CA Aix-en-Provence, ch. 3-4, 22 février 2024, n° 20/04344
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Technique Innovante (SARL)
Défendeur :
Abmi (SAS), Établissement Public Foncier de Provence Alpes Côte d'Azur - EPF PACA (EPIC)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Chalbos
Conseillers :
Mme Vignon, Mme Martin
Avocats :
Me Coutelier-Tafani, Me Deous
EXPOSE DU LITIGE
La société Technique innovante, bailleresse a conclu deux baux avec la société locataire, ABMI (approvisionnement agencement bâtiment marine industrie), tous deux qualifiés de contrats 'd'entreposage' :
- un bail d'une durée de deux ans le 9 septembre 1998 portant sur un local commercial de 20 m² situé [Adresse 2] à [Localité 3],
- un bail le 23 septembre 1999 d'une durée de deux années à compter du 1er octobre 1999 portant sur un local commercial de 65 m²situé à la même adresse.
Les deux baux stipulaient expressément chacun une clause par laquelle la société Abmi s'engageait formellement à n'exercer dans les locaux aucune activité pouvant entrer dans le champs d'application de la loi du 30 septembre 1953 modifiée sur le statut des baux commerciaux.
Aucun nouveau bail n'a été signé pour les deux locaux et les baux ont donc été tacitement prolongés, tandis que la société locataire est toujours restée dans les locaux loués.
Un conflit s'est noué entre les parties sur la qualification des baux conclus : baux commerciaux ou baux soumis au code civil.
Le 23/07/2018, la société bailleresse a fait délivrer à la société locataire des congés par acte extra judiciaire pour le 31 décembre 2018 concernant les deux baux en invoquant les dispositions du code civil et en considérant que ces derniers étaient des baux de droit commun régis par le code civil.
Par acte extra-judiciaire du 7 novembre 2018, la société ABMI, locataire, a sollicité le renouvellement des baux, en invoquant, pour sa part, l'application du statut des baux commerciaux compte tenu, selon elle, de la nature commerciale des baux consentis.
Par actes d'huissier de justice du 29 novembre 2018, la société ABMI a fait assigner la société Technique innovante devant le tribunal judiciaire de Toulon.
La société ABMI a sollicité la nullité des congés de la bailleresse du 23 juillet 2018 ainsi que le renouvellement des baux faisant valoir, à titre principal, qu'il s'agissait d'un bail soumis au statut des baux commerciaux, à titre subsidiaire, qu'une novation était intervenue et que le bail civil était devenu un bail commercial de par l'effet de l'activité exercée et du maintien dans les locaux et à défaut dire que le contrat d'entreposage ainsi souscrit devait être qualifié de bail commercial.
L'acte d'huissier du 29 novembre 2018 a été enregistré par deux fois par le greffe du tribunal judiciaire de Toulon, ce qui a eu pour effet de créer deux instances différentes avec deux numéros de rôle différents.
Par jugement du 19 mars 2020, le tribunal judiciaire de Toulon a :
- ordonné la jonction de la procédure n° rg 19/1 1 17 à la procédure n° rg 19/ 1 76, l'affaire
étant désormais appelée sous ce demier numéro,
- déclaré non prescrites les actions de la société ABMI,
- dit que les baux en date du 9 septembre 1998 et du 23 septembre 1999 sont soumis au statut des baux commerciaux,
- déclaré nul et de nul effet les deux congés délivrés le 23 juillet 2018,
- dit que le bail commercial renouvelé sur la base du bail initial en date du 9 septembre I998 prendra effet au ler janvier 2019,
- dit que le bail commercial renouvelé sur la base du bail initial en date du 23 septembre 1999 prendra effet au ler janvier 2019,
- dit que la société Technique innovante doit remettre deux contrats de bail commercial à la société ABMI sous astreinte, pour chacun des baux, de 50 euros par jour de retard à compter d'un délai de deux mois suivant la signification du présent jugement,
- débouté la sociétéTechnique innovante de l'ensemble de ses demandes,
- dit n'y avoir lieu a ordonner l'exécution provisoire,
- condamné la société Technique innovante à payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à payer les dépens, comprenant les frais de constat d'huissier du 20 décembre 2018 ainsi que les frais de renouvellement de bail délivré le 7 novembre 2018.
