TUE, 4e ch. élargie, 17 mai 2023, n° T-321/20
TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE
Arrêt
Annulation
PARTIES
Demandeur :
enercity AG
Défendeur :
Commission européenne, République fédérale d’Allemagne, E.ON SE, RWE AG
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gervasoni
Juges :
M. Madise, M. Nihoul, Mme Frendo, M. Martín y Pérez de Nanclares
Avocats :
Me Schalast, Me Löschan, Me Haus, Me Schmidt, Me Grave, Me Barth, Me dos Santos Goncalves, Me Scholz, Me Siegmund, Me Ziebarth
ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre élargie)
17 mai 2023 (*)
« Concurrence – Concentrations – Marché de l’électricité allemand – Décision déclarant la concentration compatible avec le marché intérieur – Recours en annulation – Absence de qualité pour agir – Absence de participation active – Irrecevabilité »
Dans l’affaire T 321/20,
enercity AG, établie à Hanovre (Allemagne), représentée par Mes C. Schalast et H. Löschan, avocats,
partie requérante,
contre
Commission européenne, représentée par MM. G. Meessen et I. Zaloguin, en qualité d’agents, assistés de Mes F. Haus et F. Schmidt, avocats,
partie défenderesse,
soutenue par
République fédérale d’Allemagne, représentée par M. J. Möller et Mme S. Costanzo, en qualité d’agents,
par
E.ON SE, établie à Essen (Allemagne), représentée par Mes C. Grave, C. Barth et D.-J. dos Santos Goncalves, avocats,
et par
RWE AG, établie à Essen, représentée par Mes U. Scholz, J. Siegmund et J. Ziebarth, avocats,
parties intervenantes,
LE TRIBUNAL (quatrième chambre élargie),
composé, lors des délibérations, de MM. S. Gervasoni, président, L. Madise, P. Nihoul, Mme R. Frendo et M. J. Martín y Pérez de Nanclares (rapporteur), juges,
greffier : Mme S. Jund, administratrice,
vu la phase écrite de la procédure,
à la suite de l’audience du 17 juin 2022,
rend le présent
1 Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, enercity AG, demande l’annulation de la décision C(2019) 1711 final de la Commission, du 26 février 2019, déclarant une concentration compatible avec le marché intérieur et avec l’accord EEE (affaire M.8871 – RWE/E.ON Assets) (JO 2020, C 111, p. 1, ci-après la « décision attaquée »).
Antécédents du litige
Entreprises en cause
2 RWE AG est une société de droit allemand qui intervenait, au moment de la notification de l’opération de concentration envisagée, dans l’ensemble de la chaîne de fourniture d’énergie, y compris dans les domaines de la production, de la fourniture en gros, du transport, de la distribution, du commerce de détail d’énergie, ainsi que des services énergétiques aux consommateurs (tels que le relevé de compteur, la mobilité électrique, etc.). RWE et ses filiales, y compris innogy SE, opèrent dans plusieurs États européens, à savoir en Belgique, en République tchèque, en Allemagne, en France, en Italie, au Luxembourg, en Hongrie, aux Pays Bas, en Pologne, en Roumanie, en Slovaquie et au Royaume Uni.
3 E.ON SE est une société de droit allemand qui opérait, au moment de la notification de l’opération de concentration envisagée, sur l’ensemble de la chaîne de fourniture d’électricité, qu’il s’agisse de production, de vente en gros, de distribution ou de commerce de détail d’électricité. E.ON possède et exploite des actifs de production d’électricité dans plusieurs États européens dont l’Allemagne, la France, l’Italie, la Pologne et le Royaume-Uni.
4 La requérante est une régie municipale allemande qui produit et fournit de l’énergie en Allemagne.
Contexte de la concentration
5 La concentration en cause en l’espèce s’inscrit dans le cadre d’un échange complexe d’éléments d’actifs entre RWE et E.ON, annoncé les 11 et 12 mars 2018 par les deux entreprises concernées. Ainsi, par le biais de la première opération, à savoir la concentration en cause en l’espèce, RWE souhaite acquérir le contrôle exclusif ou le contrôle en commun de certains actifs de production d’E.ON. La deuxième opération consiste en l’acquisition par E.ON du contrôle exclusif des activités de distribution et de commerce de détail ainsi que de certains actifs de production d’innogy contrôlée par RWE. Quant à la troisième opération, elle prévoit que RWE acquière 16,67 % des parts d’E.ON.
