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Décisions

CJUE, 1re ch., 21 décembre 2023, n° C-340/22

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Cofidis

Défendeur :

Autoridade Tributária e Aduaneira

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocat général :

M. P. Pikamäe

CJUE n° C-340/22

20 décembre 2023

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 49 TFUE et de la directive 2014/59/UE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mai 2014, établissant un cadre pour le redressement et la résolution des établissements de crédit et des entreprises d’investissement et modifiant la directive 82/891/CEE du Conseil ainsi que les directives du Parlement européen et du Conseil 2001/24/CE, 2002/47/CE, 2004/25/CE, 2005/56/CE, 2007/36/CE, 2011/35/UE, 2012/30/UE et 2013/36/UE et les règlements du Parlement européen et du Conseil (UE) no 1093/2010 et (UE) no 648/2012 (JO 2014, L 173, p. 190).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Cofidis, la succursale portugaise de Cofidis SA, établissement de crédit dont le siège social est situé en France, à l’Autoridade Tributária e Aduaneira (administration des contributions et douanes, Portugal) au sujet d’une demande de remboursement des contributions acquittées par cette succursale au titre de l’adicional de solidariedade sobre o sector bancário (supplément de solidarité sur le secteur bancaire) (ci-après l’« ASSB »).

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 Les considérant 1, 5 et 103 de la directive 2014/59 énoncent :

« (1) La crise financière a révélé un manque criant, au niveau de l’Union [européenne], d’instruments permettant de faire face efficacement aux établissements de crédit et entreprises d’investissement [...] peu solides ou défaillants. De tels instruments sont, en particulier, nécessaires pour éviter l’insolvabilité ou, en cas d’insolvabilité avérée, pour en minimiser les répercussions négatives en préservant les fonctions importantes, sur le plan systémique, de l’établissement concerné. Pendant la crise, ces défis ont pris une importance majeure, contraignant les États membres à utiliser l’argent des contribuables pour sauver des établissements. L’objectif d’un cadre crédible pour le redressement et la résolution est de rendre cette intervention aussi inutile que possible.

[...]

(5) Il est [...] nécessaire d’instituer un régime qui fournisse aux autorités un ensemble crédible d’instruments leur permettant d’intervenir suffisamment tôt et suffisamment rapidement dans un établissement peu solide ou défaillant, de manière à assurer la continuité de ses fonctions financières et économiques critiques, tout en limitant le plus possible l’impact de sa défaillance sur l’économie et le système financier. Le régime devrait garantir que les actionnaires soient les premiers à supporter les pertes et que les créanciers assument les pertes après les actionnaires [...]

[...]

(103) Dans certaines circonstances, l’efficacité des instruments de résolution employés peut dépendre des possibilités de financement à court terme d’un établissement ou d’un établissement-relais, de la fourniture de garanties aux acquéreurs potentiels ou de l’octroi de capitaux à l’établissement-relais. Malgré le rôle joué par les banques centrales dans l’apport de liquidités au système financier, même en période de tensions, il est important que les États membres mettent en place des dispositifs de financement afin d’éviter que les fonds nécessaires à ces opérations ne proviennent des budgets nationaux. Ce devrait être au secteur financier dans son ensemble de financer la stabilisation du système financier. »

4 En vertu de l’article 1er, paragraphe 1, de cette directive, celle-ci définit des règles et des procédures de redressement et de résolution pour les entités énumérées à cette disposition.

Le droit portugais

5 L’article 18 et l’annexe VI de la Lei no 27-A/2020, que aprova o Orçamento Suplementar para 2020 (loi no 27-A/2020, portant approbation du budget supplémentaire pour 2020), du 24 juillet 2020 (ci-après la « loi sur le budget supplémentaire de 2020 »), ont instauré l’ASSB.

6 En vertu de l’article 1er, paragraphe 2, et de l’article 9 de l’annexe VI de la loi sur le budget supplémentaire de 2020, l’ASSB a été instauré en vue de renforcer les mécanismes de financement du système national de sécurité sociale, par l’affectation intégrale de ses recettes au Fundo de Estabilização Financeira da Segurança Social (Fonds de stabilisation financière de la sécurité sociale). Selon ces dispositions, l’instauration de l’ASSB vise à compenser l’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), dont bénéficie le secteur bancaire sur la plupart des services financiers, de manière à rapprocher la charge fiscale supportée par ce secteur de celle supportée par les autres secteurs économiques.

