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Décisions

CA Versailles, ch. civ. 1-5, 22 février 2024, n° 23/03800

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

SCI Immobilière Sarah (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vasseur

Conseillers :

Mme De Rocquigny Du Fayel, Mme Igelman

Avocats :

Me Avisseau, Me Debray, Me Garcia Dubois

TJ Nanterre, du 8 juin 2023, n° 22/01560

8 juin 2023

EXPOSE DU LITIGE

Par acte sous seing privé en date du 31 juillet 2009, la SCI Immobilière Sarah a donné à bail commercial à M. [H] des locaux situés au n° [Adresse 1] à [Localité 5], moyennant un loyer mensuel de 1 800 euros, hors charges et hors taxes, pour y exploiter un commerce de boulangerie et pâtisserie. Un nouvel acte également intitulé bail commercial a été conclu entre les parties le 20 novembre 2020.

Par acte du 26 avril 2022 , la société Immobilière Sarah a fait délivrer à M. [H] un commandement de payer visant la clause résolutoire pour une somme de 32 287,25 euros au titre de la dette locative arrêtée au 5 avril 2022.

Par acte du 20 juin 2022, la société Immobilière Sarah a fait assigner en référé M. [H] aux fins d'obtenir principalement :

la constatation de l'acquisition de la clause résolutoire à la date du 26 février 2022 ;

la condamnation de M. [H] au paiement de la somme provisionnelle de 38 184,02 euros au titre de l'arriéré locatif arrêté au 7 juin 2022 ;

l'expulsion de M. [H] et celle de tous les occupants de son chef des lieux loués avec, en cas de besoin, le concours de la force publique, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

le transport du mobilier trouvé dans les lieux dans tel garde-meubles qu'il plaira au bailleur aux frais, risques et péril de la partie expulsée ;

la condamnation de M. [H] au paiement d'une indemnité d'occupation provisionnelle de 2 072 euros mensuel hors charges et hors taxes et accessoires, jusqu'à la libération des locaux qui se matérialisera par la remise des clés ;

la condamnation de M. [H] au paiement de la somme de 2 000 euros en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens, en ce compris le coût du commandement.

Par ordonnance contradictoire rendue le 8 juin 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Nanterre a :

au principal, renvoyé les parties à se pourvoir au fond, mais dès à présent, par provision,

dit n'y avoir lieu à référé sur la demande d'acquisition de la clause résolutoire ;

dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes subséquentes d'expulsion et d'indemnité d'occupation ;

condamné M. [H] à payer à la société Immobilière Sarah la somme provisionnelle de 24 645,07 euros au titre des loyers, charges et accessoires impayés au 30 mars 2023 ;

rejeté la demande délais de paiement ;

condamné M. [H] aux entiers dépens en ce non compris le coût du commandement ;

condamné M. [H] à payer à la société Immobilière Sarah la somme de 1 800 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

rejeté le surplus des demandes ;

rappelé que l'ordonnance de référé rendue en matière de clause résolutoire insérée dans le bail commercial a seulement autorité de la chose jugée provisoire ;

rappelé que la décision est exécutoire à titre provisoire.

Par déclaration reçue au greffe le 13 juin 2023, M. [H] a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition, à l'exception de ceux ayant :

au principal, renvoyé les parties à se pourvoir au fond, mais dès à présent, par provision,

dit n'y avoir lieu à référé sur la demande d'acquisition de la clause résolutoire ;

dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes subséquentes d'expulsion et d'indemnité d'occupation ;

rappelé que l'ordonnance de référé rendue en matière de clause résolutoire insérée dans le bail commercial a seulement autorité de la chose jugée provisoire ;

rappelé que la décision est exécutoire à titre provisoire.