6 La requérante a envoyé, le 24 juillet 2018, un courrier à la Commission européenne par lequel elle lui a indiqué souhaiter participer à la procédure relative aux première et deuxième opérations de concentration et, par conséquent, recevoir les documents afférents.
7 Le 3 octobre 2018, une réunion s’est tenue entre la requérante et la Commission.
8 La deuxième opération de concentration a été notifiée à la Commission le 31 janvier 2019. La Commission a, eu égard à cette deuxième opération, adopté la décision C(2019) 6530 final, du 17 septembre 2019, déclarant une concentration compatible avec le marché intérieur et avec l’accord EEE (affaire M.8870 – E.ON/Innogy) (JO 2020, C 379, p. 16, ci-après la « concentration M.8870 »).
9 La troisième opération de concentration a été notifiée au Bundeskartellamt (Office fédéral des ententes, Allemagne) qui l’a autorisée par décision du 26 février 2019 (affaire B8-28/19).
Procédure administrative
10 Le 22 janvier 2019, la Commission a reçu notification d’une proposition de concentration en application de l’article 4 du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO 2004, L 24, p. 1), par laquelle RWE souhaitait acquérir, au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous b), dudit règlement, le contrôle exclusif ou le contrôle en commun de certains actifs de production d’E.ON.
11 Le 31 janvier 2019, la Commission a procédé à la publication au Journal officiel de l’Union européenne de la notification préalable de cette concentration (affaire M.8871 – RWE/E.ON Assets) (JO 2019, C 38, p. 22, ci-après la « concentration M.8871 »), conformément à l’article 4, paragraphe 3, du règlement no 139/2004.
12 Dans le cadre de son examen de la concentration M.8871, la Commission a réalisé une enquête de marché et a donc transmis à certaines entreprises un questionnaire.
13 Par courrier du 28 janvier 2019, la requérante a demandé au conseiller-auditeur de lui reconnaître le statut de tiers intéressé aux fins d’être entendue dans le cadre de la procédure relative à la concentration M.8871. Celui-ci a accédé à cette demande par courrier du 7 février 2019.
Décision attaquée
14 Le 26 février 2019, la Commission a adopté la décision attaquée. La concentration M.8871 a été déclarée compatible avec le marché intérieur lors de la phase d’examen prévue à l’article 6, paragraphe 1, sous b), du règlement no 139/2004 et à l’article 57 de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE).
Conclusions des parties
15 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée ;
– condamner la Commission aux dépens.
16 La Commission, soutenue par la République fédérale d’Allemagne, E.ON et RWE, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner la requérante aux dépens.
En droit
17 À l’appui de son recours, la requérante soulève, en substance, six moyens tirés, le premier, d’une violation de son droit à une protection juridictionnelle effective, le deuxième, de la violation de son droit d’être entendue, le troisième, d’une scission erronée de l’analyse de l’opération globale, le quatrième, d’erreurs manifestes d’appréciation, le cinquième, de la violation de l’obligation de diligence et, le sixième, d’un détournement de pouvoir.
18 Sans soulever formellement une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 130 du règlement de procédure du Tribunal, la Commission, soutenue par RWE, se prévaut de l’irrecevabilité du recours en raison de l’absence de qualité pour agir de la requérante.
19 En premier lieu, la Commission soutient que la participation de la requérante à la procédure relative à la concentration M.8871 n’a été que simple. À cet égard, elle fait valoir que les préoccupations que la requérante a exprimées se rapportaient presque uniquement à la concentration M.8870.
20 De plus, la requérante ne saurait déduire du fait que la Commission l’a rencontrée lors de la réunion du 3 octobre 2018 que sa participation était suffisante, dès lors que la Commission aurait rencontré d’autres concurrents, dans un cadre similaire. En tout état de cause, la requérante n’aurait formulé que de rares réserves qui n’ont pas été réitérées ultérieurement et n’aurait pas répondu à l’enquête de marché de la Commission.
21 En second lieu, en ce qui concerne le manque d’affectation individuelle de la requérante résultant de sa position concurrentielle, la Commission considère que la requérante est une concurrente de RWE et d’E.ON, mais qu’il s’agit d’une simple qualité objective, qui ne caractérise pas la requérante par rapport à tout autre concurrent se trouvant, actuellement ou potentiellement, dans une situation identique et qui ne peut, de ce fait, fonder son affectation individuelle. La Commission souligne également l’absence de circonstances de nature à l’individualiser en sa qualité de cliente de RWE par rapport aux autres clients de RWE.