7 Au titre de l’article 2, paragraphe 1, de ladite annexe VI, sont assujettis à l’ASSB, premièrement, les établissements de crédit dont le siège social est situé sur le territoire du Portugal (ci-après les « établissements de crédit résidents »), deuxièmement, les filiales portugaises d’établissements de crédit dont le siège social est situé sur le territoire d’un autre État (ci-après les « établissements de crédit non-résidents »), ainsi que, troisièmement, les succursales portugaises d’établissements de crédit non-résidents.

8 L’article 3 de ladite annexe VI définit le champ d’application matériel de l’ASSB comme suit :

« L’ASSB est dû sur :

a) le passif établi et approuvé par les assujettis après déduction, le cas échéant, des éléments du passif relevant des capitaux propres, des dépôts couverts par la garantie du Fonds de garantie des dépôts, par le Fonds de garantie du crédit agricole mutuel ou par un système de garantie des dépôts officiellement reconnu aux termes de l’article 4 de la directive 2014/49/UE [du Parlement européen et du Conseil, du 16 avril 2014, relative aux systèmes de garantie des dépôts (JO 2014, L 173, p. 149)], ou considéré comme équivalent aux termes de l’article 156, paragraphe 1, sous b), du [Regime Geral das Instituições de Crédito e Sociedades Financeiras (régime général des établissements de crédit et des sociétés financières)], dans les limites prévues par les législations applicables, et des dépôts placés auprès de la Caisse centrale constitués par des caisses de crédit agricole faisant partie du système intégré de crédit agricole mutuel, conformément à l’article 72 du régime juridique du crédit agricole mutuel et des coopératives de crédit agricole, approuvé en annexe du décret-loi no 24/91 du 11 janvier ;

b) la valeur notionnelle des instruments financiers dérivés hors bilan déterminée par les assujettis. »

9 L’article 4 de la même annexe VI, relatif à la quantification de l’assiette de l’ASSB, dispose :

« 1. Aux fins des dispositions du point a) de l’article précédent, on entend par passif l’ensemble des éléments inscrits au bilan qui, quelle que soit leur forme ou modalité, représentent une dette envers des tiers, à l’exception des éléments suivants :

a) les éléments qui, conformément aux règles comptables applicables, sont inscrits comme des capitaux propres ;

b) les passifs liés à la reconnaissance d’obligations découlant de plans de prestations définies ;

c) les dépôts couverts par le Fonds de garantie des dépôts et par le Fonds de garantie du crédit agricole mutuel importent uniquement à hauteur du montant effectivement couvert par ces Fonds ;

d) les passifs résultant de la réévaluation d’instruments financiers dérivés ;

e) les revenus à rendement différé, sans tenir compte de ceux liés à des opérations passives, et

f) les passifs correspondant à des actifs qui n’ont pas été décomptabilisés dans des opérations de titrisation.

2. Aux fins des dispositions du point a) de l’article précédent, les règles suivantes s’appliquent :

a) la valeur des capitaux propres, y compris les capitaux propres de niveau 1 et de niveau 2, comprend les éléments positifs qui comptent aux fins de son calcul conformément aux dispositions de la partie II du règlement (UE) no 575/2013 [du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, concernant les exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d’investissement et modifiant le règlement (UE) no 648/2012 (JO 2013, L 176, p. 1)], en prenant en considération les dispositions transitoires prévues dans la partie X de ce règlement, qui, dans le même temps, relèvent de la notion de passif telle que définie au paragraphe précédent ;

b) les dépôts couverts par la garantie du Fonds de garantie des dépôts, par le Fonds de garantie du crédit agricole mutuel ou par un système de garantie des dépôts officiellement reconnu aux termes de l’article 4 de la directive 2014/49/UE, ou considéré comme équivalent aux termes de l’article 156, paragraphe 1, sous b), du régime général des établissements de crédit et des sociétés financières, dans les limites prévues par les législations applicables, importent uniquement à hauteur du montant effectivement couvert par ces Fonds. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

10 La requérante au principal est une succursale portugaise d’un établissement de crédit dont le siège social est situé en France. En qualité de succursale, elle est assujettie à l’ASSB, à savoir un impôt sur le secteur bancaire instauré par la République portugaise pour soutenir financièrement le système national de sécurité sociale et restaurer l’équilibre entre la charge fiscale supportée par ce secteur, qui bénéficie d’une exonération de TVA sur la plupart des services financiers, et celle supportée par tous les autres secteurs de l’économie portugaise.

