TUE, 5e ch. élargie, 20 décembre 2023, n° T-58/21
TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Stadtwerke Hameln Weserbergland GmbH
Défendeur :
Commission européenne, E.ON SE, RWE AG
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. van der Woude
Juges :
Mme Stancu, M. Stancu
Avocats :
Me Zenke, Me Heymann, Me Funke, Me Dlouhy
ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre élargie)
20 décembre 2023 (*)
« Concurrence – Concentrations – Marchés de l’électricité et du gaz allemands – Décision déclarant la concentration compatible avec le marché intérieur – Obligation de motivation – Notion de “concentration unique” – Droit à une protection juridictionnelle effective – Droit d’être entendu – Délimitation du marché – Période d’analyse – Appréciation des effets de l’opération sur la concurrence – Erreurs manifestes d’appréciation – Engagements – Obligation de diligence »
Dans l’affaire T 58/21,
Stadtwerke Hameln Weserbergland GmbH, anciennement GWS Stadtwerke Hameln GmbH, établie à Hameln (Allemagne), représentée par Mes I. Zenke et T. Heymann, avocats,
partie requérante,
contre
Commission européenne, représentée par MM. G. Meessen et J. Szczodrowski, en qualité d’agents, assistés de Mes T. Funke et A. Dlouhy, avocats,
partie défenderesse,
soutenue par
E.ON SE, établie à Essen (Allemagne), représentée par Mes C. Grave, C. Barth et D.-J. dos Santos Goncalves, avocats,
et par
RWE AG, établie à Essen, représentée par Mes U. Scholz, J. Ziebarth et J. Siegmund, avocats,
parties intervenantes,
LE TRIBUNAL (cinquième chambre élargie),
composé de MM. M. van der Woude, président, J. Svenningsen, C. Mac Eochaidh, J. Martín y Pérez de Nanclares (rapporteur) et Mme M. Stancu, juges,
greffier : Mme S. Jund, administratrice,
vu la phase écrite de la procédure,
à la suite de l’audience du 18 avril 2023,
rend le présent
1 Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Stadtwerke Hameln Weserbergland GmbH, anciennement GWS Stadtwerke Hameln GmbH, demande l’annulation de la décision C(2019) 6530 final de la Commission, du 17 septembre 2019, déclarant une concentration compatible avec le marché intérieur et avec le fonctionnement de l’accord EEE (affaire M.8870 – E.ON/Innogy) (ci-après la « décision attaquée »).
I. Antécédents du litige
A. Entreprises en cause
2 E.ON SE est une société de droit allemand qui opérait, au moment de la notification de l’opération de concentration envisagée, sur l’ensemble de la chaîne de fourniture d’énergie, notamment dans les domaines de la production, de la vente en gros, du transport, de la distribution, de la vente au détail et des activités liées à l’énergie (comme le comptage, l’électromobilité) (ci-après le « marché de l’énergie »). E.ON est active dans plusieurs États européens, dont la République tchèque, le Danemark, l’Allemagne, l’Italie, la Hongrie, la Pologne, la Roumanie, la Slovaquie, la Suède et le Royaume-Uni.
3 Innogy SE (ci-après, ensemble avec E.ON, les « parties à la concentration »), une filiale de RWE AG, majoritairement détenue par cette dernière, est une société de droit allemand active dans toute la chaîne de fourniture d’énergie, qu’il s’agisse de production, de distribution, de vente au détail et d’activités liées à l’énergie telles que le comptage ou l’électromobilité. Innogy est active dans plusieurs États européens, dont la Belgique, la République tchèque, l’Allemagne, l’Espagne, la France, la Croatie, l’Italie, la Hongrie, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la Roumanie, la Slovénie, la Slovaquie et le Royaume-Uni.
4 La requérante est une entreprise municipale de droit allemand qui est présente à tous les niveaux de la chaîne de fourniture d’énergie. La distribution d’électricité et de gaz aux ménages et aux petits clients commerciaux fait partie de ses activités principales. Elle exploite des réseaux de distribution d’électricité et de gaz.
B. Contexte de la concentration
5 La concentration en cause en l’espèce s’inscrit dans le cadre d’un échange complexe d’éléments d’actifs entre RWE et E.ON, annoncé les 11 et 12 mars 2018 par les deux entreprises concernées (ci-après l’« opération globale »). Ainsi, par le biais de la première opération, RWE souhaite acquérir le contrôle exclusif ou le contrôle en commun de certains actifs de production d’E.ON. La deuxième opération, à savoir la concentration en cause en l’espèce, consiste en l’acquisition par E.ON du contrôle exclusif des activités de distribution et de commerce de détail ainsi que de certains actifs de production d’innogy contrôlée par RWE. Quant à la troisième opération, elle prévoit que RWE acquière 16,67 % des parts d’E.ON.
6 La première opération de concentration a été notifiée à la Commission européenne le 22 janvier 2019 (ci-après la « concentration M.8871 »). La Commission a, eu égard à cette première opération, adopté la décision C(2019) 1711 final, du 26 février 2019, déclarant une concentration compatible avec le marché intérieur et avec l’accord EEE (affaire M.8871 – RWE/E.ON Assets) (ci-après la « décision M.8871 »).
7 La troisième opération a été notifiée au Bundeskartellamt (Office fédéral des ententes, Allemagne), qui l’a autorisée par décision du 26 février 2019 (affaire B8-28/19, ci-après la « concentration B8-28/19 »).
C. Procédure administrative
8 Le 31 janvier 2019, la Commission a reçu notification d’une proposition de concentration en application de l’article 4 du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO 2004, L 24, p. 1), par laquelle E.ON souhaitait acquérir, au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous b), dudit règlement, le contrôle exclusif des activités de distribution et de solutions pour les consommateurs et certains actifs de production d’électricité d’innogy, contrôlée par RWE.
9 Dans le cadre de son examen de cette concentration, la Commission a réalisé une première enquête de marché, adressée aux concurrents des parties à la concentration (ci-après la « première enquête de marché »), et a donc transmis à certaines entreprises, dont la requérante, le 1er février 2019, un questionnaire.
10 Le 8 février 2019, la Commission a procédé à la publication au Journal officiel de l’Union européenne de la notification préalable de cette concentration (affaire M.8870 – E.ON/Innogy) (JO 2019, C 50, p. 13, ci-après la « concentration M.8870 »), conformément à l’article 4, paragraphe 3, du règlement no 139/2004.
11 La concentration comporte deux étapes. La première étape correspond à l’acquisition par E.ON de l’intégralité d’innogy. La seconde étape se matérialise par le fait qu’E.ON, d’une part, se sépare de la majeure partie des activités de production d’électricité à partir de sources d’énergie renouvelables d’innogy, de onze installations de stockage de gaz exploitées par innogy en République tchèque et en Allemagne et de la participation à hauteur de 49 % d’innogy dans Kärntner Energieholding Beteiligungs GmbH, et, d’autre part, transfère ces actifs à RWE.
12 Par décision du 7 mars 2019, la Commission a estimé que la concentration M.8870 soulevait des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché intérieur et l’accord sur l’Espace économique européen (JO 1994, L 1, p. 3, ci-après l’« accord EEE »). En conséquence, la Commission a décidé d’ouvrir la procédure d’examen approfondi, conformément à l’article 6, paragraphe 1, sous c), du règlement no 139/2004.
13 Le 14 mars 2019, la Commission a adressé une demande de renseignements, au titre de l’article 11 du règlement no 139/2004, à certaines entreprises. Cette demande de renseignements visait à obtenir les documents relatifs aux enquêtes menées par lesdites entreprises auprès de leurs clients entre 2016 et 2018 concernant la fourniture au détail d’électricité et de gaz en Allemagne.
14 Le 18 mars 2019, la Commission a procédé à la publication au Journal officiel de l’engagement de procédure (JO 2019, C 102, p. 2), conformément à l’article 6, paragraphe 1, sous c), du règlement no 139/2004.
15 Lors d’une réunion-bilan s’étant tenue le 27 mai 2019, la Commission a informé les parties à la concentration des résultats préliminaires de l’étude du marché et de l’étendue de ses préoccupations préliminaires.
16 Afin de remédier aux problèmes de concurrence identifiés par la Commission lors de la réunion-bilan du 27 mai 2019, E.ON a présenté, le 20 juin 2019, une offre d’engagements, conformément à l’article 8, paragraphe 2, du règlement no 139/2004.
17 La Commission a réalisé une seconde enquête de marché, relative aux engagements proposés par E.ON, et a donc transmis, le 21 juin 2019, à certaines entreprises deux questionnaires, l’un portant sur les engagements proposés pour le marché de l’électricité utilisée pour le chauffage et l’autre sur ceux proposés pour le marché de l’électromobilité.
18 E.ON a présenté une version finale de ses engagements le 3 juillet 2019.
D. Décision attaquée
19 La Commission ayant estimé que les engagements présentés par E.ON étaient suffisants pour écarter les doutes sérieux quant à la compatibilité de la concentration avec le marché intérieur, elle n’a pas envoyé de communication des griefs à E.ON et a adopté la décision attaquée. Par cette décision, dont un résumé a été publié au Journal officiel (JO 2020, C 379, p. 16), la Commission a déclaré la concentration compatible avec le marché intérieur et l’accord EEE.
20 La concentration entraîne des chevauchements importants entre les activités d’E.ON et celles d’innogy, notamment, en Allemagne. La Commission a donc examiné les effets de la concentration sur les marchés de ce pays.
1. Sur la définition des marchés pertinents
21 La Commission a relevé que, en Allemagne, E.ON et innogy étaient toutes deux actives dans la production et la vente en gros d’électricité, dans la distribution d’électricité et de gaz, dans les services de transformation et la gestion et la maintenance des sous-stations, dans la vente de matériaux, dans la vente au détail d’électricité et de gaz, dans le conseil en énergie, dans la vente de matériaux divers, dans la fourniture d’eau potable et de services connexes, dans la fourniture de chauffage urbain, dans les services de comptage (chaleur, eau, électricité et gaz), dans les services de télécommunication de gros et de détail, dans la fourniture d’éclairage public, dans les services d’électromobilité, dans les systèmes photovoltaïques, dans la vente et l’installation de produits et services pour la maison intelligente, et dans les services de réponse à la demande et de flexibilité.
a) Marché de l’électricité
22 En premier lieu, la Commission a considéré que la question de la définition du marché de la production et de la fourniture en gros d’électricité, qui était national, pouvait rester ouverte, dans la mesure où la concentration n’aurait aucun effet sur ce marché.
23 En deuxième lieu, concernant le marché de la distribution d’électricité, la Commission a estimé que la distribution d’électricité via des réseaux à basse tension exploités par des gestionnaires de réseaux de distribution (ci-après les « GRD ») était considérée comme un marché de produits distinct, la région couverte par chacun de ces réseaux exploités par des GRD en Allemagne constituant un marché de référence distinct.
24 En troisième lieu, s’agissant du marché de la fourniture au détail d’électricité, la Commission a distingué trois marchés de produits : le marché de la fourniture au détail d’électricité aux grands clients industriels ; le marché de la fourniture au détail d’électricité aux ménages et aux petits clients commerciaux dans le cadre de l’approvisionnement de base ; la fourniture au détail d’électricité aux ménages et aux petits clients commerciaux dans le cadre de contrats spéciaux. Tandis que le premier de ces marchés a été considéré comme national, le deuxième a été considéré comme local, limité à la zone d’approvisionnement de base concernée, alors que le troisième a été considéré comme national avec des éléments locaux.
25 En quatrième lieu, concernant le marché de l’électricité utilisée pour le chauffage, la Commission a considéré qu’il s’agissait d’un marché de produits distinct du marché de l’électricité utilisée à d’autres fins et que la question de la définition géographique exacte de ce marché pouvait être laissée ouverte, dès lors que la concentration entravait considérablement une concurrence effective, que le marché fût considéré comme national avec des éléments de concurrence locale ou comme local au niveau de la zone de réseau.
b) Marché du gaz
26 En ce qui concerne la distribution de gaz, la Commission a considéré chaque réseau de distribution de gaz à plus basse pression (basse et moyenne) exploité par un GRD comme un marché de produits distinct, dont la dimension géographique correspondait à la région couverte par chacun de ces réseaux exploités par les GRD. Par ailleurs, la Commission a constaté que la structure et le fonctionnement du marché de la fourniture au détail de gaz étaient très semblables à la structure et au fonctionnement du marché de la fourniture au détail d’électricité. Par conséquent, la Commission a retenu une définition du marché de produits et du marché géographique pour la fourniture au détail de gaz comparable à celle retenue pour l’électricité.
c) Marché des services de comptage
27 Tout d’abord, la Commission a indiqué que le comptage concernait la mesure de la consommation d’électricité, de gaz, d’eau ou de chaleur aux fins de la facturation et de la transparence et de l’optimisation de la consommation. En outre, elle a précisé qu’il y avait des différences entre le marché des services de comptage de l’électricité et du gaz, d’une part, et le marché des services de comptage du chauffage urbain et de l’eau, d’autre part.
28 En effet, en substance, la Commission a précisé que, alors que, s’agissant des services de comptage du chauffage urbain et de l’eau, les consommateurs ne pouvaient pas choisir leur fournisseur de services de comptage, ces services étant assurés par leur opérateur de réseau, ils pouvaient choisir un autre opérateur que le GRD normalement compétent pour les services de comptage de l’électricité et du gaz. Ainsi, il existait, s’agissant du marché des services de comptage de l’électricité et du gaz, la possibilité de choisir entre le « gestionnaire de points de comptage normalement responsable » (ci-après le « nGPC ») et le « gestionnaire de points de comptage concurrentiel » (ci-après le « cGPC »).
29 Ensuite, la Commission a défini les services en marque blanche comme des services relatifs à l’approvisionnement, à l’installation, à l’exploitation, à l’entretien et à la fourniture de solutions informatiques, fournis aux GRD.
30 Enfin, la Commission a indiqué que les activités de comptage divisionnaire consistaient en la mesure de la consommation d’eau et d’énergie afin d’attribuer la consommation propre à chaque unité individuelle d’un bâtiment (par exemple, dans des complexes multirésidentiels), par opposition à un compteur, qui mesurait la consommation d’un bâtiment entier.
31 Pour les besoins de la décision attaquée, la Commission a retenu, premièrement, un marché des services de comptage de l’électricité et du gaz en tant que nGPC, deuxièmement, un marché des services de comptage de l’électricité et du gaz en tant que cGPC, troisièmement, un marché des services de comptage de la chaleur et de l’eau, quatrièmement, un marché des services de comptage divisionnaire et, cinquièmement, un marché des services en marque blanche.
32 En ce qui concerne la dimension géographique desdits marchés, la Commission a conclu que le marché des services de comptage de l’électricité et du gaz en tant que nGPC avait une portée locale, limitée à la zone de réseau concernée. De même, le marché des services de comptage de la chaleur et de l’eau a été considéré comme étant local et limité à la zone de réseau concernée. Les marchés des services de comptage de l’électricité et du gaz en tant que cGPC, le marché des services de comptage divisionnaire et le marché des services en marque blanche ont été considérés comme étant de portée nationale.
d) Marché de l’électromobilité
33 En premier lieu, s’agissant du marché de l’installation et de l’exploitation de bornes de recharge publiques pour véhicules électriques, la Commission a estimé que l’installation et l’exploitation de bornes de recharge publiques pour véhicules électriques sur autoroute, d’une part, et hors autoroute, d’autre part, constituaient des marchés distincts. La Commission a également considéré que, sur les autoroutes, les bornes de recharge rapides, d’une part, et les bornes de recharge ultrarapides, d’autre part, appartenaient à des marchés distincts. La Commission a également considéré que les bornes de recharge ultrarapides hors autoroute constituaient un marché distinct. En revanche, selon la Commission, la question de savoir si les bornes de recharge ordinaires et rapides hors autoroute devraient ou non faire partie du même marché pertinent pouvait rester ouverte.
34 En ce qui concerne la question de la définition du marché géographique, d’une part, concernant le marché de l’installation et de l’exploitation de bornes de recharge publiques pour véhicules électriques sur autoroute, la Commission a considéré que celle-ci pouvait rester ouverte, dans la mesure où la concentration poserait des problèmes de concurrence, quelle que fût la définition exacte retenue.
35 D’autre part, concernant le marché de l’installation et de l’exploitation de bornes de recharge publiques pour véhicules électriques hors autoroute, la Commission a considéré que la question de la définition géographique dudit marché pouvait rester ouverte, dans la mesure où la concentration ne poserait pas de problèmes de concurrence, quelle que fût la définition plausible du marché.
36 En deuxième lieu, s’agissant de la fourniture en gros de bornes de recharge de véhicules électriques, une activité d’innogy, mais pas d’E.ON, la Commission a considéré que la question de la définition exacte de ce marché pouvait rester ouverte, puisque, d’une part, il n’y avait pas de chevauchement horizontal entre les activités des parties et, d’autre part, la part de marché d’innogy était en-dessous de 30 %, quelle que fût la définition de marché de produits ou géographique plausible retenue.
37 En troisième lieu, la Commission a considéré que la vente au détail de bornes de recharge privées pour véhicules électriques constituait un marché distinct et qu’il était de dimension nationale. Toutefois, dès lors qu’E.ON et innogy y avaient des parts de marché très limitées, la Commission a conclu que ce marché n’était pas affecté par la concentration.
38 En quatrième lieu, quant aux services d’abonnement pour les bornes de recharge publiques pour véhicules électriques, la Commission a conclu que la question de la définition exacte du marché de produits, dont elle a considéré la dimension géographique comme étant nationale, pouvait rester ouverte, car la concentration ne posait pas de problèmes de concurrence, quelle que fût la définition plausible du marché.
39 En cinquième lieu, en ce qui concerne les services en marque blanche pour les bornes de recharge publiques pour véhicules électriques, la Commission a conclu qu’il s’agissait d’un marché de produits distinct revêtant une dimension nationale. Toutefois, dès lors que les parties à la concentration n’y exerçaient que des activités limitées et que leur part de marché combinée était inférieure à 10 %, la Commission a conclu qu’il ne s’agissait pas d’un marché affecté.
2. Sur l’analyse des effets non coordonnés horizontaux
40 En premier lieu, s’agissant des marchés de la distribution d’électricité et de gaz, la Commission a considéré que, étant donné que chaque réseau de distribution constituait un marché géographique distinct, les activités des parties à la concentration ne se chevauchaient pas. Par conséquent, la concentration ne donnerait pas lieu à un marché affecté horizontalement. Néanmoins, la Commission, en partie sur la base des préoccupations soulevées par des tiers, a évalué un certain nombre de scénarios hypothétiques dans lesquels la concentration pourrait nuire aux consommateurs. Elle a ainsi analysé :
– la diminution de la concurrence dans les appels d’offres de concession ;
– la discrimination dans l’utilisation du réseau 110 kilovolts (kV) ;
– l’impact négatif sur le critère d’efficacité de la règlementation ;
– la capacité indue d’influencer les processus d’établissement des normes.
41 La Commission est arrivée à la conclusion que la concentration n’entraverait pas de manière significative une concurrence effective en raison des effets horizontaux non coordonnés sur les marchés de la distribution d’électricité et de gaz en Allemagne.
42 En deuxième lieu, en ce qui concerne les marchés de la fourniture au détail d’électricité et de gaz aux ménages et aux petits clients commerciaux, la Commission a estimé que la concentration n’entraverait pas de manière significative la concurrence, que ce fût dans le cadre de l’approvisionnement de base ou dans le cadre de contrats spéciaux.
43 En revanche, en troisième lieu, s’agissant du marché de l’électricité utilisée pour le chauffage, la Commission a considéré que la concentration entraverait de manière significative la concurrence. En effet, premièrement, les parts de marché combinées des parties à la concentration étaient élevées, deuxièmement, il résultait de l’étude du marché que les parties à la concentration exerçaient une pression concurrentielle significative l’une sur l’autre, à un niveau tant national que local, troisièmement, les autres concurrents présents sur le marché ne seraient pas en mesure de préserver les mêmes conditions de concurrence que celles existant avant la concentration, quatrièmement, les barrières à l’entrée et à l’expansion sur ce marché étaient considérables, et, cinquièmement, ce marché allait, certes, évoluer, mais n’allait pas disparaître.
44 En quatrième lieu, quant aux marchés de la fourniture au détail d’électricité et de gaz aux grands clients industriels, la Commission a considéré que la concentration ne donnerait pas lieu à des marchés affectés horizontalement.
45 En cinquième lieu, s’agissant des services de comptage, la Commission a estimé que la concentration ne donnait lieu à aucun marché affecté.
46 En sixième lieu, concernant le marché de l’installation et de l’exploitation de bornes de recharge publiques pour véhicules électriques sur autoroute, la Commission a conclu que, lorsque des bornes de recharge publiques d’E.ON et d’innogy se trouvaient à une distance de 50 kilomètres (km) sans qu’il y ait eu, entre elles, des bornes de recharge publiques d’un autre concurrent sur la même route, E.ON et innogy se faisaient la concurrence la plus directe. Dans de telles conditions, la concentration était susceptible de nuire aux consommateurs, car elle éliminerait les importantes contraintes concurrentielles que les parties s’imposaient mutuellement. Par conséquent, la Commission a conclu que la concentration entraverait la concurrence de manière significative sur ce marché.
47 En revanche, en septième lieu, la Commission a considéré que, s’agissant du marché de l’installation et de l’exploitation de bornes de recharge publiques pour véhicules électriques hors autoroute, la concentration n’entraverait pas de manière significative ce marché.
3. Sur l’analyse des effets non coordonnés verticaux
48 La Commission a considéré que les réseaux de distribution d’électricité et de gaz exploités par les GRD étaient des marchés verticalement affectés en relation avec tous les marchés en amont ou en aval, car les parts de marché de l’entité issue de la concentration seraient supérieures à 30 % dans les réseaux de distribution (monopoles naturels).
49 De même, selon la Commission, les parties à la concentration détenaient des parts de marché supérieures à 30 % dans la fourniture au détail d’électricité et de gaz sur les marchés locaux où elles étaient les fournisseurs de base (monopoles naturels), ce qui donnerait lieu à des marchés verticalement affectés concernant les marchés en amont liés.
50 En premier lieu, la Commission a considéré que la concentration n’entraverait pas de manière significative la concurrence effective en raison d’effets verticaux non coordonnés découlant des liens verticaux existant entre le marché en amont de la production et de la fourniture en gros d’électricité en Allemagne et les marchés en aval de la fourniture au détail d’électricité en Allemagne.
51 En deuxième lieu, la Commission a estimé que la concentration n’entraverait pas de manière significative la concurrence effective en raison d’effets verticaux non coordonnés découlant des liens verticaux entre le marché en amont pour l’exploitation du réseau de distribution et le marché en aval de la production et de la fourniture en gros d’électricité en Allemagne.
52 En troisième lieu, la Commission a indiqué que la concentration n’entraverait pas de manière significative la concurrence effective en raison d’effets non coordonnés découlant des liens verticaux entre les marchés en amont des réseaux de distribution exploités par les GRD et les marchés en aval de fourniture au détail d’électricité ou de gaz en Allemagne.
53 En quatrième lieu, la Commission a considéré que la concentration n’entraverait pas de manière significative la concurrence effective en raison d’effets non coordonnés découlant des liens verticaux entre les marchés en amont de réseaux de distribution de l’électricité et du gaz exploités par les GRD et les marchés en aval des services de comptage de l’électricité et du gaz en Allemagne.
54 En cinquième lieu, la Commission a estimé que la concentration n’entraverait pas de manière significative la concurrence effective en raison d’effets non coordonnés découlant des liens verticaux entre le marché en amont de la vente au détail de gaz aux centrales électriques et les marchés en aval de chauffage urbain en Allemagne.
55 En sixième lieu, la Commission a considéré que la concentration n’entraverait pas de manière significative la concurrence effective en raison d’effets non coordonnés découlant des liens verticaux entre le marché en amont des services en marque blanche et les marchés en aval des services de comptage de l’électricité et du gaz, d’une part, et des services de comptage de la chaleur et de l’eau, d’autre part, en Allemagne.
56 En septième lieu, la Commission a indiqué que la concentration n’entraverait pas de manière significative la concurrence effective en raison d’effets non coordonnés découlant des liens verticaux en ce qui concerne les marchés de l’électromobilité en Allemagne.
4. Sur les autres théories du dommage
57 La Commission a analysé les préoccupations soulevées par des tiers concernant d’autres effets que la concentration pourrait avoir sur d’autres marchés liés à l’énergie.
58 En premier lieu, la Commission a examiné les préoccupations exprimées concernant l’accès à une base unique de données de clientèle. Selon les tiers, l’entité issue de la concentration disposerait d’une base de données importante en raison de sa vaste clientèle et de son rôle de fournisseur de compteurs (intelligents) (en raison de ses activités de GRD et, par conséquent, de son rôle de fournisseur de compteurs par défaut). Un fournisseur de compteurs intelligents recueille toutes les données de consommation. Étant donné les effets à grande échelle du traitement des données pour le développement de nouveaux produits (par exemple, la tarification personnalisée, les services de prosommation, etc.), les parties à la concentration disposeraient d’un avantage incomparable (également en raison d’effets de renforcement et de réseau).
59 La Commission a considéré qu’il n’y avait pas d’éléments suffisants pour considérer que la concentration entraverait de manière significative la concurrence sur ce fondement. En effet, en particulier, la concentration ne devrait pas aboutir à ce que la base de données disponible contienne des types de données différents de ceux auxquels les parties à la concentration avaient déjà accès avant la concentration. Par conséquent, elles auraient accès au même type de données qu’avant la concentration, mais pour davantage de clients.
60 En second lieu, la Commission s’est penchée sur les problèmes de portefeuille de produits liés à l’énergie, de ventes croisées et de puissance financière soulevés par des tiers et liés au problème de base de données évoqué précédemment.
61 La Commission a considéré que, s’agissant de ces problèmes, il n’y avait pas d’éléments suffisants démontrant que la concentration entraverait de manière significative la concurrence.
5. Conclusion sur les effets de la concentration
62 La Commission a considéré que, en raison des effets non coordonnés découlant du chevauchement des activités des parties à la concentration, la concentration entraverait de manière significative la concurrence effective sur le marché de la fourniture au détail d’électricité utilisée pour le chauffage aux ménages et aux petits clients commerciaux ainsi que sur le marché de l’installation et de l’exploitation de bornes de recharge publiques pour véhicules électriques sur autoroute en Allemagne.
6. Sur les engagements
63 Eu égard aux problèmes de concurrence identifiés par la Commission, E.ON a présenté une offre d’engagements. La Commission a soumis cette offre aux tiers par l’intermédiaire de la seconde enquête de marché. Elle a alors communiqué les résultats de celle-ci à E.ON afin qu’elle adapte son offre d’engagements.
64 En premier lieu, s’agissant du marché de la fourniture au détail d’électricité utilisée pour le chauffage aux ménages et aux petits clients commerciaux, E.ON s’est engagée à céder la quasi-totalité des clients sous contrat spécial de sa filiale EDG fournis en électricité utilisée pour le chauffage. Les engagements définitifs comprennent également, pour les clients alimentés par des compteurs distincts, tous les contrats spéciaux d’électricité domestique correspondants concernant les clients alimentés en électricité destinée au chauffage. La cession sera divisée en deux portefeuilles de clients distincts, qui seront acquis conjointement par un acheteur ou séparément par deux acheteurs.
65 La Commission a considéré que cette cession permettrait de répondre efficacement à toutes ses préoccupations en éliminant la plupart des chevauchements concurrentiels entre les parties à la concentration et en veillant à ce qu’un nombre suffisant de concurrents demeurent sur le marché.
66 En second lieu, s’agissant du marché de l’installation et de l’exploitation de bornes de recharge publiques pour véhicules électriques sur autoroute, E.ON s’est engagée à cesser complètement l’exploitation des bornes de recharge dans les zones où avaient lieu des chevauchements horizontaux et à ne pas exploiter ces bornes de recharge avant une certaine période prédéfinie. De plus, E.ON s’est engagée à ne pas exploiter les bornes de recharge exploitées par un tiers pour lesquelles E.ON envisageait de conclure un accord d’exploitation pendant une période prédéfinie.
67 La Commission a considéré que les engagements d’E.ON étaient suffisants pour répondre à toutes les préoccupations identifiées.
7. Conclusion
68 La Commission a conclu que les engagements définitifs étaient suffisants pour supprimer entièrement les obstacles importants à une concurrence effective auxquels la concentration donnerait lieu. Par conséquent, les engagements définitifs ont rendu la concentration compatible avec le marché intérieur et l’accord EEE.
II. Conclusions des parties
69 La requérante conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée ;
– condamner la Commission aux dépens.
70 La Commission, soutenue par RWE et par E.ON, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner la requérante aux dépens.
III. En droit
71 À l’appui de son recours, la requérante soulève, en substance, six moyens, tirés, le premier, d’une scission erronée de l’analyse de l’opération globale, le deuxième, d’une violation de l’obligation de motivation, le troisième, d’une violation de son droit d’être entendue, le quatrième, d’une violation de son droit à une protection juridictionnelle effective, le cinquième, d’erreurs manifestes d’appréciation et, le sixième, de la violation de l’obligation de diligence.