22 La requérante considère qu’elle est directement et individuellement concernée par la décision attaquée.
23 En premier lieu, la requérante allègue qu’elle aurait participé activement à la procédure relative à la concentration M.8871 et qu’elle aurait influencé le déroulement de la procédure ainsi que la prise de décision de la Commission. Quant à l’enquête de marché réalisée par la Commission, elle soutient ne pas l’avoir reçue.
24 En second lieu, la requérante estime être directement et individuellement concernée par la décision attaquée dans la mesure où ses filiales et elle-même comptent parmi les plus importantes entreprises régionales de fourniture et de service énergétique d’Allemagne, où les parties à la concentration sont leurs concurrentes directes et où la concentration M.8871 risque de réduire sensiblement les chances de concurrence de la requérante.
25 Conformément à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, une personne physique ou morale ne peut former un recours contre une décision adressée à une autre personne que si ladite décision la concerne directement et individuellement.
26 Ainsi, aux fins d’établir la qualité pour agir de la requérante, il convient d’examiner si elle est directement et individuellement concernée par la décision attaquée.
27 En premier lieu, en ce qui concerne l’affectation directe de la requérante, il y a lieu de relever que, dès lors qu’elle permettait la réalisation immédiate de la concentration M.8871, la décision attaquée était de nature à induire une modification immédiate de la situation des marchés concernés. Dans la mesure où la volonté des parties à la concentration M.8871 de réaliser cette dernière n’était pas sujette à caution, les opérateurs économiques intervenant sur le ou les marchés concernés pouvaient, à la date de la décision attaquée, tenir pour acquise une modification immédiate ou rapide de l’état du marché (voir, en ce sens, arrêt du 4 juillet 2006, easyJet/Commission, T 177/04, EU:T:2006:187, point 32 et jurisprudence citée). Il en résulte que la requérante est directement concernée par la décision attaquée.
28 En second lieu, s’agissant de l’affectation individuelle de la requérante, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les sujets autres que les destinataires d’une décision ne sauraient prétendre être concernés individuellement que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et de ce fait les individualise d’une manière analogue à celle dont le destinataire de cette décision le serait (voir arrêt du 4 juillet 2006, easyJet/Commission, T 177/04, EU:T:2006:187, point 34 et jurisprudence citée).
29 Dans le cas d’une décision constatant la compatibilité d’une opération de concentration avec le marché intérieur, et s’agissant d’une entreprise tierce, c’est en fonction, d’une part, de sa participation à la procédure administrative et, d’autre part, de l’affectation de sa position sur le marché qu’il y a lieu de déterminer si elle est individuellement concernée. Si une simple participation à la procédure ne suffit certes pas, à elle seule, à établir que la requérante est individuellement concernée par la décision, en particulier dans le domaine des concentrations dont l’examen minutieux exige un contact régulier avec de nombreuses entreprises, il n’en demeure pas moins que la participation active à la procédure administrative constitue un élément régulièrement pris en considération par la jurisprudence en matière de concurrence, y compris dans le domaine plus spécifique du contrôle des concentrations, pour établir, en conjonction avec d’autres circonstances spécifiques, la recevabilité de son recours (voir arrêt du 4 juillet 2006, easyJet/Commission, T 177/04, EU:T:2006:187, point 35 et jurisprudence citée).
30 En l’espèce, il convient de noter qu’il n’est pas contesté entre les parties que la requérante a participé à la procédure administrative. C’est, en revanche, sur le caractère « actif » de cette participation qu’elles s’opposent. Il convient, dès lors, de s’intéresser à la qualité de la participation de la requérante à la procédure relative à la concentration M.8871.
31 À cet égard, tout d’abord, il y a lieu de relever que, le 24 juillet 2018, la requérante a adressé une demande à la Commission afin d’être entendue tant dans le cadre de la procédure relative à la concentration M.8871 que dans celle relative à la concentration M.8870, ainsi qu’il ressort de la rubrique intitulée, en langue allemande, « Aktenzeichen » (numéro de dossier) de sa lettre dans laquelle sont inscrites les références « M8870 & M8871 ». Dans cette lettre, la requérante expliquait, de manière générale, afin de justifier sa demande, la nature de ses intérêts et l’atteinte qu’elle pourrait subir en raison de l’autorisation de ces deux opérations de concentration.