11 Le 11 décembre 2020, la requérante au principal a procédé à l’autoliquidation de l’ASSB portant sur le premier semestre de l’année 2020. à ce titre, elle s’est acquittée d’un montant de 364 229,67 euros. Le 5 janvier 2021, elle a cependant introduit un recours gracieux auprès de l’administration fiscale, afin de solliciter le remboursement dudit montant. Par sa décision du 21 mai 2021, cette administration a rejeté ce recours.

12 Le 23 août 2021, la requérante au principal a introduit un recours devant le Tribunal Arbitral Tributário (Centro de Arbitragem Administrativa – CAAD) [tribunal arbitral en matière fiscale (centre d’arbitrage administratif), Portugal], la juridiction de renvoi, aux fins de contester cette décision. à l’appui de ce recours, elle a notamment fait valoir que l’ASSB est contraire au droit de l’Union.

13 En particulier, selon la requérante au principal, l’instauration de l’ASSB est contraire à la directive 2014/59 et à la prétendue harmonisation fiscale instaurée par cette directive quant aux contributions des établissements de crédit en matière de résolution. En effet, la requérante au principal serait déjà imposée dans l’État membre où se situe son siège social, à savoir la République française, au titre de ladite directive, de telle sorte que la République portugaise ne saurait lui infliger un impôt analogue.

14 En outre, la requérante au principal estime que l’ASSB porte atteinte à l’article 49 TFUE du fait du traitement discriminatoire dont font l’objet les succursales portugaises des établissements de crédit étrangers. En effet, à défaut de personnalité juridique, ces succursales se trouveraient dans l’impossibilité de déduire des capitaux propres de leur base imposable au titre de l’ASSB.

15 Dans ces conditions, le Tribunal Arbitral Tributário (Centro de Arbitragem Administrativa – CAAD) [tribunal arbitral en matière fiscale (centre d’arbitrage administratif)] a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) La [directive 2014/59] s’oppose-t-elle à l’application d’un prélèvement, dans un État membre, sur les succursales d’établissements financiers résidents dans un autre État membre de l’Union, en vertu d’une législation telle que le régime interne portugais [de l’ASSB], dans le cas où ce prélèvement est dû sur le passif ajusté et sur la valeur notionnelle des instruments financiers dérivés hors bilan et où les recettes dudit prélèvement ne sont pas affectées aux mécanismes nationaux de financement des mesures de résolution et au financement du Fonds de résolution unique ?

2) La liberté d’établissement énoncée à l’article 49 TFUE s’oppose‑t‑elle à une législation nationale, telle que celle contenue dans le régime interne portugais [de l’ASSB], qui permet de déduire du passif déterminé et approuvé certains éléments de passif qui comptent aux fins du calcul des [capitaux] propres de niveau 1 et des [capitaux] propres de niveau 2, conformément aux dispositions de la partie II du [règlement no 575/2013], en tenant compte des dispositions transitoires prévues dans la partie IX de ce règlement, qui ne peuvent être émis que par des entités dotées de la personnalité juridique, c’est-à-dire qui ne peuvent pas être émis par des succursales d’établissements de crédit non‑résidents ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

16 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 2014/59 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale instaurant un impôt frappant le passif des établissements de crédit, dont le mode de calcul est prétendument semblable à celui des contributions versées par de tels établissements en vertu de cette directive, mais dont les recettes ne sont pas affectées aux mécanismes nationaux de financement de mesures de résolution.

Sur la recevabilité

17 Le gouvernement portugais fait valoir que cette question est irrecevable, dans la mesure où elle serait dénuée de toute pertinence aux fins de la solution du litige au principal, l’ASSB ne présentant aucun lien avec la résolution et le redressement des établissements de crédit et échappant, par conséquent, au champ d’application de la directive 2014/59.