Pour se déterminer ainsi, le tribunal a retenu qu'il appartenait au bailleur qui ne souhaitait pas se voir imposer les contraintes d'un bail commercial à l'issue du délai de deux ans de manifester expressément sa volonté dans ce cas avant la date prévue d'expiration du bail initial et que tel n'a pas été le cas. Pour le tribunal, il s'était donc formé un nouveau bail soumis au statut des baux commerciaux, lequel avait débuté au lendemain de la date d'expiration du bail de courte durée. Le tribunal retenait encore que la jurisprudence considérait que peu importe que l'activité exercée après le bail de courte durée ne soit pas la même que celle exercée pendant et que le bail suivant celui de deux ans était nécessairement soumis au statut des baux commerciaux, y compris si le preneur exerçait une autre activité.
Le tribunal estimait encore que les congés délivrés par le bailleur le 23 juillet 2018 n'étaient pas valables et qu'ils devaient être déclarés nuls ne respectant pas les dispositions de l'article L145-9 du code de commerce, notamment en son dernier alinéa.
La société Technique innovante a formé un appel le 27 mars 2020.
La déclaration d'appel est ainsi rédigée : 'appel total du jugement rendu le 19 mars 2020 par le tribunal judiciaire de Toulon, en ce qu'il a :
- déclaré non prescrites les actions de la société ABMI,
- dit que les baux en date du 9 septembre 1998 et du 23 septembre 1999 sont soumis au statut des baux commerciaux ,
- déclaré nul et de nul effet les deux congés délivrés le 23 juillet 2018 ,
- dit que le bail commercial renouvelé sur la base du bail initial en date du 9 septembre 1998 prendra effet au 1er janvier 2019 ,
- dit que le bail commercial renouvelé sur la base du bail initial en date du 23 septembre 1999 prendra effet au 1er janvier 2019 ,
- dit que la société Technique innovante doit remettre deux contrats de bail commercial à la société ABMI sous astreinte, pour chacun des baux, de 50 euros par jour de retard à compter d'un délai de deux mois suivant la signification du présent jugement ,
- débouté la société Technique innovante de l'ensemble de ses demandes ,
- dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire ,
- condamné la société Technique innovante à payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à payer les dépens, comprenant les frais de constat d'huissier du 20 décembre 2018 ainsi que les frais de renouvellement de bail délivré le 7 novembre 2018.
Et statuant à nouveau :
à titre principal dire et juger que le contrat d'entreposage conclu le 23 septembre 1999 et celui conclu le 9 septembre 1998 sont soumis aux seules dispositions du contrat de louage du code civil ,
dire que toute demande de requalification des baux dont s'agit en baux commerciaux est prescrite ,
à titre subsidiaire : dire que toute demande de requalification des baux dont s'agit en baux dérogatoires est prescrite ,
dire que toute action fondée sur l'article L. 145-5 alinéa 2 du code de commerce de la société ABMI, par voie d'action, est également prescrite
en toute hypothèse :
- constater le manquement de la société ABMI à ses obligations contractuelles ,
en conséquence : dire nul et de nul effet les demandes de renouvellement délivrées par la société ABMI le 7 novembre 2018 ,
- prononcer la résiliation des contrats de bail en l'état du non-respect des obligations contractuelles par la société ABMI,
- ordonner en conséquence l'expulsion de la société ABMI et de tous occupants de son chef, des locaux sis [Adresse 2] à [Localité 3] sous astreinte de 500 euros par jour de retard dès signification du jugement à intervenir ,
- ordonner la séquestration des objets mobiliers garnissant les lieux, et constituant le gage du bailleur, soit dans l'immeuble, soit dans un garde-meubles, au choix de la demanderesse, aux frais, risques et périls de la société ABMI ,
- condamner la société ABMI au paiement d'une indemnité d'occupation à compter de la résiliation des baux égale au double du montant des loyers actuels ,
en toute hypothèse,
- condamner la société ABMI à payer à la société Technique innovante la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société ABMI aux entiers dépens.
