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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3-2, 22 février 2024, n° 23/06045

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Invest AL (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Keromes

Conseillers :

Mme Vassail, Mme Vadrot

Avocats :

Me Simon-Thibaud, Me Alligier

T. com. Grasse, du 19 avr. 2023, n° 2023…

19 avril 2023

EXPOSE DU LITIGE

La société Invest AL, SASU créée par M. [T] [H] a pour activité la consultation immobilière, investissements, toutes transactions immobilières, qu'elle exerce sous les noms commerciaux de 'Homeland', 'Homeland Property', 'Homeland Rivera', activité consistant essentiellement à mettre en relation des vendeurs/promoteurs immobiliers ; elle intervient également au stade du lancement et de la commercialisation des projets avec les promoteurs ; elle se fait rémunérer par commissions d'apporteur d'affaires, versées à l'expiration des délais de recours contre les permis de construire.

Sur assignation du comptable du service des impôts de Valbone, la société Invest Al a été placée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Grasse, en date du 7 octobre 2020, Me [V] [B] étant désigné en qualité d'administrateur judiciaire avec une mission d'assistance et la Selarl MJ-[J] a été désignée en qualité de mandataire judiciaire. Un plan de redressement a été arrêté le 3 novembre 2021 prévoyant un règlement du passif sur cinq ans, plan qui a été modifié par jugement du 6 juillet 2022.

Par requête du 8 mars 2023, le commissaire à l'exécution du plan, a demandé au tribunal de commerce la résolution du plan de redressement pour inexécution et l'ouverture d'une liquidation judiciaire en raison de l'état de cessation des paiements de la débitrice au cours de l'exécution du plan, requête à laquelle le tribunal de commerce a fait droit. 

Par jugement du 19 avril 2023, le tribunal de commerce de Grasse a constaté l'état de cessation des paiements de la SAS Invest AL et prononcé la résolution du plan de redressement de la SAS Invest AL, ordonné sa liquidation judiciaire, fixé la date de cessation des paiements au 3 octobre 2022, nommé la Selarl MJ-[J] représentée par Me [R] [J] en qualité de liquidateur judiciaire.

Pour se prononcer, les premiers juges ont relevé :

- que de nouvelles difficultés étaient apparues post-plan dans l'encaissement de recettes, provenant d'un litige avec un promoteur immobilier (OPA Holding) sur le paiement de commissions au titre du programme 'Le domaine des mimosas' à [Localité 5] pour un montant de 211 078 euros TTC,

- que de nouvelles dettes sont apparues : une dette fiscale de 79 265 euros, une dette contractée auprès d'Agir La Mondiale, pour 5 575 euros et une dette Klesia de 4 765 euros, le tout totalisant un passif post-plan de 90 000 euros,

- qu'il existait en outre une créance salariale due au non versement d'indemnités et salaires consécutifs à une rupture conventionnelle avec une salariée sortie des effectifs en décembre 2022,

- que des commissions ont été versées à M. [H] et/ou à la société Planeta Regente qui ont fortement obéré la trésorerie de la société Investi AL, à savoir : 12 495 euros fin 2021 (outre 5 045 euros sur bulletin de salaires) et 312 592 euros en 2022 (soit un total de 332 141 euros),

- que le versement de ces commissions au dirigeant, directement ou indirectement, aurait pu être utilisé, comme preuve de sa bonne foi, à la consignation des dividendes et l'arbitrage fait dans les règlements l'ont été au détriment des créanciers et a creusé, avec les difficultés d'encaissement des commissions, la trésorerie et contribué à l'état de cessation des paiements.

La SAS Invest AL a fait appel du jugement par déclaration du 28 avril 2023.

Elle a par ailleurs saisi en référé le 2 octobre 2023 le premier président de la cour d'appel de céans aux fins d'arrêt de l'exécution provisoire, demande à laquelle il n'a pas été fait droit.