Dans ses dernières conclusions déposées le 24 novembre 2023, auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, M. [H] demande à la cour, au visa des articles L. 622-21 du code de commerce, 835 du code de procédure civile, 1104, 1353, 1347 et suivants du code civil, de :

'- déclarer recevable et bien-fondé M. [I] [H] en son appel et y faisant droit :

- infirmer l'ordonnance de référé du 8 juin 2023 en ce qu'elle a :

- condamné M. [I] [H] à payer à la sci Immobiliere Sarah la somme provisionnelle de 24 645,07 euros au titre des loyers, charges et accessoires impayés au 30 mars 2023 ;

- rejeté la demande de délai de paiement de M. [I] [H] ;

- condamné M. [I] [H] à payer à la sci Immobiliere Sarah la somme de 1 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné M. [I] [H] aux dépens ;

- débouté M. [I] [H] de voir :

- prononcer la nullité du commandement de payer visant la clause résolutoire délivré le 26 avril

2022 ;

- condamner la sci Immobiliere Sarah d'avoir à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la sci Immobiliere Sarah aux entiers dépens.

et statuant à nouveau :

à titre principal :

- prononcer la nullité du commandement de payer visant la clause résolutoire délivré le 26 avril 2022,

en conséquence,

- débouter la société Immobiliere Sarah de sa demande d'acquisition de la clause résolutoire,

- dire que la demande de la société Immobiliere Sarah au titre de l'arriéré locatif de M. [I] [H] se heurte à des contestations sérieuses,

en conséquence,

- débouter la société Immobiliere Sarah de sa demande en paiement de l'arriéré locatif arrêté au 30 mars 2023,

à titre reconventionnel :

- condamner la société Immobiliere Sarah à verser à M. [I] [H] les sommes de :

- 12 964 euros relative aux régularisations de charges locatives 2016, 2017, 2018, 2019, 2020 et 2021 en faveur de M. [H],

- 568,35 euros correspondant à l'annulation des régularisations de charges locatives 2016, 2017, 2018, 2019, 2020 et 2021 effectuées par le bailleur (2016 : -266,73 euros, 2017 : - 309,42 euros ; 2018 : -110,98 euros ; 2019 : -1 185,45 euros ; 2020 :+389,97 euros ; 2021 : + 914,26 euros).

à titre subsidiaire :

- ramener la dette locative de M. [I] [H] à la somme de 20 645,07 euros

arrêtée au 30 mars 2023,

- ordonner la compensation entre l'arriéré locatif dû par M. [I] [H] et les

les condamnations à intervenir à l'encontre de la société Immobiliere Sarah au titre des charges

locatives,

à titre infiniment subsidiaire :

- suspendre les effets de la clause résolutoire et octroyer un délai de paiement de deux ans à M.

[I] [H] pour s'acquitter du solde de la dette locative,

en tout état de cause :

- débouter la société Immobiliere Sarah de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner la société Immobiliere Sarah à verser la somme de 4 000 euros à M. [I] [H] au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- condamner la société Immobiliere Sarah aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de Maître Charly Avisseau, avocat à la cour.'

Dans ses dernières conclusions déposées le 1er décembre 2023, auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Immobilière Sarah demande à la cour, au visa des articles L. 145-41, R. 145-36 du code de commerce, 1103, 1217, 1224 du code civil, 834 et 835 du code de procédure civile, de :

' - déclarer recevable et bien fondée la sci Immobiliere Sarah en son appel incident et y faisant droit :

- infirmer l'ordonnance de référé du 8 juin 2023 en ce qu'elle a :

- dit n'y avoir lieu à référé sur la demande d'acquisition de la clause résolutoire,

- dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes subséquentes d'expulsion et d'indemnité d'occupation,

et statuant a nouveau :

- déclarer bon et valide le commandement de payer visant la clause résolutoire signifié le 26 avril 2022.

- constater et juger l'acquisition de la clause résolutoire et la résiliation de plein droit du bail liant la sci Immobiliere Sarah et M. [H] à la date du 27 mai 2022.

en conséquence,

- ordonner l'expulsion de M. [H] ainsi que celle de toute personne dans les lieux de son chef, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir jusqu'à la libération des locaux avec remise des clefs, et ce, avec l'assistance de la force publique, s'il y a lieu, de l'ensemble des lieux loués sis [Adresse 1].

- ordonner, en application des dispositions des articles L. 433-1 et R. 433-2 du code des procédures civiles d'exécution, le transport et la séquestration des meubles et objets mobiliers garnissant les lieux loués dans tel garde-meubles qu'il plaira à Mme ou M. le Président du tribunal désigner, et ce, en garantie des loyers arriérés et des indemnités d'occupation et réparations locatives qui pourront être dues, aux frais, risques et périls de M. [H].

- condamner par provision M. [H], sur le fondement de l'article 835 du code de procédure civile, au paiement de la somme en principal de 51 775,83 euros, sauf à parfaire, au titre des loyers, charges et accessoires, suivant situation de compte arrêtée au 1er décembre 2023.