18 Selon une jurisprudence constante, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation ou la validité d’une règle du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer. Il s’ensuit que les questions posées par les juridictions nationales bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît que l’interprétation sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, si le problème est de nature hypothétique ou encore si la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile auxdites questions (arrêt du 16 juillet 2020, Facebook Ireland et Schrems, C‑311/18, EU:C:2020:559, point 73 ainsi que jurisprudence citée).

19 En l’occurrence, la requérante au principal ayant invoqué une prétendue incompatibilité de l’ASSB avec la directive 2014/59 dans le cadre du litige au principal, la présomption de pertinence qui s’attache à la question posée ne saurait être remise en cause. En outre, l’argument du gouvernement portugais relatif au champ d’application de la directive 2014/59 porte, en réalité, sur le fond de la question posée.

20 Par conséquent, la première question est recevable.

Sur le fond

21 Afin de répondre à la question posée, il convient de rappeler, à titre liminaire, que l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union requiert de tenir compte non seulement de ses termes, mais également du contexte dans lequel elle s’inscrit ainsi que des objectifs et de la finalité que poursuit l’acte dont elle fait partie [arrêt du 21 septembre 2023, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Carte diplomatique), C‑568/21, EU:C:2023:683, point 32].

22 Premièrement, selon l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2014/59, celle-ci définit des règles et des procédures de redressement et de résolution pour les entités énumérées à cette disposition.

23 Deuxièmement, ainsi qu’il ressort des considérants 1 et 5 de cette directive, celle-ci a été adoptée à la suite de la crise financière, qui a révélé la nécessité de prévoir des instruments permettant de faire face à l’insolvabilité, notamment, des établissements de crédit, en faisant supporter les risques y afférents à leurs actionnaires et créanciers, et non aux contribuables. Conformément au considérant 103 de ladite directive, il incombe en effet au secteur financier dans son ensemble de financer la stabilisation du système financier.

24 Dans ce contexte, troisièmement, les contributions versées par ces établissements en vertu de la même directive ne constituent pas des impôts, mais procèdent, au contraire, d’une logique d’ordre assurantiel (voir, en ce sens, arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Landesbank Baden‑Württemberg et CRU, C‑584/20 P et C‑621/20 P, EU:C:2021:601, point 113).

25 La directive 2014/59 n’a donc aucunement pour finalité d’harmoniser la fiscalité des établissements de crédit qui exercent une activité au sein de l’Union.

26 Par conséquent, la directive 2014/59 ne saurait faire obstacle à la mise en place d’un impôt national, tel que l’ASSB, frappant le passif desdits établissements et dont les recettes visent à financer le système national de sécurité sociale, sans présenter aucun lien avec la résolution et le redressement de ces mêmes établissements. La circonstance que le mode de calcul d’un tel impôt présenterait des similitudes avec celui des contributions versées en vertu de la directive 2014/59 est dénuée de toute pertinence à cet égard.

27 Ainsi, il convient de répondre à la première question que la directive 2014/59 doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à une réglementation nationale instaurant un impôt frappant le passif des établissements de crédit, dont le mode de calcul est prétendument semblable à celui des contributions versées par de tels établissements en vertu de cette directive, mais dont les recettes ne sont pas affectées aux mécanismes nationaux de financement de mesures de résolution.

Sur la seconde question

28 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la liberté d’établissement garantie aux articles 49 et 54 TFUE doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation d’un État membre instaurant un impôt dont l’assiette est constituée du passif des établissements de crédit résidents, ainsi que des filiales et des succursales des établissements de crédit non-résidents, dans la mesure où ladite réglementation permet la déduction de capitaux propres et d’instruments de dette assimilables à des capitaux propres, qui ne peuvent pas être émis par des entités dénuées de personnalité juridique, telles que ces succursales.

Sur la recevabilité

29 Le gouvernement portugais considère que la seconde question est irrecevable dans la mesure où elle repose sur l’affirmation de la requérante au principal, selon laquelle les succursales des établissements de crédit non-résidents seraient dans l’impossibilité de déduire des capitaux propres de leur base imposable au titre de l’ASSB. Or, cette affirmation serait contestée par l’administration fiscale dans le cadre du litige au principal et la juridiction de renvoi n’aurait pas encore vérifié sa véracité, de sorte que la question posée par celle-ci serait purement hypothétique.