72 À titre liminaire, il convient d’indiquer que le Tribunal a interrogé les parties sur la qualité pour agir de la requérante, tant par le biais de mesures d’organisation de la procédure que durant l’audience. En effet, selon une jurisprudence constante, le critère qui subordonne la recevabilité d’un recours introduit par une personne physique ou morale contre une décision dont elle n’est pas le destinataire aux conditions de recevabilité fixées à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE constitue une fin de non-recevoir d’ordre public qu’il appartient aux juridictions de l’Union européenne d’examiner à tout moment, même d’office (voir arrêt du 27 février 2014, Stichting Woonlinie e.a./Commission, C 133/12 P, EU:C:2014:105, point 32 et jurisprudence citée).
73 Toutefois, compte tenu des circonstances de la présente affaire, le Tribunal estime qu’une bonne administration de la justice justifie de rejeter au fond le recours sans statuer sur la recevabilité de celui-ci (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 26 février 2002, Conseil/Boehringer, C 23/00 P, EU:C:2002:118, point 52).
A. Sur le premier moyen, tiré d’une scission erronée de l’analyse de l’opération globale
74 À titre liminaire, il convient d’indiquer que les précisions apportées par la requérante lors de l’audience permettent de comprendre que le premier moyen vise à reprocher à la Commission, d’une part, de ne pas avoir contrôlé la concentration B8-28/19 et, d’autre part, de ne pas avoir considéré les concentrations M.8870, M.8871 et B8-28/19 comme étant les composantes d’une concentration unique.
75 Dans la mesure où l’article 3, paragraphe 2, du règlement no 139/2004 vise l’influence déterminante acquise sur l’activité d’une entreprise pour qualifier l’existence d’un contrôle susceptible de caractériser une concentration, il y a lieu de déduire du reproche de la requérante, tel que précisé lors de l’audience, que cette dernière considère la concentration B8-28/19 comme constituant une concentration au sens de l’article 3 du règlement no 139/2004 et que la Commission aurait dû, dans ces conditions, l’examiner.
76 Or, l’objet du présent recours porte formellement sur la décision de la Commission, du 17 septembre 2019, qui a déclaré la concentration M.8870 compatible avec le marché intérieur. À cet égard, même si la décision attaquée contient une note en bas de page indiquant que la Commission a examiné les effets de la participation minoritaire acquise par RWE dans E.ON dans le cadre de la décision M.8871, force est de constater que la Commission ne statue pas sur la question de savoir si la concentration B8-28/19 était une concentration au sens de l’article 3 du règlement no 139/2004, et, par extension, sur la compétence de la Commission pour connaître de la compatibilité de cette concentration avec le marché intérieur. Dès lors, la requérante ne saurait faire usage du moyen tiré d’une scission erronée de l’opération globale pour demander au Tribunal de trancher une question de compétence qui n’a pas été abordée par la Commission dans la décision effectivement attaquée devant lui.
77 À cet égard, il convient encore de noter que, si la requérante estimait que la concentration B8-28/19 devait être soumise au contrôle de la Commission, il lui aurait appartenu d’adresser une plainte à la Commission afin de lui demander d’en connaître.
78 En l’espèce, ainsi qu’il a été rappelé au point 5 ci-dessus, la concentration M.8871 vise l’acquisition par RWE d’actifs d’E.ON tandis que la concentration M.8870 vise l’acquisition par E.ON d’innogy, filiale de RWE. Quant à la concentration B8-28/19, elle permet à RWE d’acquérir une participation minoritaire de 16,67 % dans E.ON.
79 Deux conditions doivent être remplies aux fins de considérer deux ou plusieurs opérations comme constituant une concentration unique au sens du considérant 20 et de l’article 3, paragraphe 1, sous b), du règlement no 139/2004. D’une part, il est nécessaire que les opérations soient interdépendantes, de sorte qu’elles ne seraient pas réalisées les unes sans les autres. D’autre part, le résultat de ces opérations doit consister à conférer à une ou plusieurs entreprises le contrôle économique, direct ou indirect, sur l’activité d’une ou de plusieurs autres entreprises (voir, en ce sens, arrêt du 23 février 2006, Cementbouw Handel & Industrie/Commission, T 282/02, EU:T:2006:64, point 109). Ces conditions étant cumulatives, l’absence de l’une d’entre elles suffit à considérer que différentes opérations de concentration ne constituent pas une concentration unique.
80 Le Tribunal estime opportun d’examiner, tout d’abord, la condition relative au résultat.
81 En premier lieu, il convient de constater que, s’agissant de la concentration M.8870, d’une part, et des concentrations M.8871 et B8-28/19, d’autre part, les entreprises acquéreuses sont différentes. En effet, il s’agit respectivement d’E.ON et de RWE. De même, les entreprises acquises ne sont pas les mêmes, puisque, en ce qui concerne la concentration M.8870, il s’agit d’innogy, filiale de RWE, et dans le cadre des concentrations M.8871 et B8-28/19, les entreprises cibles sont respectivement les actifs d’E.ON et E.ON.
82 En second lieu, s’agissant des concentrations M.8871 et B8-28/19, si l’entreprise acquéreuse est la même, à savoir RWE, les entreprises acquises sont différentes. En effet, dans le cadre de la concentration M.8871, RWE acquiert des actifs d’E.ON, tandis que, dans le cadre de la concentration B8-28/19, c’est une participation minoritaire dans E.ON que RWE acquiert. Or, la combinaison de l’acquisition des actifs d’E.ON et de la participation minoritaire d’E.ON ne conduit pas à ce que RWE acquière un contrôle sur E.ON. En ce sens, en cédant ses actifs à RWE, E.ON n’a plus de lien avec ceux-ci, de sorte que RWE ne saurait, par leur intermédiaire, exercer une influence déterminante sur E.ON.
83 Dans ces circonstances, il ne saurait être admis que les opérations de concentration visent, comme résultat, l’acquisition de contrôle d’une ou de plusieurs entreprises par la ou les mêmes entreprises. En définitive, en dehors de l’interdépendance créée volontairement par RWE et E.ON, il n’existe pas de lien fonctionnel entre les concentrations M.8870, M.8871 et B8-28/19, dès lors que l’opération globale de l’espèce n’est pas une opération par laquelle plusieurs transactions intermédiaires sont réalisées afin d’aboutir au contrôle d’une ou de plusieurs entreprises par la ou les mêmes entreprises.
84 Il en résulte que l’opération globale ne remplit pas la condition relative au résultat.
85 Par ailleurs, la requérante soutient qu’il est contradictoire, pour la Commission, d’analyser la concentration M.8871 et la concentration M.8870 de manière séparée tout en invoquant la règle de priorité. En effet, cette règle montrerait précisément à quel point l’approche morcelée serait erronée en l’espèce. Si la Commission avait agi conformément à la règle de priorité, elle aurait dû regrouper tous les éléments constitutifs de l’opération entre E.ON et RWE au sein d’une même procédure.
86 Selon la règle de priorité, en substance, la Commission va tenir compte, lors de l’appréciation des effets d’une opération de concentration, des effets d’une opération de concentration notifiée antérieurement à celle soumise au contrôle.
87 En vertu de cette règle, la Commission aurait tenu compte, dans le cadre de l’analyse de la concentration M.8871, de la concentration M.8870 au motif que cette dernière aurait été notifiée avant la concentration M.8871.
88 Il y a lieu de relever que la règle de priorité résulte de la seule pratique décisionnelle de la Commission et n’est prévue par aucune disposition du règlement no 139/2004 ou du règlement (CE) no 802/2004 de la Commission, du 21 avril 2004, concernant la mise en œuvre du règlement no 139/2004 (JO 2004, L 133 p. 1).
89 En l’espèce, formellement, la concentration M.8871 a été notifiée le 22 janvier 2019, soit antérieurement à la concentration M.8870, notifiée le 31 janvier 2019.
90 Dès lors, même si le Tribunal entérinait l’existence de la règle de priorité, dans les termes définis par la Commission, elle ne saurait, en tout état de cause, être pertinente pour justifier que les effets produits par la concentration M.8870 ont été pris en compte aux fins de l’analyse des effets de la concentration M.8871.
91 Cela étant, la légalité d’une décision se prononçant sur la compatibilité d’une concentration avec le marché intérieur doit être appréciée en fonction des éléments d’information dont la Commission disposait au moment où elle l’a arrêtée. Ainsi, l’appréciation, par la Commission, de la compatibilité d’une concentration avec le marché intérieur doit tenir compte des circonstances de fait et de droit existant au moment de la notification de cette concentration et dont la portée économique peut être évaluée au moment où intervient cette décision (voir arrêt du 20 octobre 2021, Polskie Linie Lotnicze “LOT”/Commission, T 296/18, EU:T:2021:724, point 55 et jurisprudence citée).
92 Or, dans le cadre d’un échange d’actifs, tel que celui de l’espèce, la Commission, de même que les parties notifiantes aux différentes opérations de concentration, peut anticiper les effets sur le marché intérieur que la mise en œuvre probable de chaque opération de concentration sera susceptible d’avoir, de manière séparée et conjointe. En effet, l’interdépendance de droit et de fait des opérations de concentration en l’espèce permet à la Commission de concevoir la situation de la structure du marché après leur réalisation.
93 Ainsi, en l’espèce, compte tenu de l’interdépendance des opérations de concentration en cause, une application mécanique de la règle de priorité pourrait avoir des effets arbitraires sur la portée de l’analyse de la Commission.
94 Il convient encore d’ajouter que l’objectif poursuivi par la notion de « concentration unique » est de permettre l’examen conjoint de transactions qui visent, in fine, le même résultat, à savoir l’acquisition par une ou plusieurs entreprises du contrôle économique, direct ou indirect, sur l’activité d’une ou de plusieurs autres entreprises. Cela est justifié par le fait que, dans un tel cas de figure, les transactions envisagées soulèvent les mêmes problématiques et engendrent des conséquences de même nature sur le marché intérieur.
95 Cette interprétation est conforme à l’interprétation qu’il convient de donner au considérant 20 et à l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, en se fondant tant sur leur finalité que sur leur économie générale (voir, en ce sens, arrêt du 7 septembre 2017, Austria Asphalt, C 248/16, EU:C:2017:643, point 20 et jurisprudence citée).
96 En revanche, lorsque, comme en l’espèce, les opérations de concentration n’ont pas vocation à produire le même résultat, elles ne sont pas unitaires par essence et n’ont pas à être examinées ensemble, en tant que transactions faisant partie d’une concentration unique, puisqu’elles ne soulèvent pas nécessairement les mêmes problématiques et ne produiront pas des effets de même nature sur le marché. En effet, dans un tel cas de figure, plusieurs entreprises acquièrent le contrôle d’éléments d’actifs différents, de sorte qu’un regroupement distinct de ressources s’opère pour chacune des entreprises acquéreuses et que l’incidence sur le marché de chacune de ces acquisitions de contrôle est différente.
97 Pour autant, si elles présentent un lien permettant à la Commission d’anticiper les effets probables sur le marché de chaque concentration, il appartient à la Commission d’en tenir compte dans l’appréciation globale de l’ensemble des éléments de preuve pertinents qu’elle réalise de chacune de ces opérations. En effet, dans ce cas, chacune des opérations en cause constitue, au regard des autres opérations, un élément dont doit tenir compte la Commission dans son analyse globale des effets de l’opération sur le marché intérieur.
98 Il en résulte qu’il n’est en rien contradictoire de la part de la Commission d’analyser de manière séparée les concentrations M.8870 et M.8871 en cause tout en tenant compte, dans la décision attaquée, de l’impact qu’elles ont respectivement l’une sur l’autre.
99 Pour conclure, l’une des deux conditions pour la reconnaissance de l’existence d’une concentration unique faisant défaut en l’espèce, à savoir la condition relative au résultat, c’est à juste titre que la Commission a considéré que les concentrations M.8870, M.8871 et B8-28/19 ne constituaient pas les composantes d’une concentration unique.
100 Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que le premier moyen doit être rejeté.
B. Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation
101 La requérante reproche à la Commission de n’avoir consacré que 50 pages aux segments fondamentaux que sont la fourniture au détail d’électricité et de gaz, aux ménages et aux petits clients commerciaux, la distribution d’électricité et de gaz, et l’innovation, qui sont pourtant les plus touchés par la concentration en Allemagne, dès lors qu’elle conduirait à une répartition exhaustive de ces domaines d’activité. Le caractère succinct de cette motivation serait encore aggravé par le fait que certains éléments n’auraient tout simplement pas été examinés.
102 Par ailleurs, la requérante considère que la décision attaquée est entachée d’importants défauts de motivation, notamment dans la mesure où les références faites aux interactions entre les concentrations M.8870, M.8871 et B8-28/19 ne permettent pas de contrôler si la Commission a sérieusement examiné la notion de « concentration ». Elle reproche aussi à la Commission de ne pas avoir indiqué la teneur des réunions informelles ayant eu lieu avec les parties à la concentration, et de ne pas avoir expliqué comment l’offre d’engagements d’E.ON s’intégrait dans la concurrence.
103 La Commission, soutenue par RWE, conteste les arguments de la requérante.
104 Ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence constante, la motivation exigée à l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires de l’acte ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par celui-ci peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences dudit article 296 doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 10 juillet 2008, Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala, C 413/06 P, EU:C:2008:392, point 166 et jurisprudence citée).
105 Toutefois, l’auteur d’un tel acte n’est pas tenu de prendre position sur des éléments clairement secondaires ou d’anticiper des objections potentielles. De plus, le degré de précision de la motivation d’une décision doit être proportionné aux possibilités matérielles et aux conditions techniques ou de délai dans lesquelles elle doit intervenir. Ainsi, la Commission ne viole pas son obligation de motivation si, lorsqu’elle exerce son pouvoir de contrôle des opérations de concentration, elle n’inclut pas dans sa décision de motivation précise quant à l’appréciation d’un certain nombre d’aspects de la concentration qui lui semblent manifestement hors de propos, dépourvus de signification ou clairement secondaires pour l’appréciation de cette dernière. Une telle exigence serait en effet difficilement compatible avec l’impératif de célérité et les brefs délais de procédure qui s’imposent à la Commission lorsqu’elle exerce son pouvoir de contrôle des opérations de concentration et qui font partie des circonstances particulières d’une procédure de contrôle de ces opérations (arrêt du 10 juillet 2008, Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala, C 413/06 P, EU:C:2008:392, point 167).
106 Il en résulte que, lorsque la Commission déclare une opération de concentration compatible avec le marché intérieur sur la base de l’article 8, paragraphe 2, du règlement no 139/2004, l’exigence de motivation est satisfaite si cette décision expose clairement les raisons pour lesquelles la Commission considère que la concentration en question, le cas échéant après modifications apportées par les entreprises concernées, n’entrave pas de manière significative une concurrence effective dans le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci, notamment du fait de la création ou du renforcement d’une position dominante (voir, par analogie, arrêt du 10 juillet 2008, Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala, C 413/06 P, EU:C:2008:392, point 168).
107 À cet égard, s’il est vrai que la Commission n’est pas obligée, dans la motivation des décisions adoptées en application de la réglementation relative au contrôle des opérations de concentration, de prendre position sur tous les éléments et tous les arguments invoqués devant elle, y compris ceux clairement secondaires pour l’appréciation à livrer, il n’en demeure pas moins qu’elle doit exposer les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l’économie de la décision. En outre, la motivation doit être logique, notamment en ne présentant pas de contradiction interne (arrêt du 10 juillet 2008, Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala, C 413/06 P, EU:C:2008:392, point 169).
108 C’est à l’aune de ces considérations qu’il y a lieu d’examiner le deuxième moyen invoqué par la requérante.
109 En l’espèce, premièrement, il convient de relever que, dans la décision attaquée, la Commission a défini les marchés pertinents en expliquant les raisons pour lesquelles elle retenait une telle définition (points 34 à 218 de la décision attaquée). À cet égard, la Commission a pris soin, pour chacun d’entre eux, de définir le marché des produits ainsi que le marché géographique concernés en expliquant, le cas échéant, les raisons la conduisant à laisser telle ou telle question de définition ouverte (voir, à titre d’exemple, points 35 et 120 de la décision attaquée).
110 Deuxièmement, pour chacun des marchés pertinents définis, la Commission a examiné les effets non coordonnés horizontaux de la concentration (points 219 à 388 de la décision attaquée). À ce titre, elle a tenu compte des spécificités de chacun des marchés pertinents et a adapté son analyse en fonction de celles-ci. De même, elle a étudié les effets non coordonnés verticaux de la concentration (points 389 à 420 de la décision attaquée). À cet égard, elle a regardé les interactions entre les différents marchés pertinents définis.
111 Troisièmement, la Commission a pris en compte les autres théories du dommage invoquées par des tiers et les a étudiées (points 421 à 436 de la décision attaquée).
112 Quatrièmement, la Commission a indiqué le contenu des engagements proposés par E.ON, les observations soumises par les tiers à l’égard de ces engagements, le contenu des engagements révisés d’E.ON et l’analyse qu’elle en a faite (points 1054 à 1132 de la décision attaquée).
113 Il en résulte que la Commission a exposé de manière motivée les raisons l’ayant conduite à adopter la décision attaquée.
114 Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les arguments de la requérante.
115 En premier lieu, l’argument de la requérante fondé sur le nombre de pages de la décision attaquée, qui ne serait pas suffisant compte tenu de la complexité des enjeux de la présente concentration, doit être rejeté. En effet, l’appréciation du respect, par une institution, de son obligation de motivation doit se faire uniquement au regard du contenu de sa décision. En ce sens, le nombre de pages est indifférent, puisqu’une motivation, même brève, peut satisfaire aux règles rappelées au point 104 ci-dessus, en permettant à la personne concernée de comprendre les raisons pour lesquelles la décision a été adoptée (voir, en ce sens, arrêt du 12 décembre 2018, Syriatel Mobile Telecom/Conseil, T 411/16, non publié, EU:T:2018:902, point 79).
116 Or, en l’espèce, ainsi que le soutient, à juste titre, la Commission, la décision attaquée est suffisamment claire, cohérente et développée pour permettre à la requérante de connaître les justifications de la mesure prise et les contester et au juge de l’Union européenne d’exercer son contrôle. Il ressort d’ailleurs clairement de la requête que la requérante a compris les raisons principales ayant conduit la Commission à adopter la décision attaquée.
117 En deuxième lieu, les reproches adressés par la requérante à la Commission et relatifs à l’insuffisance de motivation concernant l’interaction des concentrations M.8870, M.8871 et B8-28/19, l’absence d’informations sur les réunions informelles ayant eu lieu avec les parties à la concentration ainsi que l’absence d’explications sur l’offre d’engagements d’E.ON ne sauraient prospérer.
118 Premièrement, s’il est vrai que la question de l’interaction des concentrations M.8870, M.8871 et B8-28/19 est abordée de manière très succincte par la Commission, dans la mesure où elle la traite dans une note en bas de page de la décision attaquée, il convient toutefois de rappeler que la décision M.8871, dans laquelle cette interaction est davantage analysée, fait partie du contexte d’adoption de la décision attaquée. De même, dans le cadre de la décision M.8871, la Commission a tenu compte de la participation minoritaire acquise par RWE dans E.ON pour apprécier les effets de la concentration M.8871. Ainsi, la requérante, qui connaît bien le contenu de cette concentration, puisqu’elle a introduit un recours devant le Tribunal, enregistré sous le numéro T 314/20, ayant pour objet une demande d’annulation de la décision relative à ladite concentration, ne saurait valablement soutenir ignorer les raisons ayant conduit la Commission à considérer que ces concentrations devaient faire l’objet de procédures de contrôle séparées ou reprocher à la Commission de ne pas avoir tenu compte des effets de l’acquisition de la participation minoritaire par RWE dans E.ON.
119 Deuxièmement, la requérante ne saurait être suivie en ce qu’elle reproche à la Commission de ne pas avoir détaillé, dans la décision attaquée, le contenu des réunions bilatérales qu’elle a eues avec les parties à la concentration. À cet égard, d’une part, il suffit de relever que la Commission a indiqué, dans le cadre de la décision attaquée, le point de vue des parties à la concentration sur les différentes questions abordées par la Commission (voir, à titre d’exemple, points 44, 55, 68, 99, 100 et 114 de la décision attaquée), ce qui permettait à la requérante de connaître les arguments présentés par les parties à la concentration et la réponse apportée par la Commission à ces arguments. D’autre part, il ne saurait être attendu de la Commission qu’elle fournisse, au sein de sa décision et aux fins de satisfaire à son obligation de motivation, le compte-rendu détaillé de toutes les réunions et autres contacts qu’elle a eus avec les parties à la concentration.
120 Troisièmement, il n’est pas exact que la Commission n’a pas expliqué comment l’offre d’engagements d’E.ON était susceptible de lever les doutes quant aux effets de la concentration sur la concurrence identifiés par la Commission. En particulier, contrairement à ce que soutient la requérante, les marchés concernés par l’offre d’engagements et les effets escomptés ont été spécifiés (voir, à cet égard, concernant le marché de la fourniture au détail d’électricité utilisée pour le chauffage aux ménages et aux petits clients commerciaux, points 1092 à 1101 de la décision attaquée et, s’agissant du marché de l’installation et de l’exploitation de bornes de recharge publiques pour véhicules électriques sur autoroute, points 1126 à 1131 de la décision attaquée).
121 En troisième lieu, le fait, invoqué par la requérante, que la Commission n’a pas pris en compte certains éléments, ne saurait, en soi, caractériser un défaut de motivation de la présente décision. En effet, ainsi qu’il a été rappelé au point 107 ci-dessus, la Commission n’est pas tenue de prendre position sur tous les éléments et arguments qui lui sont présentés. Une telle obligation se concilie mal, en effet, avec l’impératif de célérité et les brefs délais de procédure qui s’imposent à elle lorsqu’elle contrôle une opération de concentration.
122 Or, dès lors qu’il a été établi aux points 113 et 116 ci-dessus que la décision attaquée contient suffisamment d’éléments pour comprendre les raisons ayant conduit la Commission à l’adopter, la requérante ne saurait se contenter, de manière abstraite, de critiquer la Commission pour ne pas avoir pris en compte certains éléments afin de démontrer une insuffisance de motivation.
123 En tout état de cause, la question de savoir si la Commission a bien pris en compte tous les éléments pertinents pour adopter la décision attaquée relève de l’examen du bien-fondé de la décision attaquée et sera étudiée dans le cadre du sixième moyen, tiré de la violation de l’obligation de diligence.
124 Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que le deuxième moyen doit être rejeté.
C. Sur le troisième moyen, tiré de la violation du droit de la requérante d’être entendue
125 La requérante considère ne pas avoir été sérieusement entendue dans le cadre de la procédure administrative qui a, par ailleurs, grandement manqué de transparence. Elle estime que la participation des tiers implique d’examiner et de clarifier sérieusement le contenu des contributions de ces tiers, ce qui nécessite, en contrepartie, que les personnes concernées aient à leur disposition les informations suffisantes, ce qui n’a pas été le cas en l’espèce.
126 À cet égard, elle reproche à la Commission de ne pas lui avoir communiqué la teneur des discussions qui se sont tenues entre elle et les parties à la concentration, de ne pas lui avoir donné accès au dossier de la procédure administrative, ainsi que, en substance, de ne pas avoir adopté une communication des griefs.
127 La Commission conteste les arguments de la requérante.
128 Il convient de rappeler que, selon l’article 11, sous c), du règlement no 802/2004, le droit d’être entendu en application de l’article 18 du règlement no 139/2004 est ouvert aux tiers, à savoir les personnes physiques ou morales justifiant d’un intérêt suffisant, notamment les clients, les fournisseurs et les concurrents au sens de l’article 18, paragraphe 4, deuxième phrase, du règlement no 139/2004. Ce dernier dispose que, si des personnes physiques ou morales justifiant d’un intérêt suffisant, et notamment des membres des organes d’administration ou de direction des entreprises concernées ou des représentants reconnus des travailleurs de ces entreprises, demandent à être entendues, il est fait droit à leur demande.
129 Sur ce point, l’article 16, paragraphe 1, du règlement no 802/2004 prévoit que, si des tiers demandent, par écrit, à être entendus conformément à l’article 18, paragraphe 4, deuxième phrase, du règlement no 139/2004, la Commission les informe, par écrit, de la nature et de l’objet de la procédure et leur fixe un délai pour lui faire connaître leur point de vue.
130 Ainsi, dans le cadre de la procédure de contrôle de l’Union des concentrations, le droit d’être entendu est explicitement accordé aux tiers, tels que la requérante, qui justifient d’un intérêt suffisant et qui ont fait la demande d’être entendus, par l’article 18, paragraphe 4, du règlement no 139/2004 et par l’article 11, sous c), et l’article 16, paragraphe 1, du règlement no 802/2004.
131 Ces tiers disposent du droit d’être entendus par la Commission, à leur demande, afin de faire connaître leur point de vue sur les effets préjudiciables du projet de concentration notifié à leur égard, un tel droit devant néanmoins être concilié, d’une part, avec le respect des droits de la défense des parties à la concentration et, d’autre part, avec le but principal du règlement, qui est d’assurer l’efficacité du contrôle et la sécurité juridique des entreprises soumises à son application (voir arrêt du 7 mai 2009, NVV e.a./Commission, T 151/05, EU:T:2009:144, point 202 et jurisprudence citée). C’est donc dans le cadre d’un tel système de protection des droits respectifs des intéressés et des tiers qu’il convient de déterminer si, en l’espèce, le droit de la requérante a été méconnu.
132 En l’espèce, il suffit de constater, d’une part, qu’il ne ressort d’aucune pièce du dossier de procédure que la requérante a envoyé une lettre à la Commission afin de lui présenter des observations sur la concentration M.8870 ou pour lui signifier sa volonté de participer à la procédure afférente et, d’autre part, que la Commission a envoyé la première enquête de marché à la requérante, mais que cette dernière n’y a pas répondu.
133 Or, dans la mesure où la requérante n’a pas répondu à la première enquête de marché et n’a pas écrit à la Commission pour manifester son intérêt à participer à la procédure afférente à la concentration M.8870, il ne saurait être reproché à la Commission de ne pas avoir entendu la requérante ni, dans ces conditions, de ne pas avoir fait parvenir à celle-ci les informations nécessaires à l’exercice effectif de son droit d’être entendue. Au contraire, en raison de l’absence de toute communication reçue de la part de la requérante et de son absence de réponse à la première enquête de marché, la Commission pouvait légitimement croire que celle-ci n’était pas suffisamment intéressée par le projet de concentration pour répondre à ses questions.
134 Dans ces circonstances, la requérante n’est pas fondée à invoquer la violation de son droit d’être entendue.
135 Partant, il y a lieu de rejeter le troisième moyen.
D. Sur le quatrième moyen, tiré de la violation du droit de la requérante à une protection juridictionnelle effective
136 La requérante soutient, en substance, que la publication de la décision attaquée, intervenue 421 jours après son adoption, a violé son droit à une protection juridictionnelle effective. La Commission aurait ainsi empêché pendant un an que la décision attaquée fasse l’objet d’un contrôle juridictionnel, alors que les conséquences négatives qu’elle entraîne justifieraient son annulation et que la situation ainsi créée serait difficilement réversible, et ce, même si le présent recours était accueilli.
137 La Commission, soutenue par RWE et par E.ON, conteste les arguments de la requérante.
138 Il est constant que la décision attaquée a été adoptée le 17 septembre 2019 et qu’elle a fait l’objet d’un résumé publié au Journal officiel le 10 novembre 2020, soit 420 jours après. Ce délai est objectivement long.
139 Néanmoins, sans qu’il soit besoin d’examiner le bien-fondé des raisons avancées par la Commission pour justifier le délai pris pour la publication d’un résumé de la décision attaquée, il convient de relever que la publication tardive d’un acte de l’Union au Journal officiel demeure sans influence sur la validité de cet acte (arrêt du 23 novembre 1999, Portugal/Conseil, C 149/96, EU:C:1999:574, point 54).
140 L’argument de la requérante selon lequel son recours ne saurait être considéré comme effectif en raison du fait que, compte tenu de la date de publication de la décision attaquée, elle n’a pu introduire un recours que 421 jours après son adoption, ce qui aurait conduit à exposer le marché à un déploiement sans entraves des conséquences concurrentielles de la concentration, ne saurait non plus influencer la validité de la décision attaquée.
141 En effet, dans l’hypothèse où la décision attaquée serait annulée, la Commission serait tenue, en vertu de l’article 266 TFUE, de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt rendu à son égard et, en outre, de replacer les parties dans la situation antérieure à la décision attaquée (voir, en ce sens, arrêts du 31 mars 1971, Commission/Conseil, 22/70, EU:C:1971:32, point 60, et du 13 décembre 2017, Crédit mutuel Arkéa/BCE, T 712/15, EU:T:2017:900, point 43).
142 Enfin, si la requérante estime avoir subi un préjudice en raison de la publication tardive d’un résumé de la décision attaquée, elle peut introduire un recours en indemnité contre la Commission, conformément à l’article 268 TFUE.
143 Partant, il y a lieu de rejeter le quatrième moyen comme étant inopérant.
E. Sur le cinquième moyen, tiré d’erreurs manifestes d’appréciation
144 Par le cinquième moyen, tiré d’erreurs manifestes d’appréciation, la requérante fait valoir, en substance, que la Commission a considéré à tort que la concentration était compatible avec le marché intérieur, alors qu’elle aurait dû déclarer la concentration incompatible avec le marché intérieur au titre de l’article 8, paragraphe 3, du règlement no 139/2004. Ainsi, selon la requérante, la Commission aurait dû rechercher l’ensemble des éléments de fait décisifs susceptibles de lui permettre de prévoir quel impact aura la concentration, y compris les nombreux effets verticaux, et suivre, en particulier, des théories du préjudice en matière d’économie numérique et des données qui résultent du nombre exceptionnel de données clients auxquelles E.ON a accès et de sa présence sur les canaux des contrôleurs d’accès.