- condamner par provision M. [H] à payer à compter du 27 mai 2022 à la SCI Immobiliere Sarah une indemnité d'occupation mensuelle de 2 072 euros HT et HC, accessoires et taxes en sus, jusqu'à la libération des locaux avec remise des clefs.

- débouter M. [H] de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles.

- condamner M. [H] à payer à la sci Immobiliere Sarah la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

- condamner M. [H] aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction

au profit de Maître Christophe Debray, avocat au barreau de Versailles.'

La décision de clôture a été rendue le 19 décembre 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de nullité du commandement de payer, formée par M. [H], et la demande d'acquisition de la clause résolutoire formée par la société Immobilière Sarah dans le cadre de son appel incident :

M. [H] demande que soit prononcée la nullité du commandement de payer visant la clause résolutoire du 26 avril 2022 au motif qu'il a été délivré de mauvaise foi par la société Immobilière Sarah, cette mauvaise foi procédant de ce que le décompte locatif annexé au commandement porte sur la période du 1er janvier 2016 au 5 avril 2022 alors que M. [H] a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire ouverte par jugement du tribunal de commerce de Nanterre le 18 avril 2017 ; un plan de continuation ayant été arrêté le 20 juillet 2017 et modifié par un jugement du 10 septembre 2020, la demande en paiement portant sur des loyers antérieurs au 18 janvier 2017 se heurte au principe de l'arrêt des poursuites individuelles posé par l'article L. 622-21 du code de commerce, ce que la société Immobilière Sarah pouvait d'autant moins ignorer qu'elle avait elle-même déclaré sa créance de loyers et charges au passif à hauteur de 38'139,78 euros, créance qui a au demeurant été contestée par le mandataire judiciaire désigné et ramenée à la somme de 28'287 euros par une ordonnance du juge-commissaire du 20 septembre 2017. Ainsi, M. [H] expose que la société Immobilière Sarah a tenté de recouvrer une somme dont elle n'était pas créancière.

La société Immobilière Sarah expose que son gérant peut d'autant moins être suspecté de mauvaise foi qu'il a lui-même aidé M. [H] à s'installer à son compte, notamment en lui prêtant sans intérêt l'apport nécessaire à l'achat, le 31 juillet 2009, du fonds de commerce de boulangerie pâtisserie, pour un montant de 20'000 euros remboursé 12 ans plus tard. Elle indique que ce même gérant a ensuite été égaré dans la gestion du détail des impayés et de l'imputation des périodes de loyer à recouvrer, ce qui procède, toujours selon les termes de l'intimée, d'une erreur d'appréciation excusable pour un néophyte. Elle expose que revenant sur cette erreur qu'elle considère être involontaire, elle a produit une situation rectifiée du compte de locataire exemple de toute critique et retenue par le premier juge, faisant ressortir une dette de loyer arrêtée au 31 mars 2023 s'élevant à la somme de 24'645,07 euros. Elle indique que cette somme précise ne peut sérieusement être contestée et que plusieurs des chèques de règlement qui lui ont été remis par M. [H] se sont avérés être sans provision. Exposant que la dette locative arrêtée au 26 avril 2022 était de 21'300,67 euros, et que le commandement de payer du 26 avril 2022 n'a pas été suivi d'un règlement dans le délai d'un mois, la société Immobilière Sarah sollicite que le commandement de payer du 26 avril 2022 soit déclaré bon et valide, selon ses termes, et que l'acquisition de la clause résolutoire soit constatée à la date du 27 mai 2022.

Sur ce,

Il est constant que le bail conclu entre les parties le 31 juillet 2009 comporte une clause résolutoire qui permet, en application de l'article L. 145-41 du code de commerce, de saisir le juge des référés afin que soit constatée la résiliation de plein droit, laquelle ne peut produire effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux, ledit commandement devant, à peine de nullité, mentionner ce délai.

Il demeure que si ce même juge peut considérer que le moyen tiré de l'existence d'une contestation sérieuse sur la validité d'un commandement de payer visant la clause résolutoire est de nature à faire obstacle à ses pouvoirs (Civ., 3ème, 30 mars 2017, Bull. 2017, III, n° 47, pourvoi n°16-10.366), il ne tient d'aucune disposition, et notamment pas des articles 834 et 835 du code de procédure civile, le pouvoir d'annuler un commandement de payer, de sorte que la demande formée de ce chef par M. [H] ne peut qu'être rejetée.