30 Pour autant que le gouvernement portugais soutient que la seconde question est posée de manière prématurée, il suffit de rappeler que les juridictions nationales ont la faculté la plus étendue de saisir la Cour si elles considèrent qu’une affaire pendante devant elles soulève des questions comportant une interprétation ou une appréciation de la validité des dispositions du droit de l’Union nécessaires au règlement du litige qui leur est soumis et que, notamment, elles sont libres d’exercer cette faculté à tout moment de la procédure qu’elles jugent approprié (arrêt du 16 mars 2023, Beobank, C‑351/21, EU:C:2023:215, point 42 et jurisprudence citée).

31 Dans la mesure où ce gouvernement relève que ladite affirmation de la requérante au principal est contestée dans le cadre du litige au principal, il convient de rappeler qu’il incombe à la Cour de prendre en compte, dans le cadre de la répartition des compétences entre les juridictions de l’Union et les juridictions nationales, le contexte factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions préjudicielles, tel que défini par la décision de renvoi. Partant, dès lors que la juridiction de renvoi a défini le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions qu’elle pose, il n’appartient pas à la Cour d’en vérifier l’exactitude (arrêt du 8 juin 2023, Prestige and Limousine, C‑50/21, EU:C:2023:448, points 42 et 43 ainsi que jurisprudence citée).

32 En l’occurrence, il ressort de la demande de décision préjudicielle que, selon la juridiction de renvoi, les succursales des établissements non‑résidents ne sont pas en mesure de déduire de leur base imposable, au titre de l’ASSB, des capitaux propres ou des éléments du passif qui peuvent être assimilés à des capitaux propres, dès lors qu’il s’agit d’instruments qui ne pourraient être émis que par des entités dotées de la personnalité juridique.

33 Or, même si la juridiction de renvoi indique elle-même que cette constatation est contestée dans le cadre du litige au principal par l’administration fiscale, ainsi que le fait valoir le gouvernement portugais, il résulte de la jurisprudence rappelée au point 31 du présent arrêt que la Cour ne saurait définir elle-même le contexte factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions préjudicielles.

34 En conséquence, eu égard au contexte factuel et réglementaire défini par la décision de renvoi, il ne saurait être considéré que cette question revêt un caractère hypothétique.

35 Par conséquent, la seconde question est recevable.

Sur le fond

36 À titre liminaire, il convient de rappeler que le siège d’une société sert à déterminer, à l’instar de la nationalité des personnes physiques, son rattachement à l’ordre juridique d’un État. Ainsi, l’application d’une législation fiscale nationale, telle que celle en cause au principal, à une société résidente, y compris une filiale résidente d’une société non‑résidente, d’une part, et à une succursale d’une société non‑résidente, d’autre part, concerne le traitement fiscal, respectivement, d’une société résidente et d’une société non-résidente (voir, en ce sens, arrêt du 17 mai 2017, X, C‑68/15, EU:C:2017:379, points 35 et 36 ainsi que jurisprudence citée).

37 Il convient également de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la liberté d’établissement garantie aux articles 49 et 54 TFUE comprend, pour les sociétés constituées conformément à la législation d’un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l’intérieur de l’Union, le droit d’exercer leur activité dans d’autres États membres par l’intermédiaire d’une filiale, d’une succursale ou d’une agence [arrêts du 22 septembre 2022, W (Déductibilité des pertes définitives d’un établissement stable non-résident), C‑538/20, EU:C:2022:717, point 14, et du 16 février 2023, Gallaher, C‑707/20, EU:C:2023:101, point 70].

38 L’article 49, premier alinéa, seconde phrase, TFUE laissant expressément aux opérateurs économiques la possibilité de choisir librement la forme juridique appropriée pour l’exercice de leurs activités dans un autre État membre, ce libre choix ne doit pas être limité par des dispositions fiscales discriminatoires (arrêts du 23 février 2006, CLT-UFA, C‑253/03, EU:C:2006:129, point 14 ; du 6 septembre 2012, Philips Electronics UK, C‑18/11, EU:C:2012:532, point 13, et du 17 mai 2017, X, C‑68/15, EU:C:2017:379, point 40).