1. Considérations liminaires
145 Aux termes de l’article 2, paragraphe 3, du règlement no 139/2004, doivent être déclarées incompatibles avec le marché intérieur les opérations de concentration qui entraveraient de manière significative une concurrence effective dans le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci, notamment du fait de la création ou du renforcement d’une position dominante.
146 En ce qui concerne les exigences de preuve, il ressort de l’arrêt du 10 juillet 2008, Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala (C 413/06 P, EU:C:2008:392, points 50 à 53), que la Commission est, en principe, tenue de prendre position soit dans le sens de l’autorisation de l’opération de concentration dont elle est saisie, soit dans celui de l’interdiction de celle-ci, selon son appréciation de l’évolution économique attribuable à l’opération en cause dont la probabilité est la plus forte. Il s’agit donc d’une appréciation de probabilités et non d’une obligation pesant sur la Commission de démontrer sans doutes raisonnables qu’une concentration ne soulève pas de problèmes de concurrence (arrêt du 11 décembre 2013, Cisco Systems et Messagenet/Commission, T 79/12, EU:T:2013:635, point 47).
147 Dans ce contexte, il appartient à la Commission d’évaluer globalement le résultat du faisceau d’indices utilisé pour évaluer la situation de concurrence. Il se peut, à cet égard, que certains éléments soient privilégiés et que d’autres soient écartés. Cet examen et la motivation qu’il comporte font l’objet du contrôle de légalité exercé par le Tribunal sur les décisions de la Commission en matière de concentrations (arrêt du 6 juillet 2010, Ryanair/Commission, T 342/07, EU:T:2010:280, point 136).
148 De plus, selon une jurisprudence constante, les règles de fond du règlement no 139/2004 et, en particulier son article 2, confèrent à la Commission un certain pouvoir discrétionnaire, notamment pour ce qui est des appréciations d’ordre économique et, en conséquence, le contrôle par le juge de l’exercice d’un tel pouvoir, qui est essentiel dans la définition des règles en matière de concentration, doit être effectué compte tenu de la marge d’appréciation que sous-tendent les normes de caractère économique faisant partie du régime des concentrations (voir arrêt du 6 juillet 2010, Ryanair/Commission, T 342/07, EU:T:2010:280, point 29 et jurisprudence citée).
149 Il en résulte que le contrôle par le juge de l’Union d’une décision de la Commission en matière d’opérations de concentration est limité à la vérification de l’exactitude matérielle des faits et à l’absence d’erreur manifeste d’appréciation (voir arrêt du 10 juillet 2008, Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala, C 413/06 P, EU:C:2008:392, point 144 et jurisprudence citée).
150 Cela étant, cela n’implique pas que le juge de l’Union doive s’abstenir de contrôler l’interprétation, par la Commission, de données de nature économique. En effet, le juge de l’Union doit, notamment, non seulement vérifier l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées (arrêts du 15 février 2005, Commission/Tetra Laval, C 12/03 P, EU:C:2005:87, point 39, et du 7 mai 2009, NVV e.a./Commission, T 151/05, EU:T:2009:144, point 54).
151 Il convient également de rappeler que la question de savoir si l’appréciation matérielle selon laquelle la concentration en cause ne soulevait pas de problèmes de compatibilité avec le marché intérieur, au titre de l’article 8, paragraphe 2, du règlement no 139/2004, relève de l’examen de l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation. En effet, afin de vérifier si c’est à bon droit que la Commission s’est fondée sur la disposition précitée pour rendre sa décision, il convient d’analyser si la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste dans son appréciation des effets du projet de concentration sur la concurrence (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 7 juin 2013, Spar Österreichische Warenhandels/Commission, T 405/08, non publié, EU:T:2013:306, point 48).
152 C’est à l’aune de ces considérations qu’il convient d’examiner si la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation.
153 Le cinquième moyen se décompose en trois branches. La première est tirée d’une délimitation erronée de la période d’analyse, la deuxième est tirée d’une définition erronée des marchés pertinents et la troisième est tirée d’une appréciation erronée des effets de la concentration. Néanmoins, avant d’examiner ces trois branches, il y a lieu de se pencher sur les critiques formulées par la requérante relatives aux éléments pris en compte par la Commission aux fins de son analyse.
2. Sur les éléments pris en compte par la Commission aux fins de son analyse
a) Sur les informations fournies par les parties à la concentration et l’ensemble des données pertinentes
154 La requérante fait valoir que la Commission s’est exclusivement fondée sur les indications fournies par les parties à la concentration, sans procéder à un examen critique de celles-ci, et qu’elle a ignoré d’autres sources d’informations, en particulier, les observations divergentes provenant du marché.
155 En premier lieu, les résultats des enquêtes de marché menées par la Commission ainsi que les données fournies par des tiers, à savoir des références accessibles au public, l’étude du 9 mai 2019 réalisée par LBD Beratungsgesellschaft mbH, intitulée « Merger E.ON/innogy, Analysen zum Pricing beim Vertrieb von Strom an Haushaltskunden » (Concentration E.ON/innogy, analyses sur les tarifs de la vente d’électricité aux clients résidentiels, ci-après l’« étude LBD »), celle d’octobre 2020 menée par le Büro für Energiewirtschaft und technische Planung GmbH (BET), intitulée « Kurzgutachten zu den Ergebnissen der Marktbefragung im Zusammenhang mit der Neuaufteilug der Geschäftsfelder zwischen E.ON und RWE/innogy » (Expertise sommaire sur les résultats de l’enquête de marché relative à la nouvelle répartition des domaines d’activité entre E.ON et RWE/innogy, ci-après l’« étude BET »), et celle du 13 janvier 2021 réalisée par Innoplexia, intitulée « Digitale Marktbeobachtung. Deutschlandweite Erhebung zur Untersuchung von dominanten Stellungen deutscher Energieversorger » (Observation numérique du marché. Enquête à l’échelle de l’Allemagne sur la position dominante de fournisseurs d’énergie allemands, ci-après l’« étude Innoplexia »), contrediraient les faits retenus par la Commission. Ainsi, si la Commission avait fait les démarches préalables nécessaires, elle aurait pu et aurait dû réfuter les conclusions des parties à la concentration.
156 En second lieu, la Commission ne saurait valablement soutenir qu’il convient d’ignorer dans leur intégralité les études BET et Innoplexia, au motif qu’elles ont été élaborées après l’adoption de la décision attaquée. En particulier, la requérante soutient que l’étude BET s’inspire du concept d’investigation générale de la Commission et vise seulement à valider la plausibilité des constatations de la Commission, tandis que l’étude Innoplexia quantifie la présence prédatrice en ligne d’E.ON, clairement dénoncée par les concurrents au cours de la procédure, de sorte que ces deux études ne pourraient pas être qualifiées de nouveaux faits survenus après l’adoption de la décision attaquée.
157 La Commission, soutenue par E.ON et par RWE, fait valoir qu’elle a recueilli l’ensemble des éléments de fait décisifs, susceptibles de lui permettre de prévoir l’impact de la concentration sur le marché intérieur. À cet égard, la Commission aurait non seulement disposé de sa propre connaissance du marché, des informations publiques et des données fournies par les parties à la concentration, mais aussi des informations provenant des tiers. Quant aux éléments de preuve, la Commission estime que les études BET et Innoplexia sont irrecevables, du fait qu’elles n’existaient pas à la date d’adoption de la décision attaquée. Enfin, la Commission conteste la pertinence, la cohérence et la solidité des éléments de preuve fournis par la requérante.
158 Dans un premier temps, le Tribunal analysera le grief général selon lequel la Commission n’a pas tenu compte d’autres informations publiques ou d’informations fournies par des tiers et s’est exclusivement fondée sur les informations fournies par les parties à la concentration. Dans un second temps, le Tribunal examinera la recevabilité, ainsi que la pertinence, la cohérence et la solidité des études présentées par la requérante, dans la mesure où elles visent à démontrer que la Commission n’a pas tenu compte de tous les éléments de fait pertinents aux fins de son analyse des effets de la concentration.
159 En premier lieu, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel la Commission se serait exclusivement appuyée sur les indications fournies par les parties à la concentration sans procéder à un examen critique de celles-ci et aurait ignoré d’autres sources d’information, il convient de constater que la requérante n’indique pas l’existence d’une règle juridique interdisant à la Commission de prendre appui sur les données fournies par les parties à la concentration elles-mêmes dans le cadre de la procédure administrative ou, au contraire, l’obligeant à mener sa propre enquête de marché indépendamment des données fournies par les parties à la concentration (voir, en ce sens, arrêt du 7 juin 2013, Spar Österreichische Warenhandels/Commission, T 405/08, non publié, EU:T:2013:306, point 126).
160 De même, il convient de relever que, compte tenu de l’impératif de célérité et des délais stricts qui s’imposent à la Commission dans le cadre de la procédure de contrôle des concentrations, celle-ci ne peut pas, à défaut d’indices indiquant l’inexactitude des informations fournies, être tenue d’effectuer des vérifications s’agissant de toutes les informations qu’elle reçoit. En effet, bien que l’obligation d’examen diligent et impartial qui incombe à la Commission, dans le cadre d’une telle procédure, ne lui permette pas de se fonder sur des éléments ou des informations qui ne peuvent pas être considérés comme véridiques, ledit impératif de célérité suppose, toutefois, que celle-ci ne peut pas vérifier par elle-même, dans le moindre détail, l’authenticité et la fiabilité de toutes les communications qui lui sont envoyées, la procédure de contrôle des concentrations reposant nécessairement et dans une certaine mesure sur la confiance (voir arrêt du 20 octobre 2021, Polskie Linie Lotnicze “LOT”/Commission, T 240/18, EU:T:2021:723, point 87 et jurisprudence citée).
161 À cet égard, il convient de rappeler que, dans le cadre de la législation en matière de contrôle des concentrations, sont prévues différentes mesures visant à décourager et à punir la transmission d’informations inexactes ou trompeuses. En effet, non seulement les parties notifiantes sont soumises, au titre de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 6, paragraphe 2, du règlement no 802/2004, à l’obligation expresse de fournir à la Commission de manière véridique et complète les faits et circonstances pertinents pour la décision, cette obligation étant sanctionnée à l’article 14 du règlement no 139/2004, mais la Commission peut aussi révoquer, sur le fondement de l’article 6, paragraphe 3, sous a), et de l’article 8, paragraphe 6, sous a), du règlement no 139/2004, la décision de compatibilité si celle-ci repose sur des indications inexactes dont une des entreprises concernées est responsable ou si elle a été obtenue par tromperie (voir arrêt du 20 octobre 2021, Polskie Linie Lotnicze “LOT”/Commission, T 240/18, EU:T:2021:723, point 88 et jurisprudence citée).
162 Ainsi, rien n’empêche la Commission de se fonder exclusivement sur les informations fournies par les parties à la concentration, à défaut d’indices de leur inexactitude, et pour autant qu’elles constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe.
163 En l’espèce, il ressort de la décision attaquée que la Commission s’est fondée en partie sur les données produites par les parties à la concentration. Néanmoins, une lecture de l’ensemble de la décision attaquée révèle que la Commission ne s’est pas fiée sans discernement aux indications des parties à la concentration. Au contraire, pour autant que la requérante conteste la fiabilité des données fournies par les parties à la concentration à la Commission, il y a lieu de relever que ces données étaient corroborées par les autres éléments mis à la disposition de la Commission. À titre d’exemple, aux points 81 et suivants de la décision attaquée, la Commission a soumis les déclarations des parties à la concentration, en ce qui concerne la définition du marché géographique de la fourniture d’électricité au détail, à un examen critique à la lumière de l’étude LBD. De même, au point 230 de ladite décision, la Commission a confronté les assertions des parties à la concentration relatives à leur relation concurrentielle dans le cadre des appels d’offres pour des concessions d’électricité et de gaz, au point de vue de certains concurrents. En outre, au point 293 de la décision attaquée, la Commission a également comparé l’information qu’elle a recueillie lors de son étude du marché, en ce qui concerne les possibles effets d’éviction des concurrents des sites Internet de comparaison de prix, à sa propre connaissance du marché. Par ailleurs, au point 191 de la décision attaquée, la Commission a traité les indications des parties à la concentration en tenant compte d’autres informations pertinentes telles que les rapports de l’Office fédéral des ententes, en ce qui concerne le surprix important pour les stations-service situées sur les autoroutes par rapport aux stations-service situées à proximité immédiate des autoroutes et en dehors des autoroutes.
164 Dans ces conditions, il importe de relever que la Commission a vérifié les données fournies par les parties à la concentration à la lumière de l’ensemble des données dont elle disposait. Ainsi, l’ensemble des informations prises en compte par la Commission comprenait non seulement des indications provenant des parties à la concentration, mais aussi d’autres informations publiques et d’autres informations recueillies auprès de tiers par l’intermédiaire de demandes de renseignements, d’enquêtes de marché ou d’entretiens, ainsi qu’il ressort, par exemple, des points 12, 13, 21 ou 58 de la décision attaquée.
165 Par conséquent, il convient de conclure, sans préjuger, à ce stade, de la question de savoir si, dans toutes les parties spécifiques de son analyse, la Commission a bien pris en compte tous les éléments pertinents pour celle-ci, qu’elle a cherché, de façon générale, à recueillir les éléments de preuve pertinents susceptibles de lui permettre de prévoir quel impact aura la concentration et qu’elle les a recoupés.
166 En tout état de cause, il y a lieu de rappeler qu’il appartient à la Commission d’apprécier si les informations dont elle dispose suffisent pour l’analyse concurrentielle (arrêt du 13 mai 2015, Niki Luftfahrt/Commission, T 162/10, EU:T:2015:283, point 109) et d’évaluer globalement le résultat du faisceau d’indices utilisé pour évaluer la situation de concurrence. En application de cette évaluation globale, la Commission peut privilégier certains éléments et en écarter d’autres. Le Tribunal doit contrôler la légalité de cet examen et sa motivation (voir, en ce sens, arrêt du 6 juillet 2010, Ryanair/Commission, T 342/07, EU:T:2010:280, point 136).
167 À cet égard, la requérante se borne à indiquer, en substance, que la Commission a établi les faits de façon erronée ou incomplète en ignorant certains éléments de preuve. Toutefois, il ressort clairement de la décision attaquée que la Commission a pris en compte tous les éléments de preuve dont elle disposait et qu’elle en a privilégié certains et écarté d’autres, ce qui relève de sa marge d’appréciation, en comparant tous les éléments de preuve entre eux et en indiquant, de manière générale, les raisons pour lesquelles elle a décidé de ne pas retenir certaines indications.
168 En second lieu, s’agissant des trois études présentées par la requérante, rappelées au point 155 ci-dessus, il convient de relever qu’il a été jugé que la légalité d’un acte de l’Union doit être appréciée en fonction des éléments de fait et de droit existant à la date à laquelle l’acte a été adopté (voir arrêts du 18 juillet 2013, Schindler Holding e.a./Commission, C 501/11 P, EU:C:2013:522, point 31 et jurisprudence citée, et du 17 septembre 2007, Microsoft/Commission, T 201/04, EU:T:2007:289, point 260 et jurisprudence citée). En particulier, la légalité d’une décision en matière de concurrence doit être appréciée, selon une jurisprudence constante, en fonction des éléments d’information dont la Commission pouvait disposer au moment où elle l’a arrêtée (voir arrêt du 27 janvier 2021, KPN/Commission, T 691/18, non publié, EU:T:2021:43, point 141 et jurisprudence citée).
169 En conséquence, la décision attaquée doit être examinée selon les éléments factuels existant au jour de son adoption et non à la lumière d’éléments factuels postérieurs à celle-ci (arrêt du 4 juillet 2006, easyJet/Commission, T 177/04, EU:T:2006:187, point 204).
170 Il convient de constater que l’adoption de la décision attaquée date du 17 septembre 2019. En ce qui concerne l’étude LBD, qui date du 9 mai 2019, la Commission a fait mention explicite de cette étude dans la décision attaquée aux points 81, 83, 84 et 86, ainsi que dans les notes en bas de page nos 79, 80, 84, 85, 90 à 92 et 315. Par conséquent, non seulement cette étude est pertinente pour apprécier la légalité de la décision attaquée, mais il ne saurait être reproché à la Commission de ne pas l’avoir prise en compte au moment de son examen des effets de la concentration.
171 En revanche, il est constant que l’étude BET, qui date d’octobre 2020, et l’étude Innoplexia, qui date du 13 janvier 2021, sont postérieures à l’adoption de la décision attaquée.
172 Néanmoins, la Commission ne saurait invoquer, de façon générale, la jurisprudence selon laquelle la légalité de l’acte attaqué doit être appréciée en fonction des éléments de droit et de fait existant à la date à laquelle la décision attaquée a été adoptée (arrêt du 21 septembre 2005, EDP/Commission, T 87/05, EU:T:2005:333, point 158) pour écarter ces deux études aux fins de l’analyse de la légalité de la décision attaquée.
173 En effet, dans la mesure où la production d’une annexe ne constitue pas une tentative de modifier le cadre juridique et factuel précédemment soumis à la Commission en vue de l’adoption de la décision attaquée, mais relève de la constitution d’un argumentaire dans la simple mise en œuvre des droits de la défense, ladite annexe doit être considérée comme recevable (arrêt du 7 mai 2009, NVV e.a./Commission, T 151/05, EU:T:2009:144, point 63).
174 En l’espèce, il convient de constater que les études BET et Innoplexia ont été élaborées spécifiquement en vue de contester la légalité de la décision attaquée. Ainsi, en vertu de la jurisprudence rappelée au point 173 ci-dessus, la Commission ne peut prétendre à ce que les études BET et Innoplexia soient déclarées irrecevables du seul fait qu’elles ont été élaborées après l’adoption de la décision attaquée, sans que leur contenu ne soit analysé, afin de vérifier si elles constituent ou non une tentative de modifier le cadre juridique ou factuel existant à la date de l’adoption de la décision attaquée.
175 En revanche, la Commission est habilitée à faire valoir en défense, sur des points précis, le fait qu’une annexe méconnaît les déclarations expresses ou les omissions des parties lors de la procédure administrative (arrêt du 21 septembre 2005, EDP/Commission, T 87/05, EU:T:2005:333, point 158). De même, il se peut que l’analyse d’une annexe sur un point précis soit basée sur des éléments d’information existant à la date d’adoption de la décision attaquée, au sens de la jurisprudence citée au point 172 ci-dessus. En d’autres termes, rien n’empêche une partie requérante, dans l’exercice de ses droits de la défense, de se référer à une analyse contenue dans une annexe et effectuée après l’adoption de l’acte attaqué, à condition que cette analyse soit fondée sur des éléments factuels disponibles au moment de l’adoption dudit acte.
176 Premièrement, concernant l’étude BET, celle-ci contient, dans sa section 2, une critique de la méthodologie utilisée par la Commission dans le cadre de la première enquête de marché. Or, une telle critique doit être considérée comme faisant partie intégrante de l’argumentaire mettant en œuvre les droits de la défense de la requérante. Dès lors, cette section de l’étude BET est recevable.
177 En revanche, la section 3 de l’étude BET fait état des résultats d’une enquête de marché réalisée par le BET entre le 29 juillet et le 18 août 2020, soit presque une année entière après l’adoption de la décision attaquée, ainsi qu’il ressort du point 41 de la section 3 de ladite étude.
178 À cet égard, il convient de constater que la requérante n’a pas démontré, ni même soutenu, que l’avis des entreprises participantes était le même que celui qu’elles auraient eu si elles avaient été interrogées au moment où la décision attaquée était adoptée. Or, compte tenu, en outre, de la nature dynamique du marché de l’énergie, il est raisonnable de prévoir que les réponses des entreprises participantes à l’étude BET, près d’un an après l’adoption de la décision attaquée, aient changé parallèlement à l’évolution du marché de l’énergie. De surcroît, les réponses ont été données dans un contexte où la concentration avait déjà eu lieu. Ainsi, l’analyse des réponses a été effectuée sur la base d’éléments factuels dont la Commission ne pouvait pas disposer au moment de l’adoption de la décision attaquée. En effet, la Commission ne pouvait pas savoir quelle serait l’opinion des acteurs du marché près d’un an plus tard, notamment après la réalisation de la concentration.
179 Dès lors que la situation du marché de l’énergie au moment où l’étude BET a été réalisée était nécessairement différente de sa situation au moment où la Commission a mené ses propres enquêtes, la pertinence et la valeur probante des analyses effectuées dans l’étude BET sur la base de ces données ultérieures sont, au mieux, limitées. En effet, l’usage de ces données ne s’inscrit pas seulement dans le cadre de la constitution d’un argumentaire pour la mise en œuvre des droits de la défense de la requérante, mais constitue, au moins en partie, une tentative de modifier le cadre factuel existant au moment où la Commission adoptait la décision attaquée, au sens de la jurisprudence citée au point 173 ci-dessus.
180 Deuxièmement, quant à l’étude Innoplexia, il convient de relever que la collecte des données utilisées dans cette étude a été effectuée en deux temps. D’une part, une collecte quotidienne de données a été effectuée dans toute l’Allemagne entre le 4 et le 17 décembre 2020 sur le moteur de recherche Google et les deux sites Internet de comparaison « Check24 » et « Verivox ». D’autre part, afin d’inclure également les données des sites Internet de comparaison dans l’enquête sur une période plus longue, Innoplexia a eu recours à un balayage permanent de données pour la période allant du 1er janvier au 31 décembre 2020.
181 À cet égard, il convient de constater que le moteur de recherche Google de même que les sites Internet de comparaison « Check24 » et « Verivox » montrent les résultats des offres que les opérateurs proposent à un moment donné. Ces plateformes sont donc soumises à la même dynamique changeante que le marché de l’énergie.
182 Or, la requérante n’a pas prouvé, ni même soutenu, que les résultats obtenus auraient été les mêmes si les données avaient été collectées pendant la période au cours de laquelle la Commission a effectué sa propre analyse. Ainsi, à l’instar de ce qui a été constaté concernant l’étude BET, il est raisonnable d’envisager que ces résultats ont évolué au fil du temps, à mesure que le marché de l’énergie a lui-même changé.
183 De plus, il ressort clairement de cette étude qu’Innoplexia disposait de données provenant du balayage permanent de sites Internet, qui imitent les comportements de recherche humains et permettent de traiter plusieurs millions de demandes par jour, et ce sur plusieurs années. Cependant, alors que des données contemporaines à l’étude du marché de la Commission auraient pu être utilisées, Innoplexia a fait le choix d’utiliser des données de 2020.
184 Étant donné que l’analyse de l’étude Innoplexia s’est largement fondée sur des données de 2020, donc postérieures à l’adoption de la décision attaquée, l’utilisation de ces données constitue, au moins en partie, une tentative de modifier le cadre factuel existant au moment où la Commission adoptait la décision attaquée, au sens de la jurisprudence citée au point 173 ci-dessus. Par conséquent, même en supposant qu’elles soient recevables, la pertinence et la valeur probante de ces analyses sont, au mieux, limitées.
185 En définitive, les études BET et Innoplexia présentées par la requérante ne font pas état de données dont la Commission aurait omis de tenir compte lors de l’adoption de la décision attaquée. Ainsi, ce n’est pas par le biais de ces études que la requérante parviendra à démontrer que la Commission a omis de prendre en compte certaines données.
b) Sur la première enquête de marché de la Commission
186 La requérante considère que la conception, la forme, le délai et le contenu de la première enquête de marché menée par la Commission n’étaient pas optimaux.
187 La Commission estime que le déroulement de la première enquête de marché a été correct.
188 En premier lieu, s’agissant de l’échantillon retenu aux fins de la première enquête de marché, il ressort de la note en bas de page no 52 de la décision attaquée que 161 entreprises ont effectivement participé à la première enquête de marché, y compris, en plus des concurrents importants comme EnBW et Vattenfall, plus de 50 régies municipales de différentes tailles, des coopératives de régies municipales, des sociétés dans lesquelles seules les municipalités ou leurs régies municipales détenaient des parts, des sociétés dans lesquelles les régies municipales et les fournisseurs indépendants détenaient des parts, des sociétés dans lesquelles seuls les fournisseurs indépendants détenaient des parts, des fournisseurs indépendants ainsi que de nouveaux entrants sur le marché.
189 Ainsi, la Commission a sélectionné un large éventail d’acteurs du marché pour répondre à son enquête de marché.
190 Afin de déterminer la taille d’échantillon correcte aux fins d’une étude de marché, il convient de tenir compte, premièrement, de la taille de la population auprès de laquelle le sondage va être réalisé, deuxièmement, du niveau de confiance, qui est le pourcentage indiquant le degré de certitude avec lequel la population va choisir une réponse située entre deux valeurs données, et, troisièmement, de la marge d’erreur, qui correspond au pourcentage indiquant dans quelle mesure les résultats du sondage sont susceptibles de refléter l’opinion de la population globale.
191 En l’espèce, la population totale est d’environ 2 500 entreprises dont l’avis pourrait être utile. Pour un niveau de confiance situé à 95 %, ce qui correspond à la norme de l’industrie, et une marge d’erreur à 10 %, la taille adéquate de l’échantillon serait de 93 répondants. Ainsi, en ayant interrogé 383 entreprises du marché de l’énergie, dont il pouvait être attendu qu’un certain nombre ne répondraient pas, la Commission a cherché à constituer un échantillon suffisamment représentatif.
192 De même, il ne saurait être valablement reproché à la Commission de n’avoir contacté que 383 entreprises, dès lors que la logistique et l’organisation d’une telle enquête constituent un effort important, tout comme le traitement ultérieur des informations, et ce, d’autant plus, s’il est tenu compte des ressources limitées de la Commission ainsi que des impératifs de célérité qui s’imposent à elle dans le cadre du contrôle des concentrations. Ainsi, compte tenu du principe de célérité qui régit la procédure de contrôle des concentrations, le Tribunal estime que, dès lors que 161 des 383 entreprises sollicitées ont effectivement répondu à la première enquête de marché, cet échantillon peut être considéré comme suffisamment représentatif et à même de donner des résultats significatifs sur lesquels la Commission pouvait se fonder dans ses conclusions.
193 En deuxième lieu, la requérante critique la transmission du questionnaire en anglais. À cet égard, il est constant que les questions étaient rédigées en anglais, mais que rien n’empêchait les entreprises destinataires de répondre en allemand.
194 Dans l’arrêt du 12 juillet 2018, Brugg Kabel et Kabelwerke Brugg/Commission (T 441/14, EU:T:2018:453), les parties requérantes soutenaient que la Commission avait violé leur droit à un procès équitable et leurs droits de la défense en leur notifiant les demandes d’informations et la communication des griefs exclusivement en anglais dans le cadre d’une procédure d’ententes, alors qu’une des parties requérantes avait demandé, à plusieurs reprises, à communiquer en allemand. Aux points 46 à 50 dudit arrêt, le Tribunal a conclu que le refus de la Commission d’adresser les demandes d’informations à Brugg Kabel AG en allemand n’avait pas empêché cette dernière de donner utilement son point de vue quant aux informations sollicitées par la Commission, en particulier en raison du fait que la Commission n’avait nullement exigé de Brugg Kabel que celle-ci répondît aux demandes d’informations en anglais.
195 L’application a fortiori de cette jurisprudence amène le Tribunal à conclure que le questionnaire de la première enquête de marché, qui, en soi, n’était pas susceptible d’aboutir à l’adoption de sanctions à l’encontre des entreprises à qui il était adressé, pouvait être rédigé en anglais. De plus, si les entreprises rencontraient des problèmes de traduction, elles auraient pu demander une prolongation du délai pour des raisons linguistiques. Enfin, force est de relever que rien ne les empêchait de donner leur point de vue de manière utile, puisqu’elles pouvaient répondre en allemand aux questions posées en anglais.
196 Ainsi, compte tenu, de surcroît, de l’impératif de célérité, il ne saurait être exigé de la Commission qu’elle traduise les questions dans les langues demandées par les entreprises interrogées.
197 À titre surabondant, il convient de relever qu’une telle solution est d’autant plus raisonnable que la Commission a procédé à des enquêtes de marché sur les différents marchés géographiques concernés, y compris la République tchèque, la Hongrie, la Slovaquie, et le Royaume-Uni. Or, exiger de la Commission qu’elle traduise ses questionnaires dans les langues des États membres sur le territoire desquels elle réalise ses enquêtes de marché serait disproportionné en termes de coûts pour les services de la Commission et incompatible avec l’impératif de célérité qui s’impose à elle.
198 En troisième lieu, il convient d’analyser la complexité du questionnaire et le délai de réponse octroyé par la Commission. À cet égard, il y a lieu de rappeler que la Commission doit concilier la nécessité de mener une enquête complète afin de disposer de l’ensemble des éléments pertinents pour son appréciation avec l’impératif de célérité qui s’impose à elle. Ainsi, d’une part, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir posé 228 questions. D’autre part, bien que le délai de réponse ait été court, le fait que 161 entreprises aient répondu dans le délai, ainsi que le fait que les entreprises pouvaient demander une prolongation du délai, suffit pour conclure que la Commission n’a pas manqué à son devoir de diligence à cet égard.
199 Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que la première enquête de marché a été correctement menée. Ainsi, elle ne saurait être considérée comme étant, en elle-même, entachée d’erreurs manifestes d’appréciation.
3. Sur la première branche du cinquième moyen, tirée d’une délimitation erronée de la période d’analyse
200 La requérante fait valoir que la Commission s’est fondée, pour l’essentiel, sur des considérations passées sans émettre aucune prévision, et cela en ce qui concerne, plus particulièrement, le marché de l’électromobilité et le marché des services de comptage.