Pour autant, s'agissant de l'appel incident formé par la société Immobilière Sarah tendant à ce que soit constatée l'acquisition de la clause résolutoire, en raison du défaut d'exécution du commandement de payer, cette demande se heurte elle-même à la mauvaise foi de la société Immobilière Sarah lors de la délivrance dudit commandement. En soi, il est bien certain que le fait de le délivrer pour des sommes supérieures à celles qui sont réellement dues ne caractérise pas à lui seul la mauvaise foi (Civ. 3ème, 22 octobre 2015, n° 14-17.645). Mais cette mauvaise foi de la société Immobilière Sarah résulte de ce qu'elle a sciemment intégré dans le décompte locatif annexé au commandement des sommes dont elle ne pouvait ignorer qu'elle aurait dû les exclure dès lors qu'elles correspondent à des arriérés locatifs précédant le jugement prononcé le 18 janvier 2017 par le tribunal de commerce de Nanterre et ayant ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de M. [H].

La société Immobilière Sarah ignorait d'autant moins cette situation qu'elle avait elle-même déclaré une créance d'un montant de 38'139,78 euros auprès du mandataire judiciaire, créance qui avait au demeurant été réduite de plus d'un quart pour être fixée à la somme de 28'287 euros par ordonnance du juge-commissaire en date du 20 septembre 2017.

Or, ce commandement de payer, par lequel était sollicitée la somme de 32'287,25 euros en principal, comporte le décompte de l'arriéré locatif correspondant, décompte qui n'était pas produit en première instance devant le juge des référés, lequel avait souligné le côté parcellaire de cette pièce ; or, ce décompte commence à courir à partir du mois de janvier 2016, et par conséquent bien antérieurement au jugement de redressement judiciaire précité.

La société Immobilière Sarah ne peut valablement prétexter que son gérant aurait été, selon les termes qu'elle emploie, égaré dans la gestion du détail des impayés et de l'imputation des périodes de loyer à recouvrer, commettant ainsi une erreur d'appréciation excusable pour un néophyte, alors qu'elle était d'autant plus informée des conséquences du jugement de redressement judiciaire qu'elle avait déclaré sa créance, au demeurant très largement majorée par rapport à ce qu'a retenu du juge-commissaire, auprès du mandataire judiciaire.

Cette volonté d'obtenir par le truchement d'un commandement de payer des sommes dont elle ne pouvait ignorer qu'elle n'était pas en droit de les réclamer de cette manière procède d'une mauvaise foi caractérisée dont il résulte qu'il ne peut être donné effet audit commandement. Le fait que la société Immobilière Sarah ait pu initialement donner une aide à M. [H] pour qu'il s'établisse à son compte en reprenant le fonds de commerce de boulangerie-pâtisserie, n'est aucunement de nature à justifier que celle-ci ait pu ensuite faire délivrer un commandement de payer aussi grossièrement erroné. Il ne peut être fait abstraction de la mauvaise foi du bailleur au moment de la délivrance de cet acte en considération de l'amitié supposée et de l'aide alléguée que le gérant de la société Immobilière Sarah aurait prodigué à M. [H].

Aussi convient-il de confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé sur la demande d'acquisition de la clause résolutoire.

Sur la demande, formée par M. [H], tendant à ce que la société Immobilière Sarah soit déboutée de sa demande en paiement de l'arriéré locatif et sur la demande reconventionnelle formée par cette dernière au paiement dudit arriéré :

Au soutien de sa demande de provision, à hauteur de 51'775,83 euros, la société Immobilière Sarah produit, en pièce n° 23, une situation de compte locataire actualisée au 1er décembre 2023. Elle expose que sa créance locative au 30 mars 2023 s'élevait à la somme de 24'645,07 euros, ce qui correspond au montant arrêté à cette date par le juge de première instance. Elle ajoute que M. [H] mentionne au titre de ses prétendus règlements, un chèque n° 2749146 de 2.000 euros qui s'est avéré être impayé, faute de provision, ainsi qu'elle en justifie par l'avis qui lui a été adressé par le Crédit Lyonnais le 31 octobre 2022, qu'elle produit en pièce n° 22. S'agissant de la question des charges, elle indique avoir produit toutes les pièces justificatives de celles-ci pour les années 2016 à 2022. Elle expose que le logiciel de gestion du syndic de copropriété ne peut ni assurer la répartition des charges entre bailleurs et locataires en lien par un bail commercial ni distinguer les charges récupérables convenues dans le cadre d'un bail commercial qui procède en la matière d'une très large autonomie contractuelle, mais que les charges dont elle a demandé le paiement ne concernent que les « charges courantes » mises à la charge de M. [H] par le bail qui lie les parties.