32 Ensuite, le 3 octobre 2018, la requérante a participé à une réunion individuelle avec la Commission qui portait sur les concentrations M.8870 et M.8871. Néanmoins, force est de constater que, sur les 20 pages de la présentation de la requérante, préparée en vue de cette réunion, seulement une portait sur la concentration M.8871 et que, en outre, cette page concernait uniquement l’avantage concurrentiel obtenu par RWE dans l’attribution des subventions pour le développement et la construction de nouveaux actifs de production issue d’énergies renouvelables. Le reste de cette présentation était consacré à la concentration M.8870. Le procès-verbal de ladite réunion démontre également que les discussions s’étant tenues lors de la réunion ont porté essentiellement sur la concentration M.8870, puisque, sur les 42 points qu’il compte, seuls trois étaient consacrés à RWE.
33 De plus, à la suite de cette réunion et après une relance de la Commission le 4 décembre 2018, la requérante a répondu, par courriel du 14 décembre 2018, aux questions de la Commission posées par courriel du 31 octobre 2018. Ces questions visaient à donner des précisions à la Commission sur l’observation formulée par la requérante relative à l’avantage concurrentiel d’E.ON et d’innogy dans le développement de nouveaux services, comme les solutions de « smart home » (maison intelligente), en raison de leur large base de clients, ce qui est une problématique relevant de la concentration M.8870.
34 Enfin, par courriel du 28 janvier 2019 adressé au conseiller-auditeur, la requérante a demandé à être entendue en tant que tiers intéressé dans la procédure relative à la concentration M.8871. Le 7 février 2019, le conseiller-auditeur a répondu à la requérante et a indiqué qu’il la considérait comme ayant le statut de tiers intéressé dans ladite procédure.
35 Il en résulte que, en ce qui concerne la concentration M.8871 proprement dite, les observations de la requérante se résument à une page de présentation dont le contenu a été repris, de manière exhaustive, dans les trois points relatifs à la concentration M.8871 du procès-verbal de la réunion du 3 octobre 2018. Quant aux observations formulées par la requérante dans sa lettre du 24 juillet 2018, elles sont d’ordre général et visent principalement à démontrer l’intérêt de la requérante pour la procédure afin de pouvoir, par la suite, être admise à exposer plus longuement et de manière plus précise son avis à la Commission, de sorte qu’elles ne sont pas déterminantes.
36 Or, une participation aussi minime ne saurait être considérée comme suffisante pour pouvoir être qualifiée d’active. À cet égard, il est, certes, vrai que les préoccupations exprimées par la requérante en ce qui concerne l’avantage concurrentiel obtenu par RWE grâce à la concentration M.8871 pour répondre aux appels d’offres dans le domaine des énergies renouvelables ont été prises en compte par la Commission et analysées par cette dernière, ainsi qu’il ressort des points 68 et 69 de la décision attaquée.
37 Néanmoins, force est de constater que les préoccupations exprimées par la requérante ont été examinées dans la section 5.1.7 de la décision attaquée, intitulée « Inquiétudes supplémentaires soulevées par des tiers », qui suit la section 5.1.6 de la décision attaquée, intitulée « Conclusions », dans le cadre de laquelle la Commission a conclu à l’absence de doutes sérieux quant à la compatibilité de la concentration M.8871 avec le marché intérieur. Ainsi, l’analyse faite par la Commission dans la section 5.1.7 est présentée à titre surabondant. Le caractère surabondant de cet examen est confirmé par la précision apportée par la Commission au point 67 de la décision attaquée dans lequel elle a indiqué qu’il s’agissait de répondre aux préoccupations concernant les effets potentiels de la concentration M.8871 sur des marchés autres que le marché de la production et de la fourniture en gros d’électricité en Allemagne, marché qui est celui considéré comme étant pertinent pour les besoins de l’analyse des effets de ladite concentration dans le marché intérieur, ainsi qu’il ressort du point 13 de la décision attaquée.
38 Il en résulte que les observations formulées par la requérante concernant la concentration M.8871, bien que présentant un certain intérêt et ayant été traitées par la Commission, n’étaient pas déterminantes pour apprécier les effets de ladite concentration sur le marché pertinent.
39 Dès lors, il ne saurait être considéré que la requérante a participé de manière active à la phase administrative relative à la concentration M.8871.
40 Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les arguments de la requérante.