39 La liberté de choisir la forme juridique appropriée pour l’exercice d’activités dans un autre État membre a ainsi, notamment, pour objet de permettre aux sociétés ayant leur siège dans un État membre d’ouvrir une succursale dans un autre État membre pour y exercer leurs activités dans les mêmes conditions que celles qui s’appliquent aux filiales (arrêts du 23 février 2006, CLT-UFA, C‑253/03, EU:C:2006:129, point 15, ainsi que du 6 septembre 2012, Philips Electronics UK, C‑18/11, EU:C:2012:532, point 14 et jurisprudence citée).

40 À cet égard, selon une jurisprudence constante, doivent être considérées comme étant des restrictions à la liberté d’établissement toutes les mesures qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l’exercice de la liberté garantie à l’article 49 TFUE (arrêt du 11 mai 2023, Manitou BF et Bricolage Investissement France, C‑407/22 et C‑408/22, EU:C:2023:392, point 20 ainsi que jurisprudence citée).

41 Sont ainsi prohibées non seulement les discriminations ostensibles fondées sur le lieu du siège des sociétés, mais encore toutes les formes dissimulées de discrimination qui, par application d’autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat (arrêt du 6 octobre 2022, Contship Italia, C‑433/21 et C‑434/21, EU:C:2022:760, point 35 ainsi que jurisprudence citée).

42 En particulier, un prélèvement obligatoire qui prévoit un critère de différenciation apparemment objectif, mais qui défavorise dans la plupart des cas, compte tenu de ses caractéristiques, les sociétés ayant leur siège dans un autre État membre et qui sont dans une situation comparable à celle de sociétés ayant leur siège dans l’État membre d’imposition, constitue une discrimination indirecte fondée sur le lieu du siège des sociétés interdite par les articles 49 et 54 TFUE (arrêts du 3 mars 2020, Vodafone Magyarország, C‑75/18, EU:C:2020:139, point 43, ainsi que du 3 mars 2020, Tesco-Global Áruházak, C‑323/18, EU:C:2020:140, point 63 et jurisprudence citée).

43 En l’occurrence, la réglementation nationale en cause au principal s’applique indistinctement aux établissements de crédit résidents, ainsi qu’aux filiales et aux succursales portugaises d’établissements de crédit non-résidents. L’assiette de l’ASSB est formée du passif de ces entités, à savoir, en vertu de l’article 4 de l’annexe VI de la loi sur le budget supplémentaire de 2020, l’ensemble des éléments inscrits au bilan qui, quelle que soit leur forme ou modalité, représentent une dette envers des tiers, à l’exception, notamment, des éléments qui, conformément aux règles comptables applicables, y sont inscrits comme des capitaux propres.

44 Or, d’après les indications de la juridiction de renvoi, contrairement aux établissements de crédit résidents et aux filiales d’établissements de crédit non-résidents, les succursales des établissements de crédit non‑résidents se trouvent, du fait qu’elles sont dénuées de personnalité juridique, dans l’impossibilité de déduire des capitaux propres de leur base imposable au titre de l’ASSB, lesdites entités étant légalement dépourvues de capitaux propres. En outre, ces succursales ne seraient pas habilitées à émettre des instruments de dette assimilables à des capitaux propres tels que, notamment, des obligations convertibles, des obligations participatives, des actions préférentielles récupérables et des obligations convertibles contingentes, de sorte que celles-ci ne pourraient pas davantage déduire de tels instruments de leur base imposable.

45 Il apparaît ainsi que la réglementation nationale en cause au principal ne permet pas aux succursales des établissements de crédit non-résidents d’exercer leurs activités dans les mêmes conditions que celles qui s’appliquent aux filiales d’établissements de crédit non-résidents, au sens de la jurisprudence rappelée au point 39 du présent arrêt. En effet, tout en frappant indistinctement le passif des filiales et des succursales des établissements de crédit non-résidents, cette réglementation permet aux filiales de réduire la base imposable par la déduction des capitaux propres et des instruments de dette assimilables aux capitaux propres, alors même qu’une telle déduction semble être légalement inaccessible auxdites succursales, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier.

46 Dans ces conditions, une telle réglementation nationale est susceptible de rendre moins attrayant, pour les sociétés ayant leur siège dans un autre État membre, l’exercice de leurs activités au Portugal par l’intermédiaire d’une succursale.