Le 22 décembre 2020, suite à la cession intervenue, l'établissement public foncier de Provence Alpes Côte d'Azur (EPIC EPF PACA), nouveau propriétaire du bien objet de la présente en lieu et place de la bailleresse initiale la société Technique innovant , est intervenu à l'instance pendante en cause d'appel.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 17 octobre 2023.
PRÉTENTIONS ET MOYENS
Par conclusions notifiées par voie électronique le 6 janvier 2022, l'EPIC Établissement public foncier de provence alpes cote d'Azur-(EPIC EPF PACA) et la société Technique innovant demandent à la cour de :
vu les articles 1709 et suivants du code civil, L 145-1 et suivants du code de commerce,
- donner acte à l'EPIC EPF PACA de son intervention volontaire,
- la dire bien fondée en cette intervention volontaire,
- infirmer le jugement,
statuant à nouveau,
- débouter la société ABMI de l'ensemble de ses demandes.
- juger que le contrat d'entreposage conclu le 23 septembre 1999 et celui conclu le 9 septembre 1998 sont soumis aux seules dispositions du contrat de louage du code civil,
- juger que toute demande de requalification des baux dont s'agit en bail commercial est prescrite,
- juger que toute demande de requalification des baux dont s'agit en bail dérogatoire est prescrite,
- juger que toute action fondée sur l'article L. 145-5 alinéa 2 du code de commerce de la société ABMI, par voie d'action, est également prescrite,
- constater le manquement de la société ABMI à ses obligations contractuelles,
à titre principal :
- juger nulles et de nul effet les demandes de renouvellement délivrées par la société ABMI ,
- juger valables les congés délivrés à la société ABMI ,
À titre subsidiaire :
- prononcer la résiliation des baux en l'état du non-respect des obligations contractuelles
par la société ABMI,
en toute hypothèse :
- juger la société ABMI occupante sans droit ni titre des locaux sis [Adresse 2] à [Localité 3],
- ordonner en conséquence l'expulsion de la société ABMI et de tous occupants de son chef, des locaux,
- ordonner la séquestration des objets mobiliers garnissant les lieux, et constituant le gage du bailleur, soit dans l'immeuble, soit dans un garde-meubles, au choix de la demanderesse, aux
frais, risques et périls de la société ABMI ,
- condamner la société ABMI au paiement d'une indemnité d'occupation à compter de la résiliation du bail égale au double du montant du loyer actuel ,
- condamner la société ABMI à payer à la société Technique innovante et à l'EPIC EPF PACA la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société ABMI aux entiers dépens .
Par conclusions notifiées par voie électronique le 16 septembre 2021, la société ABMI demande à la cour de :
- confirmer le jugement dont appel dans ses dispositions ayant :
déclaré non prescrites les actions de la société ABMI,
dit que les baux en date du 9 septembre 1998 et du 23 septembre 1999 sont soumis au statut des baux commerciaux,
- déclaré nul et de nul effet les deux congés délivrés le 23 juillet 2018,
- dit que le bail commercial renouvelé sur la base du bail initial en date du 9 septembre 1998 prendra effet au 1er janvier 2019 ;
- dit que le bail commercial renouvelé sur la base du bail initial en date du 23 septembre 1999 prendra effet au 1er janvier 2019,
- débouté la société Technique innovante de l'ensemble de ses demandes ,
- condamné la société Technique innovante à payer la somme de 2 000 euros au titre de L 'article 700 du code de procédure civile et à payer les dépens, comprenant les frais de constat d'huissier du 20 décembre 2018 ainsi que les frais de renouvellement de bail délivré le 7 novembre 2018.
