet est réglé par le statut des baux commerciaux, dont le bénéfice était ainsi acquis à la SARL Pains brioches de [Localité 7], et ce, bien qu'un nouveau « bail dérogatoire » de deux ans ait été à nouveau conclu entre les parties le 17 septembre 2015, soit le lendemain de l'expiration du premier bail.

Néanmoins, la cour relève, à l'instar du premier juge, que dans le cadre de la signature de ce second bail, expirant le 17 septembre 2017, la SARL Pains brioches de [Localité 7] a déclaré, au sein de l'article 3 dudit bail « avoir une parfaite connaissance de l'article L. 145 du code de commerce et que c'est d'un commun accord avec le bailleur qu'il a été convenu de déroger au statut des baux commerciaux en toutes ses dispositions et singulièrement en ce qui concerne le droit au renouvellement ».

Par la signature de cette clause, la SARL Pains brioches de [Localité 7] a marqué sans équivoque et de manière claire son renoncement au bénéfice du statut des baux commerciaux.

Cependant, la cour observe que ce second bail dérogatoire, de part sa date de conclusion, est régi par les dispositions de l'article L. 145-5 dans sa version issue de la loi du 18 juin 2014.

Or, en application de ces dispositions, la possibilité pour les parties de déroger aux dispositions du présent chapitre est subordonnée à ce que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à trois ans, les parties ne pouvant plus conclure un nouveau bail dérogeant aux dispositions du présent chapitre pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux à l'expiration de ce délai.

Or, la durée totale des baux successifs signés par les parties a atteint les trois années le 16 septembre 2016, la SARL Pains brioches de [Localité 7] étant dans les lieux depuis le 15 septembre 2013 sans discontinuer depuis cette date.

Ainsi, à compter du 16 septembre 2016, et en application de l'article L. 145-5 tel qu'issu de la loi du 18 juin 2014, les parties ne pouvaient plus conclure un nouveau bail dérogeant au statut des baux commerciaux pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux, pas plus qu'elles ne pouvaient valablement renoncer au bénéfice de ce statut, dès lors qu'elles n'avaient pas manifesté leurs intentions dans le délai mensuel imparti par ce texte.

Or, aucun élément n'étant versé aux débats pour justifier que dans le délai d'un mois à compter du 16 septembre 2016, les parties auraient manifesté leur intention d'y déroger, il convient en conséquence de considérer, à l'instar du premier juge, qu'à compter du 16 septembre 2016, un bail soumis au statut des baux commerciaux s'est formé entre les parties.

Le jugement sera par conséquent confirmé en ce qu'il a dit que les parties étaient liées par un bail soumis au statut des baux commerciaux à compter du 16 septembre 2016, et aux clauses et conditions du bail dérogatoire du 12 septembre 2013, à l'exception du loyer.

Le jugement sera également confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes subséquentes de la SA La Romainville tendant à l'expulsion de la SARL Pains brioches de [Localité 7] et sa condamnation à une indemnité d'occupation, la SARL Pains brioches de [Localité 7] n'étant pas occupante sans droit ni titre.

2) Sur le montant du loyer

L'article L. 145-11 du code de commerce dispose que lorsque le bailleur entend obtenir une modification du prix du bail, il doit faire connaître le loyer qu'il propose dans l'acte de congé ou dans sa réponse à la demande de renouvellement, faute de quoi le nouveau prix n'est dû qu'à compter de la demande qui en est faite ultérieurement.

Cette règle ne vise que la modification du prix du bail sollicitée par le bailleur ; elle ne s'applique pas lorsque, à l'expiration d'un bail dérogatoire ayant opéré un nouveau bail de plein droit en application de l'article L. 145-5 du même code, c'est le preneur qui demande la fixation judiciaire du prix du bail. Dans ce cas, la prescription biennale de l'action court à compter de la demande, mais le prix du nouveau bail doit être fixé à la valeur locative à compter de son entrée en vigueur, sauf meilleur accord des parties.

En conséquence, le tribunal doit être approuvé d'avoir jugé que le prix du bail doit être fixé à la valeur locative déterminée au 16 septembre 2016.

S'agissant du montant du loyer, par application des dispositions de l'article L. 145-33 du code de commerce le montant des loyers de baux renouvelés ou révisés doit correspondre à leur valeur locative.

A défaut d'accord, cette valeur est déterminée d'après:

1) Les caractéristiques du local considéré ;

2) La destination des lieux ;

3) Les obligations respectives des parties ;

4) Les facteurs locaux de commercialité ;

5) Les prix couramment pratiqués dans le voisinage.