47 Or, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, au point 45 de ses conclusions, une différence de traitement de nature à limiter le libre choix de la forme juridique appropriée pour l’exercice d’une activité dans un autre État membre, au sens de la jurisprudence rappelée au point 38 du présent arrêt, est susceptible de constituer une restriction à la liberté d’établissement garantie aux articles 49 et 54 TFUE.

48 Pour qu’une telle différence de traitement soit compatible avec les dispositions du traité FUE relatives à la liberté d’établissement, il faut qu’elle concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou qu’elle soit justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général (arrêt du 11 mai 2023, Manitou BF et Bricolage Investissement France, C‑407/22 et C‑408/22, EU:C:2023:392, point 36 ainsi que jurisprudence citée).

49 Premièrement, il est constant que la comparabilité d’une situation transfrontalière avec une situation interne de l’État membre concerné doit être examinée en tenant compte de l’objectif poursuivi par les dispositions nationales en cause, ainsi que de l’objet et du contenu de ces dernières (voir, en ce sens, arrêt du 17 mars 2022, AllianzGI-Fonds AEVN, C‑545/19, EU:C:2022:193, point 59 et jurisprudence citée).

50 Ainsi qu’il ressort des indications de la juridiction de renvoi, les objectifs de l’ASSB qui frappe indistinctement tout le secteur bancaire au Portugal, en ce compris les établissements de crédit résidents, ainsi que les filiales et les succursales portugaises des établissements de crédit non-résidents, consistent à soutenir financièrement le système national de sécurité sociale et à restaurer l’équilibre entre la charge fiscale supportée par ce secteur, qui bénéficie d’une exonération de la TVA sur la plupart des services financiers, et celle supportée par tous les autres secteurs de l’économie portugaise.

51 à la lumière de ces objectifs, les dispositions nationales présentées par la juridiction de renvoi ne font état d’aucune distinction entre les établissements de crédit résidents et les filiales et les succursales d’établissements de crédit non-résidents.

52 Au demeurant, il ne ressort pas de la décision de renvoi que l’objet et le contenu des dispositions nationales en cause établiraient une telle distinction.

53 Par conséquent, rien ne semble indiquer que la situation d’un établissement de crédit non-résident exerçant son activité par l’intermédiaire d’une succursale ne serait pas objectivement comparable à celle d’un établissement de crédit résident ou d’une filiale d’un établissement de crédit non-résident.

54 Deuxièmement, s’agissant de la justification de la différence de traitement par une raison impérieuse d’intérêt général, le gouvernement portugais a fait valoir, dans ses observations écrites, que l’avantage fiscal conféré par la réglementation nationale en cause au principal aux établissements de crédit résidents, ainsi qu’aux filiales d’établissements de crédit non-résidents, serait justifié par la nécessité de garantir la cohérence du régime fiscal national.

55 Or, selon une jurisprudence constante, pour qu’une telle justification puisse être admise, il faut que soit établie l’existence d’un lien direct entre l’avantage fiscal concerné et la compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal déterminé (voir, en ce sens, arrêts du 12 juin 2018, Bevola et Jens W. Trock, C‑650/16, EU:C:2018:424, point 45, ainsi que du 27 avril 2023, L Fund, C‑537/20, EU:C:2023:339, point 68 et jurisprudence citée).

56 En l’occurrence, aucun élément du dossier soumis à la Cour n’indique que la déductibilité des capitaux propres de la base imposable au titre de l’ASSB serait compensée par un prélèvement fiscal déterminé, supporté par les établissements de crédit résidents et les filiales d’établissements de crédit non-résidents.

57 Il s’ensuit que la restriction à la liberté d’établissement constituée par la réglementation nationale en cause au principal ne saurait être justifiée par la nécessité de préserver la cohérence du régime fiscal portugais.

58 Enfin, la Commission européenne a soutenu, lors de l’audience, que la différence de traitement résultant de la réglementation nationale en cause au principal pourrait être justifiée, s’agissant de la déductibilité de la base imposable au titre de l’ASSB des instruments de dette assimilables aux capitaux propres, par la nécessité de préserver une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres. Cette institution a notamment fait valoir que l’exclusion des succursales du bénéfice de cette déductibilité permettait d’éviter que ces dernières ne puissent librement choisir le périmètre de leur base imposable au titre de l’ASSB, en y incluant de manière artificielle des instruments de dette assimilables aux capitaux propres émanant de leurs sociétés mères, sans que lesdits instruments ne présentent nécessairement un lien avec leurs activités au Portugal.