41 Premièrement, la requérante soutient qu’elle n’a pas reçu l’enquête de marché envoyée par la Commission.
42 À cet égard, dans le cadre de mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89, paragraphe 3, sous d), du règlement de procédure, le Tribunal a demandé, le 29 mars 2022, à la Commission de produire la preuve qu’elle avait bien envoyé l’enquête de marché à la requérante, ainsi qu’elle le soutenait au point 10 de la duplique. La Commission a répondu à cette demande dans le délai imparti. Par ailleurs, de manière spontanée, la requérante a déposé, au greffe du Tribunal, le 19 avril 2022, une lettre contenant des observations relatives à cette question. Le président de la quatrième chambre élargie a décidé, le 3 mai 2022, de verser cette lettre au dossier. Enfin, les parties ont été interrogées à ce sujet par le Tribunal lors de l’audience.
43 Les éléments de preuve fournis par la Commission en réponse à la demande du Tribunal sont de trois types. Premièrement, la Commission se prévaut de la liste des entreprises auxquelles l’enquête a été envoyée, sur laquelle figure le nom de la requérante. Deuxièmement, la Commission produit un extrait de l’application informatique qu’elle a utilisée pour l’envoi de l’enquête duquel il ressort que l’enquête de marché a été envoyée à la requérante le 23 janvier 2019 à 16 h 35 avec, pour date limite de réponse, le 30 janvier 2019. Il est également indiqué qu’une relance a été effectuée le 27 janvier 2019. Troisièmement, la Commission fournit deux extraits de ses bases de données relatives à l’envoi de courriels et de fax qui démontrent qu’un courriel et un fax ont été envoyés à la requérante. Les dates et les heures de ces envois correspondent à celles indiquées dans l’extrait de l’application informatique.
44 Il en ressort que la Commission a bien envoyé l’enquête de marché à la requérante.
45 À cet égard, la requérante a fait valoir, en substance, tant dans sa lettre du 19 avril 2022 que lors de l’audience, que l’enquête de marché a été envoyée à son attaché de presse. Or, d’une part, ce dernier assure ne pas l’avoir reçue et, d’autre part, la requérante indique qu’il n’était pas la personne adéquate à contacter. Sur ce dernier point, la requérante fait remarquer, dans sa lettre du 19 avril 2022, que l’enquête de marché relative à la concentration M.8870 n’a pas été envoyée à l’attaché de presse, mais au directeur commercial compétent.
46 Il convient de relever que, dès lors qu’il ne saurait être exigé de la part de la requérante d’apporter la preuve d’un fait négatif, à savoir l’absence de réception de l’enquête de marché, le Tribunal s’est adressé à la Commission afin qu’elle apporte la preuve qu’elle avait bien envoyé ladite enquête. Ainsi qu’il résulte du point 44 ci-dessus, elle y est parvenue. Dans de telles circonstances, il appartenait à la requérante de présenter au Tribunal des éléments remettant en cause la fiabilité des preuves fournies par la Commission, ce qu’elle n’a pas fait.
47 Quant au fait que l’enquête de marché a été envoyée au mauvais destinataire, même à le supposer établi, force est de constater que la requérante n’a pas contesté que la personne en cause était bien son attaché de presse au moment où ladite enquête a été envoyée.
48 Or, il peut être raisonnablement attendu d’une telle personne, recevant non seulement un courriel, mais également un fax provenant d’une institution de l’Union, qu’elle informe au plus vite ladite institution de l’erreur de destinataire. En outre, se trouvant en possession de tels documents, il lui était aussi possible de se rapprocher du service juridique ou commercial de son entreprise pour l’informer de la réception de ces documents.
49 En tout état de cause, même si la requérante avait eu l’opportunité de remplir l’enquête de marché, cette circonstance n’aurait pas été à même de faire qualifier sa participation d’active.
50 En effet, le simple renvoi du questionnaire rempli ne saurait être regardé comme un élément suffisant à individualiser l’opérateur concerné au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE (voir, en ce sens, ordonnance du 18 septembre 2006, Wirtschaftskammer Kärnten et best connect Ampere Strompool/Commission, T 350/03, non publiée, EU:T:2006:257, points 50 et 51).