Aux termes du jugement querellé, le premier juge a fixé le loyer du bail renouvelé à compter du 16 septembre 2016 à la somme annuelle de 58.560 € hors charges et taxes après avoir retenu une valeur locative de 80 € /m², conformément à l'évaluation retenue par un expert amiable désigné par les parties.

La SARL Pains brioches de [Localité 7], laquelle sollicite l'infirmation du jugement querellé de ce chef, excipe de l'existence d'un accord entre les parties sur le loyer des locaux loués au prix de 30.000 €, de sorte que le Tribunal n'avait pas à rechercher la valeur locative des locaux à compter du 16 septembre 2016.

Elle conteste, à titre subsidiaire, la valeur locative retenue que M. [E] [T], expert amiable, a calculé en comparaison avec une valeur locative de marché de 80 € le m² qui correspond au loyer librement fixé entre bailleur et locataire, pour une première location et qui n'est donc pas applicable à un locataire déjà dans les lieux et relève que son estimation date du 06 septembre 2019, soit une valeur estimée trois ans après le 16 septembre 2016 qui ne saurait être retenue.

Enfin, elle souligne que ce rapport amiable aurait été réalisé dans le cadre d'un projet de cession des murs par le propriétaire sans tenir compte d'éventuels abattements, telles que les clauses exorbitantes du droit commun.

La SA La Romainville sollicite également à titre subsidiaire l'infirmation du jugement querellé de ce chef et la fixation d'un loyer d'un montant de 80.520 € HT/HC par an, en faisant valoir pour l'essentiel qu'aucun accord de fixation d'un loyer dans le cadre d'un bail statutaire ne serait intervenu, le loyer de 30.000 € HT/HC prévu ayant été convenu dans le cadre d'un bail dérogatoire pour une surface de 732 m2, correspondant à un coût de 40 €/m2, bien inférieur à la valeur locative.

Elle souligne qu'il appartenait à la SARL Pains brioches de [Localité 7] de formuler ses remarques et observations en temps utile lors de l'expertise amiable, ce qu'elle n'a pas fait, ni même en première instance de sorte qu'elle serait aujourd'hui particulièrement mal fondée à contester ce rapport.

Néanmoins, la SA La Romainville observe que la valeur retenue par l'expert serait sous évaluée au regard de l'ensemble immobilier, le local commercial situé au rez-de-chaussée de la rue serpente ayant été loué pour un prix de 110 € / m².

Au cas d'espèce, il résulte des pièces versées aux débats, et notamment de « l'avis sur la valeur locative et la valeur vénale de locaux commerciaux » en date du 06 septembre 2019 établi par M. [T], que les avocats de la SA La Romainville et la SARL Pains brioches de [Localité 7] lui ont confié la mission « d'établir un avis sur la valeur locative et la valeur vénale actuelle de la partie occupée par la boulangerie industrielle ».

L'expert amiable ainsi choisi par les deux parties, a visité les lieux loués en présence des deux parties le 27 mai 2019, et a estimé la valeur locative actuelle du local litigieux à 80 € /m², après avoir retenu une surface utile de 732 m², la situation des locaux loués, à proximité d'un supermarché et dans une zone mixte comprenant quelques commerces et locaux d'activités, l'enclavement relatif de la zone, la superficie importante des locaux, l'état des locaux, leur fonctionnalité, l'ensemble présentant des prestations moyennes et souffrants d'une certaine obsolescence, les charges et conditions des baux, la configuration et les caractéristiques des différentes parties des locaux, et la prise en compte des prix du marché, leur pertinence et leur ancienneté.

Si la SARL Pains brioches de [Localité 7] se prévaut d'un accord des parties sur un loyer de 30.000 € HT/HC, force est cependant de constater que cet accord est intervenu dans le cadre de contrats de baux dérogatoires au statut des baux commerciaux, et que le bail liant les parties étant désormais soumis au statut des baux commerciaux depuis le 16 septembre 2016, l'accord sur le loyer intervenu dans le cadre de baux dérogatoires n'a pas été réitéré, et la fixation du loyer entre les parties est soumise aux règles de ce statut, et doit donc être fixé à la valeur locative.