En raison de l'évolution du litige né de la vente du 20/12/2020, de l'intervention volontaire de l'EPIC' EPF PACA- depuis le 20/12/2020 de la qualité de bailleur,
- condamner l'EPIC' EPF PACA à remettre deux contrats de bail commercial à la société ABMI sous astreinte, pour chacun des baux, de 50 euros par jour de retard à compter d'un délai de deux mois suivant la signification de l'arrêt à intervenir,
en toute hypothèse,
condamner la société Technique innovante et l'EPIC EPF PACA au paiement de la somme de 4000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de 1 ère instance et d'appel, comprenant les frais de constat d'huissier du 20.12.2018 ainsi que les frais de renouvellement de bail délivré le 07/11/2018.
MOTIFS
1-sur la demande tendant à dire que les baux en date du 9 septembre 1998 et du 23 septembre 1999 sont dès l'origine soumis au statut des baux commerciaux :
L'article L145-60 du code du commerce dispose :Toutes les actions exercées en vertu du présent chapitre se prescrivent par deux ans.
Il est de principe que l'action en requalification d'une convention en bail commercial régi par les dispositions du statut des baux commerciaux est soumise à la prescription biennale courant à compter de la date de sa conclusion et non à compter du congé du bailleur.
En l'espèce, les baux litigieux dont la requalification en baux commerciaux est recherchée datent des 9 septembre 1998 et 23 septembre 1999 de sorte que le délai de la prescription biennale a commencé à courir à compter de ces dates.
La société locataire ayant introduit son action en requalification par actes d'huissier du 7 novembre 2018, force est de constater que le délai de la prescription biennale était déjà écoulé.
Cependant, pour tenter de s'opposer au constat de la prescription de son action en requalification, la société preneuse invoque la fraude qui aurait été commise par la bailleresse, lequel aurait inséré une clause d'interdiction d'exercer une activité commerciale dans le seul dessein d'exclure le statut des baux commerciaux et de se permettre de refuser le renouvellement des baux litigieux.
Il est exact que la fraude suspend le délai de prescription biennale pendant la durée du contrat frauduleux. Il incombe à la partie qui invoque la suspension du délai de prescription de l'action en requalification pour fraude de démontrer cette dernière, soit en l'espèce la société locataire.
La société ABMI doit donc démontrer qu'elle et son bailleur s'étaient en réalité mis d'accord pour qu'elle puisse exploiter, au sein des lieux loués, un fonds de commerce depuis l'origine et que le bailleur, en imposant la qualification apparente de contrats d'entreposage a entendu contourner le statut des baux commerciaux et le droit au renouvellement en découlant.
En l'espèce, la société locataire, qui cherche à se prévaloir d'une fraude suspensive de la prescription biennale, ne démontre cependant pas suffisamment l'existence de ladite fraude.
En effet, si les baux litigieux ont été qualifiés de contrats d'entreposage s'ils contiennent une clause particulière d'interdiction d'une activité relevant des baux commerciaux, il n'est pas suffisamment caractérisé une volonté de la bailleresse de vouloir contourner le droit au renouvellement du bail découlant impérativement dudit statut.
La société locataire produit notamment aux débats un constat d'huissier de justice du 20 décembre 2018 censé démontré qu'elle pratique dans les lieux une activité commerciale. Cependant, ce constat, qui date du 20 décembre 2018, a donc été dressé plus de 18 années après la conclusion des baux litigieux et il n'est donc pas de nature à démontrer que la société locataire exerçait déjà une activité commerciale lors de la souscription des contrats de louage civils des 9 septembre 1998 et 23 septembre 1999.
Les bilans de la société locataire, produits aux débats, sont également bien postérieurs aux contrats de louage, datant de 2015 ,2016, 2017.
L'attestation de l'expert-comptable du 20 novembre 2019 indique seulement que la société locataire n'a jamais modifié son objet initial, ce qui est sans rapport avec la preuve de l'exploitation d'un fonds de commerce depuis l'origine ou de l'acceptation par le bailleur d'une destination commerciale des lieux et de la volonté de ce dernier de contourner le statut des baux commerciaux.