M. [H], au soutien de sa demande tendant à dire que la demande de la société Immobilière Sarah au titre de l'arriéré locatif doit être rejetée ainsi que de sa demande reconventionnelle en paiement des sommes de 12'964 euros au titre des régularisations des charges locatives pour les années 2016 à 2021, et de 568,35 euros au titre de l'annulation des régularisations des charges locatives, expose que les comptes sont tenus de manière floue : ainsi, au mois d'avril 2022, la société Immobilière Sarah sollicitait une somme de 32'287,25 euros dans son assignation alors que le décompte qu'elle produisait, pour la même date et à l'appui de cette même assignation faisait état d'un arriéré locatif de 17'123,88 euros. De même, il indique que la reprise du solde antérieur au mois de janvier 2022 est de 32'705,62 euros selon le décompte arrêté au mois de juin 2022 alors qu'elle n'est que de 15'338,28 euros selon le décompte arrêté au mois d'avril 2022 ; un troisième décompte à cette même date était produit au soutien des conclusions récapitulatives n° 1 de la bailleresse en première instance, qui laissait apparaître un solde débiteur en janvier 2022 de 18'761,47 euros. Il indique également que plusieurs règlements n'ont pas été pris en compte et expose avoir réglé une somme totale de 14'000 euros entre les mois de juillet et de novembre 2022. Il ajoute que ce n'est qu'à l'occasion de la présente procédure qu'il a découvert le montant des régularisations pour charges afférentes aux exercices 2017, 2018 et 2019 et que la société Immobilière Sarah ne produit d'ailleurs aucun courrier relatif à une quelconque régularisation annuelle des charges ou à des appels de taxe foncière. Il ajoute que la société Immobilière Sarah a produit en cours de procédure des régularisations individuelles de charges de copropriété établies par le syndic de l'immeuble, dont il résulte qu'elle a répercuté l'intégralité des charges de copropriété, sans faire la distinction entre celles qui doivent rester à la charge du bailleur et celles qui sont supportées par le preneur. Il indique que la somme de 12'964,29 euros qu'il sollicite correspond à la différence entre les charges récupérables et les provisions indues qu'il a versées à ce titre.

Sur ce,

En application de l'article 835 du code de procédure civile, une provision peut être accordée par le juge des référés dans les cas où l'existence de l'obligation invoquée par le demandeur n'est pas sérieusement contestable.

En l'espèce, c'est à juste titre que M. [H] soulève les importantes incohérences dans les différents décomptes produits par la société Immobilière Sarah ainsi que les contradictions de cette dernière entre ses demandes successives.

Indépendamment même de l'erreur qui a été indiquée plus haut s'agissant de la demande formulée au titre du commandement de payer, demande qui intégrait pour partie des sommes correspondant à des arriérés locatifs antérieurs au jugement de placement de M. [H] en redressement judiciaire, celui-ci souligne pertinemment les incohérences des différents décomptes produits par la société Immobilière Sarah, incohérences qui portent, qui plus est, sur des montants importants.

Ainsi, comme le souligne M. [H], au mois d'avril 2022, le commandement de payer qui avait été délivré comportait un décompte qui faisait état d'un montant à payer en principal de 32'287,25 euros, en incluant le loyer du mois d'avril 2022. En pièce n° 6 dans le cadre de la présente instance, la société Immobilière Sarah produit ce qu'elle indique être sa situation de compte locataire arrêté au 5 avril 2022 : le montant en est cette fois de 17'123,88 euros.