Aux termes de ses conclusions récapitulatives déposées et notifiées par RPVA le 11 décembre 2023, auxquelles la cour entend expressément se référer conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, la SAS Invest AL demande à la cour de :

- la déclarer recevable en son appel et la dire bien fondée en ses demandes,

- débouter les intimés de leurs demandes,

- infirmer le jugement frappé d'appel,

et statuant à nouveau,

- de déclarer que la SAS Invest AL n'est pas dans une situation irrémédiablement compromise et que son redressement n'est pas manifestement impossible,

- de remettre les parties en l'état où elle se trouvaient avant ledit jugement,

- les renvoyer devant le tribunal de commerce de Grasse,

- de statuer ce que de droit sur les dépens.

Par conclusions d'intimé n°1, la Selarl MJ-[J] ès qualités de liquidateur judiciaire de la SAS Invest AL demande à la cour de :

- confirmer le jugement critiqué en toutes ses dispositions

- juger que les frais et dépens seront des frais privilégiés de la procédure collective de la SAS Invest AL,

- débouter la SAS Invest AL de toutes ses demandes, fins et conclusions contraires aux présentes.

Le liquidateur judiciaire soutient, en substance, que la SAS Invest AL n'a pas tenu ses engagements fixés dans le plan et qu'à sa demande, le tribunal de commerce, par jugement rendu le 6 juillet 2022 a :

- décalé d'un an l'exigibilité des échéances,

- dit que la SAS Invest AL sera dispensée d'avoir à consigner un douzième du dividende au titre des créances déclarées par évaluation et faisant l'objet d'une instance pendante, devra consigner mensuellement le dividende annuel au titre des créances contestées dont l'admission a été retenue en première instance, « sous peine de résolution ». Or, la société n'a, là encore, pas respecté ses obligations.

Il fait valoir en outre que la société a versé à son dirigeant et à une autre personne morale plus de 330 000 euros de commissions qui ont grevé sa trésorerie, en plus des difficultés dans la perception des recettes, et l'ont conduite à l'état de cessation des paiements.

Par conclusions déposées et notifiées par RPVA le 27 juillet 2023, la Selarl Xavier Huertas et Associés, administrateur judiciaire, agissant en qualité de mandataire ad hoc de la SAS Invest AL demande qu'il soit jugé qu'elle s'en rapporte à justice et de statuer ce que de droit sur les dépens.

Elle fait valoir qu'elle s'en rapporte à justice quant au recours de la SAS Invest Al mais souhaite néanmoins rappeler, à titre informatif, que la société Invest Al n'a pas produit de justificatifs concernant ses capacités à honorer le plan lors de l'audience ayant prononcée la résolution de son plan de redressement et notamment, aucune attestation de son expert-comptable n'a été produite.

Par un avis du 12 décembre 2023, le ministère public a requis la confirmation de la décision entreprise, soulignant que la SAS Invest AL a créé de nouvelles dettes postérieurement à l'adoption du plan et ne démontre pas sa capacité à exécuter ledit plan ; par ailleurs, elle se trouve manifestement en état de cessation des paiements.

L'affaire a été fixée à l'audience du 10 janvier 2024, par avis adressé aux parties le 31 mai 2023, avec indication de la date prévisible de la clôture.

La clôture a été prononcée le 14 décembre 2023.

Il sera renvoyé, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens respectifs.

MOTIFS

La recevabilité de l'appel n'étant pas contestée, il est sans objet de statuer sur la demande de la SAS Invest AL tendant à la recevoir en son appel.

L'article L. 631-27 du code de commerce pose pour principe que le tribunal qui a arrêté le plan de redressement peut, après avis du ministère public, décider de sa résolution lorsque le débiteur n'exécute pas ses engagements lorsque la cessation des paiements est constatée au cours de l'exécution du plan, ouvre une procédure de liquidation judiciaire.

Il s'évince de l'article L. 631-1 du code de commerce que l'état de cessation des paiements se définit par l'impossibilité pour un débiteur de faire face à son passif exigible avec son actif disponible. Il doit être démontré par celui qui demande l'ouverture de la procédure collective, se distingue du refus de paiement d'une créance et ne se déduit pas de la seule existence d'une dette, ou d'un résultat déficitaire ou d'une perte d'exploitation.