Si les statuts de la société ABMI , qui sont antérieurs aux deux baux litigieux, mentionnent que l'objet social de cette dernière est la 'fourniture générale concernant la marine, le bâtiment et l'industrie' , il s'agit seulement d'une simple déclaration qui n'est pas de nature à démontrer ni l'exercice d'une activité commerciale depuis la prise de possession des lieux loués ni une destination contractuelle de ce type.
Si le second bail litigieux du 23 septembre 1999 comporte une mention spécifique relativement au fait que 'le fonds de commerce n'est pas vendu', cette unique mention vague et non détaillée, même appréciée au regard des autres pièces versées aux débats par la preneuse, n'est pas de nature à faire la preuve de l'existence d'une fraude.
Les factures émises par la bailleresse concernant les dépenses de la société ABMI sont toutes bien postérieures aux baux litigieux (commençant à compter de 2007) et ne démontrent donc pas non plus une fraude au moment de la souscription de ces derniers. En outre, ces factures ne renseignent pas clairement sur le caractère supposément commercial de l'activité de la preneuse au sein des lieux loués, lesdites factures faisant seulement notamment état de frais d'électricité, de conciergerie, de chauffage, ce qui n'est pas anormal pour des activités liées à des entrepôts.
La société ABMI ne verse aucun élément matériel démontrant concrètement qu'elle exploitait un fonds de commerce dès l'origine au moment de la souscription des baux litigieux des 9 septembre 1998 et 23 septembre 1999 ou bien que le bailleur avait accepté une destination commerciale nonobstant la présence d'une clause interdisant une telle activité commerciale.
Par ailleurs, pour tenter également de contourner la prescription biennale, la preneuse invoque le caractère non écrit des clauses lui faisant interdiction d'exercer une activité entrant dans le champs des baux commerciaux et fixant la durée du bail à une durée inférieure à 9 années. Cependant, quand bien même lesdites clauses auraient un caractère non écrit, cela n'aurait pas d'incidence ni sur le délai de la prescription de deux années, ni sur le point de départ dudit délai, ni sur la nécessité de rapporter la preuve de l'existence d'une exploitation d'un fonds de commerce depuis l'origine.
La preuve d'une simulation du bailleur constitutive d'une fraude n'est pas suffisamment rapportée en l'espèce et le délai de la prescription biennale n'a donc pas été suspendu.
Infirmant le jugement et faisant droit à la fin de non-recevoir opposée par la société bailleresse à l'action en requalification de la preneuse, la cour déclare prescrite la demande de cette dernière en requalification des contrats d'entreposage en baux commerciaux.
2-Sur l'action en revendication du statut des baux commerciaux fondée sur la conversion des baux en baux statutaires à l'issue des baux dérogatoires
Il est de principe que la demande tendant à faire constater l'existence d'un bail soumis au statut né du maintien en possession du locataire à l'issue d'un bail dérogatoire, qui résulte du seul effet de l'article L. 145-5 du code de commerce, n'est pas soumise à la prescription. Il s'agit donc d'une action imprescriptible.
En l'espèce, l'action en revendication du statut des baux commerciaux fondée sur la conversion des baux dérogatoires en baux commerciaux suppose toutefois au préalable une action en requalification des contrat de louage civils en baux dérogatoires, qui, elle, est soumise à la prescription biennale de l'article L 145-60 du code ce commerce, ce délai courant à compter de la date de conclusion des baux litigieux.
Or, en l'espèce, la cour d'appel a précédemment jugé que les actions en requalification de contrats qualifiés de contrats d'entreposage en baux commerciaux étaient prescrites. Le même délai de prescription biennale découlant de l'article L 145-60 du code de commerce et le même raisonnement s'appliquent à l'action de la preneuse en requalification des baux litigieux en baux dérogatoires. Ces contrats litigieux ayant été conclus en 1998 et en 1999 d'une part et l'action en justice de la preneuse en requalification datant du 7 novembre 2018 d'autre part, les actions en requalification sont prescrites étant précisé que la cour n'a pas retenu la fraude du bailleur.