201 En substance, la requérante critique la délimitation de la période d’analyse en ce qui concerne, premièrement, le marché de l’électromobilité et, deuxièmement, le marché des services de comptage.
202 La Commission conteste les arguments de la requérante.
203 En ce qui concerne, plus particulièrement, le marché des services de comptage, il y a lieu de relever que la requérante reproche, en substance, à la Commission de ne pas avoir tenu compte de l’impact, dans le futur, du fait qu’E.ON, grâce à la concentration et aux activités qu’elle allait pouvoir développer dans le marché des services de comptage, récolterait de nombreuses données lui permettant de proposer des solutions innovantes aux consommateurs.
204 Il convient de rappeler que, en matière de contrôle des concentrations, la Commission doit apprécier si une concentration est de nature à entraver de manière significative une concurrence effective sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci. Cela résulte de l’article 2, paragraphes 2 et 3, du règlement no 139/2004.
205 Le contrôle des opérations de concentration par la Commission nécessite une analyse prospective qui consiste à examiner en quoi une telle opération pourrait modifier les facteurs déterminant l’état de la concurrence sur un marché donné afin de vérifier s’il en résulterait une entrave significative à une concurrence effective. Cette analyse prospective requiert d’imaginer les divers enchaînements de cause à effet afin de retenir celui dont la probabilité est la plus forte (arrêts du 19 juin 2009, Qualcomm/Commission, T 48/04, EU:T:2009:212, point 88, et du 9 mars 2015, Deutsche Börse/Commission, T 175/12, non publié, EU:T:2015:148, point 62 ; voir également, en ce sens, arrêt du 15 février 2005, Commission/Tetra Laval, C 12/03 P, EU:C:2005:87, point 43).
206 En outre, ainsi qu’il a été rappelé, en substance, au point 91 ci-dessus, l’appréciation par la Commission de la compatibilité avec le marché intérieur d’une opération de concentration entre entreprises doit être effectuée uniquement sur la base des circonstances de fait et de droit existant au moment de la notification de cette opération et non sur la base d’éléments hypothétiques dont la portée économique ne peut être évaluée au moment où intervient la décision d’autorisation (voir arrêt du 13 septembre 2010, Éditions Odile Jacob/Commission, T 279/04, non publié, EU:T:2010:384, point 327 et jurisprudence citée).
207 Il en résulte qu’il est attendu de la Commission qu’elle procède à une appréciation des effets de la concentration sur une période dont la durée maximale ne saurait dépasser l’horizon de la survenance, à un degré de certitude suffisant, de certains événements. Plus l’événement à prévoir est éloigné dans le temps, plus l’incertitude quant à son occurrence est grande. En ce sens, il ne saurait être exigé de la Commission qu’elle se prête à une analyse prospective sur la base d’éléments dont elle ne serait pas en mesure d’envisager, avec une marge d’erreur raisonnable, les effets sur le long terme.
208 En l’espèce, il ressort de la décision attaquée que la Commission a pris en compte dans son analyse des éléments prospectifs qui présentaient un niveau suffisant de prévisibilité pour être pertinents.
209 Premièrement, en ce qui concerne le secteur de l’électromobilité, il ressort du point 183 de la décision attaquée que la Commission a tenu compte de l’évolution parallèle du nombre de stations de recharge de véhicules électriques et des ventes de véhicules électriques elles-mêmes, qui devraient augmenter d’environ 27 % par an jusqu’en 2029. La Commission a également constaté, au point 193 de la décision attaquée, que les acteurs du marché s’attendaient à ce que les stations de recharge ultrarapides deviennent de plus en plus courantes et que les prix de la station de recharge rapide et ultrarapide divergent, et, au point 199, que les acteurs du marché s’attendaient à ce que le secteur des stations de recharge pour véhicules électriques se développe de la même manière que celui des stations-service traditionnelles pour lequel les conditions de concurrence au niveau local influencent la stratégie des opérateurs de carburant. De même, au point 385 de la décision attaquée, la Commission a fait état des évolutions prévisibles sur le marché de l’installation et de l’exploitation des stations de recharge ordinaires et rapides, qui évolue rapidement. Il en ressort que de nouvelles entrées sur le marché sont à prévoir, y compris celle de Deutsche Telekom, qui a récemment annoncé son intention d’intégrer des stations de recharge pour véhicules électriques dans les boîtiers de distribution du réseau téléphonique, ou Volkswagen, qui a également annoncé son intention d’entrer sur le marché de l’électromobilité et vise à construire des stations de recharge publiques pour véhicules électriques dans les installations de ses 4 000 concessionnaires automobiles et stations-service partenaires en Europe.
210 Ainsi, il ressort des points 183, 193, 199 et 385 de la décision attaquée, que, contrairement à l’allégation de la requérante, la Commission ne s’est pas limitée, dans son analyse des effets de l’opération de concentration sur la concurrence, à examiner la situation au jour de l’adoption de la décision attaquée, mais qu’elle a tenu compte de l’évolution prévisible du secteur de l’électromobilité.
211 Deuxièmement, en ce qui concerne le secteur des services de comptage sur lequel la requérante considère que la position dominante d’E.ON lui conférerait aussi la place de leader dans le domaine des solutions pour les clients fondées sur l’exploitation des données, la requérante n’identifie pas spécifiquement les évolutions que la Commission aurait dû prendre en considération, ni la période qui serait pertinente à cet égard. Au contraire, elle se borne à soutenir que, dans la mesure où la Commission ne souscrit pas à ses prévisions d’effets dommageables, l’analyse prospective de la Commission n’est pas correcte.
212 En tout état de cause, il convient de constater que la Commission a effectivement analysé quelles pourraient être les conséquences de la concentration sur ce domaine et a indiqué, au point 423 de la décision attaquée, que des données supplémentaires au-delà d’une masse critique pouvaient ne pas nécessairement apporter une valeur supplémentaire. De même, la Commission a relevé, au point 424 de la décision attaquée, qu’il y avait de larges incertitudes quant à la quantité minimale (et au type) de données requises pour développer de nouvelles solutions énergétiques.
213 Partant, la Commission ne disposait pas d’éléments lui permettant de se livrer à une analyse prospective fondée sur une période plus longue que celle qu’elle a retenue. Elle n’a donc pas commis d’erreur manifeste d’appréciation lors de la délimitation de la période prospective d’analyse.
214 Enfin, la Commission a constaté, au point 432 de la décision attaquée, les limites de son analyse, en indiquant que le marché de l’électricité était en train de changer profondément, et que, même parmi les acteurs du marché, il n’y avait pas de consensus sur la manière dont le marché allait finalement évoluer.
215 Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que, compte tenu des incertitudes d’évolution du marché de l’électricité en général, la Commission ne pouvait raisonnablement pas étendre son analyse prospective à une période plus longue que celle qu’elle a retenue. Partant, elle n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation dans la délimitation de la période d’analyse.
216 Il convient donc de rejeter la première branche, tirée d’une délimitation erronée de la période d’analyse.
4. Sur la deuxième branche du cinquième moyen, tirée d’une définition erronée des marchés pertinents
217 En l’espèce, la Commission a procédé à la définition des marchés pertinents en Allemagne dans la section 7.1 de la décision attaquée. La Commission a notamment analysé la définition des marchés de produits et géographiques dans les domaines suivants : la production et la fourniture en gros d’électricité (section 7.1.1), la distribution d’électricité ou réseaux électriques (section 7.1.2), la fourniture au détail d’électricité (section 7.1.3), la fourniture au détail d’électricité utilisée pour le chauffage (section 7.1.4), la distribution de gaz ou réseaux de gaz (section 7.1.5), la fourniture au détail de gaz (section 7.1.6), les services de comptage (section 7.1.7) et l’électromobilité (section 7.1.8).
a) Sur le premier grief, tiré de la définition erronée des marchés de fourniture au détail d’électricité et de gaz
218 La requérante fait valoir, en substance, que la Commission a insuffisamment examiné les faits dans le secteur de la fourniture au détail d’électricité aux ménages et aux petits clients commerciaux et qu’elle a défini les marchés de fourniture au détail d’électricité et de gaz de façon manifestement erronée.
219 En premier lieu, la Commission aurait défini le marché de produits pertinent de manière inexacte, en ce qu’elle n’aurait pas suffisamment tenu compte du point de vue des consommateurs. Par conséquent, elle aurait conclu, à tort, que le marché de la fourniture au détail d’électricité et de gaz aux ménages et aux petits clients commerciaux dans le cadre de l’approvisionnement de base serait différent du marché de la fourniture au détail d’électricité et de gaz aux ménages et aux petits clients commerciaux dans le cadre de contrats spéciaux.
220 En second lieu, la Commission aurait fait une appréciation erronée de la définition géographique du marché de la fourniture au détail d’électricité et de gaz aux ménages et aux petits clients commerciaux, en considérant, à tort, pour le marché des clients bénéficiant de contrats spéciaux, qu’il s’agissait d’un marché national et non local. La Commission n’aurait donc pas tenu compte de l’augmentation des parts de marché locales d’E.ON résultant de la concentration, qui atteignait parfois 70 % et plus.
221 La Commission, soutenue par E.ON, conteste les arguments de la requérante.
222 Il y a lieu de relever que la Commission a, notamment, analysé la définition des marchés de la fourniture au détail d’électricité et de gaz aux sections 7.1.3 et 7.1.6 de la décision attaquée. Elle a conclu, au point 91 de la décision attaquée, que, aux fins de ladite décision :
– le marché de la fourniture au détail d’électricité aux grands clients industriels sera considéré comme étant de dimension nationale ;
– le marché de la fourniture au détail d’électricité aux ménages et aux petits clients commerciaux dans le cadre de l’approvisionnement de base sera considéré comme un marché de produits distinct et comme étant de dimension locale limité à la zone d’approvisionnement de base concernée ;
– le marché de la fourniture au détail d’électricité aux ménages et aux petits clients commerciaux dans le cadre de contrats spéciaux sera considéré comme un marché de produits distinct et comme étant de dimension nationale avec des éléments locaux.
223 Au point 129 de la décision attaquée, la Commission a considéré que la structure et le fonctionnement du marché de la fourniture au détail du gaz étaient très similaires à ceux du marché de la fourniture au détail de l’électricité.
1) Sur la définition du marché de produits pertinent
224 S’agissant du marché de produits pertinent, la Commission a analysé le marché de produits de la fourniture au détail d’électricité à la section 7.1.3.2 (points 52 à 62) et de la fourniture au détail de gaz à la section 7.1.6.1 (points 130 à 133) de la décision attaquée.
225 Il convient de constater, d’emblée, qu’il ressort de la décision attaquée que la Commission a analysé plusieurs sources d’information pour définir les marchés de produits de la fourniture au détail d’électricité et de gaz. Ainsi, elle n’a pas seulement analysé le point de vue des parties à la concentration (points 51, 55, 58 et 132), mais elle a également tenu compte de sa pratique décisionnelle antérieure ainsi que de celle de l’Office fédéral des ententes et du Bundesnetzagentur (BNetzA, agence fédérale des réseaux, Allemagne) (points 52 à 54, 58, 130 et 131), des informations provenant de l’Office fédéral des ententes (point 50), de la réglementation applicable (points 47, 51, 56 et 133), d’un rapport de l’Agence de coopération des régulateurs de l’énergie (ACER) (point 59), des réponses des concurrents à la première enquête de marché (points 58 et 60), ainsi que des documents internes des parties à la concentration (point 61). De ce fait, la Commission a pris en compte les preuves pertinentes dont elle disposait. En tout état de cause, la requérante reproche plutôt à la Commission de ne pas être parvenue aux mêmes conclusions qu’elle. En effet, le problème n’est pas tant que la Commission a ignoré des preuves pertinentes, mais, plutôt, que la requérante ne partage pas l’analyse desdites preuves faite par la Commission.
226 À titre de remarque préliminaire, il y a lieu de relever que, en distinguant le marché de la fourniture au détail d’électricité et de gaz aux ménages et aux petits clients commerciaux dans le cadre de l’approvisionnement de base et dans le cadre des contrats spéciaux, la Commission a procédé à une définition plus étroite des marchés pertinents que si elle n’avait pas distingué entre approvisionnement de base et contrats spéciaux. À cet égard, il peut être d’ailleurs relevé, ainsi qu’il ressort des points 55 et 132 de la décision attaquée, que les parties à la concentration étaient également d’avis, au cours de la procédure administrative, qu’une distinction entre l’approvisionnement de base et les contrats spéciaux ne serait pas appropriée.
227 Premièrement, la requérante soutient que, si la Commission avait examiné le comportement des ménages et des petits clients commerciaux, elle aurait dû constater que les clients bénéficiant de l’approvisionnement de base ne faisaient pas preuve d’inertie et qu’il existait une perméabilité générale entre les tarifs de l’approvisionnement de base et les tarifs spéciaux du fait qu’il y aurait une substituabilité des biens homogènes que sont l’électricité et le gaz.
228 En l’espèce, la Commission, à la lumière des éléments de preuve cités au point 225 ci-dessus, a analysé certains éléments déterminants du point de vue de la demande.
229 Ainsi, la Commission a établi une distinction dans le marché de produits entre les clients bénéficiant de l’approvisionnement de base et ceux bénéficiant de contrats spéciaux, du fait qu’il n’y avait pas de substituabilité de la demande. Malgré le fait que le pourcentage de ménages approvisionnés selon les tarifs d’électricité de base soit en constante diminution, passant d’environ 59 % en 2007 à 37 % en 2012, à 31 % en 2016 et à 28 % en 2017 (point 50 de la décision attaquée), la Commission a estimé que les tarifs de l’approvisionnement de base d’électricité et de gaz n’étaient pas matériellement contraints par les tarifs des contrats spéciaux et que, par conséquent, les deux types de contrats constituaient deux marchés de produits distincts (points 62 et 133 de la décision attaquée).
230 À cet égard, la Commission a fondé une grande partie de son analyse sur l’inertie des consommateurs. Ainsi, elle a élaboré une partie introductive à la section 7.1.3.1 de la décision attaquée, dans laquelle elle explique le concept d’inertie des clients, caractérisée par le fait que, après la libéralisation du marché de l’électricité en Allemagne en 1998, une proportion importante de clients, en particulier les ménages et les petites entreprises, est restée chez le fournisseur historique malgré la disponibilité d’offres plus compétitives, comme c’est le cas dans la plupart des marchés européens de l’électricité au détail (point 48 de la décision attaquée). Selon la Commission, cet effet de l’opérateur historique est particulièrement prononcé pour les clients qui sont toujours approvisionnés dans le cadre de contrats d’approvisionnement de base, qui ne cherchent pas à changer de fournisseur et s’en tiennent aux tarifs d’approvisionnement de base plus chers de l’opérateur historique (point 50 de la décision attaquée). Pour la Commission, une concentration telle que celle en cause dans la présente affaire n’est susceptible d’avoir qu’un impact matériel limité ou nul dans l’immédiat à l’égard de ces consommateurs (point 49 de la décision attaquée). La Commission considère que les mêmes considérations sont applicables au secteur du gaz (point 133 de la décision attaquée).
231 Ainsi, bien que la Commission ne fasse pas mention de la nature homogène de l’électricité et du gaz, qu’elle ne remet pas en question, elle a observé, cependant, que, en 2017, malgré la diminution progressive du nombre de contrats d’approvisionnement de base et les conditions généralement plus favorables des contrats spéciaux, 28 % des ménages avaient encore ce type de contrat pour la fourniture d’électricité.
232 À la lumière de ce qui précède, le Tribunal estime que la Commission a bien étayé l’existence d’une certaine inertie des clients de l’approvisionnement de base, dont la demande est plus inélastique, comme en témoigne le fait que, malgré les conditions plus avantageuses des contrats spéciaux, une partie de la demande est toujours réticente à bénéficier d’un changement de contrat.
233 Il est vrai que la diminution progressive des contrats de base en raison de la souscription à des contrats spéciaux par les clients indique un certain niveau de substitution de la demande entre les contrats de base et les contrats spéciaux. Cependant, il relève de la marge d’appréciation de la Commission d’observer l’existence encore importante d’un grand nombre de contrats de base qui tend à démontrer l’existence d’un marché de produits séparé. C’est donc sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation que la Commission ne s’est pas limitée à constater que les caractéristiques objectives de l’électricité et du gaz étaient homogènes, mais qu’elle a également analysé la situation concurrentielle et notamment la structure de l’offre et de la demande sur le marché. Il convient donc de rejeter cet argument.
234 Deuxièmement, quant à l’application prétendument erronée du test « small but significant non-transitory increase of price » (augmentation de prix non transitoire faible mais significative, ci-après le « test SSNIP »), du fait de la mauvaise présentation des résultats de la première enquête de marché ainsi que du manque d’un test SSNIP de grande ampleur et de l’appréciation quantitative du test SSNIP habituellement de mise, il convient de rappeler que ce test, aux termes du paragraphe 17 de la communication de la Commission du 9 décembre 1997 sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence (JO 1997, C 372, p. 5, ci-après la « communication sur la définition du marché »), pose la question de savoir si une hausse de prix de 5 à 10 % conduirait les clients bénéficiant de l’approvisionnement de base à opter pour des contrats spéciaux.
235 À cet égard, au point 60 de la décision attaquée, la Commission a mentionné, s’appuyant sur la première enquête de marché, que, alors qu’un certain nombre de répondants avaient indiqué qu’une telle augmentation du prix des contrats d’approvisionnement de base aurait pu déclencher une augmentation du niveau de passage aux contrats spéciaux, près de 70 % des concurrents avaient répondu que l’augmentation du passage aurait été probablement faible ou négligeable. Ainsi, une majorité des acteurs du marché ont estimé qu’il n’y aurait pas une substituabilité de la demande aux termes du test SSNIP.
236 S’il est vrai que la Commission n’a pas élaboré une analyse quantitative ou de grande ampleur au-delà des réponses des concurrents, il convient de rappeler qu’il appartient à la Commission d’apprécier si les informations dont elle dispose suffisent pour l’analyse concurrentielle (arrêt du 13 mai 2015, Niki Luftfahrt/Commission, T 162/10, EU:T:2015:283, point 109).
237 Il doit être également rappelé qu’il n’y a pas lieu d’établir une hiérarchie entre « éléments de preuve non techniques » et « éléments de preuve techniques », mais qu’il appartient à la Commission d’évaluer globalement le résultat du faisceau d’indices utilisé pour évaluer la situation de concurrence et qu’il se peut, à cet égard, que certains éléments soient privilégiés et que d’autres soient écartés (voir, en ce sens, arrêt du 9 mars 2015, Deutsche Börse/Commission, T 175/12, non publié, EU:T:2015:148, point 133).
238 Compte tenu des appréciations faites à cet égard par la majorité des répondants à la première enquête de marché, la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en estimant que les informations dont elle disposait suffisaient pour l’analyse concurrentielle de la substituabilité entre les contrats de base et les contrats spéciaux en raison d’une augmentation légère, mais significative et permanente des prix des contrats de base.
239 En tout état de cause, force est de constater que l’argumentation de la requérante ne permet pas de remettre en cause les conclusions de la Commission concernant le test SSNIP. En effet, la requérante n’indique pas quels éléments précis la Commission aurait dû analyser et elle n’a apporté aucun élément qui permet de remettre en cause la conclusion de la Commission selon laquelle l’analyse quantitative n’était pas pertinente.
240 Troisièmement, quant à l’argument de la requérante selon lequel la Commission aurait dû constater que le taux de changement de fournisseur a stagné, non en raison de l’inertie des clients, mais du fait de l’accord fractionnant le marché conclu entre E.ON et RWE, il suffit de constater qu’elle n’apporte aucune preuve pour étayer ses allégations. En tout état de cause, la Commission, sur la base des données fournies par les parties à la concentration, a analysé, au point 287 de la décision attaquée, les ratios de détournement d’E.ON vers innogy dans la zone où E.ON était le GRD entre 2015 et 2018, bien avant la conclusion de l’accord conclu entre E.ON et RWE.
241 Quatrièmement, la requérante fait valoir que la Commission aurait constaté, à tort, que les parties à la concentration appliquaient des mécanismes de détermination des prix différents pour les tarifs de l’approvisionnement de base et pour les tarifs spéciaux, tandis que, en réalité elles appliquaient des tarifs locaux pour fixer non seulement les tarifs spéciaux, mais aussi les tarifs de l’approvisionnement de base.
242 Il convient de relever que la Commission a, en effet, noté, aux points 51 et 60 de la décision attaquée, que la réglementation régissant la conclusion des contrats de base et celle relative aux contrats spéciaux étaient différentes. En effet, en Allemagne, la législation prévoit qu’il ne peut y avoir qu’un seul fournisseur de base par zone d’approvisionnement et que l’entreprise qui sera le fournisseur de base doit être déterminée tous les trois ans par le GRD compétent. Ainsi, la fourniture de base est soumise à une réglementation spécifique. Le fournisseur de base a l’obligation légale de conclure des contrats de fourniture de base, il ne peut résilier un contrat de fourniture de base que dans des circonstances exceptionnelles, alors que le client peut résilier le contrat à tout moment avec un préavis de seulement deux semaines. En outre, les fournisseurs de base ont l’obligation légale de répercuter les coûts légaux irrécupérables, à savoir les taxes, les redevances de concession, les surtaxes et les prélèvements, à l’exception des redevances de réseau, et sont confrontés à des limitations des augmentations de prix du fait que les augmentations de la marge bénéficiaire ne sont pas autorisées. Enfin, la fluctuation des prix sur les marchés de gros ne peut être reflétée que dans une mesure limitée dans les prix de détail de l’approvisionnement de base.
243 Il en découle que la fixation des prix et la politique tarifaire de l’approvisionnement de base et des contrats spéciaux ne sont, en définitive, pas comparables et que la Commission a conclu, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, que la distinction entre les tarifs d’approvisionnement de base et les tarifs des contrats spéciaux était également évidente du fait que les parties à la concentration adoptaient des politiques de tarification et d’ajustement des prix différentes pour les deux types de tarifs. Pour étayer ses affirmations, la Commission s’est fondée non seulement sur les différences réglementaires, mais également sur les documents internes des parties à la concentration qui, dans la pratique de la Commission, constituent des preuves généralement privilégiées, avec une haute valeur probatoire, du fait qu’ils ne font pas l’objet d’un traitement par les parties à la concentration pour les besoins de la concentration, mais constituent des documents contenant des informations non traitées.
244 Cinquièmement, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel la Commission aurait commis une erreur en n’examinant pas comment la définition du marché de produits était influencée par le manque d’importance que les clients accordaient à la qualification juridique de leur contrat, par les possibilités simples et gratuites de passer d’un contrat de base à un contrat spécial et par les changements de fournisseur effectivement opérés par des clients, le Tribunal estime que les différences réglementaires identifiées par la Commission et rappelées au point 242 ci-dessus, ont une incidence directe sur la substituabilité d’un point de vue de la demande. En effet, l’obligation de contracter et les limitations dans l’établissement des tarifs réduisent l’homogénéité des contrats. S’il est vrai que le produit final, à savoir l’électricité ou le gaz, est homogène, il n’en demeure pas moins qu’il existe des différences tarifaires entre les contrats de base et les contrats spéciaux et que, ainsi qu’il ressort des points 235 et 238 ci-dessus, une grande majorité des concurrents des parties à la concentration ont estimé que ces contrats n’étaient pas substituables du point de vue de le demande.
245 En outre, quant à la facilité de changer de contrat, la Commission a indiqué, au point 59 de la décision attaquée, sur la base du rapport de l’ACER mentionné au point 225 ci-dessus, que la faiblesse perçue du gain monétaire qui pourrait résulter d’un changement de fournisseur, le manque de confiance dans les nouveaux fournisseurs, la complexité perçue du processus de changement et le niveau de satisfaction avec leur fournisseur actuel ont été identifiés comme les facteurs les plus influents dans l’inhibition du comportement de changement des consommateurs. Ainsi, indépendamment du fait que le changement de fournisseur soit aussi facile que le suggère la requérante, il existe un nombre important de clients qui, malgré les avantages théoriques, maintiennent leurs contrats de base.
246 Sixièmement, s’agissant d’une prétendue dérogation à la pratique décisionnelle de la Commission, la Commission a analysé, aux points 52 à 54 de la décision attaquée, sa pratique décisionnelle antérieure ainsi que celle de l’Office fédéral des ententes.
247 À cet égard, il ressort des points 53 et 133 de la décision attaquée que, par le passé, la Commission ne s’est pas fermement prononcée sur la question de savoir si les contrats spéciaux et les tarifs de l’approvisionnement de base relevaient de marchés distincts. Ainsi, dans la décision C(2015) 9088 final de la Commission, du 8 décembre 2015, déclarant une concentration compatible avec le marché intérieur et avec l’accord EEE (affaire M.7778 – Vattenfall/ENGIE/GASAG), la Commission a évalué l’impact de la concentration sur les ménages et les petits clients commerciaux, en prenant en compte au niveau national, d’une part, sans les distinguer, les clients bénéficiant de l’approvisionnement de base et ceux bénéficiant de contrats spéciaux, et, d’autre part, pris séparément, les clients des contrats spéciaux. Néanmoins, dans cette décision, la Commission a laissé ouverte la question de la définition du marché de produits. En effet, la Commission a indiqué, au point 19 de ladite décision, que, dans ce cas, la question de la définition exacte du marché de produits en cause pouvait être laissée ouverte, étant donné que l’opération de concentration envisagée ne soulevait pas de doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché intérieur, quelle que soit la définition envisagée.
248 Il en découle que, en l’espèce, la Commission ne saurait être considérée comme ayant dérogé à sa pratique décisionnelle antérieure. Au contraire, la Commission a considéré ses appréciations passées comme un élément pertinent d’analyse. Or, la Commission, exerçant sa marge d’appréciation, a constaté, aux points 56 à 62 et 133 de la décision attaquée, que les conditions du marché au moment de l’adoption de la décision attaquée exigeaient une définition plus étroite du marché de produits.
249 En tout état de cause, il y a lieu de rappeler que, lorsque la Commission statue sur la compatibilité d’une concentration avec le marché intérieur sur la base d’une notification et d’un dossier propres à cette opération, une partie requérante n’est pas en droit de remettre en cause ses constatations au motif qu’elles diffèrent de celles faites antérieurement dans une autre affaire, sur la base d’une notification et d’un dossier différents, à supposer même que les marchés en cause dans les deux affaires soient similaires, voire identiques. Ainsi, dans la mesure où cette partie requérante invoque des analyses faites par la Commission dans une décision antérieure, cette partie de son argumentation est sans pertinence (voir arrêt du 18 mai 2022, Wieland-Werke/Commission, T 251/19, non publié, EU:T:2022:296, point 78 et jurisprudence citée).
250 En toute hypothèse, ni la Commission ni, a fortiori, le Tribunal ne sont liés par les constatations de fait et les appréciations économiques figurant dans une décision antérieure. À supposer que l’analyse menée dans la décision attaquée soit différente de celle menée dans une décision antérieure sans que cette différence soit objectivement justifiée, le Tribunal ne devrait annuler la décision attaquée dans la présente procédure que si celle-ci, et non la décision antérieure, était entachée d’erreurs. Il appartient donc toujours à la partie requérante de démontrer en quoi les appréciations contenues dans la décision qui est attaquée sont, en elles-mêmes et indépendamment de celles figurant dans la décision antérieure, erronées (arrêt du 18 mai 2022, Wieland-Werke/Commission, T 251/19, non publié, EU:T:2022:296, point 79).
251 En outre, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence, la Commission n’est pas tenue par les appréciations relatives aux marchés pertinents réalisées dans ses précédentes décisions (voir, en ce sens, arrêt du 11 janvier 2017, Topps Europe/Commission, T 699/14, non publié, EU:T:2017:2, point 93).
252 Il résulte de tout ce qui précède que la requérante échoue à démontrer que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation lors de la définition du marché de produits pertinent. Il convient, dès lors, de rejeter le grief tiré d’une définition erronée du marché de produits pertinent en ce qui concerne la fourniture au détail d’électricité et de gaz.
2) Sur la définition du marché géographique
253 Au point 90 de la décision attaquée, la Commission a conclu que, aux fins de ladite décision, malgré l’existence des éléments de concurrence locaux, le marché de la fourniture au détail d’électricité aux ménages dans le cadre de contrats spéciaux était national, bien que la Commission eût également examiné les effets de la concentration au niveau local et eût conclu que, même sur une base locale, la concentration ne soulevait pas de problèmes de concurrence. En ce qui concerne le gaz, la Commission a conclu, au point 147 de la décision attaquée, que, aux fins de ladite décision, le marché de la fourniture au détail de gaz aux ménages dans le cadre de l’approvisionnement de base serait considéré comme un marché de produits distinct et comme étant de dimension locale, limité à la zone d’approvisionnement de base concernée, et que le marché de la fourniture au détail de gaz aux ménages dans le cadre de contrats spéciaux serait considéré comme un marché de produits distinct et comme étant de dimension nationale.
254 La requérante soutient, en substance, que le marché de fourniture au détail d’électricité ou de gaz aux ménages dans le cadre des contrats spéciaux aurait dû être défini comme un marché local et non comme un marché national avec des éléments locaux.