De même, M. [H] souligne à juste titre les différences, importantes, s'agissant du chiffrage de la reprise du solde antérieur au mois de janvier 2022 : à s'en tenir au décompte qui était annexé au commandement de payer du 26 avril 2022, ce montant était de 30'501,65 euros (pièce n° 18 produite par la société Immobilière Sarah dans le cadre de la présente instance) ; selon la pièce n° 6 produite par la société Immobilière Sarah dans le cadre de la présente instance, pièce intitulée « situation de compte locataire arrêtée au 5 avril 2022 », ce montant est de 15'338,28 euros ; la pièce suivante, n° 7, toujours produite par l'intimée dans le cadre de la présente instance et qui est intitulée « situation de compte locataire actualisée au 7 juin 2022 » fait état d'une reprise pour solde antérieur, toujours au mois de janvier 2022, d'un montant de 32'705,62 euros.

Ainsi, en exploitant trois pièces différentes produites par la société Immobilière Sarah elle-même dans le cadre de la présente procédure d'appel, la reprise du solde antérieur, s'agissant du mois de janvier 2022, varie du simple au double selon que l'on se réfère à la pièce n° 6 ou à la pièce n° 7. Cette incohérence est manifeste ; elle est précisément soulignée par M. [H] dans ses conclusions ; pourtant, la société Immobilière Sarah n'y apporte aucun début d'explication dans les siennes propres. Le dernier décompte produit par la société Immobilière Sarah (sa pièce n° 23 qui est supposée correspondre à la « situation de compte locataire actualisée au 1er décembre 2023 ») évite le questionnement qui se pose à ce sujet : ce décompte postule une reprise du solde antérieur, mais au mois de janvier 2023 seulement, d'un montant de 25'199,73 euros, sans que l'on ne sache sur quelle base se fonde ce décompte quant à la reprise du solde antérieur un an auparavant, au mois de janvier 2022.

S'agissant des charges locatives, la société Immobilière Sarah fonde principalement sa demande sur sa pièce n° 13, intitulée « apurement des charges exercices 2016, 2018, 2019, 2020, 2021 ». Cette pièce, qui comprend six pages, est constituée de l'ensemble des documents intitulés « apurement des charges » rédigés par la société GID, administrateur de biens et syndic de copropriété à [Localité 7] et adressés à la société Immobilière Sarah. Alors que M. [H] souligne à juste titre qu'il ne lui incombe pas de régler l'ensemble des charges de copropriété, la société Immobilière Sarah se borne à indiquer qu'elle n'a sollicité, au titre des appels de charges rédigés par la société GID, que les seuls montants figurant sous la dénomination de « charges courantes », dont elle expose qu'elles correspondent à celles qui sont mises à la charge de M. [H] selon le bail.

La société Immobilière Sarah n'indique pas sur quelle stipulation du bail elle se fonde à ce titre.

Les parties se produisent à ce titre deux baux commerciaux différents souscrits entre elles : la société Immobilière Sarah produit en sa pièce n° 1 un acte intitulé bail commercial, signé le 31 juillet 2009. Ce document indique, en sa cinquième page, que le preneur s'oblige expressément à « rembourser au bailleur, toutes les taxes, charges et prestations telles notamment que déversement à l'égout, balayage et enlèvement des ordures ménagères, suivant les décomptes du syndic de la copropriété. » M. [H] produit pour sa part (en pièce n° 2) un document, également intitulé bail commercial, également signé entre les mêmes parties, mais en date du 20 novembre 2020. Ce document est quant à lui beaucoup plus exhaustif sur les charges devant être assumées par le preneur : son article 10.1 indique notamment que « le preneur devra supporter et rembourser au bailleur, en sus du loyer et des travaux d'entretien et de réparation, la totalité de la quote-part des charges collectives de l'immeuble afférente aux locaux loués, taxes comprises, en ce compris celles relatives aux travaux visés à l'article 605 du Code civil, mais à l'exclusion des travaux visés à l'article 606 du Code civil qui seuls resteront à la charge du bailleur, ladite quote-part étant calculée selon les règles de répartition en vigueur dans l'immeuble, soit pour les lots loués 3.698 / 101166 èmes et à titre de provision, il (sic) sera versé en sus du loyer. »

Aucune des parties dans la présente instance, qui débattent chacune des charges qui seraient dues ou non par le preneur, ne se réfère précisément à l'une des dispositions du bail et au demeurant, aucune d'elles ne relève que les baux respectifs qu'elles produisent dans le cadre de la présente instance ne sont pas les mêmes.