59 À cet égard, il convient de rappeler qu’une telle justification peut être admise dès lors, notamment, que le régime en cause vise à prévenir des comportements de nature à compromettre le droit d’un État membre d’exercer sa compétence fiscale en relation avec les activités réalisées sur son territoire (arrêt du 27 avril 2023, L Fund, C‑537/20, EU:C:2023:339, point 76 et jurisprudence citée).

60 Ainsi, la Cour a jugé que cet objectif vise notamment à sauvegarder la symétrie entre le droit d’imposer les bénéfices et la faculté de déduire les pertes d’un établissement stable, dans la mesure où le fait d’admettre que les pertes d’un établissement stable non-résident puissent être déductibles du revenu de la société principale aurait pour conséquence de permettre à cette dernière de choisir librement l’État membre où elle fait valoir de telles pertes (arrêt du 4 juillet 2013, Argenta Spaarbank, C‑350/11, EU:C:2013:447, point 54).

61 Toutefois, dès lors qu’un État membre a choisi de ne pas imposer les entités établies sur son territoire, il ne saurait invoquer la nécessité d’assurer une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres afin de justifier l’imposition d’entités établies dans un autre État membre (voir, par analogie, arrêts du 18 juin 2009, Aberdeen Property Fininvest Alpha, C‑303/07, EU:C:2009:377, point 67 et jurisprudence citée, ainsi que du 27 avril 2023, L Fund, C‑537/20, EU:C:2023:339, point 77 et jurisprudence citée).

62 En l’occurrence, la République portugaise a choisi de ne pas imposer les établissements de crédit résidents et les filiales d’établissements de crédit non-résidents en ce qui concerne les instruments de dette assimilables aux capitaux propres.

63 Partant, cet État membre ne saurait invoquer la nécessité d’assurer une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres afin de justifier l’imposition des succursales d’établissements de crédit non-résidents en ce qui concerne ces instruments de dette assimilables aux capitaux propres.

64 Il s’ensuit que la restriction à la liberté d’établissement constituée par la réglementation nationale en cause au principal n’apparaît pas justifiée par la nécessité de préserver une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres.

65 Par conséquent, il convient de répondre à la seconde question que la liberté d’établissement garantie aux articles 49 et 54 TFUE doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation d’un État membre instaurant un impôt dont l’assiette est constituée du passif des établissements de crédit résidents, ainsi que des filiales et des succursales des établissements de crédit non-résidents, dans la mesure où ladite réglementation permet la déduction de capitaux propres et d’instruments de dette assimilables à des capitaux propres, qui ne peuvent pas être émis par des entités dénuées de personnalité juridique, telles que ces succursales.

Sur les dépens

66 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

1) La directive 2014/59/UE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mai 2014, établissant un cadre pour le redressement et la résolution des établissements de crédit et des entreprises d’investissement et modifiant la directive 82/891/CEE du Conseil ainsi que les directives du Parlement européen et du Conseil 2001/24/CE, 2002/47/CE, 2004/25/CE, 2005/56/CE, 2007/36/CE, 2011/35/UE, 2012/30/UE et 2013/36/UE et les règlements du Parlement européen et du Conseil (UE) no 1093/2010 et (UE) no 648/2012, doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à une réglementation nationale instaurant un impôt frappant le passif des établissements de crédit, dont le mode de calcul est prétendument semblable à celui des contributions versées par de tels établissements en vertu de cette directive, mais dont les recettes ne sont pas affectées aux mécanismes nationaux de financement de mesures de résolution.

2) La liberté d’établissement garantie aux articles 49 et 54 TFUE doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation d’un État membre instaurant un impôt dont l’assiette est constituée du passif des établissements de crédit dont le siège social est situé sur le territoire de cet État membre, ainsi que des filiales et des succursales des établissements de crédit dont le siège social est situé sur le territoire d’un autre État membre, dans la mesure où ladite réglementation permet la déduction de capitaux propres et d’instruments de dette assimilables à des capitaux propres, qui ne peuvent pas être émis par des entités dénuées de personnalité juridique, telles que ces succursales.