255 Premièrement, s’agissant de l’argument selon lequel la Commission aurait repris exactement le point de vue non étayé des parties à la concentration sur la délimitation locale du marché sans tenir compte des indications divergentes et sans effectuer des recherches par ses propres moyens, le Tribunal constate, en ce qui concerne l’électricité, que la Commission a analysé sa pratique décisionnelle aux points 63 à 65 de la décision attaquée, celle de l’Office fédéral des ententes aux points 66 et 67 de ladite décision, l’avis des parties à la concentration au point 68 de celle-ci, et qu’elle a procédé à son analyse aux points 69 à 90 de la décision attaquée.
256 S’agissant, d’une part, du marché géographique de la fourniture au détail d’électricité aux ménages et aux petits clients commerciaux dans le cadre de contrats spéciaux, la Commission n’a pas, aux fins de son analyse, seulement tenu compte du point de vue des parties à la concentration (points 78, 83, 84 et 88). En effet, elle a également examiné sa pratique décisionnelle antérieure (points 69 et 70), celle de l’Office fédéral des ententes (points 69, 74, 85 et 86), les informations provenant de l’Office fédéral des ententes (points 80, 82, 83 et 86), la réglementation applicable (point 66), les réponses des concurrents à la première enquête de marché (points 74 à 76, 79 et 80), le questionnaire de la phase d’examen approfondi adressé aux clients des PME et des microentreprises en Allemagne (point 85), les contributions des concurrents (points 75, 79, 81, 84 et 87) et l’étude LBD (points 81, 84 et 87). En outre, la Commission a effectué ses propres analyses (point 88). Il en ressort que la Commission a procédé à un recoupement des différentes sources d’information disponibles lors de la définition du marché géographique de la fourniture au détail d’électricité.
257 S’agissant, d’autre part, du marché géographique de la fourniture au détail de gaz, la Commission a analysé sa pratique décisionnelle aux points 134 et 135 de la décision attaquée, celle de l’Office fédéral des ententes au point 136 de ladite décision et l’avis des parties à la concentration au point 137 de celle-ci. En outre, elle a procédé à un examen d’ensemble aux points 138 à 146 de la décision attaquée.
258 Ainsi qu’elle l’a fait dans le domaine de l’électricité, aux fins de son analyse, la Commission n’a pas seulement considéré le point de vue des parties à la concentration, mais elle a également pris en compte la pratique décisionnelle antérieure de l’Office fédéral des ententes (points 138 et 139), les informations provenant de l’Office fédéral des ententes (points 142 et 144), les réponses des concurrents à la première enquête de marché (points 138 et 143), ses propres analyses (point 145) et les documents internes des parties à la concentration (point 143). Il en ressort que, comme pour le secteur de l’électricité, la Commission a procédé à un recoupement des différentes sources d’information lors de la définition du marché géographique de la fourniture au détail de gaz.
259 Par conséquent, l’argument de la requérante, tiré de l’insuffisance des enquêtes menées par la Commission sur les marchés géographiques de la fourniture au détail d’électricité et de gaz, ne peut être accueilli.
260 Par ailleurs, il convient de relever que, à l’instar d’autres aspects du contrôle de la concentration sur lesquels la requérante accuse la Commission de ne pas avoir enquêté suffisamment (voir point 225 ci-dessus), ce que la requérante reproche en réalité à la Commission est de ne pas avoir apprécié certains éléments de preuve comme elle et de ne pas être parvenue aux mêmes conclusions qu’elle.
261 Deuxièmement, la requérante identifie un défaut d’investigation du fait qu’il existe seulement des offres locales avec des prix différents.
262 Tout d’abord, s’agissant de l’étude des clients en fonction de leur code postal et de la portée locale des offres des fournisseurs, le Tribunal constate que la Commission a conclu, en effet, au point 73 de la décision attaquée, que, bien qu’il existât des éléments locaux de concurrence, le marché des contrats spéciaux de fourniture d’électricité était de dimension nationale avec des éléments locaux de concurrence. À cet égard, la Commission a constaté, s’agissant de l’électricité, qu’il y avait une tendance à une augmentation du nombre de fournisseurs actifs dans chaque zone de réseau (point 74), que les fournisseurs avaient tendance à appliquer des stratégies de vente similaires dans toutes les régions (point 75), que 65 % des fournisseurs ayant répondu à la première enquête de marché proposaient le même prix net dans tout le pays sauf occasionnellement (point 76), que la substitution du côté de l’offre était considérable du fait de la possibilité d’expansion relativement facile et courante dans les zones locales (point 77), et que le nombre moyen de fournisseurs par zone était passé de 46 en 2008 à 124 en 2017 (point 80).
263 Quant au gaz, la Commission a constaté, au point 142 de la décision attaquée, que, en moyenne, les consommateurs de gaz en Allemagne pouvaient choisir entre près de 120 fournisseurs dans leur zone de réseau et que plus de 50 concurrents étaient présents sur tout le territoire allemand. Au point 143 de la décision attaquée, elle a indiqué que seule une minorité des concurrents avait déclaré que les prix nets différaient d’une région à l’autre pour tous les produits ou la majorité d’entre eux, que les documents internes des parties à la concentration avaient démontré que les parties à la concentration surveillaient les activités des concurrents dans toute l’Allemagne, sans se concentrer sur des régions ou des concurrents spécifiques, étant donné que l’évolution de la concurrence dans le secteur du gaz et de l’électricité était surveillée et évaluée de la même manière par les parties à la concentration, que la substitution du côté de l’offre était considérable et qu’elle n’avait pas identifié d’obstacles importants à l’entrée ou à l’expansion.
264 Ainsi, la Commission a considéré la nature et les caractéristiques de l’électricité, l’existence de barrières à l’entrée, les préférences des consommateurs ainsi que les niveaux de prix sur le territoire, au sens de l’article 9, paragraphe 7, du règlement no 139/2004. À la lumière de ces éléments, la Commission a conclu que les clients bénéficiant de contrats spéciaux avaient accès à un grand nombre de fournisseurs d’électricité avec des conditions similaires partout en Allemagne.
265 En effet, compte tenu des réponses à la question no 12 de la première enquête de marché, la Commission a conclu qu’environ deux tiers des fournisseurs proposaient généralement une tarification nationale, avec des prix nets identiques. La requérante ne conteste pas le chiffre établi par la Commission.
266 En ce qui concerne le gaz, les réponses à la question no 80 de la première enquête de marché ont fondé l’appréciation de la Commission selon laquelle la majorité des répondants ont indiqué que les prix étaient généralement les mêmes dans tout le pays, mais qu’ils différaient occasionnellement d’une région à l’autre. S’il est vrai que la Commission n’a pas enquêté elle-même pour déterminer si les prix offerts différaient en fonction du code postal, en consultant le moteur de recherche Google et les sites Internet de comparaison « Verivox » ou « Check24 », il n’en demeure pas moins qu’il appartient à la Commission d’évaluer la suffisance des informations dont elle dispose pour procéder à son analyse, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée aux points 166 et 236 ci-dessus. Le Tribunal estime que la Commission a constaté à suffisance, à travers la première enquête de marché, que la majorité des fournisseurs proposaient des prix comparables sur tout le territoire allemand. Dès lors, des investigations supplémentaires à cet égard sur les sites Internet précités n’étaient pas nécessaires.
267 En tout état de cause, aux points 81 et suivants de la décision attaquée, la Commission a analysé en substance les critiques formulées par la requérante, y compris celles relatives à l’étude LBD. La Commission a indiqué, notamment, que les prix relativement élevés que les fournisseurs locaux de base d’électricité ou de gaz pouvaient demander pour les contrats spéciaux (points 83 et 144) étaient dus à l’avantage de l’opérateur historique (point 85). En outre, la Commission a identifié, au point 84 de la décision attaquée, un défaut méthodologique, à savoir que l’étude LBD avait traité différentes filiales des parties à la concentration comme des entités indépendantes, ce qui aurait pu avoir un effet important sur les résultats, si, par exemple, les marges ou les stratégies de prix étaient analysées dans une région où une société du groupe était le fournisseur de base, et que seuls les marges ou les prix de cette entité dans cette région étaient pris en compte, et non ceux des autres sociétés du groupe.
268 Au vu de ce qui précède, la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en ce qui concerne la portée géographique des conditions tarifaires d’électricité et de gaz.
269 À supposer même qu’une analyse comme celle proposée par la requérante aboutirait à la conclusion que les fournisseurs proposent des tarifs et des conditions différentes en fonction du code postal, cela ne constituerait qu’un des facteurs liés à l’offre, au sens du paragraphe 30 de la communication sur la définition du marché. En effet, d’autres facteurs comme les barrières à l’entrée seraient également pertinents. À cet égard, chaque fournisseur d’électricité a la possibilité d’approvisionner tout ménage ou petit client commercial sur l’ensemble du territoire national. La requérante ne conteste pas la constatation de la Commission selon laquelle les fournisseurs, y compris les petites régies municipales, essaient régulièrement de se développer et de stimuler la concurrence en dehors de leur zone, ni que, au cours des deux ou trois dernières années avant l’adoption de la décision attaquée, deux nouveaux acteurs sont entrés dans une zone correspondant à un code postal donné en moyenne et ont rapidement gagné des parts non négligeables de marché (point 79). Dans le cas du gaz, la concurrence actuelle et la menace d’entrée exercent des contraintes sur les opérateurs historiques locaux (point 145). De ce fait, il est raisonnable d’envisager que, en présence de marges supra-concurrentielles dans les zones correspondant à certains codes postaux, d’autres fournisseurs se fassent concurrence pour répondre à la demande. Dans ces conditions, une existence de tarifs locaux ne suffirait pas, en elle-même, pour justifier la portée locale de la définition du marché géographique.
270 En outre, la requérante nie la pertinence du nombre et du rayon d’action des fournisseurs pour la définition géographique du marché. Cependant, le nombre de ces fournisseurs d’électricité qui proposent une offre sur l’ensemble du territoire national ou sur des zones plus amples que leurs zones régionales constitue un facteur lié à l’offre, au sens du paragraphe 30 de la communication sur la définition du marché. En effet, conformément à celui-ci, la Commission peut, le cas échéant, vérifier si des sociétés implantées dans des zones distinctes ne se heurtent pas à des entraves si elles souhaitent développer leurs ventes dans des conditions concurrentielles sur l’ensemble du marché géographique. Le nombre et le rayon d’action des fournisseurs constitue un indice de ce type d’entraves.
271 Par ailleurs, s’agissant de l’argument selon lequel le marché géographique serait local du fait que les clients sont techniquement fixés à un endroit concret, il suffit de constater que, comme le fait valoir la Commission, cet argument est inopérant dès lors que le facteur pertinent est celui de savoir si les consommateurs peuvent être approvisionnés par des fournisseurs implantés ailleurs, et non si les consommateurs sont susceptibles de se déplacer pour être approvisionnés par d’autres fournisseurs.
272 Quant à l’argument de la requérante selon lequel les structures tarifaires auraient un caractère local et les fournisseurs adapteraient leur stratégie de distribution en fonction de facteurs régionaux, la requérante se fonde en partie sur les études BET et Innoplexia, dont la valeur probante est toutefois limitée, pour les raisons détaillées aux points 176 à 184 ci-dessus. En tout état de cause, il ressort du point 81 de la décision attaquée que la Commission a examiné ces allégations, mais qu’elle a maintenu son point de vue selon lequel le marché géographique était de dimension nationale. Même en supposant que les fournisseurs aient une perspective locale dans leurs offres, cela ne serait qu’une indication d’un éventuel marché local compatible avec la conclusion de la Commission selon laquelle il existe des éléments locaux sur le marché national. En effet, il n’est pas nécessaire que tous les paramètres de concurrence soient identiques sur tout le territoire d’un État membre pour considérer qu’il y a marché national.
273 Par ailleurs, il ressort du point 81 de la décision attaquée que la Commission a tenu compte des tarifications locales proposées par les parties à la concentration et constatées par l’étude LBD.
274 De même, la Commission a mené sa propre enquête et a travaillé sur l’hypothèse d’une politique tarifaire locale des fournisseurs. Elle a ainsi examiné s’il existait un lien entre la marge d’un fournisseur et sa part dans la fourniture au groupe de consommateurs qui n’ont pas de contrat spécial avec le fournisseur de base. À cet égard, il s’agit d’un point de départ raisonnable, dès lors que l’on peut s’attendre à ce qu’une entreprise disposant d’un certain pouvoir de marché dans un certain domaine dispose d’une certaine marge de manœuvre pour augmenter les prix et les marges bénéficiaires. Cette analyse de la Commission a notamment fait apparaître qu’il n’existait pas, au niveau local, de corrélation entre marges et parts de marché en ce qui concerne les contrats spéciaux (points 88 et 89 pour l’électricité et 145 pour le gaz). La Commission a conclu que l’absence de lien systématique entre les marges et les parts de marché en ce qui concerne les clients qui étaient en train ou désireux de changer de fournisseur donnait à penser que la concurrence actuelle et la menace d’entrée exerçaient des contraintes sur les opérateurs historiques locaux, du moins en ce qui concerne ce groupe de clients, ce qui indiquait l’existence d’un marché national.
275 Dans ces conditions, c’est sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation que la Commission n’a pas entériné le point de vue des concurrentes selon lequel la fourniture au détail d’électricité et de gaz était de portée locale.
276 Troisièmement, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel la Commission n’aurait pas suivi sa pratique décisionnelle habituelle, il découle des précédents cités dans la décision attaquée que la pratique établie par la Commission ne saurait confirmer les définitions de marchés géographiques proposées par la requérante. En effet, dans ses précédentes décisions, la Commission a laissé la question de la définition du marché géographique de la fourniture au détail d’électricité ouverte et la Commission considère que la définition nationale, régionale ou locale du marché du gaz relève de la casuistique.
277 S’agissant de l’électricité, la Commission a indiqué, au point 63 de la décision attaquée, qu’elle avait généralement défini les marchés géographiques de la fourniture au détail d’électricité aux clients finals comme étant de dimension nationale. Or, dans sa décision C(2009) 5111, du 22 juin 2009, déclarant une concentration compatible avec le marché intérieur et avec l’accord EEE (affaire COMP/M.5496 – Vattenfall/Nuon Energy), la Commission a également pris en considération la possibilité d’une définition plus étroite du marché géographique au niveau du réseau de distribution pour la fourniture au détail d’électricité aux petits clients pour l’Allemagne, bien qu’elle ait finalement laissé la question de la définition du marché ouverte dans ce cas. Cependant, la Commission a noté, aux points 64 et 65 de la décision attaquée, que, depuis 2009, le marché de la fourniture au détail d’électricité en Allemagne avait considérablement évolué et que la portée géographique de la concurrence s’était élargie, ce qui se reflétait déjà dans sa décision C(2015) 9088 final, du 8 décembre 2015, déclarant une concentration compatible avec le marché intérieur et avec l’accord EEE (affaire M.7778 – Vattenfall/ENGIE/GASAG), dans laquelle elle a examiné les parts de marché nationales pour la fourniture au détail d’électricité aux ménages en général et aux clients sous contrat spécial uniquement, alors que la question de la définition du marché géographique était laissée ouverte.
278 Quant au gaz, la Commission a indiqué, au point 134 de la décision attaquée, en citant sa décision C(2015) 9088 final, du 8 décembre 2015, déclarant une concentration compatible avec le marché intérieur et avec l’accord EEE (affaire M.7778 – Vattenfall/ENGIE/GASAG), sa décision C(2011) 2638 final, du 11 avril 2011, déclarant une concentration compatible avec le marché intérieur et avec l’accord EEE (affaire COMP/M.6068 – ENI/ACEGASAPS/JV), et sa décision C(2006) 5418 final, du 14 novembre 2006, déclarant une concentration compatible avec le marché intérieur et avec l’accord EEE (affaire COMP/M.4180 – Gaz de France/Suez), que, dans des décisions antérieures, elle avait considéré que le marché de la fourniture au détail de gaz pouvait avoir une portée nationale, régionale ou locale, limitée à la zone du réseau de distribution, en fonction des caractéristiques du marché.
279 Il est vrai que la requérante établit un parallèle avec le marché du commerce alimentaire de détail, que la Commission a défini comme étant local malgré la présence de nombreux fournisseurs nationaux. Toutefois, il suffit de constater que la requérante n’avance aucune raison de nature à justifier que la Commission soit obligée de prendre en compte la pratique décisionnelle développée dans d’autres domaines. Elle n’explique pas non plus dans quelle mesure le parallèle qu’elle tente d’établir est pertinent. En tout état de cause, la pratique décisionnelle dans ce domaine n’est pas pertinente dès lors que, sur les marchés de l’électricité et du gaz, les clients ne peuvent pas changer de lieu d’approvisionnement, mais peuvent seulement passer des contrats avec des fournisseurs établis dans d’autres zones du territoire national, ce qui n’est pas le cas dans le commerce alimentaire de détail où la Commission a considéré, d’une part, que les entreprises devaient réaliser certains investissements pour être actives dans des zones de chalandise dans laquelle elles n’étaient pas encore présentes et, d’autre part, que le client n’était généralement pas disposé à parcourir de longues distances pour effectuer des achats alimentaires.
280 En outre, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel la Commission aurait ignoré que, dans sa pratique décisionnelle, les différences de prix régionales tendaient à démontrer l’existence de marchés plus petits que les marchés nationaux, la requérante cite certaines affaires sans indiquer, pour autant, comment elles permettent de conclure à l’existence d’une pratique établie ou dans quelle mesure les conclusions de ces affaires seraient applicables à la présente affaire. En tout état de cause, la Commission a conclu, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, que la majorité des fournisseurs appliquaient leurs tarifs au niveau national, ainsi qu’il ressort du point 265 ci-dessus.
281 Partant, il en découle que la Commission n’a pas dérogé à sa pratique décisionnelle antérieure et qu’elle a tenu compte de ses appréciations passées en tant qu’élément pertinent d’analyse.
282 En tout état de cause, le Tribunal rappelle que la Commission n’est pas tenue par les appréciations relatives aux marchés pertinents réalisées dans ses précédentes décisions, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée au point 251 ci-dessus.
283 C’est donc sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation que la Commission a estimé, aux points 91 et 147 de la décision attaquée, que, aux fins de la décision attaquée, la fourniture au détail d’électricité et de gaz aux ménages et aux petits clients commerciaux dans le cadre de l’approvisionnement de base avait une dimension locale, limitée à la zone d’approvisionnement de base concernée, et que la fourniture au détail d’électricité et de gaz aux ménages et aux petits clients commerciaux dans le cadre de contrats spéciaux avait une dimension nationale avec des éléments locaux.
284 Il résulte de l’ensemble de ce qui précède qu’il convient de rejeter le premier grief, tiré de la définition erronée des marchés de fourniture au détail d’électricité et de gaz.
b) Sur le deuxième grief, tiré de la définition incomplète des marchés de distribution d’électricité et de gaz
285 La requérante fait valoir, en substance, que la Commission considère, à tort, que seuls les marchés de l’exploitation des réseaux de transport et des réseaux de distribution d’électricité et de gaz sont concernés. À cet égard, la Commission n’aurait pas analysé, d’une part, le domaine de l’acquisition d’équipements de réseau et de prestations de construction ni le domaine des services de technologie de l’information, qui seraient affectés par la concentration du côté de la demande, et, d’autre part, le domaine de la prestation de services pour d’autres GRD, qui serait affecté du côté de l’offre. De ce fait, l’analyse subséquente des conséquences de la concentration serait incomplète.
286 La Commission, soutenue par E.ON, conteste les arguments de la requérante.
287 Il convient de relever que, lorsqu’il est fait grief à la Commission de ne pas avoir pris en compte un éventuel problème concurrentiel sur d’autres marchés que ceux sur lesquels a porté l’analyse concurrentielle, il appartient à la partie requérante d’apporter des indices sérieux venant démontrer de manière tangible l’existence d’un problème concurrentiel qui aurait dû, en raison de son impact, être examiné par la Commission. Aux fins de répondre à cette exigence, il appartient à la partie requérante d’identifier les marchés concernés, de décrire la situation concurrentielle en l’absence de concentration et d’indiquer quels seraient les effets probables d’une concentration eu égard à la situation concurrentielle sur ces marchés (voir arrêt du 20 octobre 2021, Polskie Linie Lotnicze “LOT”/Commission, T 240/18, EU:T:2021:723, point 44 et jurisprudence citée).
288 Or, force est de constater que la requérante se contente de présenter des affirmations non étayées et n’a soumis aucune proposition sérieuse de définition des marchés pertinents prétendument affectés, de sorte qu’il convient de rejeter le présent grief.
c) Sur le troisième grief, tiré de la définition erronée des marchés des services de comptage et de l’électromobilité
289 La requérante fait valoir, en substance, que la Commission a procédé à une définition erronée des marchés des services de comptage et de l’électromobilité en raison d’erreurs commises durant son étude du marché. La Commission aurait notamment négligé des facteurs déterminants, tels que les économies d’échelle accrues, la puissance financière, l’accès aux données et les réseaux de coopération.
290 En premier lieu, quant au marché des services de comptage, la requérante soutient, en substance, que la Commission a opéré, à tort, une distinction entre les nGPC et les cGPC. Cela s’expliquerait par le fait que, du point de vue du consommateur, la circonstance que les prestations de comptage sont réalisées par un nGPC ou un cGPC n’aurait aucune importance. Par conséquent, il n’existerait qu’un seul marché des services de comptage.
291 En deuxième lieu, la requérante affirme que la Commission n’a pas suffisamment apprécié la délimitation géographique du marché de l’installation et de l’exploitation de bornes de recharge publiques pour véhicules électriques, étant donné que, en règle générale, la distance journalière parcourue par un véhicule électrique ne serait que de 30 km et que seul un peu plus de 1 % des trajets dépasserait 100 km. Elle reproche, en outre, à la Commission de ne pas avoir suffisamment apprécié la délimitation de l’exploitation des bornes de recharge hors autoroute.
292 En troisième lieu, en raison de leurs activités sur le marché des services de comptage, les parties à la concentration seraient en mesure de collecter de nombreuses données, leur permettant d’acquérir des avantages sur le marché des solutions clients fondées sur l’exploitation de données. Or, la Commission aurait omis de définir ce dernier marché.
293 La Commission, soutenue par E.ON, conteste les arguments de la requérante.
1) Sur les marchés des services de comptage
294 Ainsi qu’il a été rappelé au point 27 ci-dessus, les services de comptage consistent à mesurer la consommation d’électricité, de gaz, d’eau ou de chaleur à des fins de facturation, de transparence et d’optimisation de la consommation.
295 La Commission a indiqué, aux points 151 à 153 de la décision attaquée, que, en Allemagne, l’exploitation des points de comptage relevait de la responsabilité du GRD, jusqu’à la libéralisation de 2005. La Messstellenbetriebsgesetz (loi sur la gestion des points de mesure), du 1er septembre 2016 (BGBl. I, p. 2034), a introduit la dissociation entre l’exploitation du réseau et celle des points de comptage, a créé les rôles de nGPC et de cGPC et a introduit :
– premièrement, l’obligation, exclusivement pour les nGPC, de remplacer tous les compteurs d’électricité en Allemagne par des compteurs modernes d’ici 2032 ;
– deuxièmement, l’obligation pour les nGPC de déployer des systèmes de mesure intelligents avec des plafonds de prix différents en fonction des types de consommateurs et des niveaux de consommation, ce système ayant toutefois un caractère facultatif pour les petits clients ; la même obligation s’applique aux cGPC, mais sans les plafonds ;
– troisièmement, l’obligation générale de remplacer les compteurs existants par des compteurs de gaz compatibles avec un dispositif de communication hautement sécurisé, la passerelle pour compteurs intelligents, qui permettra la communication des données mesurées aux acteurs du marché autorisés.
296 Dans ces conditions, la Commission a estimé, au point 169 de la décision attaquée, qu’il convenait de faire une distinction entre les services de comptage de l’électricité et du gaz fournis par les nGPC et les services de comptage de l’électricité et du gaz fournis par les cGPC, pour des raisons similaires à celles qui justifiaient la distinction entre les contrats de base et les contrats spéciaux, à savoir, tout d’abord, le fait que la concurrence avait lieu principalement sur le marché des cGPC, ensuite, la circonstance que les cadres réglementaires des nGPC et des cGPC divergeaient, notamment, en ce qui concerne le plafonnement des prix et les obligations de déploiement de compteurs modernes et intelligents, et, enfin, le fait que l’entrée sur le marché national d’acteurs extérieurs dans le secteur de l’électricité comme Deutsche Telekom ou Deutsche Bahn se produisait sur le marché des cGPC. Cependant, la Commission a finalement décidé que la question de savoir si les marchés des services de comptage de l’électricité et du gaz doivent être subdivisés en séparant les nGPC et les cGPC pouvait, in fine, demeurer ouverte, dès lors que la concentration ne soulevait pas de problèmes quant à sa compatibilité avec le marché intérieur, quelle que fût la définition plausible du marché.
297 À cet égard, il convient de rappeler la jurisprudence selon laquelle la Commission peut laisser ouverte la question de la définition du marché du produit en cause dès lors qu’il résulte de manière claire et sans équivoque des motifs explicités par la Commission dans la décision attaquée qu’aucune des définitions du marché ne permet de constater l’existence d’une entrave significative à une concurrence effective à la suite de la concentration (voir, en ce sens, arrêt du 26 octobre 2017, KPN/Commission, T 394/15, non publié, EU:T:2017:756, point 60).
298 Ainsi, il résulte de ce qui précède que l’argument de la requérante selon lequel la Commission a défini à tort le marché de produits en séparant les nGPC et les cGPC doit être rejeté, puisque la Commission ne s’est pas explicitement prononcée en faveur d’une telle définition plus étroite, bien qu’elle ait suggéré qu’une telle distinction pourrait être appropriée.
2) Sur les marchés de l’installation et de l’exploitation de bornes de recharge publiques pour véhicules électriques
299 Premièrement, s’agissant de la définition géographique du marché de l’installation et de l’exploitation des bornes de recharge publiques rapides sur les autoroutes, d’une part, et celui de l’installation et de l’exploitation de bornes de recharge publiques ultrarapides sur les autoroutes, d’autre part, la Commission a retenu, au point 197 de la décision attaquée, qu’une distance de 50 km était un bon indicateur pour identifier les stations qui étaient susceptibles d’exercer une pression concurrentielle importante les unes sur les autres. Néanmoins, aux points 200 et 218 de la décision attaquée, elle a finalement laissé ouverte la question de la définition du marché géographique (entre local ou national avec des éléments de concurrence locaux), étant donné qu’elle a identifié des entraves significatives à la concurrence effective quelle que soit la définition du marché retenue.
300 À cet égard, la Commission a constaté, aux points 367 et 370 de la décision attaquée, que, ensemble, E.ON et innogy avaient conclu des contrats pour l’installation et l’exploitation de bornes de recharge publiques rapides et ultrarapides pour plus de 60 à 70 % des stations-service des aires d’autoroute de l’entreprise Autobahn Tank & Rast, qui exploitait plus de 90 % des stations-service sur les autoroutes en Allemagne.
301 Dans ces conditions, la Commission a constaté, aux points 379 et 380 de la décision attaquée, que, lorsque des bornes de recharge publiques d’E.ON et d’innogy se trouvaient à une distance de 50 km et qu’il n’y avait pas, entre elles, des bornes de recharge publiques d’un autre concurrent, E.ON et innogy se faisaient la concurrence la plus directe.
302 Ainsi, quelle que soit la définition géographique, locale ou nationale avec des éléments de concurrence locaux du marché, la Commission a identifié une distance de 50 km comme un élément pertinent pour l’analyse de l’existence d’effets anticoncurrentiels.
303 De même, force est de constater que, si la Commission peut laisser la question de la définition d’un marché en cause ouverte si aucune des définitions du marché ne permet de constater l’existence d’une entrave significative à une concurrence effective à la suite de la concentration, au sens de la jurisprudence citée au point 297 ci-dessus, elle peut tout autant laisser la question de la définition d’un marché en cause ouverte si elle constate qu’il y a des effets anticoncurrentiels quelle que soit la définition retenue, et ce, pour autant que, à la suite des modifications apportées par les entreprises concernées, la concentration n’est plus susceptible d’entraver de manière significative une concurrence effective, quelle que soit la définition du marché en cause.
304 Ainsi, le fait, pour la Commission, de retenir une définition ouverte du marché dans de telles conditions impliquait, de sa part, qu’elle analyse si l’élimination des chevauchements entre les parties à la concentration sur une distance de 50 km éliminait les effets anticoncurrentiels, quelle que soit la délimitation géographique du marché.
305 À cet égard, la requérante considère que la distance qu’aurait dû retenir la Commission était de 30 km et non de 50 km. Or, la requérante n’explique pas comment, à supposer même que les éléments de fait qu’elle avance soient corrects, à savoir, que la distance journalière parcourue par un véhicule électrique est de 30 km et que seul un peu plus de 1 % des trajets dépassent 100 km, ceux-ci seraient de nature à remettre en question la distance de 50 km retenue par la Commission en ce qui concerne l’installation et l’exploitation de bornes de recharges électriques sur autoroute, ou à étayer une quelconque erreur manifeste d’appréciation.
306 Ainsi, il n’est pas démontré que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en laissant ouverte la question de la définition géographique du marché de l’installation et de l’exploitation de bornes de recharge publiques rapides sur les autoroutes et de celui de l’installation et de l’exploitation de bornes de recharge publiques ultrarapides sur les autoroutes.
307 Deuxièmement, en ce qui concerne le marché de l’installation et de l’exploitation des bornes de recharge situées hors autoroute, la Commission, au point 203 de la décision attaquée, a laissé ouverte la question de la définition géographique du marché, étant donné que la concentration ne posait pas de problème quelle que fût la définition plausible du marché, du fait, ainsi qu’il ressort des points 381 à 387 de la décision attaquée, que les parties à la concentration exploitaient très peu de bornes de recharge ultrarapides et qu’il y avait un nombre important de concurrents sur le marché et plusieurs autres grands concurrents avec des plans d’expansion.