L'actif disponible s'entend des éléments immédiatement disponibles et/ou réalisables à très court terme.

En l'espèce, le passif à rembourser par la SAS Invest AL s'élevait à 812 591,59 euros, sur lequel 460 666,91 euros était contesté par la société débitrice.

L'apurement du passif retenu s'établissait donc à 351 925 euros selon l'échéancier suivant :

- créances inférieures à 500 euros : à l'arrêté du plan,

- 1ère échéance : 20 % à l'arrêté du plan,

- 2ème échéance 20 % un an après l'arrêté du plan,

- 3ème échéance 20 % deux ans après l'arrêté du plan,

- 4ème échéance 20 % trois ans après l'arrêté du plan,

- 5ème échéance 20 % quatre ans après l'arrêté du plan.

Très vite, face aux difficultés rencontrées par la SAS Invest AL pour satisfaire à ses obligations de remboursement du passif, suivant les échéances fixées par le plan de redressement (soit pour le premier dividende, une somme totale de 154 056,64 euros), celle-ci demandait au tribunal de commerce par requête déposée le 17 février 2022, une modification de son plan, après avoir versé entre les mains du commissaire à l'exécution du plan un versement partiel de 15 000 euros le 20 décembre 2021.

Les prévisions d'activité n'ayant pu se réaliser dans les délais envisagés pour permettre à la SAS Invest AL de verser, dès l'arrêté du plan une première annuité, le commissaire à l'exécution du plan estimait alors que cette situation 'est manifestement problématique puisqu'elle place la société Invest AL dans l'impossibilité d'exécuter les obligations de son plan, alors même que l'activité de la société lui permettra, in fine et sans difficultés, de désintéresser l'intégralité de ses créanciers' (pièce n°3 page 9 de l'appelante) et appuyait une modification du plan initial, permettant de régler le passif selon un calendrier rallongé d'une année et en excluant des dividendes les créances déclarées à titre provisionnel et par évaluation, à hauteur de 183 784,87 euros, dans l'attente d'un titre exécutoire.

C'est ainsi que la SAS Invest AL obtenait une modification du plan de redressement par jugement du 6 juillet 2022, le tribunal ayant dispensé la débitrice de consigner au titre des créances déclarées par évaluation et faisant l'objet d'une instance pendante et maintenu au titre des obligation de la SAS Invest AL la consignation mensuelle du dividende annuel au titre des créances contestées dont l'admission a été retenue en première instance, sous peine de résolution.

Moins d'un an après, le commissaire à l'exécution du plan demandait la résolution du plan pour inexécution (non règlement du premier dividende faute de provision suffisante et retards dans la consignation mensuelle du second dividende) et l'ouverture d'une liquidation judiciaire en raison de la cessation des paiements de la société débitrice au cours de l'exécution du plan, en raison d'un nouveau passif postérieur au plan d'environ 127 000 euros.

La SAS Invest AL indique avoir réglé la totalité du premier dividende à la date anniversaire du 3 novembre 2022, ce qui n'est plus contesté par le commissaire à l'exécution du plan.

Elle conteste dans le dernier état de ses écritures le montant du passif post-plan, qu'elle estime n'être que de 11 556 euros et reconnaît avoir eu du retard dans le provisionnement du second dividende dont l'échéance est intervenue le 3 novembre 2023, indiquant n'avoir consigné que la somme de 91 166,76 euros, expliquant que ses difficultés financières tiennent au décalage entre la perception des commissions qui constituent l'essentiel de ses recettes et à la nature particulière de sa clientèle, constituée essentiellement de promoteurs avec des ventes en VEFA, de sorte que les retards rencontrés par sa clientèle se répercutent sur sa trésorerie.

Elle indique attendre le versement de plusieurs commissions à intervenir dans le courant de l'année 2023 et au cours du premier trimestre 2024 (pages 8 et 9 de ses conclusions) pour un montant total de 710 980 euros et fait état de la réduction de ses charges d'exploitation (la société a rendu son local commercial et n'a plus de salariés).