La société Imobilière Sarah reconnaît elle-même que certaines charges, tels les « appels de travaux pour réfection de l'étanchéité de la toiture-terrasse inaccessible au-dessus des commerces » lui incombent à elle plutôt qu'au preneur.

Ainsi, l'appel des charges procède des décomptes établis par le syndic de copropriété, dont la société Immobilière Sarah indique elle-même extraire un élément, sans que les parties ne se réfèrent plus précisément à chacun des postes de facturation établis par le syndic.

Corrélativement, M. [H] considère que lui sont dues, pour chacune des années depuis 2016, la différence entre ce que le syndic a facturé au titre des « charges locatives » et ce qu'il a versé, en excédent, au titre des provisions pour charges, sans prendre en considération que les charges qu'il doit au titre du bail commercial peuvent excéder les charges dites locatives, telles que calculés par le syndic de copropriété qui se fonde à cet égard sur la répartition applicable en matière de bail d'habitation.

Ainsi, la demande reconventionnelle que formule M. [H] au titre du remboursement des charges qu'il considère avoir payées en excédent se heurte elle-même à une contestation sérieuse. Au demeurant, les paiements que M. [H] allègue lui-même sont pour certains d'entre contestables. Ainsi, la société Immobilière Sarah produit en sa pièce n° 22 la lettre qui lui a été adressée par le Crédit Lyonnais le 31 octobre 2022 faisant état de ce que le chèque n° 2749146 émis pour un montant de 2.000 euros n'a pu être réglé en raison du défaut de provision. Ce point est expressément souligné par la société Immobilière Sarah dans ses conclusions et il est étayé par une pièce précise à cet égard. Pourtant, M. [H], en 7ème page de ses conclusions dresse un tableau récapitulant l'ensemble des chèques qu'il est supposé avoir remis, entre le 4 juillet et le 26 octobre 2022, à savoir 7 chèques, chacun d'un montant de 2.000 euros, de sorte qu'il indique au titre du « montant payé » la somme de 14'000 euros. Parmi ces chèques figure le chèque n° 2749146, sans explication quant à l'avis de rejet de ce chèque qui est pourtant produit par la société Immobilière Sarah. Certes, à la colonne « débité », ce tableau mentionne « N », mais le montant du chèque correspondant est cependant bien inclu dans le total que M. [H] prétend avoir réglé, ce qui est assurément erroné compte-tenu de la preuve du rejet de ce chèque.

Il ressort de l'ensemble de ces éléments que les comptes entre les parties, tels que proposés par chacune d'elles dans le cadre de la présente instance, ne revêtent aucune rigueur de part et d'autre. En matière de référé, une demande provisionnelle suppose de s'appuyer sur des éléments, qui peuvent certes être complexes, la complexité n'étant pas incompatible avec la procédure de référé, mais qui doivent en tout état de cause être cohérents, ce qui n'est aucunement le cas de la demande formulée par la société Immobilière Sarah et ce qui ne l'est pas non plus le cas de la demande reconventionnelle formulée par M. [H] au titre du remboursement des charges qu'il estime avoir indûment réglées et des paiements qu'il allègue avoir effectués.

Aussi convient-il, en infirmant l'ordonnance entreprise de ce chef, de rejeter la demande provisionnelle formée par la société Immobilière Sarah et de rejeter également la demande reconventionnelle formée par M. [H].

Sur les mesures accessoires :

Les parties, succombant chacune en leurs prétentions respectives, garderont par-devers elles la charge des dépens qu'elles ont respectivement exposés, tant en première instance qu'en appel.

Pour la même raison, leurs demandes respectives au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile seront rejetées.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Infirme l'ordonnance entreprise, sauf en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé sur la demande d'acquisition de la clause résolutoire et sur les demandes subséquentes d'expulsion et d'indemnité d'occupation ;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,

Rejette la demande provisionnelle formée par la société Immobilière Sarah ;

Rejette la demande de provisionnelle formée à titre reconventionnel par M. [H] ;

Rejette la demande, formée par M. [H], tendant à ce que soit prononcée la nullité du commandement de payer délivré à la requête de la société Immobilière Sarah ;

Dit que les parties conserveront chacune la charge des dépens de première instance et d'appel afférents à la présente instance en référé qu'elles ont respectivement exposés ;

Rejette les demandes respectives formées par les parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Monsieur Thomas VASSEUR, président, et par Madame Élisabeth TODINI, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.