308 Ainsi, la Commission a indiqué de façon explicite qu’aucune des définitions du marché ne permettait de constater l’existence d’une entrave significative à une concurrence effective à la suite de la concentration. Au vu de la jurisprudence citée au point 297 ci-dessus, il convient de conclure que la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en laissant ouverte la question de la définition du marché en ce qui concerne les bornes de recharge situées hors autoroute.
3) Sur le marché des solutions clients fondées sur l’exploitation de données
309 S’agissant de la prétendue absence de définition du marché des solutions clients fondées sur l’exploitation de données, le Tribunal constate qu’il est, certes, exact que la Commission n’a pas procédé à une telle définition, alors même qu’elle a analysé les possibles effets anticoncurrentiels de la concentration dans la section 7.4 de la décision attaquée, portant sur les « Autres théories du dommage ».
310 Toutefois, au vu de la jurisprudence rappelée au point 287 ci-dessus, il convient de rejeter ce grief dès lors que la requérante n’explique pas dans quelle mesure il existait sur ce marché un problème concurrentiel qui aurait dû, en raison de son impact, être examiné par la Commission. En effet, la requérante se borne à indiquer que la Commission a analysé les possibles effets anticoncurrentiels de la concentration sans pour autant expliquer comment une telle analyse l’obligeait à procéder à une définition d’un tel marché.
311 À la lumière de ce qui précède, il convient de rejeter le troisième grief, tiré de la définition erronée des marchés des services de comptage et de l’électromobilité.
d) Conclusion sur la deuxième branche du cinquième moyen
312 Au vu de ce qui précède, il convient de constater que la Commission a bien tenu compte de l’ensemble des éléments pertinents à sa disposition et qu’elle a identifié et défini les marchés pertinents en l’espèce sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation.
313 Il convient donc de rejeter la deuxième branche du cinquième moyen, tirée d’une définition erronée des marchés pertinents.
5. Sur la troisième branche du cinquième moyen, tirée d’une appréciation erronée des effets de la concentration
a) Sur le premier grief, tiré de l’appréciation erronée des effets sur les marchés de fourniture au détail d’électricité et de gaz
314 La requérante soutient que la Commission a insuffisamment examiné les effets de la concentration sur les marchés de fourniture au détail d’électricité et de gaz et qu’elle en a aussi manifestement donné une appréciation erronée.
315 En premier lieu, la Commission n’aurait pas correctement apprécié la situation concurrentielle dans le domaine de l’approvisionnement de base. À cet égard, la Commission se serait bornée à examiner dans quelles zones d’approvisionnement de base les parties à la concentration étaient en mesure de se remplacer l’une l’autre, en tant que fournisseur de base, ce qui constituerait une analyse incomplète.
316 En deuxième lieu, la requérante soutient que la Commission n’aurait pas enquêté sur l’impact exercé par le regroupement des portefeuilles clients des parties à la concentration au sein de leurs zones d’approvisionnement de base par rapport aux autres fournisseurs, en particulier dans le contexte de la capacité croissante d’E.ON à évincer des concurrents.
317 En troisième lieu, la requérante fait valoir que la Commission n’a pas suffisamment apprécié les effets de la disparition de la concurrence entre E.ON et innogy.
318 En quatrième lieu, la requérante fait valoir que la Commission n’a pas suffisamment tenu compte de la puissance grandissante d’E.ON en termes de finances que lui conféraient des avantages concurrentiels.
319 La Commission, soutenue par E.ON, fait valoir qu’elle a fait une appréciation complète, sans commettre d’erreur, des effets de la concentration sur les marchés de fourniture au détail d’électricité et de gaz.
320 En premier lieu, il convient de constater, en ce qui concerne la prétendue appréciation erronée de la situation concurrentielle sur les marchés de la fourniture au détail d’électricité et de gaz aux ménages et aux petits clients commerciaux dans le cadre de l’approvisionnement de base, que le Tribunal a déjà conclu, aux points 252 et 283 ci-dessus, que la Commission n’a commis aucune erreur manifeste d’appréciation en constatant, aux points 91 et 147 de la décision attaquée, que l’approvisionnement de base en électricité et en gaz devait être considéré comme un marché de produits distinct et comme étant de dimension locale, limité à la zone de fourniture de base concernée.
321 À cet égard, la Commission a également indiqué, aux points 265 et 331 de la décision attaquée, que, étant donné qu’une seule entreprise était désignée comme fournisseur de base d’électricité et de gaz dans chaque zone d’approvisionnement de base constituant un marché distinct, cette entreprise était, de facto pour l’électricité, et de jure pour le gaz, en situation de monopole dans cette zone. De ce fait, la Commission a conclu, aux points 265 et 331 de la décision attaquée, que la concentration aurait des effets directs ou indirects limités sur ces marchés.
322 Premièrement, il importe de relever que la requérante ne remet pas en cause le fait que, en raison du monopole de jure affectant les zones d’approvisionnement de base, il n’y a pas de concurrence entre les différentes zones d’approvisionnement de base et donc de possibles effets anticoncurrentiels. Or, la requérante n’explique pas comment le fait que les parts de marché d’E.ON peuvent atteindre localement 69 % dans les zones d’approvisionnement de base peut, en soi, constituer une entrave significative à la concurrence effective dans le marché d’approvisionnement de base ou un indice d’une telle entrave. En effet, à la suite de la concentration, ce ne sont pas les parts de marché d’E.ON dans un marché ou dans une zone d’approvisionnement de base qui ont augmenté, mais le nombre de zones où E.ON joue le rôle de fournisseur de base. C’est donc sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation que la Commission a conclu que les effets directs de la concentration sur ces marchés seraient, tout au plus, limités.
323 Deuxièmement, quant à la possible réduction des chances des concurrents de devenir fournisseurs de base dans le cadre du contrôle trisannuel, il ressort de la décision attaquée que, en dépit de l’inexistence d’un risque probable que la concentration ait un effet matériel direct sur ces marchés, la Commission a consacré, néanmoins, une grande partie de la section 7.2.2.1 de la décision attaquée à examiner les possibles effets indirects, à savoir si la concentration pouvait renforcer la capacité d’E.ON à conserver le statut de fournisseur de base dans certaines zones locales et, ce faisant, pouvait réduire les incitations à fixer les prix des contrats spéciaux de manière concurrentielle.
324 À cet égard, la Commission a constaté, au point 266 de la décision attaquée, que, en effet, le statut de fournisseur de base était déterminé tous les trois ans par le GRD compétent et était attribué au fournisseur d’électricité qui avait le plus de clients résidentiels dans la région, y compris les clients sous contrat d’approvisionnement de base et les clients sous contrat spécial et y compris s’agissant de l’électricité utilisée pour le chauffage. Ainsi, comme l’a indiqué la Commission au même point de la décision attaquée, la détermination de l’approvisionnement de base dépend du nombre de clients résidentiels sous contrat spécial et les stratégies de prix sur les contrats spéciaux peuvent avoir des effets sur le marché de l’approvisionnement de base.
325 Cependant, bien que, en théorie, les parties à la concentration puissent combiner leur clientèle de ménages et de petits clients commerciaux du fait de la concentration pour augmenter leurs chances de conserver le rôle de fournisseur de base ou de l’obtenir, il convient de constater que, comme la Commission l’a indiqué, au point 268 de la décision attaquée, seuls les clients détenus par une entité juridique sont comptabilisés aux fins de la détermination de l’approvisionnement de base, par opposition à la combinaison des clients de toutes les entités détenues par la même société mère. La Commission a estimé, à cet égard, que, si la stratégie de vider certaines entités juridiques pour renforcer la clientèle d’une autre entité du groupe ou de regrouper les clients sous une seule entité juridique était rentable, les parties auraient très probablement déjà essayé de la mettre en œuvre avant la concentration, ce qu’elle n’a pas observé.
326 À cet égard, la requérante se borne à invoquer cette possible théorie du dommage sans toutefois apporter de preuves étayant que, en effet, cette stratégie était déjà mise en œuvre par les parties à la concentration, du fait du nombre de marques et de filiales qu’elles contrôlaient avant la concentration. Or, il y a lieu de noter que, si les parties à la concentration avaient une réelle incitation à essayer de protéger leurs zones de base ou d’accéder à de nouvelles zones, elles auraient déjà probablement regroupé des marques ou des entités, dès lors qu’il est constant que les parties à la concentration possédaient déjà un nombre important de marques et de filiales avant la concentration. La requérante n’indique pas non plus les raisons pour lesquelles le risque d’engager cette stratégie se verrait accru à la suite de la concentration. Vu le manque d’indices de la réalité de cette théorie du dommage, il convient de conclure que la requérante n’a pas démontré que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en constatant que le risque d’un tel effet indirect était limité.
327 En tout état de cause, la Commission a constaté, au point 269 de la décision attaquée, que les parties à la concentration étaient rarement les concurrentes les plus proches l’une de l’autre, et que, le plus souvent, c’étaient les régies municipales qui étaient le deuxième plus grand fournisseur des ménages, et, au point 270 de la décision attaquée, que, d’après les documents internes d’E.ON, cette entreprise n’avait considéré innogy comme le deuxième fournisseur d’une zone qu’une seule fois. La Commission a également constaté, au point 271 de la décision attaquée, que, dans les zones où l’une des parties à la concentration était le fournisseur de base, l’autre partie avait généralement une faible part de clientèle, à savoir 5 % ou moins. Il en découle donc que, bien que la stratégie soit théoriquement possible, la Commission a prouvé à suffisance que les parties à la concentration ne seraient pas en mesure d’en profiter matériellement, compte tenu du chevauchement régional limité de leurs clients.
328 Troisièmement, la requérante estime que la Commission n’a pas analysé les effets liés, d’une part, à l’inertie des clients pour changer de fournisseur de base local et, d’autre part, au fait que le fournisseur de base approvisionne la plupart des clients bénéficiant de contrats spéciaux au sein de sa zone. À cet égard, il y a lieu de constater que la requérante se borne, encore une fois, à souligner le défaut d’investigation de la Commission, mais n’explique pas quelle conclusion la Commission aurait dû tirer sur les effets sur les zones de base. Le Tribunal estime que ces éléments ne sont pas pertinents, dans la mesure où les circonstances tenant aux clients bénéficiant de contrats spéciaux gagnés en raison du statut de fournisseur de base ou à l’inertie des clients de base d’innogy ou d’E.ON ne changent pas du fait de la concentration. Cela exclut un effet direct, dans la mesure où, ainsi qu’il a été expliqué au point 322 ci-dessus, il n’y a pas de concurrence directe entre les différentes zones de fourniture de base. Quant aux effets indirects, la requérante n’explique pas dans quelle mesure ces facteurs pourraient avoir comme impact le renforcement de la capacité d’E.ON à conserver ou à gagner le statut de fournisseur de base dans certaines zones.
329 La Commission pouvait donc considérer, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, que la concentration n’entraverait pas de manière significative l’exercice d’une concurrence effective sur le marché de la fourniture au détail d’électricité et de gaz aux ménages et aux petits clients commerciaux dans le cadre de l’approvisionnement de base en Allemagne.
330 En deuxième lieu, s’agissant de l’impact exercé par le regroupement des portefeuilles clients des parties à la concentration sur le marché de la fourniture au détail d’électricité et de gaz aux ménages et aux petits clients commerciaux dans le cadre de contrats spéciaux, il convient de rappeler que, dans le cadre de son appréciation des effets anticoncurrentiels d’une opération de concentration, la Commission compare les conditions de concurrence telles qu’elles résulteraient de l’opération notifiée avec celles que connaîtrait le marché si la concentration n’avait pas lieu (arrêt du 23 mai 2019, KPN/Commission, T 370/17, EU:T:2019:354, point 115).
331 Il convient de relever que l’existence de parts de marché d’une grande ampleur est hautement significative et que le rapport entre les parts de marché détenues par les parties à la concentration et par leurs concurrents, en particulier ceux qui les suivent immédiatement, constitue un indice valable de l’existence d’une position dominante ou d’une entrave significative à une concurrence effective. En outre, une part de marché particulièrement faible détenue par l’une des parties à la concentration tend à suggérer, prima facie, l’absence d’entrave significative à une concurrence effective, surtout lorsque les autres opérateurs disposent de parts de marché beaucoup plus importantes (voir, en ce sens, arrêt du 23 février 2006, Cementbouw Handel & Industrie/Commission, T 282/02, EU:T:2006:64, point 201).
332 Il ressort du point 17 des lignes directrices sur l’appréciation des concentrations horizontales au regard du règlement du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO 2004, C 31, p. 5, ci-après les « lignes directrices »), d’une part, que seule une part de marché particulièrement élevée de 50 % et plus peut, en elle-même, constituer la preuve de l’existence d’une position dominante sur le marché et, d’autre part, que, si avec une part de marché inférieure à 50 % l’opération de concentration peut néanmoins soulever des problèmes de concurrence, c’est en raison d’autres facteurs, comme, notamment, la puissance des concurrents et leur nombre (arrêt du 7 juin 2013, Spar Österreichische Warenhandels/Commission, T 405/08, non publié, EU:T:2013:306, point 59).
333 En outre, selon le considérant 32 du règlement no 139/2004 et le point 18 des lignes directrices, les concentrations qui, en raison de la part de marché limitée des entreprises concernées, ne sont pas susceptibles d’entraver une concurrence effective peuvent être présumées compatibles avec le marché intérieur. Cette présomption s’applique notamment lorsque la part de marché des entreprises concernées ne dépasse 25 % ni dans le marché intérieur ni dans une partie substantielle de celui-ci.
334 C’est donc au vu de ces considérations qu’il convient de déterminer si, en l’espèce, la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en qualifiant de manière erronée les effets sur le marché de la fourniture au détail d’électricité aux ménages et aux petits clients commerciaux dans le cadre des contrats spéciaux par le regroupement des portefeuilles clients des parties à la concentration.
335 Premièrement, en l’espèce, il ressort des points 274 et 333 de la décision attaquée que les parts de marché d’E.ON sur les marchés de la fourniture aux ménages et aux petits clients commerciaux dans le cadre de contrats spéciaux en Allemagne atteignent entre 5 % et 10 %, à savoir [confidentiel] (1), pour l’électricité, et entre 5 % et 10 %, à savoir moins de [confidentiel], pour le gaz. Les parts de marché d’innogy se situent entre 10 % et 20 %, à savoir [confidentiel], pour l’électricité, et entre 5 % et 10 %, à savoir moins de [confidentiel], pour le gaz.
336 À cet égard, dans l’arrêt du 7 juin 2013, Spar Österreichische Warenhandels/Commission (T 405/08, non publié, EU:T:2013:306, point 61), le Tribunal a conclu que la Commission n’avait pas méconnu les lignes directrices en estimant que la part de marché commune aux parties à la concentration était « modérée » en tenant compte d’une part de marché commune aux parties à la concentration tant de 35,1 que de 35,5 %.
337 Ainsi, les parts de marché cumulées des parties à la concentration, s’élevant entre 15 % et 30 %, à savoir [confidentiel], pour l’électricité, et entre 10 % et 20 %, à savoir moins de [confidentiel], pour le gaz, constituent à tout le moins une forte indication que la concentration n’est pas susceptible d’entraver une concurrence effective sur les marchés de la fourniture au détail d’électricité et de gaz aux ménages et aux petits clients commerciaux dans le cadre des contrats spéciaux en Allemagne.
338 Deuxièmement, la Commission a tenu compte d’autres facteurs. Elle a notamment constaté qu’il existait un grand nombre de concurrents, que les parties à la concentration n’étaient pas des concurrentes proches et que les barrières à l’entrée sur le marché étaient relativement faibles et la pression concurrentielle considérable.
339 Tout d’abord, il ressort du point 275 de la décision attaquée et de la page 253 du document de l’Office fédéral des ententes citée dans la note en bas de page no 281 de la décision attaquée que, selon l’analyse des données fournies par 808 GRD concernant le nombre de fournisseurs, dans plus de 89 % des zones de réseau, plus de 50 fournisseurs étaient actifs et, dans 71 % des zones de réseau, plus de 100 fournisseurs étaient actifs en 2017, de sorte que, en moyenne, chaque client pouvait choisir entre plus de 120 fournisseurs en Allemagne en 2017. En outre, plus de 1 000 fournisseurs d’électricité sont actifs en Allemagne, y compris EnBW et Vattenfall, qui ont entre 5 et 10 % des parts de marché chacune, et EWE, Mainova et Stadtwerke München, qui en ont moins de 5 % chacune. La Commission a constaté, également, aux points 334 et 335 de la décision attaquée, que, en moyenne, les consommateurs de gaz en Allemagne pouvaient choisir entre près de 116 fournisseurs dans leur zone de réseau, que le nombre moyen de fournisseurs par zone n’avait cessé d’augmenter ces dernières années et que les fournisseurs venaient parfois de l’extérieur du secteur, comme c’était notamment le cas de Shell. Par ailleurs, plus de 1 000 fournisseurs de gaz sont actifs en Allemagne, y compris EnBW, qui cumule une part de marché s’élevant entre 5 et 10 %, et EWE, Mainova, Enercity et Rheinenergie, qui possèdent moins de 5 % de parts de marché chacune. De même, les marchés de la fourniture d’électricité et de gaz sont généralement considérés par l’Office fédéral des ententes comme compétitifs, ainsi qu’il ressort des points 276 et 336 de la décision attaquée.
340 Ensuite, la Commission a constaté, aux points 277 et 337 de la décision attaquée, que les parties à la concentration n’étaient pas des concurrentes particulièrement proches pour la fourniture au détail d’électricité et de gaz dans le cadre des contrats spéciaux. En effet, la Commission a relevé que les clients qui se détournaient d’E.ON ou d’innogy dans leurs zones d’implantation se tournaient rarement vers, respectivement, innogy ou E.ON. Au maximum, 20 % des clients choisissaient l’autre partie à la concentration. De plus, la Commission a noté que rien dans les documents internes des parties à la concentration n’indiquait qu’elles se surveillaient mutuellement plus étroitement que les autres fournisseurs. De surcroît, la Commission a remarqué qu’E.ON et innogy n’accordaient pas une attention particulière à l’autre partie dans leurs décisions en matière de tarification. Enfin, la Commission a relevé que la majorité des concurrents ayant répondu à la première enquête de marché avaient indiqué qu’ils avaient été en mesure d’attirer des clients des parties à la concentration. De même, il ressort du point 278 de la décision attaquée que, dans le domaine de l’électricité, la majorité des répondants ont indiqué qu’il n’existait pas de segment de clientèle sur lequel E.ON et innogy étaient en concurrence particulièrement étroite et pour lequel il existait peu d’autres possibilités que les parties à la concentration. La majorité des répondants en concurrence avec les parties à la concentration ont indiqué qu’ils étaient en mesure d’attirer des clients de l’ensemble de la clientèle desdites parties.
341 En outre, la Commission a conclu, aux points 279 et 338 de la décision attaquée, que les barrières à l’entrée et à l’expansion sur le marché de la fourniture au détail d’électricité et du gaz étaient relativement faibles.
342 Enfin, la Commission a analysé, à titre subsidiaire, les effets de la concentration sur les hypothétiques marchés locaux de la fourniture au détail d’électricité et de gaz aux ménages et aux petits clients commerciaux dans le cadre de contrats spéciaux, aux points 281 à 290 pour l’électricité et aux points 339 à 350 de la décision attaquée pour le gaz. Cette analyse répond aux préoccupations que les régies municipales ont soulevées. Or, étant donné que, par ailleurs, la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation dans la définition du marché pertinent, ainsi qu’il ressort des points 268, 275 et 284 ci-dessus, la Commission n’était pas tenue de procéder à cette analyse, qui est donc effectuée à titre surabondant.
343 Troisièmement, la requérante invoque la circonstance qu’E.ON et RWE détiendraient des participations minoritaires dans des entreprises actives dans le secteur de l’énergie et reproche à la Commission de ne pas les avoir prises en considération. D’une part, force est de constater que la concentration M.8870 soumise au contrôle du Tribunal dans le cadre du présent recours concerne l’acquisition d’innogy par E.ON, et donc que RWE n’est pas une partie à la concentration. En ce sens, les participations minoritaires détenues par RWE ne sont pas pertinentes pour l’analyse des effets de la présente concentration. D’autre part, la requérante n’explique pas quelle incidence ces participations pourraient avoir pour l’analyse des entraves à la concurrence liées à la concentration. En effet, la requérante se borne à mentionner le nombre de participations de RWE et d’E.ON dans d’autres entreprises sans expliquer si celles-ci sont actives dans les marchés concernés, quelles positions elles occupent sur leurs marchés, comment leur relation avec RWE et E.ON pourrait entraver la concurrence ou si ces entraves hypothétiques seraient des conséquences propres à la concentration.
344 En outre, la Commission a pris en compte, lors de son appréciation de la concentration, des parts de marché des entreprises dans le capital desquelles innogy et E.ON détenaient des participations. À cet égard, la Commission a indiqué, dans les notes en bas de page nos 280 et 367 de la décision attaquée, pour l’électricité et le gaz respectivement, que, même si l’on ajoutait la totalité des parts de marché des sociétés dans lesquelles les parties à la concentration détenaient une participation minoritaire, cela augmenterait la part combinée des parties de moins de 5 %. La Commission a ajouté que, étant donné que ce pourcentage était limité et qu’il surestimait la participation financière réelle que les parties détenaient dans ces sociétés, elle considérait que les parts minoritaires des parties ne modifieraient pas sensiblement la position de ces dernières après la concentration et donc son appréciation relative à cette concentration.
345 De plus, il ressort du paragraphe 3 du point 287 de la décision attaquée que, selon l’analyse de la Commission, il n’y a pas de corrélation claire entre les marges d’E.ON et d’innogy sur les tarifs visant les consommateurs plus actifs et la position de l’autre partie à la concentration au niveau local, ce qui indique que les parties à la concentration ne sont pas des concurrents particulièrement proches dans certaines zones locales et que la concentration ne supprimerait pas une contrainte concurrentielle importante au niveau local.
346 Dans ces conditions, il convient de conclure que la Commission a analysé suffisamment, voire de manière exhaustive et extensive, et sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, les effets sur les marchés de la fourniture au détail d’électricité et de gaz aux ménages et aux petits clients commerciaux dans le cadre de contrats spéciaux.
347 En troisième lieu, s’agissant des effets de la disparition de la concurrence entre E.ON et innogy, la requérante soutient, en substance, que, à la suite de la concentration, E.ON serait en mesure de dissuader sa clientèle existante de changer de fournisseur, de récupérer des clients ou de se développer dans d’autres zones.
348 À cet égard, le Tribunal renvoie aux constatations faites aux points 338 et suivants qui montrent que la Commission a établi, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, qu’il existait une saine concurrence, que les parties à la concentration n’étaient pas des concurrentes proches et que les barrières d’entrée et d’expansion étaient faibles.
349 En quatrième lieu, s’agissant de la plus grande puissance financière d’E.ON à la suite de la concentration, la requérante reproche à la Commission, en substance, de ne pas avoir analysé les effets d’éviction au vu des possibles tarifs agressifs qu’E.ON pourrait pratiquer et des efforts publicitaires qu’elle pourrait engager. La requérante ne précise cependant pas quels marchés sont visés par ce reproche.
350 Il convient de constater, d’emblée, que la Commission a traité, aux points 291 à 299 de la décision attaquée, les préoccupations supplémentaires soulevées par les tiers quant à l’impact possible de la concentration sur la fourniture au détail d’électricité en Allemagne.
351 Tout d’abord, en ce qui concerne le risque de subventions croisées des contrats d’approvisionnement de base vers les contrats spéciaux, il ressort du point 292 de la décision attaquée que la Commission a analysé si les parties à la concentration pourraient utiliser les bénéfices importants générés sur le marché de l’approvisionnement de base afin de subventionner et de soutenir des politiques de prix très agressives sur le marché des contrats spéciaux. À cet égard, la Commission a estimé que cette théorie du dommage était peu probable, parce que, si ces stratégies étaient rentables, E.ON et innogy les auraient déjà mises en œuvre, étant donné qu’elles possédaient, avant la concentration, deux des plus grands portefeuilles de clients pour l’approvisionnement de base. Or, la Commission n’a pas trouvé d’indices de ce comportement lors de sa première enquête de marché et a constaté que, sur les sites Internet de comparaison des prix, certains fournisseurs, y compris des discompteurs et des régies municipales, pratiquaient systématiquement, ou occasionnellement, des prix inférieurs à ceux des parties à la concentration. En outre, au vu de l’entrée continue et de la présence d’un grand nombre de nouveaux concurrents, la Commission a considéré que ces stratégies n’avaient pas été mises en œuvre et que, même si elles l’avaient été, elles n’avaient pas permis d’évincer les concurrents ou d’empêcher l’entrée de tiers.
352 Ensuite, quant à la possible éviction de tiers des espaces publicitaires, la Commission a analysé, au point 293 de la décision attaquée, si les parties à la concentration pourraient occuper toutes les premières places dans les classements des sites Internet de comparaison des prix à la suite de la concentration. Elle a constaté que, à la suite de la concentration, E.ON devrait baisser les prix de ses marques en dessous du niveau optimal afin de les faire apparaître sur la première page du site Internet de comparaison des prix, évinçant ainsi les concurrents. Or, il est constant qu’E.ON avait déjà, avant la concentration, de nombreuses marques et des ressources financières importantes. Ainsi, une telle stratégie ne serait pas propre à la concentration.
353 Enfin, la Commission a noté qu’il était peu crédible qu’une compétitivité accrue de la part des parties à la concentration sur le marché allemand de la fourniture au détail d’électricité cause un préjudice aux consommateurs (point 297 de la décision attaquée), notamment en raison du fait que le marché allemand de la fourniture au détail d’électricité avait attiré de nombreuses entreprises et était aujourd’hui très fragmenté, avec plus de 1 000 fournisseurs (point 298 de la décision attaquée), ce qui rendait hautement improbable le fait qu’une stratégie de prédation puisse être rentable. De même, malgré les moyens importants dont les parties à la concentration disposaient avant la concentration, les prix les plus bas du marché étaient souvent proposés par des concurrents plus petits et nouveaux, et non par les parties à la concentration (point 299 de la décision attaquée).
354 À cet égard, le seul élément de preuve pertinent avancé par la requérante afin de contester les constatations de la Commission est l’étude LBD. Si la requérante cite également l’étude Innoplexia, il convient de rappeler que sa pertinence et sa valeur probante sont limitées pour les raisons détaillées au point 184 ci-dessus. De plus, la requérante fait un renvoi à cette annexe sans identifier suffisamment le passage qui étayerait ses affirmations.
355 Or, il convient de rappeler qu’il n’appartient pas au Tribunal de rechercher et d’identifier, dans les annexes, les moyens et arguments qu’il pourrait considérer comme constituant le fondement du recours, les annexes ayant une fonction purement probatoire et instrumentale (arrêts du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C 189/02 P, C 202/02 P, C 205/02 P à C 208/02 P et C 213/02 P, EU:C:2005:408, point 97, et du 14 décembre 2005, Honeywell/Commission, T 209/01, EU:T:2005:455, point 57). Cette fonction purement probatoire et instrumentale des annexes implique que, lorsqu’une annexe comporte des éléments de droit sur lesquels certains moyens articulés dans la requête sont fondés, de tels éléments doivent figurer dans le texte même du mémoire auquel cette annexe est jointe ou, à tout le moins, être suffisamment identifiés dans ce mémoire (arrêt du 7 mai 2009, NVV e.a./Commission, T 151/05, EU:T:2009:144, point 61). Par conséquent, il n’incombe pas au Tribunal d’examiner l’étude Innoplexia afin d’y trouver les éléments venant au soutien des allégations de la requérante.
356 Quant à l’étude LBD, elle indique, à la section 4.1 (pages 9 et suivantes), qu’E.ON s’est livrée à une course aux prix en février 2018. Selon la requérante, cela démontre qu’E.ON est capable d’influencer la structure globale des prix sur le marché et qu’elle propose des prix avec des marges négatives qu’aucun fournisseur plus petit ne pourrait appliquer. Quant aux prix pratiqués par innogy, ils sont, la plupart du temps, plus chers que le « top 5 » et elle enregistre les marges les plus élevées.
357 Il y a lieu de constater que cette étude montre, en effet, la réalisation de marges négatives pour la plupart des fournisseurs sur le marché de la fourniture au détail d’électricité aux ménages et aux petits clients commerciaux dans le cadre de contrats spéciaux. Néanmoins, d’une part, l’étude ne montre pas que, à la suite de la concentration, E.ON aura des capacités accrues pour proposer des prix avec des marges négatives. D’autre part, la pratique de prix avec des marges négatives par la plupart des concurrents ne fait de sens, d’un point de vue économique, que dans une situation de surcapacité où une guerre des prix est maintenue pour discipliner le marché afin que les concurrents les moins efficaces soient évincés, puis que les prix remontent et permettent de restaurer des marges positives pour ceux qui restent sur le marché. Or, de telles circonstances n’ont pas été invoquées.
358 En outre, la Commission identifie un défaut méthodologique dans l’étude LBD du fait que cette étude répercuterait les primes de conclusion des contrats sur la première année de fourniture et non sur la durée de validité totale du contrat, ce qui influence directement le niveau des marges affichées pour la première année de fourniture. Interrogée à l’audience à ce sujet, la requérante n’a pas utilement contesté la critique de la Commission.