51 Il ne saurait en être autrement dès lors que, ainsi que l’a fait valoir, à bon droit, lors de l’audience, la Commission, cette dernière peut être amenée à interroger, aux fins de prendre une décision sur une concentration qui lui a été notifiée, un grand nombre d’acteurs du marché concerné. Cela résulte du pouvoir de demande de renseignements qui lui est octroyé à l’article 11, paragraphe 7, du règlement no 139/2004, selon lequel, pour l’accomplissement des tâches qui lui sont assignées par ledit règlement, la Commission peut entendre toute personne physique ou morale qui accepte d’être interrogée aux fins de la collecte d’informations relatives à l’objet d’une enquête.
52 Deuxièmement, la requérante fait valoir qu’elle a demandé au conseiller-auditeur de se voir reconnaître la qualité de tiers intéressé. Si la démarche de faire une telle demande peut constituer un indice de la volonté exprimée par la requérante de participer à la procédure relative à la concentration M.8871, elle ne saurait définir le caractère « actif » de sa participation, qui doit se refléter dans les seules actions de la requérante ayant été susceptibles d’influencer l’issue de la procédure en cause.
53 Par ailleurs, lors de l’audience, la requérante a indiqué que, contrairement à ce qui avait été annoncé dans la décision du conseiller-auditeur du 7 février 2019, la Commission ne lui a pas fixé de délai afin qu’elle puisse soumettre ses observations écrites sur la concentration M.8871.
54 Force est de constater que cet argument est en contradiction avec ce que la requérante a soutenu par ailleurs, dans le cadre de ses différents écrits, à savoir qu’elle a activement participé à la procédure administrative relative à la concentration M.8871. Or, la requérante ne saurait maintenir son argumentation selon laquelle elle a activement participé à la procédure et, en même temps, reprocher, pour la première fois lors de l’audience, à la Commission de ne pas lui avoir fixé de délai afin de soumettre ses observations, pour démontrer sa qualité pour agir. En effet, en vertu du principe prétorien « nemo potest venire contra factum proprium », également dénommé « venire contra factum proprium non valet », nul ne peut contester ce qu’il a auparavant reconnu (arrêts du 22 avril 2016, Irlande et Aughinish Alumina/Commission, T 50/06 RENV II et T 69/06 RENV II, EU:T:2016:227, point 192, et du 6 avril 2017, Regione autonoma della Sardegna/Commission, T 219/14, EU:T:2017:266, point 63 ; voir également, en ce sens, ordonnance du 13 février 2014, Marszałkowski/OHMI, C 177/13 P, non publiée, EU:C:2014:183, point 73). Il y a lieu, dès lors, de rejeter cet argument comme étant manifestement irrecevable.
55 Troisièmement, la requérante soutient, en substance, que la concentration M.8871 et la concentration M.8870 constituent une concentration unique et que la Commission a traité ensemble ces deux opérations de concentration. Lors de l’audience, elle a précisé que ce n’était que lorsqu’elle avait reçu l’enquête de marché relative à la concentration M.8871 qu’elle avait présenté sa demande d’audition au conseiller-auditeur dans le cadre de la procédure administrative relative à cette opération de concentration.
56 Ces arguments doivent être rejetés comme étant inopérants. En effet, il est indifférent, au stade de l’examen de la recevabilité, de déterminer si les concentrations M.8870 et M.8871 constituent ou non une concentration unique ou de savoir comment la requérante avait compris la manière dont la Commission entendait traiter ces deux opérations de concentration, dès lors que, en tout état de cause, la requérante n’a pas présenté d’observations sur la concentration M.8871, hormis dans une page de sa présentation du 3 octobre 2018.
57 La requérante n’ayant pas activement participé à la procédure relative à la concentration M.8871, il y a lieu de considérer, compte tenu, en outre, de l’absence de circonstance particulière relative à l’affectation de sa position sur le marché, qu’elle n’est pas individuellement affectée par la décision attaquée, au sens de la jurisprudence rappelée au point 29 ci-dessus.
58 La requérante n’étant pas individuellement affectée par la décision attaquée, elle n’a pas établi sa qualité pour agir, de sorte qu’il convient de rejeter son recours comme étant irrecevable.
Sur les dépens
59 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission, par E.ON et par RWE, conformément aux conclusions de ces dernières.
60 En vertu de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. La République fédérale d’Allemagne supportera donc ses propres dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (quatrième chambre élargie)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté comme étant irrecevable.
2) Enercity AG supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne, par E.ON SE et par RWE AG.
3) La République fédérale d’Allemagne supportera ses propres dépens.