Ainsi, faisant droit à la fin de non-recevoir soulevée par la bailleresse et infirmant le jugement, la cour déclare irrecevable comme prescrite l'action de la preneuse en requalification des contrats d'entreposage en baux dérogatoires.
La cour ne pouvant, du fait de la prescription, opérer une requalification préalable des contrats d'entreposage en baux dérogatoires, la société preneuse ne démontre pas la réunion des conditions nécessaires au succès de son action en revendication du statut des baux commerciaux à l'issue des baux dérogatoires.
La cour déboute la société preneuse de son action en revendication du statut des baux commerciaux à l'issue de baux dérogatoires.
Le jugement est infirmé en ce qu'il dit que les baux en date du 9 septembre 1998 et du 23 septembre 1999 sont soumis au statut des baux commerciaux.
3-Sur la demande d'annulation des congés du bailleur délivrés le 23 juillet 2018
L'article L145-9 du code de commerce dispose :Par dérogation aux articles 1736 et 1737 du code civil, les baux de locaux soumis au présent chapitre ne cessent que par l'effet d'un congé donné six mois à l'avance ou d'une demande de renouvellement.A défaut de congé ou de demande de renouvellement, le bail fait par écrit se prolonge tacitement au-delà du terme fixé par le contrat. Au cours de la tacite prolongation, le congé doit être donné au moins six mois à l'avance et pour le dernier jour du trimestre civil.
Le bail dont la durée est subordonnée à un événement dont la réalisation autorise le bailleur à demander la résiliation ne cesse, au-delà de la durée de neuf ans, que par l'effet d'une notification faite six mois à l'avance et pour le dernier jour du trimestre civil. Cette notification doit mentionner la réalisation de l'événement prévu au contrat.S'agissant d'un bail comportant plusieurs périodes, si le bailleur dénonce le bail à la fin des neuf premières années ou à l'expiration de l'une des périodes suivantes, le congé doit être donné dans les délais prévus à l'alinéa premier ci-dessus.Le congé doit être donné par acte extrajudiciaire. Il doit, à peine de nullité, préciser les motifs pour lesquels il est donné et indiquer que le locataire qui entend, soit contester le congé, soit demander le paiement d'une indemnité d'éviction, doit saisir le tribunal avant l'expiration d'un délai de deux ans à compter de la date pour laquelle le congé a été donné.
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En l'espèce, d'une part, la cour a déclaré prescrites les actions de la preneuse en requalification des baux en baux commerciaux et en requalification des baux en dérogatoires et d'autre part, a débouté la preneuse de son action en revendication du statut des baux commerciaux à l'issue des baux dérogatoires, de sorte que les baux litigieux restent des contrats de louage de droit commun soumis au code civil.
S'agissant de baux soumis au code civil, il ne saurait être argué que les congés délivrés le 23 juillet 2018 par la bailleresse encourent la nullité au motif du défaut du respect du formalisme imposé par l'article L 145-9 dernier alinéa du code de commerce.
En conséquence, infirmant le jugement, la cour :
- rejette la demande de l'intimée preneuse tendant à voir déclarer nuls et de nul effet les congés délivrés le 23 juillet 2018,
- rejette les demandes de l'intimée preneuse tendant à voir dire que les baux commerciaux renouvelés sur la base des baux initiaux des 9 septembre 1998 et 23 septembre 1999 prennent effet au 1er janvier 2019,
- rejette la demande de l'intimée preneuse tendant à voir dire que la bailleresse doit lui remettre deux contrats de bail commercial sous astreinte,
4-Sur la demande de la bailleresse de résiliation judiciaire des baux
L'article 1184 du code civil, dans sa version applicable jusqu'au 1er octobre 2016, dispose :La condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement.Dans ce cas, le contrat n'est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté, a le choix ou de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts.La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances.