359 Ainsi, la requérante n’a pas prouvé que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation quant à la création d’une capacité ou d’incitations pour une éventuelle stratégie de prix avec des marges négatives soutenues pour évincer les petits concurrents ou pour occuper toutes les premières places dans les classements des sites Internet de comparaison des prix.
360 Dans ces conditions, il convient de constater que la Commission a analysé les marchés à suffisance et a conclu sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation que la concentration n’entraverait pas de manière significative l’exercice d’une concurrence effective sur le marché de la fourniture au détail d’électricité et de gaz aux ménages et aux petits clients commerciaux dans le cadre des contrats spéciaux en Allemagne.
361 Partant, il y a lieu de rejeter le premier grief, tiré de l’appréciation erronée des effets sur les marchés de la fourniture au détail d’électricité et de gaz aux ménages et aux petits clients commerciaux en Allemagne.
b) Sur le deuxième grief, tiré de l’appréciation erronée des effets sur les marchés de la distribution d’électricité et de gaz
362 Par le deuxième grief, tiré de l’appréciation erronée des effets sur les marchés de la distribution d’électricité et de gaz, la requérante fait valoir, en substance, que la Commission a insuffisamment examiné les effets des activités développées sur ces marchés et en a aussi manifestement donné une appréciation erronée.
363 La Commission, soutenue par E.ON, fait valoir, en substance, qu’elle a établi et analysé les faits sans commettre d’erreur d’appréciation s’agissant des marchés de la distribution d’électricité et de gaz.
364 En premier lieu, la requérante allègue que les parties à la concentration sont susceptibles d’exercer une influence sur l’élaboration des normes techniques et réglementaires. Il convient, dès lors, d’analyser si l’appréciation de la Commission est entachée d’erreur manifeste d’appréciation, premièrement, en ce qui concerne les dispositions réglementaires de l’agence fédérale des réseaux, et, deuxièmement, s’agissant des règles fixées par d’autres organismes et d’autres associations.
365 Premièrement, s’agissant du reproche de la requérante selon lequel l’agence fédérale des réseaux devrait désormais axer les exigences réglementaires en priorité, voire exclusivement, sur les besoins d’E.ON, le Tribunal constate, d’emblée, que la Commission a analysé l’influence de la concentration sur la régulation exercée par l’agence fédérale des réseaux aux points 253 et suivants de la décision attaquée. À la lumière des affirmations de l’agence fédérale des réseaux, la Commission a conclu qu’il était peu probable que la concentration ait un impact significatif sur la compétence de l’agence fédérale des réseaux sur la réglementation des tarifs de réseau. À cet égard, la requérante n’apporte aucune preuve de l’influence qu’E.ON serait susceptible d’exercer et que, de surcroît, l’agence fédérale des réseaux elle-même dément, ni de la manière dont une telle influence pourrait constituer, en soi, un indice d’une entrave significative à la concurrence effective.
366 Deuxièmement, s’agissant de l’influence au sein d’importants organismes et associations qui fixent les normes, la Commission a analysé, aux points 246 et suivants de la décision attaquée, l’influence qu’E.ON serait susceptible d’exercer sur les organismes de réglementation et les associations de normalisation, notamment en ce qui concerne le forum technique et exploitation des réseaux de la Verband der Elektrotechnik Elektronik Informationstechnik e.V. (Association de l’électrotechnique, de l’électronique et des technologies de l’information, Allemagne) (ci-après la « VDE »). Eu égard aux échanges téléphoniques entre la Commission et la VDE des 17 mai et 24 juillet 2019 (notes en bas de page nos257 et 260 de la décision attaquée) et aux soumissions des parties à la concentration des 25 et 29 juillet 2019 (notes en bas de page nos 258 et 259 de la décision attaquée), la Commission a constaté, au point 252 de la décision attaquée, qu’il était peu probable que la concentration donnât à E.ON la capacité d’influencer indûment le processus décisionnel de la VDE, en ce qui concerne la fixation de normes techniques. En effet, ainsi qu’il ressort des points 248 et 249 de la décision attaquée, après la concentration, E.ON ne détiendrait aucune majorité au sein des divers comités directeurs chargés de nommer les membres des groupes de travail responsables de chaque norme technique et n’aurait potentiellement eu la majorité que dans un seul de ces groupes de travail.
367 Il est vrai que cette association est l’une de celles citées par la requérante et que la Commission a utilisé la dynamique de cette association particulière comme exemple.
368 À cet égard, le Tribunal doit considérer, dans le cadre de son contrôle, si les omissions dans l’analyse de la Commission sont susceptibles de mettre en cause sa conclusion selon laquelle la présente concentration ne soulève pas de doutes sérieux au regard de sa compatibilité avec le marché intérieur (voir, en ce sens, arrêt du 9 juillet 2007, Sun Chemical Group e.a./Commission, T 282/06, EU:T:2007:203, point 61 et jurisprudence citée).
369 Or, en l’espèce, la requérante n’apporte pas de preuves de nature à étayer les affirmations selon lesquelles E.ON disposerait d’une majorité dans les comités d’autres associations à la suite de la concentration. À cet égard, les documents de l’annexe A.19 apportés pour étayer l’existence de ces majorités se bornent à indiquer la présence d’E.ON et de RWE dans certaines associations en Allemagne, mais ils ne prouvent pas qu’E.ON aurait une telle majorité. En tout état de cause, la requérante ne démontre pas comment le fait pour E.ON de détenir une éventuelle majorité dans l’une ou l’autre de ces organisations pourrait donner lieu à une entrave significative à la concurrence effective.
370 Il convient donc de rejeter l’argument relatif à l’influence sur l’agence fédérale des réseaux et les autres organismes et associations.
371 En deuxième lieu, la requérante avance que, à la suite de la concentration, E.ON obtiendra des conditions plus avantageuses en matière d’équipements de réseau, de prestations de construction et de conception et de logiciels de réseau en raison de sa puissance d’achat accrue.
372 La Commission a analysé cette question aux points 262 et 263 de la décision attaquée. D’une part, quant à l’avantage par rapport aux petits GRD du fait qu’E.ON aura la priorité pour obtenir des services de réseau auprès des prestataires de services, dont la capacité à fournir ces services serait limitée, la Commission n’a pas identifié une quelconque pénurie dans la fourniture de services de réseau. En tout état de cause, elle a constaté, aux points 234 et 235 de la décision attaquée, qu’E.ON et innogy avaient déjà un poids plus important que la plupart des autres GRD avant la concentration.
373 D’autre part, la Commission a conclu que le verrouillage de la clientèle dans l’accès aux services de réseau des parties à la concentration était improbable, du fait que la plupart des services de réseau étaient principalement fournis et achetés localement, dès lors que, la concentration étant géographiquement complémentaire, il était peu probable qu’elle entrainât une augmentation significative du volume des achats au niveau local. La Commission a noté également que les services aux GRD ne constituaient qu’une partie de la demande disponible pour les fournisseurs actifs en amont.
374 Il convient donc d’en déduire que la Commission a tenu compte de la nature locale de ce type de services. Compte tenu du détail de l’analyse de la Commission en général et de l’analyse de la totalité des préoccupations concernant les services liés au réseau, il ne saurait être reproché à la Commission de ne pas avoir suffisamment enquêté. En réalité, la requérante reproche plutôt à la Commission de ne pas avoir tiré d’autres conclusions des informations et des preuves dont elle disposait.
375 Ainsi, selon la requérante, la Commission aurait dû conclure, premièrement, qu’E.ON obtiendra des prix et des conditions plus avantageux, deuxièmement, que les fournisseurs en gros d’électricité s’adapteront aux besoins d’E.ON, troisièmement, que les prestataires traiteront E.ON en priorité, et, quatrièmement, que les concurrents ne seraient pas en mesure de reproduire les prestations de soutien requises. Or, toutes les préoccupations de la requérante ne sont que de simples spéculations. La requérante ne fournit aucune indication sérieuse quant à la plausibilité de tels scénarios, ni quant à la manière dont ces scénarios pourraient conduire à une entrave significative de la concurrence effective.
376 Dans ces conditions, il convient de rejeter l’argument de la requérante sur les avantages anticoncurrentiels qu’E.ON obtiendrait sur les services liés au réseau.
377 En troisième lieu, la requérante soutient que la Commission a insuffisamment étudié et incorrectement apprécié les concessions de droits pour utiliser les lignes pour construire et exploiter des réseaux.
378 À cet égard, la Commission a analysé un certain nombre de scénarios hypothétiques dans lesquels la concentration pourrait causer un préjudice aux consommateurs de gaz et d’électricité, y compris la diminution de la concurrence dans les appels d’offres de concessions, aux points 224 à 236 de la décision attaquée. Il est constant que, en Allemagne, les municipalités organisent l’exploitation des réseaux de distribution en accordant des concessions aux GRD par le biais d’un appel d’offres pour installer et exploiter les réseaux de distribution de gaz et d’électricité sur leur territoire pendant 15 à 20 ans en moyenne (points 224 et 225 de la décision attaquée).
379 La requérante soulève plusieurs arguments relatifs aux effets anticoncurrentiels de la concentration sur lesdites concessions.
380 Premièrement, la requérante suggère que la Commission aurait dû envisager une période d’analyse de 20 ans avant la concentration pour pouvoir correctement analyser les effets de la concentration dans le domaine des concessions.
381 À cet égard, il y a lieu de relever que la Commission reconnaît, au point 224 de la décision attaquée, que la durée moyenne des contrats de concession est de 15 à 20 ans. Néanmoins, la Commission a considéré qu’un examen des concessions accordées sur une période de cinq ans avant la concentration était suffisante pour son analyse. Le choix de cette période a permis à la Commission de consulter plus de 1 000 procédures d’attribution de concessions. Il convient également de relever que les données perdent de leur valeur avec le temps en ce qui concerne les conditions de marché actuelles et futures. Ainsi, la Commission, en réduisant son analyse à une période d’environ 5 ans avant la concentration, a suffisamment analysé la concurrence pour les concessions et n’a donc pas commis d’erreur manifeste d’appréciation.
382 Deuxièmement, la requérante invoque la possibilité qu’E.ON soumette de meilleures offres pour la concession de droits grâce à sa puissance financière, à son expérience et aux éventuels effets de synergie.
383 À cet égard, la Commission a constaté, au point 231 de la décision attaquée, que les parties à la concentration ont principalement perdu des appels d’offres au profit des régies municipales. Au moins 90 % des concessions d’électricité perdues par E.ON ont été attribuées à des sociétés publiques ou semi-publiques, et au moins 80 % de ces concessions perdues par innogy sont allées à des régies municipales. La Commission a relevé que la situation pour le gaz était similaire.
384 En outre, quant aux possibles avantages des économies d’échelle accrues, la Commission a constaté, au point 235 de la décision attaquée, que, avant la concentration, les parties à la concentration étaient nettement plus grandes que la plupart des entreprises concurrentes, notamment les régies municipales. À cet égard, les parties à la concentration avaient surtout réussi à remporter des appels d’offres lorsqu’elles étaient déjà l’opérateur historique, mais elles avaient eu un succès limité dans l’acquisition de nouvelles concessions.
385 Dans ces conditions, il était raisonnable de conclure, compte tenu du fait que la Commission ne disposait d’aucun élément indiquant que les régies municipales perdaient de nouvelles concessions au profit des parties de taille importante, qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments indiquant que d’éventuelles économies d’échelle ou qu’une expérience antérieure liée à la participation à de tels appels d’offres conféreraient un avantage anticoncurrentiel à E.ON à la suite de la concentration.
386 À cet égard, la requérante avance des scénarios hypothétiques sans présenter d’éléments de preuve existant au moment de l’adoption de la décision attaquée. En effet, la requérante s’appuie sur l’étude BET pour étayer ses arguments. Or, cette enquête est d’une pertinence et d’une valeur probante limitées pour évaluer la situation concurrentielle au moment de l’adoption de la décision attaquée pour les raisons indiquées au point 179 ci-dessus. Par ailleurs, la requérante fait un renvoi aux pages 48 et suivantes de ladite étude et mentionne explicitement dans la requête les questions nos 39, 42, et 44 à 47b. En réponse à la question no 39, 80 % des 87 répondants ont indiqué que les parties à la concentration pourraient avoir des synergies. Cependant, rien n’indique que les entreprises ayant répondu à l’étude BET considéraient que ces synergies donnaient lieu à une entrave significative à une concurrence effective. Quant à la question no 42, elle contient, dans sa formulation, l’idée de départ selon laquelle les synergies entraîneraient des exigences d’efficacité plus élevées. Toutefois, l’étude ne fournit aucune preuve de cela. Sur cette base, 71 % des répondants comprennent qu’ils ne seraient pas en mesure d’atteindre ces exigences. Cependant, le fait de savoir si ces exigences seront réalisées ne ressort pas clairement de l’étude. Il suffit de noter que, au total, plus de deux tiers des répondants confirment, en réponse à la question no 43, que les concessions qui leur ont été attribuées n’ont pas été contestées par E.ON ou innogy. Cela confirme les conclusions de la Commission selon lesquelles la concurrence entre les parties à la concentration en matière de concessions est très limitée.
387 Ainsi, la requérante n’a fourni aucune indication pertinente suffisante, de nature à démontrer une erreur manifeste d’appréciation de la part de la Commission, et permettant d’affirmer que, à la suite de la concentration, E.ON serait en mesure de proposer de meilleures offres pour les concessions, et encore moins que, si tel était le cas, cela pourrait être anticoncurrentiel. Au contraire même, si la concentration permettait à E.ON de faire de meilleures offres, cela pourrait se révéler positif pour la concurrence. Des effets préjudiciables pour la concurrence ne pourraient, en théorie, survenir que si, à plus long terme, les parties à la concentration étaient en mesure de monopoliser le marché dès lors qu’aucun concurrent ne serait en mesure de s’aligner sur la structure de coûts des parties, ainsi que la Commission l’a rappelé, à juste titre, au point 234 de la décision attaquée.
388 Troisièmement, la requérante estime que les parties à la concentration étaient des concurrentes proches du fait qu’elles auraient été en concurrence sur plus de 100 concessions entre 2010 et 2015. À cet égard, il suffit de constater que la Commission, en examinant plus de 1 000 procédures de concession ayant eu lieu entre 2013 et 2017, a constaté, aux points 228 et 229 de la décision attaquée, que les parties à la concentration n’étaient pas en concurrence étroite, du fait qu’elles avaient participé aux mêmes appels d’offres dans moins de 5 % des cas. Il ressort également de la note en bas de page no 244 de la décision attaquée que la Commission a analysé si les parties à la concentration avaient participé à de telles procédures par l’intermédiaire d’entreprises dans lesquelles elles détenaient des participations minoritaires. Ainsi, la Commission a établi à suffisance l’absence de chevauchement significatif entre les parties à la concentration dans les différentes procédures de concession.
389 Quatrièmement, s’agissant de la présence d’E.ON sur tout le territoire national allemand, ce qui pourrait octroyer un avantage à E.ON pour s’étendre aux régions voisines à celles dans lesquelles elle est déjà présente, la Commission a constaté, au point 230 de la décision attaquée, que les appels d’offres auxquels les parties à la concentration avaient participé entre 2013 et 2017 n’étaient pas concentrés dans une région particulière et n’étaient pas toujours situés près de la limite des zones GRD d’E.ON et d’innogy. La Commission a également constaté, au point 231 de la décision attaqué, cité au point 383 ci-dessus, la forte contrainte concurrentielle exercée par les régies municipales. Il ressort de ce qui précède que la Commission a suffisamment analysé la proximité concurrentielle des parties à la concentration et la pression concurrentielle exercée par les régies municipales.
390 Cinquièmement, il est constant entre les parties qu’il y a une tendance à la remunicipalisation. Il ressort des points 232 et 233 de la décision attaquée que les parties à la concentration et plusieurs répondants à la première enquête de marché avaient constaté une tendance à la remunicipalisation des réseaux. Cependant, la requérante identifie un risque d’affaiblissement de cette tendance dans un proche avenir du fait des possibles stratégies de découragement ciblées pratiquées par E.ON. À cet égard, la Commission a analysé, au point 236 de la décision attaquée, les possibles tactiques contentieuses visant à retarder délibérément le transfert des concessions que les parties à la concentration ont perdues (sham litigation).
391 Sur ce point, il convient de rappeler que le Tribunal a déjà eu l’occasion d’indiquer qu’une action en justice pouvait parfois constituer un abus de position dominante. Pour ce faire, deux conditions cumulatives doivent être réunies. En premier lieu, il faut que l’action en justice ne puisse être raisonnablement considérée comme visant à faire valoir les droits de l’entreprise en cause et ne puisse dès lors servir qu’à harceler la partie adverse. En second lieu, l’action doit être conçue dans le cadre d’un plan ayant pour but d’éliminer la concurrence (voir arrêt du 13 septembre 2012, Protégé International/Commission, T 119/09, non publié, EU:T:2012:421, point 49 et jurisprudence citée).
392 En l’espèce, la Commission a conclu au point 236 de la décision attaquée, à juste titre, que ces tactiques ne pouvaient être imputées à la concentration, en ce sens que la concentration n’est pas susceptible d’accroître les incitations des parties à la concentration à poursuivre des stratégies de ce type. Il convient de relever, à cet égard, que, à supposer même que l’existence de ces tactiques soit avérée, la requérante n’explique pas comment les incitations à adopter de telles tactiques par les parties à la concentration augmenteraient à la suite de celle-ci, et n’a donc pas prouvé d’erreur manifeste d’appréciation de la part de la Commission.
393 Sixièmement, la requérante conteste la marge d’appréciation des municipalités dans la concession de droits. En effet, E.ON a fait valoir, lors de la procédure administrative, que les municipalités disposaient d’un large pouvoir discrétionnaire pour sélectionner, pondérer et concevoir les critères d’attribution, notamment s’agissant de la prise en compte des intérêts municipaux (point 226 de la décision attaquée). Il est constant, à cet égard, que la municipalité établit les critères d’attribution. En revanche, la requérante conteste le fait que la municipalité ait une marge pour sélectionner, pondérer et concevoir ces critères. Toutefois, s’il était vrai, comme le prétend la requérante, que les municipalités n’avaient aucune marge de manœuvre en matière de sélection et que les parties à la concentration étaient plus efficaces et tiraient avantage de leur puissance financière, d’économies d’échelle et de leur expérience en matière de concessions, les parties à la concentration devraient déjà avoir remporté un nombre important de concessions au détriment de concurrents plus petits, ce qui n’est pas le cas, ainsi qu’il a été indiqué, en substance, au point 385 ci-dessus. En tout état de cause, compte tenu de l’absence d’éléments concrets présentés par la requérante et du fonctionnement normal des procédures de concession, il n’apparaît pas plausible que les municipalités ne disposent pas d’une marge de manœuvre suffisante, d’autant plus que certains des critères à prendre en compte sont subjectifs. Ainsi, une récente modification des dispositions statutaires relatives aux appels d’offres de concessions, mise en œuvre en 2017, a introduit la « prise en compte des intérêts municipaux » en tant que critère légitime dans les appels d’offres de concession, comme le constate la Commission, au point 232 de la décision attaquée.
394 Eu égard à ce qui précède, la Commission a analysé toutes les préoccupations de la requérante et n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation quant aux concessions.
395 En quatrième lieu, s’agissant de la possibilité de proposer des offres groupées en tant que GRD, la requérante n’étaye pas ses affirmations et n’avance pas d’indices permettant de conclure que, à la suite de la concentration, E.ON aura des possibilités accrues de proposer des offres groupées. Il ne s’agit que de spéculations sur des scénarios hypothétiques. En particulier, la requérante n’explique pas pourquoi les parties à la concentration ne disposeraient pas déjà de telles capacités, alors qu’elles sont déjà des opérateurs de réseau présents tout au long de la chaîne de valeur, ni pourquoi les concurrents ne seraient pas en mesure de produire également de telles offres et, le cas échéant, quels effets anticoncurrentiels pourraient être attendus.
396 À cet égard, s’agissant de la possibilité d’offres groupées, la Commission indique, dans le mémoire en défense, que l’exploitation du réseau est, en effet, indépendante des autres domaines d’activité des entreprises d’approvisionnement énergétique en raison d’exigences légales. En tout état de cause, E.ON disposait déjà, avant la concentration, d’une puissance financière et elle aurait déjà pu proposer des offres groupées, de sorte qu’un tel comportement ne saurait être considéré comme propre à la concentration.
397 En cinquième lieu, la requérante affirme, sans étayer de quelconque manière son affirmation, que la Commission n’aurait pas pris en considération les interactions résultant d’effets de substitution, d’effets en chaîne et d’effets de domino sur des marchés géographiquement limités voisins. Toutefois, la requérante n’explique pas en quoi ces facteurs sont pertinents, ni comment une entrave significative à la concurrence effective pourrait en être déduite.
398 Au vu de l’ensemble de ce qui précède, il convient de rejeter le deuxième grief, tiré de l’appréciation erronée des effets sur les marchés de la distribution d’électricité et de gaz.
c) Sur le troisième grief, tiré de l’appréciation erronée des effets sur les marchés des services de comptage et de l’électromobilité
399 La requérante affirme, en substance, que la Commission n’a pas apprécié suffisamment et correctement les effets de la concentration sur les marchés des services de comptage et de l’électromobilité.
400 La Commission conteste les arguments de la requérante.
1) Sur les marchés des services de comptage
401 S’agissant des effets de la concentration sur le marché des services de comptage, il y a lieu de remarquer que, au point 355 de la décision attaquée, la Commission a constaté que le marché des services de comptage de l’électricité et du gaz des nGPC et les sous-marchés potentiels en fonction du produit mesuré étaient également des monopoles au niveau de la zone de réseau, l’opérateur de réseau étant le seul opérateur de point de comptage habilité. En outre, la Commission a indiqué, au point 356 de la décision attaquée, que le marché des services de comptage de l’électricité et du gaz des cGPC était un marché émergent en Allemagne et que la part de marché cumulée en Allemagne des parties à la concentration était de moins de 5 %, même en divisant davantage les sous-marchés. La Commission en a conclu que ces marchés n’étaient pas affectés par la concentration.
402 La requérante soulève plusieurs arguments relatifs aux effets anticoncurrentiels de la concentration sur les marchés des services de comptage.
403 Premièrement, s’agissant de l’argument de la requérante relatif aux effets de substitution, en chaîne et de domino que la position d’E.ON en tant que nGPC pourrait entraîner dans les municipalités dans lesquelles elle détient la concession d’exploitation du réseau de distribution d’électricité et de gaz, il convient de le rejeter pour les mêmes raisons que celles exposées au point 397 ci-dessus.
404 En tout état de cause, la Commission a indiqué, aux points 406 à 409 de la décision attaquée, que la concentration n’entraverait pas de manière significative l’exercice d’une concurrence effective en raison des effets non coordonnés résultant des liens verticaux entre les marchés en amont des réseaux de distribution de gaz et d’électricité exploités par les GRD et les marchés en aval des services de comptage des cGPC en Allemagne. En effet, elle a relevé que la concentration ne changeait pas la capacité d’E.ON à évincer les concurrents cGPC, car les GRD étaient des monopoles locaux avant et après la concentration. Elle a également considéré que les incitations à l’éviction étaient faibles et n’augmentaient pas sensiblement en raison de la concentration, dès lors que, premièrement, la part de marché cumulée en Allemagne des parties à la concentration dans le marché émergent des services de comptage de l’électricité et du gaz des cGPC était de moins de 5 %, deuxièmement, le marché en était encore à ses débuts et le développement était globalement encore très faible, troisièmement, il y avait des entrants sur le marché provenant également d’autres secteurs, et, quatrièmement, la réglementation obligeait les GRD à garantir un raccordement au réseau et une utilisation du réseau non discriminatoires. Il en résulte donc que, contrairement à ce que soutient la requérante, la Commission a analysé les effets verticaux entre ces deux marchés.
405 Deuxièmement, la requérante fait valoir que, à la suite de la concentration, E.ON devient le premier concurrent avec 41 % des points de prélèvement en tant que nGPC et dispose d’une part de marché d’au moins 44,14 % compte tenu de la longueur du réseau, ou de plus de 50 % compte tenu du nombre de communes desservies.
406 À cet égard, il convient de rappeler que la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation quant à la définition du marché des services de comptage, ainsi qu’il a été établi au point 311 ci-dessus. De ce fait, les parts de marché des parties à la concentration en tant que nGPC ne sont pas pertinentes pour l’analyse du marché des services de comptage de l’électricité et du gaz des cGPC.
407 En tout état de cause, il convient de constater que la requérante se borne à utiliser ses propres données sans expliquer les raisons pour lesquelles les données utilisées par la Commission ne seraient pas correctes.
408 Or, il ne saurait suffire à la requérante d’utiliser des données différentes de celles utilisées par la Commission dans la décision attaquée aux fins d’établir l’erreur manifeste d’appréciation commise par la Commission sans apporter d’élément concret de nature à démontrer que la prise en compte des données dans la décision attaquée constitue une erreur manifeste d’appréciation de la Commission (voir, en ce sens, arrêt du 7 juin 2013, Spar Österreichische Warenhandels/Commission, T 405/08, non publié, EU:T:2013:306, point 156).
409 Il résulte de ce qui précède que la requérante n’a pas démontré que les données utilisées par la Commission et pertinentes pour le calcul des parts de marché étaient incorrectes. Par conséquent, la requérante n’a pas établi que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en considérant que les marchés relatifs aux nGPC et aux cGPC n’étaient pas affectés par la concentration.
410 Troisièmement, s’agissant de la capacité de performance requise pour satisfaire aux exigences en matière de ressources humaines et techniques dans les services de comptage et la présence nationale d’E.ON, le Tribunal constate que la Commission a procédé à plusieurs appréciations de la présence de fournisseurs de services en marque blanche qui seraient à disposition pour assurer la gestion des stations de mesure.
411 Quant à une possible définition de marché, la Commission a conclu, au point 358 de la décision attaquée, que la concentration ne donnait pas lieu à un marché affecté pour les services en marque blanche ou à des sous-marchés potentiels. À cet égard, il ressort de la note en bas de page no 180 de la décision attaquée que la Commission a considéré que les services en marque blanche, du moins au moment de l’adoption de la décision attaquée et dans un avenir proche, étaient plus susceptibles de jouer un rôle concernant les marchés où il existait une obligation de fournir certains services, qui pouvaient ensuite être externalisés. Par conséquent, la Commission n’a pas considéré un marché des services en marque blanche pour le comptage du gaz et de l’électricité comme un marché cGPC, le marché cGPC étant encore à ses débuts et seuls les acteurs disposant d’une capacité propre étant aptes à se lancer dans cette activité. Au point 178 et dans la note en bas de page no 186 de la décision attaquée, la Commission a indiqué qu’elle considérait que les services en marque blanche aux nGPC et cGPC étaient susceptibles d’avoir une portée nationale, étant donné que la plupart, sinon tous les nGPC et cGPC étaient encore des monopoles locaux et que, pour avoir une base de clients d’une certaine taille, il fallait une couverture géographique plus large. En outre, la Commission a constaté, au point 359 de la décision attaquée, que la part de marché cumulée des parties à la concentration ne dépassait pas les 5 % sur un sous-marché potentiel de services en marque blanche pour le comptage de l’électricité et du gaz.
412 La Commission a également apprécié les effets verticaux entre le marché des nGPC en aval et les services en marque blanche en amont, aux points 414 à 417 de la décision attaquée. D’une part, elle a conclu que la concentration n’entraverait pas de manière significative l’exercice d’une concurrence effective en raison des effets non coordonnés résultant des liens verticaux entre ces deux marchés, du fait que, en aval, les nGPC étaient des monopoles locaux et qu’il n’y avait donc pas de concurrence, et que la part de marché des parties à la concentration dans les services en marque blanche était de moins de 5 %. D’autre part, en amont, la concentration ne changeait ni la capacité d’évincer les fournisseurs de services en marque blanche, car les nGPC étaient déjà des monopoles locaux, ni les incitations à verrouiller, qui n’augmentaient pas sensiblement, compte tenu de la position très limitée des parties à la concentration sur le marché en amont des services en marque blanche et de l’augmentation mineure due à la concentration.
413 De même, la Commission a constaté, aux points 178 et 407 de la décision attaquée, l’existence d’entrées sur le marché et l’absence de barrières à l’entrée. Ainsi, aucun obstacle perceptible ne viendrait limiter l’offre de ces services à une certaine région, étant donné que la plupart des nGPC et cGPC fournissent également de tels services en marque blanche et que les nouveaux entrants comme Telefónica ou Deutsche Telekom, qui ne faisaient pas partie du secteur, entrent sur le marché national.
414 À cet égard, la requérante ne fournit aucune preuve pour remettre en question les conclusions de la Commission concernant les fournisseurs de services en marque blanche, qui, selon la Commission, seraient disponibles pour répondre aux besoins des nGPC et cGPC ne disposant pas des capacités nécessaires au bon fonctionnement des compteurs.
415 S’agissant du fait que, en raison de leurs statuts ou du droit communal allemand, certains concurrents communaux potentiels ne peuvent intervenir qu’au niveau local, la Commission a estimé, à juste titre, que cela n’aurait toutefois qu’une importance secondaire pour la concurrence, étant donné que seules quelques rares entreprises étaient visées par de telles interdictions absolues.