Elle fait valoir que pour soutenir la société, son dirigeant prend l'engagement en cas d'infirmation du jugement déféré, de garantir sur ses fonds propres la société à hauteur de 11 556 euros représentant le passif postérieur réel à la date du 4 avril 2023, verse aux débats le relevé bancaire de M. [H] à la date du 28 août 2023 et une attestation de garantie sous condition.

Elle fait part de son souhait de saisir le tribunal de commerce une demande de modification du plan, sur 10 échéances annuelles, affirmant qu'elle est en capacité de redresser sa situation et apurer le passif.

A ce jour, la cour constate :

- qu'aucune actualisation sur les perspectives annoncées de rentrées de recettes annoncées fin 2023 et début 2024 n'est fournie et il n'est pas justifié que la SAS Invest AL a effectivement perçu tout ou partie des fonds de la part de ses clients,

- que l'attestation de garantie sous condition émise par le dirigeant de la SAS Invest AL, M. [T] [H] (sa pièce n°16), ne peut sérieusement être prise en compte comme garantie de règlement du passif constitué postérieurement à l'adoption du plan et conditionnée à l'infirmation par la cour du jugement déféré. A supposer qu'il faille devoir examiner cette possibilité, la cour ne dispose d'aucun justificatif concernant la solvabilité de M. [H] au jour où elle statue.

- aucun projet de modification du plan, annoncé dans les écritures du conseil de la SAS Invest AL, n'a été versé aux débats, de même qu'aucune justification quant aux capacités financières de la SAS Invest AL d'honorer ses engagements tels que fixés dans le plan modifié n'a été produite.

Au contraire, à l'instar de ce que le tribunal de commerce a relevé, la cour observe que, non contente de ne pas respecter les échéances du plan de redressement modifié en 2022, la SAS Invest AL a effectué des versements directement ou indirectement au bénéfice de son dirigeant, M. [H] et de la société Planeta Régente pour plus de 330 000 euros de commissions entre 2021 et 2022, privant ainsi la SAS Invest AL d'une trésorerie qui aurait été suffisante pour régler le second dividende du plan et provisionner le troisième.

La SAS Invest AL n'a fourni aucune explication sur ces versements de commissions.

Dès lors il y a lieu de constater que c'est en pleine connaissance de cause que la SAS Invest AL n'a pas respecté ses obligations telles que prescrites dans le plan de redressement modifié par jugement du tribunal de commerce de Grasse du 6 juillet 2022 et qu'elle ne justifie à ce jour d'aucun versement supplémentaire concernant le second dividende du plan, dont l'échéance est survenue le 3 novembre 2023 et dont le solde impayé s'élève à ce jour à 46 750,14 euros, ni d'aucun versement pour régler le passif nouvellement constitué à hauteur de 89 605 euros (dette fiscale : 79 265 euros, dette Agir La Mondiale : 5 575 euros, dette Klesia : 4 765 euros) sur lequel elle reconnaît à tout le moins devoir 11556 euros.

Contrairement à ce que soutient la SAS Invest AL il n'est pas nécessaire pour prononcer la liquidation judiciaire en cours d'exécution du plan de redressement, que la situation de l'entreprise soit irrémédiablement compromise, dès lors qu'il suffit que le tribunal constate l'état de cessation des paiements en cours d'exécution du plan et prononce la liquidation judiciaire.

C'est donc à juste titre que le tribunal de commerce de Grasse a prononcé la résolution du plan de redressement de la SAS Invest AL pour inexécution et, constatant l'état de cessation des paiements caractérisé par l'incapacité de régler les dettes survenues pendant l'exécution du plan s'élevant au total à la somme de 89 605 euros, auxquelles s'ajoutent les frais de justice pour un montant de 13 741,67 euros, avec son actif disponible, a prononcé la liquidation judiciaire de la SAS Invest AL.

Le jugement sera par conséquent confirmé en toutes ses dispositions.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, rendu par mise à disposition au greffe,

Déboute la SAS Invest AL de ses prétentions ;

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Grasse (n° 2023F00115) le 19 avril 2023 ;

Y ajoutant,

Dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de la procédure collective de la SAS Invest AL.