Si la SARL Pains brioches de [Localité 7] fait grief à l'expert de l'évaluation locative ainsi retenue, correspondant au montant d'une nouvelle location mais pas à un locataire déjà présent dans les lieux, ainsi que la date de cette évaluation, force est cependant de relever que la SARL Pains brioches de [Localité 7] n'a émis aucune contestation de cette évaluation lors des opérations d'expertise amiable, et que Monsieur [T] a fondé son estimation sur les données du marché locatif des locaux situés entre l'A86 et la Francilienne laissant apparaître une fourchette de loyers entre 60 € et 120 € /m² pour des locaux anciens, comme c'est le cas des locaux loués, ainsi que sur une stagnation des loyers observée dans le secteur entre 2007 et 2014.

De même, si la SARL Pains brioches de [Localité 7] conteste l'évaluation retenue en ce qu'elle aurait été effectuée sur la base d'éléments datant de plus de trois ans après la date de début du bail commercial, force est cependant de relever que la SARL Pains brioches de [Localité 7] ne fournit aucun élément tangible, parmi ses quatre pièces versées aux débats (dont les trois contrats et un arrêt de la Cour de cassation), tendant à établir que la valeur locative du local loué ainsi retenue ne correspondrait pas à la valeur locative effective au 16 septembre 2016.

En outre, si la SARL Pains brioches de [Localité 7] reproche à l'expert de n'avoir pas tenu compte d'abattements, notamment liés au transfert de charges sur le preneur, force est de constater que là encore, la SARL Pains brioches de [Localité 7] ne justifie par aucune pièce avoir à aucun moment au cours de l'expertise amiable à laquelle elle a participé, avoir contesté ce point pour remettre en cause la valorisation retenue par l'expert.

Enfin, si la SA La Romainville dénonce la « sous-évaluation » du loyer par l'expert amiable, la cour observe qu'elle ne justifie pas plus que la SARL Pains brioches de [Localité 7] avoir contesté en son temps cette valorisation au cours des opérations d'expertise amiable auxquelles elle a participé.

En tout état de cause, la cour relève que si le local désaffecté au rez-de-chaussée de la rue Serpente, dans le même ensemble immobilier, a été valorisé à 110 € /m² et loué à ce prix par ses soins, cette circonstance ne saurait toutefois établir que cette valorisation serait applicable au local litigieux, alors que l'expert a justement tenu compte de l'état de chacun des locaux pour fonder son estimation.

De même, la production d'une seule annonce de location datée du 04 mai 2021 pour un loyer de 150 € /m² ne saurait pas davantage remettre en cause l'estimation réalisée par l'expert amiable choisi par les parties, et justifier d'une valorisation du local au 16 septembre 2016 à ce tarif.

En conséquence, en l'état de ces éléments, et de l'absence de preuve par les parties d'une évolution significative de la valeur locative entre 2016 et 2019, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a fixé le loyer du bail entre les parties à la somme annuelle de 58.560 € HT/HC à compter du 16 septembre 2016, et de débouter les parties de leurs demandes contraires, et ce, sans qu'il soit besoin d'avoir recours à une mesure d'expertise judiciaire, qui n'a pas vocation à pallier la carence des parties dans l'administration de la preuve de leurs dires, et notamment en l'espèce, dans l'administration de la preuve de leurs contestations du rapport d'expertise amiable, auquel elles ont participé.

3) Sur les intérêts

Il convient également de confirmer le jugement querellé en ce qu'il a fait courir les intérêts au taux légal pour le preneur sur les rappels de loyers à compter du 03 mars 2021 pour les loyers échus avant cette date et à compter de chaque échéance contractuelle pour les loyers échus à cette date.

De même, et en application de l'article 1343-2 du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 10 février 2016, le jugement sera confirmé en ce qu'il a ordonné la capitalisation des intérêts, dès lors que cette dernière est de droit si la demande en a été faite judiciairement et qu'elle concerne des intérêts dus pour au moins une année entière.

4) Sur les demandes accessoires

Chaque partie conservera ses dépens d'appel, les dépens de première instance restant répartis ainsi que décidé par le premier juge.

En outre, il n'apparaît pas inéquitable de débouter les parties de leurs demandes respectives au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant publiquement, après débats en audience publique, contradictoirement et en dernier ressort,

Confirme le jugement rendu le 07 septembre 2021 par le tribunal judiciaire de Créteil sous le n° RG 18/07141 en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Déboute la SARL Pains brioches de [Localité 7] de sa demande d'expertise ;

Déboute les parties de leurs autres demandes ;

Déboute les parties de leurs demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens d'appel.