416 Quatrièmement, s’agissant des prétendus bénéfices tirés des économies d’échelle et du pouvoir d’achat en tant que nGPC, la Commission a constaté, aux points 362 et 363 de la décision attaquée, que certaines hypothèses, notamment en ce qui concerne les coûts et les économies d’échelle pour E.ON et innogy et d’autres acteurs, n’avaient pas été justifiées. Pour étayer cette théorie du dommage, la requérante renvoie à l’étude LBD et à l’étude BET.
417 Le graphique 7, à la page 17 de l’étude LBD auquel la requérante renvoie, montre la tarification des marques d’innogy dans la zone de base de LSW Energie GmbH & Co. KG, mais la requérante n’explique pas comment ce graphique peut étayer l’existence de bénéfices tirés des économies d’échelle et du pouvoir d’achat à la suite de la concentration.
418 En s’appuyant sur l’étude BET, la requérante fait valoir que les répondants à l’enquête s’attendent à ce que le marché soit fermé à l’apparition de nouveaux acteurs. Or, cette enquête est d’une pertinence et d’une valeur probante limitées pour apprécier la situation concurrentielle à la date d’adoption de la décision attaquée, pour les raisons indiquées au point 179 ci-dessus. De plus, les réponses aux questions nos 62, 63, 65 et 71 ne sont pas de nature à contredire les constatations faites par la Commission, telles que détaillées au point 413 ci-dessus, en ce qui concerne l’absence de barrières à l’entrée et l’arrivée de nouveaux concurrents sur le marché.
419 En tout état de cause, la requérante n’explique pas comment l’étude LBD et l’étude BET seraient de nature à remettre en cause les conclusions de la Commission en ce qui concerne l’absence d’affectation des marchés des services de comptage et surtout le manque de plausibilité des allégations liées aux économies d’échelle. En effet, la Commission a contesté, au point 363 de la décision attaquée, l’allégation selon laquelle seuls certains grands acteurs seraient en mesure de fournir des services d’exploitation de compteurs intelligents de manière rentable. La Commission a constaté, à cet égard, qu’une telle éventualité était peu probable, parce que, tout d’abord, le matériel des passerelles pour compteurs intelligents et l’infrastructure nécessaire étaient fournis par plusieurs fournisseurs indépendants, ensuite, l’exploitation commerciale était possible à partir de 100 000 à 300 000 compteurs intelligents, ce qui représentait une faible proportion du nombre total de compteurs, de plus, les fournisseurs ayant moins de compteurs pouvaient toujours coopérer pour atteindre de plus grandes échelles, et, enfin, l’arrivée sur le marché de grands acteurs extérieurs au secteur de l’énergie montrait que l’entrée sur le marché et, partant, la concurrence, étaient possibles.
420 Il convient donc de rejeter les arguments de la requérante relatifs au marché des services de comptage.
2) Sur le marché de l’électromobilité
421 S’agissant du marché de l’électromobilité, en premier lieu, la requérante reproche à la Commission d’avoir erronément apprécié la situation concurrentielle hors autoroute au niveau local.
422 À cet égard, tout d’abord, le Tribunal observe que la Commission a constaté, au point 381 de la décision attaquée, que la part de marché cumulée des parties à la concentration en termes de points de charge pour les véhicules électriques hors autoroute en Allemagne était inférieure à 20 %, et cela même en supposant un marché distinct pour les bornes de recharge normales et pour les bornes de recharge rapides. Ensuite, la Commission a constaté, au point 384 de la décision attaquée, que les parties à la concentration exploitaient très peu de stations de recharge publiques ultrarapides en dehors des autoroutes et que de nombreux concurrents importants tels qu’Allego, EnBW ou Ionity avaient des plans d’expansion pour des bornes de recharge ultrarapides, d’une taille similaire ou supérieure à celle desdites parties. En outre, la Commission a constaté, au point 385 de la décision attaquée, que, à l’échelle nationale, il existait plusieurs concurrents présents et futurs comme Deutsche Telekom ou Volkswagen, et que cette dernière avait également annoncé son intention d’entrer sur le marché de l’électromobilité et envisageait de construire des bornes de recharge publiques pour véhicules électriques dans les installations de ses 4 000 concessionnaires automobiles et stations-service partenaires en Europe. Enfin, au point 386 de la décision attaquée, la Commission a constaté que, même dans les 16 zones locales hors autoroute qu’elle avait identifiées, dans lesquelles la part de marché cumulée des parties à la concentration était supérieure à 25 % ou le delta de l’indice Herfindahl-Hirschman supérieur à 150, la concentration n’était pas susceptible d’entraver de manière significative la concurrence, dès lors que, premièrement, d’autres concurrents, y compris des acteurs spécialisés dans l’électromobilité et des régies municipales, étaient présents, deuxièmement, dans certaines de ces régions, des concurrents avaient annoncé des plans d’expansion, troisièmement, l’augmentation de capacité liée à la concentration était souvent inférieure à 10 % des parts de marché et, quatrièmement, certaines des zones se trouvant à proximité immédiate de grandes villes ou d’autres municipalités étaient soumises, par ce fait, à une pression concurrentielle.
423 Il en résulte que la Commission a procédé à une analyse cohérente et complète, y compris hors autoroute, des éléments concurrentiels du point de vue du plus petit marché concevable, notamment à la lumière des parts de marché des parties à la concentration, de leur proximité concurrentielle, de la structure du marché et des barrières à l’entrée.
424 En second lieu, la requérante avance plusieurs arguments relatifs aux effets anticoncurrentiels de la concentration sur le marché de l’électromobilité. Ainsi, sur la base de l’étude BET, la requérante fait valoir, en substance, premièrement, que les petits fournisseurs ne pourront pas développer un réseau de recharge à l’échelle nationale, deuxièmement, que les économies d’échelle réalisées par E.ON grâce à la concentration auront un effet d’éviction et, troisièmement, que la disparition d’innogy élimine la plupart de la concurrence.
425 À cet égard, la Commission a conclu que la concentration n’entraverait pas de manière significative l’exercice d’une concurrence effective en raison d’effets horizontaux non coordonnés résultant des chevauchements des activités des parties à la concentration sur les marchés de l’installation et de l’exploitation de bornes de recharge hors autoroute en Allemagne notamment pour les raisons détaillées au point 422 ci-dessus.
426 S’agissant des constatations de la requérante s’appuyant sur l’étude BET, il convient d’ajouter au caractère limité de la pertinence et de la valeur probante de cette étude (voir point 179 ci-dessus) que cette étude n’est pas suffisamment représentative de l’état de la concurrence sur le marché de l’électromobilité, puisque les participants sont seulement des entreprises d’approvisionnement énergétique et des GRD, alors que, dans ce secteur, sont actives des entreprises venant d’autres secteurs, comme Deutsche Telekom, Volkswagen, Ionity, Shell ou BP, ainsi que des entreprises spécialisées dans l’électromobilité telles que Fastned, eLoaded, ChargePoint ou Allego.
427 La requérante indique également que, d’après la page 19 de la présentation reflétant la situation du marché au 9 janvier 2019 de LBD Beratungsgesellschaft, la part de marché d’E.ON après la concentration s’élève, dès à présent, à 33 %. De cette présentation, il ressort que la part de marché combinée d’E.ON et d’innogy serait plutôt de 21,2 %. Or, la requérante n’explique pas d’où proviennent les 12 % de différence. En outre, cette présentation de la requérante montre également la présence de plusieurs concurrents avec des parts de marché non négligeables, comme [confidentiel]. Ces pourcentages se situent dans la marge des estimations et sont conformes aux conclusions de la Commission, qui considère que les parts de marché d’E.ON à la suite de la concentration ne dépasseront pas 20 % et qu’il y a plusieurs concurrents sur le marché.
428 En tout état de cause, la requérante se borne à utiliser ses propres données sans expliquer les raisons pour lesquelles les données utilisées par la Commission ne seraient pas correctes. Or, ainsi qu’il a été rappelé au point 408 ci-dessus, il ne saurait suffire à la requérante d’utiliser des données différentes de celles utilisées par la Commission dans la décision attaquée aux fins d’établir l’erreur manifeste d’appréciation commise par la Commission sans apporter d’élément concret de nature à démontrer que la prise en compte des données dans la décision attaquée est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation. Il résulte de ce qui précède que la requérante n’a pas démontré que les données utilisées par la Commission étaient incorrectes.
429 La requérante indique que la Monopolkommission (commission des monopoles, Allemagne) a mis en évidence, dans le cadre de son septième rapport sectoriel sur l’énergie de 2019, des concentrations régionales préoccupantes et une absence de concurrence au niveau local. Il convient de noter que ledit rapport étant postérieur à l’adoption de la décision attaquée, la Commission ne pouvait pas en disposer, de sorte qu’il est sans pertinence aux fins de l’appréciation de la légalité de la décision attaquée, conformément à la jurisprudence citée au point 168 ci-dessus. En tout état de cause, la vue d’ensemble du marché donnée dans ce rapport ne remet nullement en cause l’analyse des facteurs locaux telle que détaillée au point 422 ci-dessus. Le Tribunal note que, des pages 96 et suivantes de ce rapport, il ressort que le marché de l’électromobilité est un marché émergent. Plus spécifiquement, il ressort du point 244 dudit rapport, que, ainsi que la Commission l’a constaté dans la décision attaquée, « il est certes impossible de prévoir l’évolution future de la mobilité électrique ». En tout état de cause, la requérante n’identifie pas quels éléments particuliers de cet élément de preuve seraient de nature à démontrer l’existence d’une erreur manifeste imputable à la Commission.
430 Ainsi, la requérante n’a pas démontré que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en ce qui concerne le marché de l’électromobilité.
431 Il résulte de l’ensemble de ce qui précède qu’il convient de rejeter le troisième grief, tiré de l’appréciation erronée des effets sur les marchés des services de comptage et de l’électromobilité.
d) Sur le quatrième grief, tiré de l’appréciation erronée des effets des solutions clients fondées sur les données des clients
432 La requérante fait valoir que la Commission n’a traité les solutions clients fondées sur les données dans le domaine de l’énergie que de manière très sommaire, notamment en ce qui concerne les mégadonnées, ainsi que les produits groupés innovants, aux points 428 à 432 de la décision attaquée.
433 En premier lieu, s’agissant des mégadonnées, l’amélioration de l’accès à un large éventail de données, notamment dans le cadre de la multiplication des compteurs intelligents et de la mise en place d’un marché pour les cGPC, constituerait un facteur de compétitivité essentiel, dans la mesure où ces données permettraient de connaître plus facilement les besoins des consommateurs et de mieux adapter les produits et les services aux clients. À cet égard, E.ON aurait une connaissance plus importante des ménages et des petits clients commerciaux, du comportement d’utilisation et de recharge des utilisateurs d’infrastructures de recharge et de la gestion concurrentielle des stations de mesure. Selon la requérante, la Commission n’a pas suffisamment examiné ces points.
434 En deuxième lieu, E.ON bénéficierait d’un avantage concurrentiel en ce qui concerne les solutions innovantes et les offres groupées.
435 En troisième lieu, la requérante soutient que la forte présence des parties à la concentration sur le marché à la suite de la concentration facilitera les ventes croisées.
436 La Commission, soutenue par E.ON, fait valoir qu’elle a suffisamment examiné les effets des solutions clients fondées sur les données des clients sans commettre d’erreur d’appréciation.
437 Il convient de constater que la Commission a analysé d’autres théories du dommage dans la section 7.4 de la décision attaquée. La Commission a notamment analysé les théories du dommage liées à l’accès aux données de clients aux points 422 à 427 et les offres groupées de services liés à l’énergie aux points 428 à 435.
438 En premier lieu, s’agissant de l’accès aux données, la Commission a constaté, au point 423 de la décision attaquée, qu’E.ON n’aurait pas accès, à la suite de la concentration, à des types de données plus variés que ceux déjà disponibles pour chacune des parties avant la concentration, mais qu’elle aurait accès à davantage d’informations du même type. La Commission en a déduit que le fait de disposer d’un plus grand nombre d’informations du même type n’ajoutait pas nécessairement de la valeur et que les économies d’échelle qu’elles pourraient apporter seraient réduites. De même, la Commission a constaté, aux points 424 et 425 de la décision attaquée, qu’il ressortait de la première enquête de marché qu’il existait une grande incertitude quant à la quantité minimale et au type de données nécessaires pour développer de nouvelles solutions énergétiques. En outre, la Commission a analysé le risque d’éviction et constaté qu’il ressortait de la première enquête de marché que plusieurs concurrents, y compris des régies municipales, proposaient ou développaient déjà différentes solutions axées sur les données, seuls ou en coopération avec d’autres acteurs. De même, la première enquête de marché et les documents internes des parties à la concentration montraient que de grandes entreprises comme Google, Amazon, Samsung, Bosch, Phillips, proposaient déjà, également en coopération avec de petits détaillants d’énergie, des services ou produits liés à la maison intelligente et aux données, ou envisageaient de le faire. Par ailleurs, la Commission a noté, au point 427 de la décision attaquée, que la réglementation de la collecte et de l’utilisation de données devrait réduire le risque de comportements abusifs ou discriminatoires de la part d’entreprises verticalement intégrées.
439 À cet égard, la requérante soutient que la Commission n’a pas suffisamment analysé l’accès aux données des clients, mais elle ne fournit aucune preuve qu’E.ON sera en mesure d’agir différemment à la suite de la concentration qu’avant celle-ci, étant donné son accès déjà étendu aux données des clients. La requérante ne fournit pas non plus de preuves quant au préjudice concret qui résulterait de la fourniture d’offres mieux adaptées aux clients. En outre, en soi, fournir des offres mieux adaptées pourrait être bénéfique aux consommateurs, si cela ne conduit pas à la monopolisation du marché en évinçant les concurrents du marché. Ainsi, en l’absence de preuves d’éventuels effets d’éviction, la requérante n’a pas prouvé que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation.
440 En second lieu, s’agissant des solutions innovantes et des offres groupées, la Commission a noté, aux points 432 à 435 de la décision attaquée, que plusieurs concurrents, y compris certains petits, proposaient ou développaient déjà aujourd’hui des offres groupées, le concept de regroupement de produits étant courant dans le secteur. Elle a indiqué que ces concurrents proposaient ces offres seuls ou en coopération, qu’un certain nombre d’acteurs multinationaux s’intéressaient aux offres groupées et aux plateformes énergétiques et qu’il était probable qu’ils disposaient de capacités de vente croisée et de ressources financières comparables à celles des parties à la concentration. Enfin, elle a relevé que certaines de ces entreprises étaient de grandes sociétés financièrement solides déjà actives sur les marchés dits « Business-to-Consumer » (B2C), à savoir des entreprises qui ciblent des clients individuels particuliers dans d’autres marchés, et qu’elles disposaient donc déjà d’une large base de clientèle à laquelle elles pourraient vendre de manière croisée.
441 À cet égard, la requérante ne donne aucune indication relative à des informations qui auraient été à la disposition de la Commission avant l’adoption de la décision attaquée et qui permettraient de penser que la puissance financière d’E.ON, les ventes groupées ou croisées ou, plus généralement, les solutions innovantes résultant de la concentration pourraient avoir des effets anticoncurrentiels. La requérante ne fournit pas non plus de preuves de nature à nier la présence et l’entrée sur le marché de concurrents capables d’exercer une pression concurrentielle sur les parties à la concentration ou l’absence de preuves d’obstacles à l’entrée ou à l’expansion. La requérante ne présente aucun élément de preuve pour étayer l’allégation selon laquelle, après la concentration, le portefeuille d’E.ON s’étendra en raison de l’acquisition de capacités jusqu’alors indisponibles. Au contraire, il existait une complémentarité géographique des portefeuilles d’E.ON et d’innogy avant la concentration, de sorte que, après cette concentration, E.ON aura les mêmes capacités, mais dans plus d’endroits. Il en ressort que les affirmations de la requérante constituent des hypothèses non étayées qui ne remplissent pas le niveau de preuve requis.
442 Au vu de l’ensemble de ce qui précède, il convient de rejeter le quatrième grief, tiré de l’appréciation erronée des effets des solutions clients fondées sur les données des clients.
e) Sur le cinquième grief, tiré de la répartition des marchés de l’électricité décidée par RWE et E.ON
443 La requérante soutient, en substance, que la répartition, entre E.ON et RWE, des étapes de la chaîne de valeur du secteur de l’électricité comporte une restriction de concurrence prohibée, car contraire à l’article 101 TFUE.
444 La Commission, soutenue par RWE, fait valoir qu’elle ne disposait d’aucun indice d’une violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.
445 Quant à la prétendue répartition du marché de l’électricité issue de l’opération globale, la requérante soutient, en substance, que, par celle-ci, RWE et E.ON se sont complètement réparti le marché de l’électricité, ce qui représente une restriction de la concurrence, en violation de l’article 101 TFUE.
446 Il convient de relever que, ainsi qu’il résulte de l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, ce dernier est seul applicable aux concentrations telles que définies à l’article 3 de ce règlement, pour lesquelles le règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), ne trouve, en principe, pas à s’appliquer. En revanche, ce dernier règlement demeure applicable aux comportements des entreprises qui, sans constituer une opération de concentration au sens du règlement no 139/2004, sont néanmoins susceptibles d’aboutir à une coordination entre elles contraire à l’article 101 TFUE et qui, pour ce motif, sont soumis au contrôle de la Commission ou des autorités de concurrence nationales (arrêt du 7 septembre 2017, Austria Asphalt, C 248/16, EU:C:2017:643, points 32 et 33).
447 Le fait que l’objet de la décision attaquée concerne une opération de concentration n’est pas contesté. Eu égard à ce qui précède, le grief tiré d’une violation de l’article 101 TFUE est inopérant.
f) Sur le sixième grief, tiré de l’appréciation des effets des engagements
448 La requérante fait valoir que les engagements offerts par E.ON et rendus obligatoires par la Commission seraient limités, en ce qui concerne l’Allemagne, aux marchés de l’électricité utilisée pour le chauffage et des bornes de recharge pour véhicules électriques sur les autoroutes, et qu’ils ne seraient pas de nature à écarter les doutes existants en matière de concurrence.
449 En premier lieu, la cession de quelques 260 000 clients sur le marché de l’électricité utilisée pour le chauffage concernerait un marché différent du marché de la fourniture au détail d’électricité aux ménages et aux petits clients commerciaux sur lequel la concentration causerait des dommages à la concurrence.
450 En second lieu, l’abandon de l’exploitation de 34 bornes de recharge sur les autoroutes, sur les plus de 11 000 que détenait E.ON avant la concentration, n’aurait aucun effet de protection de la concurrence.
451 La Commission soutient que ce grief est irrecevable du fait que la requérante ne précise pas quelles auraient été les obligations nécessaires. À titre subsidiaire, la Commission fait valoir que des obligations supplémentaires n’étaient pas nécessaires.
452 Il convient d’analyser la fin de non-recevoir soulevée par la Commission selon laquelle ce grief serait irrecevable du fait que la requérante ne précise pas quelles auraient été les obligations nécessaires.
453 À cet égard, il convient de rappeler qu’il appartient à la partie requérante de démontrer en quoi les appréciations contenues dans la décision attaquée sont erronées (voir, en ce sens, arrêt du 18 mai 2022, Wieland-Werke/Commission, T 251/19, non publié, EU:T:2022:296, point 438).
454 Il y a également lieu de rappeler que, en vertu de l’article 21 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 76, sous d), du règlement de procédure du Tribunal, la requête introductive d’instance doit contenir un exposé sommaire des moyens invoqués. Cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant sans autre information à l’appui. La requête doit, de ce fait, expliciter en quoi consiste le moyen sur lequel le recours est fondé, de sorte que sa seule énonciation abstraite ne répond pas aux exigences du règlement de procédure. Des exigences analogues sont requises lorsqu’un grief est invoqué au soutien d’un moyen (voir arrêt du 18 mai 2022, Wieland-Werke/Commission, T 251/19, non publié, EU:T:2022:296, point 59 et jurisprudence citée).
455 En l’espèce, la requérante se borne à affirmer que les engagements ne répondent pas aux problèmes de concurrence, mais elle n’explique pas pourquoi ce serait le cas et ne fournit aucune preuve que les engagements sont inadéquats pour résoudre directement et suffisamment les problèmes identifiés au cours de la procédure de contrôle de la concentration, sans qu’il fût nécessaire d’adresser une communication des griefs.
456 Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que la requérante n’a avancé aucun argument visant à établir que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en concluant que les engagements proposés par E.ON étaient de nature à rendre la concentration compatible avec le marché intérieur. Ainsi, elle n’a pas mis la Commission en mesure de préparer adéquatement sa défense et n’a pas permis au Tribunal de statuer sur la question de savoir si la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation lors de son analyse des engagements proposés par E.ON.
457 Ainsi, il y a lieu de déclarer ce grief comme étant irrecevable.
g) Conclusion sur la troisième branche du cinquième moyen
458 Étant donné qu’il convient de rejeter tous les griefs, il y a lieu de rejeter la troisième branche du cinquième moyen dans son ensemble.
6. Conclusion
459 Au vu de l’ensemble de ce qui précède, il convient de conclure que, contrairement à ce que soutient la requérante, la Commission n’a pas commis d’erreurs manifestes d’appréciation en considérant que, sous réserve du respect des engagements définitifs, la concentration ne soulevait pas de doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché intérieur, au sens de l’article 8, paragraphe 2, du règlement no 139/2004.
460 Il en résulte qu’il convient de rejeter l’ensemble du cinquième moyen.
F. Sur le sixième moyen, tiré de la violation de l’obligation de diligence
461 La requérante fait valoir, en substance, que la Commission n’a pas suffisamment établi les faits pertinents en violation de son obligation de diligence. Ainsi, la Commission n’aurait pas constaté, avec circonspection et soin, les circonstances susceptibles d’avoir une incidence sur le résultat du processus décisionnel, notamment du fait que la Commission aurait mené des investigations insuffisantes en omettant d’examiner des circonstances essentielles de la fourniture au détail d’électricité et de gaz aux ménages et aux petits clients commerciaux, du domaine des réseaux de distribution et du domaine de l’innovation.
462 La Commission conteste les arguments de la requérante.
463 Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dans les cas où les institutions de l’Union disposent d’un pouvoir d’appréciation, comme dans le domaine du contrôle des concentrations, le respect des garanties conférées par l’ordre juridique de l’Union dans les procédures administratives revêt une importance d’autant plus fondamentale. Parmi ces garanties figurent, notamment, l’obligation pour l’institution compétente d’examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce, le droit de l’intéressé de faire connaître son point de vue ainsi que celui de voir motiver la décision de façon suffisante (arrêts du 21 novembre 1991, Technische Universität München, C 269/90, EU:C:1991:438, point 14, et du 6 juillet 2010, Ryanair/Commission, T 342/07, EU:T:2010:280, point 31).
464 Dans le domaine du contrôle des concentrations, la Commission dispose, selon une jurisprudence bien établie, d’une marge d’appréciation, notamment pour ce qui est des appréciations d’ordre économique. Le respect par celle-ci des garanties conférées par l’ordre juridique de l’Union dans les procédures administratives, dont l’obligation de diligence qui lui impose d’examiner avec soin et impartialité tous les éléments pertinents du cas d’espèce, prend donc, dans ledit domaine, d’autant plus d’importance (voir arrêt du 7 mai 2009, NVV e.a./Commission, T 151/05, EU:T:2009:144, point 164 et jurisprudence citée).
465 La Commission étant soumise, dans ce domaine, au respect de l’obligation de diligence dans le cadre de son action, il lui incombe de constater, avec le soin nécessaire, les éléments de fait et de droit dont dépend l’exercice de son pouvoir d’appréciation en rassemblant les éléments factuels indispensables à l’exercice dudit pouvoir et susceptibles d’avoir une incidence significative sur le résultat du processus décisionnel. Cette obligation implique, premièrement, que la Commission est tenue de prendre en considération tant les éléments factuels et les informations qui lui sont soumis par les parties notifiantes que ceux soumis par tout autre tiers participant activement à la procédure et, deuxièmement, qu’elle est tenue, le cas échéant, de rechercher lesdits éléments factuels par le biais d’enquêtes de marché ou de demandes de renseignements adressées aux acteurs du marché (arrêt du 7 mai 2009, NVV e.a./Commission, T 151/05, EU:T:2009:144, point 165).
466 Cependant, il y a lieu de relever que, dans ce domaine, l’exigence du respect par la Commission des garanties conférées par l’ordre juridique de l’Union dans les procédures administratives, et donc également celle du respect de l’obligation de diligence, doit être interprétée, à l’instar de celle du respect du devoir de motivation, d’une façon compatible avec l’impératif de célérité qui caractérise l’économie générale du règlement no 139/2004 et qui impose à la Commission de respecter des délais stricts lorsqu’elle exerce son pouvoir d’appréciation (voir arrêt du 7 mai 2009, NVV e.a./Commission, T 151/05, EU:T:2009:144, point 166 et jurisprudence citée).
467 À la lumière des constatations faites notamment dans le cadre du cinquième moyen, il ne saurait être nié que la Commission a examiné avec le soin nécessaire tous les éléments de fait et de droit pertinents, puisqu’elle a pris en considération tous les éléments factuels et les informations fournis tant par la partie notifiante que par les tiers ayant participé à la procédure. La Commission a également fait ses propres recherches par le biais de ses enquêtes de marché et de sa demande de renseignements adressées aux acteurs du marché. Il ressort d’ailleurs clairement de la décision attaquée que la Commission a tenu compte des résultats de ces recherches.
468 Il convient, dès lors, de rejeter le sixième moyen.
G. Sur la demande de production de documents
469 Dans la requête, la requérante demande au Tribunal d’inviter la Commission à produire les dossiers M.8870 et M.8871 afférents aux discussions entre elle-même et les parties à la concentration ayant eu lieu avant et pendant la procédure de contrôle des concentrations, à la notification isolée des différentes parties de l’opération, et au changement d’avis de la Commission au cours de la procédure.
470 La Commission indique, à cet égard, que la requérante n’explique pas sur quel fondement juridique elle appuie cette demande. Si la requérante entendait appuyer sa demande sur le règlement no 1049/2001, elle serait irrecevable, puisque le Tribunal ne serait pas compétent pour s’en saisir.
471 Dans la réplique, la requérante précise, en substance, que cette demande doit être interprétée comme une demande d’adoption de mesure d’organisation de la procédure, au sens de l’article 88 du règlement de procédure. À cet égard, elle fait valoir avoir indiqué avec suffisamment de précision l’objet de la mesure sollicitée et les circonstances de nature à la justifier. Sur ce dernier point, elle considère qu’une telle production de documents est nécessaire afin de garantir un contrôle approprié de la décision attaquée, dans la mesure où les seules indications figurant dans l’exposé des motifs de celle-ci seraient loin d’être suffisantes pour que le Tribunal puisse effectuer son contrôle et rendre une décision.
472 La Commission, dans la duplique, rétorque que, même s’il y avait lieu d’interpréter la demande de la requérante comme une demande d’adoption de mesure d’organisation de la procédure, il conviendrait de la rejeter. En effet, d’une part, ladite demande ne serait pas assez précise. D’autre part, elle serait tardive, car introduite au stade de la réplique. Enfin, tous les aspects pertinents pour l’examen du Tribunal auraient déjà été introduits dans la procédure.
473 Il est exact que, dans le cadre de la requête, la requérante ne précise pas que sa demande est formulée au titre d’une demande d’adoption de mesure d’organisation de la procédure au sens de l’article 88, paragraphe 1, du règlement de procédure. Néanmoins, il ressort de manière suffisamment claire du point 29 de la requête que cette demande a été formulée aux fins de la présente procédure. En effet, la requérante soutient que c’est pour permettre au Tribunal de contrôler efficacement la procédure et le processus décisionnel de la Commission qu’elle souhaite la communication des documents mentionnés au point 469 ci-dessus.
474 Partant, il y a lieu d’interpréter la demande de la requérante comme une demande d’adoption de mesure d’organisation de la procédure, au sens de l’article 88, paragraphe 1, du règlement de procédure.
475 Celle-ci ayant été formulée dès le stade de la requête, elle est, contrairement à ce que soutient la Commission, recevable.
476 Quant à la nécessité d’adopter une telle mesure d’organisation de la procédure, il convient de rappeler qu’il appartient au Tribunal de décider de la nécessité de faire usage de son pouvoir d’adopter des mesures d’organisation de la procédure ou des mesures d’instruction afin de compléter les éléments d’information dont il dispose, étant entendu que le caractère probant ou non des pièces de la procédure relève de son appréciation souveraine des faits (voir, en ce sens, arrêts du 16 juillet 2009, Der Grüne Punkt – Duales System Deutschland/Commission, C 385/07 P, EU:C:2009:456, point 163, et du 11 juin 2015, EMA/Commission, C 100/14 P, non publié, EU:C:2015:382, point 80).
477 En l’espèce, il a été établi, dans le cadre de l’examen du deuxième moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation, que la décision attaquée était suffisamment motivée pour permettre à la requérante de comprendre les raisons ayant conduit la Commission à l’adopter et au Tribunal d’exercer son contrôle. De surcroît, la requérante n’a pas apporté d’indices sérieux permettant d’établir l’utilité des documents demandés aux fins de l’instance. Partant, le Tribunal n’estime pas nécessaire d’avoir accès auxdits documents pour trancher le présent litige.
478 Il n’y a donc pas lieu de faire droit à la demande d’adoption de mesure d’organisation de la procédure de la requérante.
IV. Sur les dépens
479 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission, par E.ON et par RWE, conformément aux conclusions de ces dernières.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (cinquième chambre élargie)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) Stadtwerke Hameln Weserbergland GmbH supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne, par E.ON SE et par RWE AG.