En l'espèce, la cour, ayant rejeté les demandes d'annulation des congés délivrés par la bailleresse à la preneuse, ne peut que déclarer sans objet la demande subsidiaire de la bailleresse de résiliation judiciaire des baux litigieux.
5-Sur les demandes de la bailleresse relatives aux demandes de renouvellement de la preneuse et à l'expulsion de la preneuse
Dés lors que le statut des baux commerciaux ne s'applique pas aux baux litigieux et que la société preneuse n'oppose pas de moyens suffisamment pertinents pour s'opposer aux demandes de la bailleresse de ce chef , la cour ne peut que :
- déclarer nulles et de nul effet les demandes de renouvellement délivrées par la société ABMI,
- juger valables les congés délivrés à la société ABMI.
Les congés ayant été délivrés par la société Technique innovante à la société preneuse étant valables, les baux litigieux ont pris fin et c'est à juste titre que la première invoque l'occupation désormais sans droit ni titre des locaux par la preneuse.
Infirmant le jugement, la cour fait droit aux demandes suivantes de la société bailleresse :
- juger la société ABMI occupante sans droit ni titre des locaux sis [Adresse 2] à [Localité 3],
- ordonner en conséquence l'expulsion de la société ABMI et de tous occupants de son chef, des locaux sis [Adresse 2] à [Localité 3] conformément aux dispositions du code des procédures civiles d'exécution.
S'agissant de la demande de la bailleresse de voir condamner la preneuse à lui régler une indemnité d'occupation égale au double du montant du loyer actuel, il n'est pas justifié du montant de l'indemnité d'occupation.
Il sera donc fait partiellement droit à cette demande en ces termes, par voie d'infirmation du jugement : condamne la société ABMI à payer à la société Technique innovante une indemnité d'occupation égale au montant des loyers et charges qui auraient été dus en l'absence de congé et jusqu'à l'entière libération des lieux.
Sur les frais du procès
En application des dispositions des articles 696 et 700 du code de procédure civile, la société ABMI sera condamnée aux entiers dépens.
Il n'est pas inéquitable de débouter les sociétés Technique innovante et EPF PACA de leurs demandes concernant l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement :
- infirme le jugement en toutes ses dispositions,
statuant à nouveau et y ajoutant,
- déclare irrecevables les demandes de la société ABMI en requalification des baux en baux commerciaux ou baux dérogatoires,
- rejette la demande de la société ABMI en revendication du statut des baux commerciaux à l'issue des baux dérogatoires,
- rejette la demande de la société ABMI tendant à voir déclarer nuls et de nul effet les congés délivrés le 23 juillet 2018,
- rejette les demandes de la société ABMI tendant à voir dire que les baux commerciaux renouvelés sur la base des baux initiaux des 9 septembre 1998 et 23 septembre 1999 prennent effet au 1er janvier 2019,
- rejette la demande de la société ABMI tendant à voir dire que la bailleresse doit lui remettre deux contrats de bail commercial sous astreinte,
- déclare nulles et de nul effet les demandes de renouvellement délivrées par la société ABMI ,
- juge valables les congés délivrés par la société Technique innovante à la société ABMI,
- déclarer sans objet la demande subsidiaire de résiliation judiciaire des baux litigieux,
- juge la société ABMI occupante sans droit ni titre des locaux sis [Adresse 2] à [Localité 3],
- ordonne en conséquence l'expulsion de la société ABMI et de tous occupants de son chef, des locaux sis [Adresse 2] à [Localité 3] conformément aux dispositions du code des procédures civiles d'exécution,
- condamne la société ABMI à payer à l'EPIC EPF PACA une indemnité d'occupation égale au montant des loyers et charges qui auraient été dus en l'absence de congé et jusqu'à l'entière libération des lieux,
- rejette la demande subsidiaire des sociétés ABMI et de l'EPIC EPF PACA,
- rejette les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamne la société ABMI aux entiers dépens.